RSE ou DD ? Ce que révèle l`emploi des termes dans les stratégies

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Communication Congrès de l’ADERSE – RSE & Innovation
Groupe Sup de Co., La Rochelle – 24 et 25 mars 2010
RSE OU DD ? CE QUE REVELE L’EMPLOI DES
TERMES DANS LES STRATEGIES
RELATIONNELLES DES ENTREPRISES DU
SECTEUR BANCAIRE ET ASSURANCE
Patrick GABRIEL
Professeur des Universités
Laboratoire ICI, Université de Bretagne Occidentale, Brest
Yann REGNARD
Maître de conférences
IAE de Bretagne Occidentale, Université de Brest
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RSE ou DD ? Ce que révèle l’emploi des termes dans les
stratégies relationnelles des entreprises du secteur
bancaire et assurance
Les termes développement durable (DD) et responsabilité sociale d’entreprise (RSE) sont
amplement employés par les acteurs économiques, au point que l’entendement commun
semble substituer l’un à l’autre. Pourtant, chacun des termes renvoie à une chronologie et un
entendement distincts. L’objectif de ce travail est d’observer, après avoir souligné les
éléments principaux de la généalogie de chacun des concepts, le sens et l’orientation
stratégique accordés aux termes par les entreprises elles-mêmes. Une analyse textuelle lexico-
métrique de rapports annuels d’entreprise du secteur bancaire et assurances permet de
souligner que la référence au terme DD ou à celui de RSE procède d’une stratégie de
légitimité particulière, compte tenu de la structure organisationnelle de l’entreprise et de la
considération de son environnement.
Mots clés : Développement durable, Responsabilité sociale, légitimité, banque, analyse
textuelle
Key words : Sustainable development, Social responsibility, legitimacy, bank, textual analysis
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RSE ou DD ? Ce que révèle l’emploi des termes dans les stratégies
relationnelles des entreprises du secteur bancaire et assurance
Le développement durable (DD) autant que la responsabilité sociale d’entreprise (RSE)
semblent largement répandus au sein des milieux d’affaires. Ce que confirment d’ailleurs de
nombreuses études : le discours, sinon la pratique du DD concerne un nombre croissant
d’entreprises, quels que soient leur taille et leur secteur d’activité (Eurostaf, 2005). Ce
discours est de mieux en mieux maîtrisé (Alpha, 2006), même si de nombreuses études font
valoir l’existence de marges de progression encore importantes quant à la qualité des
informations émises (Novéthique, 2007 ; Capitalcom, 2007 ; Ethicity, 2006). Un discours qui
d’ailleurs dispose de moyens et de supports particuliers : labellisation sociale, codes de
conduite certifiés, rapports annuels… (Duong, 2005).
Ces supports de communication utilisés par les entreprises font référence aussi bien au terme
de RSE qu’à celui de DD ; quelquefois mêmes aux deux ensembles, lorsque des termes plus
personnels ne sont pas utilisés (par exemple : rapport social et environnemental
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). Pourtant, si
ces termes de RSE et de DD sont officiellement proches, ils ne font pas référence aux mêmes
champs de responsabilités. Ainsi, la définition du développement durable sans doute la plus
employée, y compris par les entreprises, est issue du rapport Bruntland (1987) : le
développement durable est « un développement qui répond aux besoins actuels sans
compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. » Ce principe de
« non dictature intergénérationnelle », selon le terme de Godard (2002 : 54), impliquant « une
norme minimale de transmission intergénérationnelle d’un patrimoine naturel critique »,
inscrit le développement davantage dans le temps que dans l’espace. Cette dernière dimension
est pourtant centrale au concept de RSE. Ainsi, la Commission Européenne, dans son Livre
Vert de 2001, identifie-t-elle ce dernier concept comme « l'intégration volontaire par les
entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et
à leurs relations avec leurs parties prenantes ». La préoccupation d’une coordination entre
activités et intérêts divers semble se substituer à l’inquiétude d’une préservation d’un bien-
être dépendant de l’environnement. Pourtant, cette même Commission Européenne ajoute une
année plus tard que « la RSE est intrinsèquement liée au concept de développement durable »
(CE, 2002).
Si les termes de DD et de RSE s’entremêlent de l’aveu même de certaines institutions
chargées d’en assurer la diffusion, qu’en est-il auprès des entreprises utilisatrices ? A quelles
considérations et à quels champs de responsabilité renvoie l’emploi de l’un ou l’autre terme
par les acteurs économiques ? L’objet de ce travail est triple ; il s’agit d’une part de souligner
les points de convergence et les points de divergences perçus dans les discours des
entreprises, entre le concept de DD et celui de RSE. D’autre part, le but est de souligner la
perception et l’entendement par les acteurs eux-mêmes de leur responsabilité
organisationnelle, selon la référence à l’un ou l’autre des concepts. Enfin, et s’il y a lieu, une
interprétation des stratégies de positionnement par rapport aux parties prenantes pourra être
avancée, selon l’emploi des termes RSE et DD.
Les réponses à ces objectifs sont structurées en trois parties. La première permet de
développer une brève synthèse de la généalogie des termes de DD et de RSE, afin de situer les
champs théoriques de signification et d’utilité de l’un et l’autre concept. Dans une seconde
partie, ce positionnement théorique est confronté aux acteurs appliquant les concepts. Les
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Voir pour illustration le recensement des sites et rapports dédiés des entreprises du CAC 40 sur :
http://www.rsenews.com/public/dossier_eco/reporting-cac40.php
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discours écrits d’entreprises, notamment en provenance du secteur bancaire et assurance, font
l’objet d’une analyse textuelle. Enfin, une phase de discussion permettra d’établir un certain
nombre d’hypothèses sur l’évolution et l’utilisation des termes de RSE et de DD.
1. DD et RSE : des concepts issus de sources distinctes
Que recouvrent les concepts de DD et de RSE ? Quelle est l’origine de ces concepts ? Avant
de comparer la signification des deux notions à travers l’utilisation qui en est faite dans les
discours d’entreprises, la généalogie très succincte des termes permet d’identifier le sens
originel et théorique que les acteurs institutionnels ont souhaité accorder aux expressions de
DD et de RSE. L’utilité de cette partie se situe donc davantage dans le positionnement
théorique des concepts que dans leur description exhaustive.
1.1. Le DD : un concept récent fondé sur la nécessité d’un consensus
En théorie comme en pratique, le DD a fait l’objet d’une considération beaucoup plus récente
que la RSE, même si l’on peut penser que les racines conceptuelles d’une « philosophie
écologique » ou sociale vont jusqu’au 19
ème
siècle (Tyburski, 2008). Lexpression DD a
réellement émergé suite au travail de la Commission mondiale sur l’environnement et le
développement, en 1987, sous l’égide de l’ONU. La tâche de cette commission n’était pas
simple, en ce qu’elle faisait suite à différents conflits ou mésententes ayant bloqué jusqu’alors
les travaux entre pays. Deux types de mésententes sont particulièrement notables. L’une est
illustrée par le Club de Rome, dont le rapport commandé à des scientifiques dénonce en 1972
la poursuite d’un développement économique à l’encontre d’un maintien écologique
(Meadow, 1972). L’autre est représentée par l'Union internationale pour la conservation de la
nature (UICN, devenue par la suite l'Union mondiale pour la nature), qui propose dès 1980
une « Stratégie mondiale de la conservation », document dans lequel apparaît pour la première
fois l’expression «développement durable». Mais cette stratégie est de courte durée, certains
pays moins développés ne se sentant pas suffisamment écoutés par les autres nations ni
représentés par cette stratégie de conservation proposée.
La tâche de Mme Brundtland, présidente de la Commission mondiale sur l’environnement et
le développement, regroupant des représentants des pays du Sud et du Nord, était donc
délicate : relancer le dialogue sur des bases consensuelles en direction d’une conciliation sur
des nécessités économiques, écologiques et sociales. « Parvenir à une définition du
« développement soutenable » qui serait acceptée par tous reste un défi que se doivent de
relever tous ceux qui sont engagés dans le processus de développement. » Dans l’esprit de la
Commission Brundtland, le développement durable est essentiellement un compromis.
Constatons que cette considération du développement durable est devenue depuis celle la plus
diffusée, aussi bien dans le secteur des affaires que dans les secteurs non marchands. Elle
stipule que « le développement durable est un développement qui répond aux besoins du
présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. » Elle
souligne parallèlement que deux concepts sont inhérents à cette notion de développement
durable : le concept de « besoins », et « l’idée des limitations que l’état de nos techniques et
de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux
besoins actuels et à venir. »
Ces concepts ainsi que celui de compromis placent au centre de la solution les capacités
productives : « l’hypothèse centrale est que la réduction de l’exclusion sociale et de la misère
n’est pas concevable sans extension de la production » (Godard, 2002, p. 54). Il apparaît ainsi
et pour sa réalisation que le DD repose avant tout sur le développement économique, source
de son ambiguïté pour certains : il permet de ne pas remettre en cause les modèles
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économiques, et en son nom, de recourir à un capitalisme inchangé (Rees, 1998 ; Dollar et
Kraay, 2000).
Ce développement nécessaire en réponse à des besoins mais limité techniquement tend à
s’interpréter de différentes manières en termes de solutions possibles. Haughton et Hunter
(1994) puis Hopwood et al. (2005) ont par exemple souligné l’existence de deux approches de
la durabilité. La « durabilité faible » tend à regrouper les positions considérant la technologie
comme solution possible pour compléter les manques du monde naturel dus aux humains (i.e.
le manque de ressources ou les dommages faits à l’environnement). La « durabilité forte »
donne la primauté de l’intérêt à l’environnement, en soulignant que la technologie ne peut
remplacer une multitude de processus vitaux pour l’Homme, tels que la couche d’ozone, la
photosynthèse ou le cycle de l’eau. Gladwin et al. (1995) reprennent sous d’autres termes
cette conception dichotomique, en l’expliquant en référence à des ensembles de croyances, de
valeurs et, plus généralement, de visions du monde existant avant l’émergence du concept de
DD, et sur lequel ce dernier s’est greffé. Le paradigme technocentrique considère ainsi que la
Nature change graduellement, suffisamment rapidement pour être détectée, suffisamment
lentement pour être contrôlée. De sorte que le progrès scientifique peut être développé et
appliqué de manière sage et en limitant l’incertitude. Le paradigme écolocentrique
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considère
à l’inverse que les dommages naturels peuvent être irréversibles, et conduire au chaos. La
technologie peut combler quelques manques actuels, mais ne modifient pas à elle seule le
cours des choses. Seule une évolution plus ou moins radicale des comportements humains y
participera. A ces deux voies paradigmatiques antérieures s’ajoute avec l’arrivée du concept
de DD une troisième voie, le paradigme « duracentrique » (sustaincentric). Il suppose que
l’économie et les activités humaines sont inextricablement liées aux systèmes naturels. C’est
sur ce paradigme que pourrait croitre le concept de développement durable. Pourtant, Gladwin
et al. (1995) le constatent eux-mêmes : la considération technocentrique est aujourd’hui
dominante, surtout dans les milieux d’affaires et dans le milieu académique.
1.2. La RSE : Un concept aux approches multiples
Le concept de RSE est à la fois plus ancien, et dans la littérature académique, plus
polysémique que celui du DD. De nombreux auteurs accordent à l’économiste Howard
Bowen (1953) et à ses réflexions sur les relations entre le fonctionnement d’un système
économique et le bien-être social l’origine de la formalisation du concept de RSE (Acquier et
Gond, 2005 ; Allouche et al., 2004 ; Attarça et Jacquot, 2005 ; Matten et Moon, 2008), au
point que Carroll (1999) considère cette année 1953 comme marquant « les débuts de la
période moderne de la littérature sur ce sujet » (p. 269). Il faut pourtant attendre 1993 pour
que les européens se saisissent « institutionnellement » de ce concept, à travers un appel de la
Commission Européenne vers les entreprises afin de prendre part à la bataille contre
l’exclusion sociale (Bronchain, 2003).
En dépit de l’ancienneté du concept, force est de constater qu’aucune définition unanimement
partagée ne se gage (Matten et Moon, 2008 ; Combes, 2005 ; Wan, 2006), voire même ne
peut se dégager (van Marrewijk, 2003). Les raisons en sont multiples, et au vu de la
littérature, peuvent être classées en trois points : d’une part, dans la mesure la RSE a pour
objet la relation entre l’entreprise et son environnement au sens large, le concept est
dépendant du contexte politico-économique dans lequel se trouve l’organisation. D’autre part,
et plus largement, le concept touchant à l’entreprise comme partie de la société dans laquelle
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Les auteurs font férence au terme ecocentric. La proximitémantique de ce terme avec une interprétation de
type « centrée sur l’économie » nous incite à le traduire comme « écolocentrique ».
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