SM159_12_BONIN.qxp 1/07/11 10:03 Page 72 DOSSIER LA FAMILLE DANS LES SOINS © Christian Fafet. Collaborer avec les familles : 72 SANTÉ MENTALE | 159 | JUIN 2011 SM159_12_BONIN.qxp 1/07/11 10:03 Page 73 LA FAMILLE DANS LES SOINS DOSSIER plus qu’une philosophie… Au Québec le dernier plan d’action en santé mentale affirmait vouloir impliquer les familles dans l’organisation des soins. Une étude a évalué leur « participation ». Comme en France, il reste beaucoup à faire… En 2005, le ministère de la santé et des services sociaux du Québec lance un Plan d’action en santé mentale (PASM) (1) qui, en lien avec les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (2001) (2), vise à favoriser le traitement des personnes atteintes de troubles mentaux dans les services de santé primaire, plutôt que dans des hôpitaux psychiatriques. Un autre objectif est de favoriser la participation des usagers et de leurs proches aux structures de décision. À la suite de ce plan d’action, des changements majeurs ont lieu dans l’organisation des services de santé mentale, mais on s’interroge sur la place réelle de la famille dans ces transformations. Dans ce contexte, un projet de recherche est mis sur pied, impliquant les familles, les établissements de santé, les organismes communautaires, les groupes d’entraide familiaux. Ses objectifs sont d’évaluer, entre autres, les facteurs qui facilitent ou entravent l’implication et la collaboration des familles dans ces transformations, et de dégager des recommandations pouvant informer les décideurs et les familles. Dans cet article, les réponses des familles ont été regroupées en fonction de trois rôles Jean-Pierre BONIN*, Mélanie LAVOIE-TREMBLAY**, Guylaine CYR***, Dominique LAROCHE**** * Ph.D Professeur agrégé Faculté des sciences proposés par la Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale (FFAPAMM) en collaboration avec l’équipe de recherche, les questions et les thèmes de la grille d’entrevue ayant été choisis en fonction de ces rôles. – L’accompagnateur : c’est le rôle imposé par le fait d’être un proche de personne souffrant de maladie mentale. En tant qu’accompagnateur, la famille a besoin d’établir des liens avec les intervenants. Selon le PASM (1), « La famille représente la principale source de soutien. Les familles demandent un rapprochement avec les équipes traitantes. Elles veulent être reconnues, à juste titre, comme partenaires. » – Le client : c’est le rôle qui découle de celui d’accompagnateur lorsque le proche aidant bénéficie de soins pour ses problèmes psychiques ou physiques liés au fait de soutenir une personne malade. En tant que client, la famille éprouve des besoins particuliers : « Besoin d’être accueillis, informés, soutenus et orientés dans le réseau de soins. » (3) – Le partenaire : c’est le rôle relatif à l’implication (ou non) du membre de la famille dans l’organisation des soins. C’est un rôle de participation, de prise de décision, de prise en considération. Dans ce cadre, on parle aussi de participation aux consultations. Ceci passe aussi par les groupes de soutien qui « … doivent être reconnus pour leur expertise et soutenus, puisque les services qu’ils offrent correspondent à des éléments de la gamme de services qui doit être disponible dans le réseau de la santé et des services sociaux. » (4) infirmières Université de Montréal, ACCOMPAGNATEUR ** Ph.D., Associate Professor Université McGill, *** Ph.D., Centre de recherche Fernand-Seguin, **** M.Sc. Centre de recherche Fernand-Seguin. Dans notre recherche (la moitié des familles ont un proche atteint de schizophrénie), la durée moyenne du rôle d’accompagnateur est de 13,7 ans, variant de 8 mois à 53 ans (2010). En 18 mois, la « cote de santé mentale » estimée par les familles pour leur proche sur une échelle de 1 (pire état de santé imaginable) à 10 (meilleur état de santé imaginable) est passée de 4,8 à 6,4. Le type de soutien le plus souvent apporté par les familles à leur proche atteint est un soutien affectif et 80 % apportent un soutien financier. Lors de la première évaluation, moins de 25 % des familles estimaient que les besoins de leur proche étaient restés stables depuis un an, 18 mois plus tard, ils sont 40 %. Par ailleurs, pour 70 % des familles, l’accès à ces soins n’a pas évolué malgré la mise en place du PASM. Les familles mentionnent que la continuité des services, la relation thérapeutique et l’accessibilité sont les éléments qu’ils apprécient le plus dans les services de santé mentale. Certains de ces éléments ont aussi dans le même temps été les moins appréciés : accessibilité, continuité des soins et collaboration avec l’aidant. Selon Méthodologie de la recherche En 2009, 1 496 questionnaires sont envoyés à des familles québécoises dont 573 sont éligibles (taux de réponse = 38,3 %). Ce taux d’éligibilité s’explique par le fait qu’il avait été demandé aux familles qui ne prenaient plus soin de leur proche atteint de retourner le questionnaire vide (N = 119 vides). Dix-huit mois plus tard, sur ces 573 questionnaires éligibles adressés de nouveau à ces familles, 386 questionnaires sont reçus. De plus, parmi les personnes ayant signifié dans ce questionnaire leur désir de participer à une entrevue de groupe (N = 130), 6 groupes de familles, soit 54 personnes au total ont été rencontrées, et 24 de celles-ci ont été interviewées de nouveau 18 mois plus tard. SANTÉ MENTALE | 159 | JUIN 2011 73 SM159_12_BONIN.qxp 1/07/11 10:03 Page 74 DOSSIER LA FAMILLE DANS LES SOINS les familles, ces points sont à améliorer tout comme l’information et le soutien pour les aidants et le rétablissement. Du point de vue des familles rencontrées, l’accessibilité aux soins et aux services pour le proche est plus difficile avant puis après l’hospitalisation. Avant, l’accès aux soins se fait tardivement, car il faut attendre que le patient soit en état de crise, ce qui peut impliquer d’avoir recours à la police : « … Parfois le psychiatre dit : bien, non, c’est pas encore assez, il n’est pas dangereux pour lui-même ou pour les autres, on le renvoie chez lui. » Une fois admis en urgence, l’accès aux soins risque d’être encore plus réduit si le proche use de ses droits, car au Québec, le client peut refuser de recevoir des soins si le psychiatre considère qu’il n’est plus dangereux lors d’une évaluation dans les 96 heures (loi P 38). Cette situation est inquiétante, stressante, voire culpabilisante pour la famille. Après l’hospitalisation, l’accès aux soins diminue en phase de stabilisation de la maladie, d’une part, à cause du manque de médecins (psychiatres, médecins de famille peu nombreux ou surchargés), et, d’autre part, à cause du patient luimême qui refuse l’aide offerte, arrête son traitement ou nie sa pathologie. La continuité des soins est alors remise en cause et la collaboration avec les familles apparaît particulièrement difficile dans ce contexte : «… j’ai appelé au CLSC (Centre local de services communautaires), il y avait huit mois d’attente. » Par ailleurs, le rôle d’aidant est difficile et ne va pas sans heurts. Ainsi, les deux tiers des proches affirment jouer ce rôle avec une certaine difficulté, et environ 20 % disent se sentir dépassés ou stressés la plupart du temps devant les exigences de ce rôle. Il est donc nécessaire de proposer des services d’aide et de soutien pour la famille, sinon l’accompagnateur devient lui-même consommateur de soins et la collaboration devient plus difficile. L’accompagnateur est donc souvent celui qui prend la relève des soins et des services ou qui comble le fait qu’il ne soit pas accessible. C’est aussi celui sur qui les services se « libèrent » du patient, mais sans lui procurer l’aide ou l’appui nécessaire et sans l’impliquer. Dans ce contexte l’accompagnateur est donc un intervenant avec qui les soignants devraient collaborer : « … ils nous disent : débrouillezvous… À peu près ». 74 SANTÉ MENTALE | 159 | JUIN 2011 Pourtant, on constate que la majorité des familles estime que les intervenants ne les ont pas orientées vers des ressources afin de les soutenir dans leur rôle d’aidant : « … il a fallu que je fasse moi-même les démarches pour qu’on trouve de l’aide » et qu’elles n’ont pas été informées sur les services de santé mentale disponibles dans leur région : « Au niveau des services, moi, je trouve que c’est très difficile à trouver pour quelqu’un qui ne s’y connaît pas, il faut passer par les organismes communautaires, sinon à l’hôpital, il n’y a jamais personne qui t’explique rien. C’est le dernier de leur souci. » rencontrées estiment ne pas disposer suffisamment de services et de programmes d’aide pour elles-mêmes. Les familles ont retiré de nombreux bénéfices des services proposés par les associations de familles et amis, en particulier l’accompagnement, le support, les conseils et l’information et la formation : « Moi, je ne serais pas ici, j’étais aussi à terre que ma fille… mais j’ai compris qu’il fallait que je m’aide avant de pouvoir aider. Mais sans des organismes comme ça, je ne sais pas… je ne sais pas où je serais, aujourd’hui, c’était invivable ». CLIENT Un peu plus de 20 % des familles affirment avoir eu l’occasion de participer aux décisions concernant l’organisation des services proposés dans leur région par le biais des organismes communautaires, qui font le lien avec les autorités politiques. Par ailleurs, 45 % des familles estiment que les intervenants des services de santé mentale n’ont pas du tout tenu compte de leur opinion dans la prise de décision concernant leur proche. Selon l’ensemble des familles, la loi sur le secret professionnel, qui empêche la divulgation au proche aidant de renseignements confidentiels relatifs au malade sans le consentement de ce dernier, constitue une entrave importante à la collaboration. Cette loi est perçue comme donnant tous les droits aux patients majeurs et aucun droit aux proches : « Effectivement, à chaque fois que j’ai essayé d’intervenir, d’avoir de l’information, c’était toujours : bien ton gars est majeur. Là, il fallait comme avoir le consentement de mon fils pour que je puisse aller plus loin. Je pense que c’est la plus grosse problématique qu’il y a dans toute l’organisation, dans toute la structure. » Dans tous les entretiens avec les familles, il ressort que la réticence du psychiatre à collaborer constitue un frein majeur à l’implication de la famille dans les services : « … je téléphonais au psychiatre, il ne m’a jamais, jamais rappelée. Jamais ». Le rôle d’accompagnateur décrit précédemment semble avoir des effets néfastes sur la santé physique et mentale des aidants. Ainsi, leur score moyen de santé émotionnelle s’est maintenu autour de 7 sur une échelle de 1 (pire état de santé imaginable) à 10 (meilleur état de santé imaginable). Environ 1 aidant sur 5 dit prendre des médicaments prescrits par un médecin pour ces problèmes. De même, le score moyen de santé physique de l’aidant s’est maintenu autour de 7,5 (40 % prenant des médicaments à cet effet). En moyenne, le nombre de familles présentant une détresse psychologique élevée est passé de 53 % à 50 % en 18 mois, ce qui représente une légère amélioration, mais il faut savoir que la moyenne de la population générale est de 20 %. Par ailleurs, 40 % des familles continuent de présenter une détresse psychologique élevée après 18 mois. Notons que la détresse est composée de quatre groupes de symptômes, soit : la dépression, l’irritabilité, les troubles cognitifs et l’anxiété. En entrevue, les familles évoquent souvent ce lien entre leur santé et leur rôle d’accompagnateur : « Elle m’a tellement fatiguée depuis des années que moimême, je prends des antidépresseurs » ; « Quand il y a une personne malade dans une famille, la famille est malade… c’est quelque chose qui ne finit jamais, c’est un deuil perpétuel. » Près de la moitié des familles (46 %) affirment avoir participé à des groupes d’entraide proposés par des associations de familles et amis. Près de 40 % affirment avoir participé à des activités d’information et un peu plus de 30 % mentionnent avoir pu bénéficier d’interventions individuelles. Toutefois, les familles PARTENAIRE DES RECOMMANDATIONS ? Au cours des entrevues de groupes, plusieurs recommandations sont ressorties de la part des familles concernant leur collaboration au sein des services de santé mentale. Voici donc les principales, avec les propos associés. • Puisque le proche est celui qui connaît le mieux le patient, il devrait être impliqué, SM159_12_BONIN.qxp 1/07/11 10:03 Page 75 formé, informé, et disposer des services nécessaires afin qu’il puisse jouer son rôle de collaborateur et d’accompagnateur. « Quand on est renseignés, on a un peu moins peur, ça ne nous ôte pas nos inquiétudes, ça ne nous ôte pas la peine qu’on a quand c’est un proche, mais au moins, quand on sait… De l’information, ça ne guérit pas, mais ça aide à mieux vivre la situation. » • Revoir la loi afin de permettre au proche d’avoir une prise de décision, un pouvoir d’agir. On suggère un mandat d’inaptitude (ou une procuration) qui permettrait au proche atteint de désigner une personne de son entourage qui serait chargée de prendre les décisions à sa place lorsqu’il est trop malade, comme on le fait avec les troubles physiques. Des membres de familles suggèrent que ce soit le psychiatre qui demande au patient de désigner une personne à qui il donne l’autorisation d’être impliquée lorsque son état se dégrade. « … je voudrais que le système accepte de mettre une personne proche des patients comme étant la personne à qui on ouvre les dossiers, qu’on lui donne accès ». • Avoir des appartements supervisés serait excellent, car cela donnerait un cadre au patient tout en le sortant de l’isolement. Dans le même esprit, on pourrait créer des lieux d’accueil pour le patient afin que les membres de la famille puissent avoir un temps de répit. « Moi, j’aimerais ça qu’il y ait, un jour, des endroits où ça ressemble à un hôtel de vacances où les personnes qui ont des problèmes de santé mentale pourraient aller, de façon à ce que ceux qui vivent avec ces proches-là puissent avoir un répit. » • Qu’il y ait un intervenant pivot pour faire les relances, le suivi, auprès du patient une fois que celui-ci retourne dans la communauté. Un service de visites à domicile qui s’assurerait du suivi dans la communauté. • Informer les psychiatres, surtout, de l’existence des organismes communautaires afin que ceux-ci puissent adresser les proches à l’un ou l’autre des centres selon les besoins des proches. © Christian Fafet. LA FAMILLE DANS LES SOINS DOSSIER • Mieux informer la population sur lesproblèmes de santé mentale, surtout les jeunes, et impliquer les anciens patients dans ces programmes de sensibilisation. • Augmenter le financement des organismes communautaires qui apportent aide et appui aux patients et aux proches. personnes atteintes de troubles mentaux. En effet, ce plan n’avait pas de véritable stratégie d’implication des familles et s’en tenait davantage à une « philosophie ». Il reste donc beaucoup à faire… POUR NE PAS CONCLURE Le Plan d’action en santé mentale 20052010 visait à impliquer les familles dans le processus de soin de leur proche et dans les transformations de l’organisation des soins en santé mentale du Québec. Force est de constater, au terme de cette période d’intenses changements, que l’on n’a pas eu ou pris le temps d’instaurer une véritable collaboration avec les familles de 1– Ministère de la santé et services sociaux (2005). Plan d’action en santé mentale : La force des liens. Québec, MSSS (2005). 2– Organisation mondiale de la santé (2001). Rapport sur la santé dans le monde 2001 – la santé mentale. Genève, OMS. 3– Ministère de la santé et services sociaux (2005). Plan d’action en santé mentale : La force des liens. Québec, MSSS (2005). pages 66-67. 4– ibid page 41. 5– ibid page 91. Résumé : Au Québec, un Plan d’action en santé mentale a été émis par le ministère de la Santé et des Services sociaux, dans lequel on disait favoriser la participation des personnes utilisatrices de services et de leurs proches dans les structures de décision. Une étude s’est penchée sur la perception des familles de leur collaboration avec les services de santé mentale suite à ce Plan d’action. Des recommandations sont énoncées par les familles. Mots-clés : Familles – Santé mentale – Collaboration – Politiques de santé – Évaluation des services. SANTÉ MENTALE | 159 | JUIN 2011 75