hommage à Marx, il est vrai) tout un aréopage de penseurs
radicaux qui communiaient dans le refus de tout compromis
avec le monde du marché et du capitalisme. Comme il se doit, le
plus radical de ces penseurs est français – et il triomphe sur le
marché académique américain: c’est Alain Badiou qui, après
avoir produit une sorte de poupée vaudou à l’effigie de Nicolas
Sarkozy[4], nous explique maintenant ce qui peut redonner vie à
L’hypothèse communiste[5], en même temps qu’il nous donne un
Éloge de l’amour[6], qui n’est pas dénué de beauté.
Le charme qu’exerce Badiou auprès de ses admirateurs est
inséparable de son goût pour la provocation, qui relie ce néo-communiste autopro-
clamé à une longue lignée bien française d’esthètes extrémistes: lui au moins ne se
paye pas de mots et est capable de dire, dans un monde où tout un chacun jure par les
droits de l’homme et par la démocratie, qu’il faut avoir le courage de n’être pas démo-
crate, et que les vrais modèles de la politique sont, bien sûr, Spartacus et Toussaint
Louverture, mais aussi Robespierre, Mao et, avec quelques réserves, Staline, sans
oublier les sages légistes de l’Empereur Wou, grands « révolutionnaires d’État » qui
surent défendre, contre les « conservateurs » confucéens, « la répression la plus féroce
dans l’application implacable des lois »[7]. Ce sont ces modèles qu’il faut avoir à l’es-
prit lorsqu’on lit L’hypothèse communiste, dont les thèses prolongent une réflexion
que Badiou avait esquissée dans une lettre-Préface à un livre de son ami Slavoj Žižek,
où l’on pouvait lire notamment cette sentence dorée: « S’agissant de figures comme
Robespierre, Saint-Just, Babeuf, Blanqui, Bakounine, Marx, Engels, Lénine, Trotski,
Rosa Luxemburg, Staline, Mao Tsé-Toung, Chou En-lai, Tito, Enver Hoxha, Guevara
et quelques autres, il est capital de ne rien céder au contexte de criminalisation et
d’anecdotes ébouriffantes dans lesquelles la réaction tente, depuis toujours, de les
enclore et de les annuler »[8]. L’hypothèse communiste se présente comme un livre de
philosophie, et non pas simplement comme un texte politique (la philosophie poli-
tique n’étant, quant à elle, que la « servante érudite du capitalo-parlementarisme »,
p. 32); l’ouvrage s’appuie, en effet, sur l’appareil déployé dans les livres les plus « théo-
riques » de Badiou, mais il n’est pas certain que cela contribue durablement à sa
gloire philosophique. Le lecteur non prévenu qui aura été enivré par la « logique des
mondes » sera peut-être un peu déçu de voir que toute la réflexion, au demeurant fort
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JANVIER 2010
HISTOIRE &LIBERTÉ
4. Alain BADIOU, De quoi Sarkozy est-il le nom?, Paris, Lignes, 2007.
5. Alain BADIOU, L’hypothèse communiste, Paris, Lignes, 2009.
6. Alain BADIOU, avec Nicolas Truong, Éloge de l’amour, Paris, Flammarion, Quai Voltaire, 2009.
7. Alain BADIOU, Logique des mondes, Paris, Le Seuil, 2006, p. 32.
8. In Slavoj Žižek présente: Mao, De la pratique et de la contradiction, Paris, La Fabrique Éd., 2008.
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