
DOSSIER LA FAMILLE DANS LES SOINS
74 SANTÉ MENTALE |159 |JUIN 2011
les familles, ces points sont à améliorer
tout comme l’information et le soutien pour
les aidants et le rétablissement.
Du point de vue des familles rencon-
trées, l’accessibilité aux soins et aux ser-
vices pour le proche est plus difficile
avant puis après l’hospitalisation.
Avant, l’accès aux soins se fait tardive-
ment, car il faut attendre que le patient
soit en état de crise, ce qui peut impli-
quer d’avoir recours à la police : « … Par-
fois le psychiatre dit : bien, non, c’est pas
encore assez, il n’est pas dangereux pour
lui-même ou pour les autres, on le ren-
voie chez lui. »
Une fois admis en urgence, l’accès aux
soins risque d’être encore plus réduit si
le proche use de ses droits, car au Qué-
bec, le client peut refuser de recevoir
des soins si le psychiatre considère qu’il
n’est plus dangereux lors d’une évalua-
tion dans les 96 heures (loi P 38). Cette
situation est inquiétante, stressante, voire
culpabilisante pour la famille.
Après l’hospitalisation, l’accès aux soins
diminue en phase de stabilisation de la
maladie, d’une part, à cause du manque
de médecins (psychiatres, médecins de
famille peu nombreux ou surchargés),
et, d’autrepart, à cause du patient lui-
même qui refuse l’aide offerte, arrête
son traitement ou nie sa pathologie. La
continuité des soins est alors remise en
cause et la collaboration avec les familles
apparaît particulièrement difficile dans ce
contexte : «… j’ai appelé au CLSC (Centre
local de services communautaires), il y
avait huit mois d’attente. »
Par ailleurs, le rôle d’aidant est difficile
et ne va pas sans heurts. Ainsi, les deux
tiers des proches affirment jouer ce rôle
avec une certaine difficulté, et environ 20 %
disent se sentir dépassés ou stressés la
plupart du temps devant les exigences de
ce rôle. Il est donc nécessaire de propo-
ser des services d’aide et de soutien pour
la famille, sinon l’accompagnateur devient
lui-même consommateur de soins et la
collaboration devient plus difficile.
L’accompagnateur est donc souvent celui
qui prend la relève des soins et des ser-
vices ou qui comble le fait qu’il ne soit
pas accessible. C’est aussi celui sur qui
les services se « libèrent » du patient, mais
sans lui procurer l’aide ou l’appui néces-
saireet sans l’impliquer.Dans ce contexte
l’accompagnateur est donc un interve-
nant avec qui les soignants devraient
collaborer :«…ils nous disent :débrouillez-
vous… À peu près ».
Pourtant, on constate que la majorité des
familles estime que les intervenants ne les
ont pas orientées vers des ressources afin
de les soutenir dans leur rôle d’aidant :
« … il a fallu que je fasse moi-même les
démarches pour qu’on trouve de l’aide »
et qu’elles n’ont pas été informées sur les
services de santé mentale disponibles
dans leur région : « Au niveau des services,
moi, je trouve que c’est très difficile à trou-
ver pour quelqu’un qui ne s’y connaît
pas, il faut passer par les organismes
communautaires, sinon à l’hôpital, il n’y
ajamais personne qui t’explique rien.
C’est le dernier de leur souci. »
CLIENT
Le rôle d’accompagnateur décrit précé-
demment semble avoir des effets néfastes
sur la santé physique et mentale des
aidants. Ainsi, leur score moyen de santé
émotionnelle s’est maintenu autour de 7 sur
une échelle de 1 (pire état de santé ima-
ginable) à 10 (meilleur état de santé
imaginable). Environ 1 aidant sur 5 dit
prendredes médicaments prescrits par
un médecin pour ces problèmes. De
même, le score moyen de santé physique
de l’aidant s’est maintenu autour de
7,5 (40 % prenant des médicaments à
cet effet).
En moyenne, le nombrede familles pré-
sentant une détresse psychologique éle-
vée est passé de 53 % à 50 % en 18 mois,
ce qui représente une légère amélioration,
mais il faut savoir que la moyenne de la
population générale est de 20 %. Par
ailleurs, 40 % des familles continuent de
présenter une détresse psychologique
élevée après 18 mois. Notons que la
détresse est composée de quatre groupes
de symptômes, soit :la dépression, l’ir-
ritabilité, les troubles cognitifs et l’anxiété.
En entrevue, les familles évoquent sou-
vent ce lien entre leur santé et leur rôle
d’accompagnateur :«Elle m’a tellement
fatiguée depuis des années que moi-
même, je prends des antidépresseurs » ;
«Quand il y a une personne malade dans
une famille, la famille est malade… c’est
quelque chose qui ne finit jamais, c’est
un deuil perpétuel. »
Près de la moitié des familles (46 %) affir-
ment avoir participé à des groupes d’en-
traide proposés par des associations de
familles et amis. Près de 40 %affir-
ment avoir participé à des activités d’in-
formation et un peu plus de 30 % men-
tionnent avoir pu bénéficier d’interventions
individuelles. Toutefois, les familles
rencontrées estiment ne pas disposer
suffisamment de services et de pro-
grammes d’aide pour elles-mêmes.
Les familles ont retiré de nombreux béné-
fices des services proposés par les asso-
ciations de familles et amis, en particu-
lier l’accompagnement, le support, les
conseils et l’information et la formation :
« Moi, je ne serais pas ici, j’étais aussi à
terre que ma fille… mais j’ai compris qu’il
fallait que je m’aide avant de pouvoir
aider. Mais sans des organismes comme
ça, je ne sais pas… je ne sais pas où je
serais, aujourd’hui, c’était invivable ».
PARTENAIRE
Un peu plus de 20 % des familles affir-
ment avoir eu l’occasion de participer
aux décisions concernant l’organisation
des services proposés dans leur région par
le biais des organismes communautaires,
qui font le lien avec les autorités politiques.
Par ailleurs, 45 % des familles estiment
que les intervenants des services de santé
mentale n’ont pas du tout tenu compte
de leur opinion dans la prise de déci-
sion concernant leur proche. Selon l’en-
semble des familles, la loi sur le secret
professionnel, qui empêche la divulgation
au proche aidant de renseignements
confidentiels relatifs au malade sans le
consentement de ce dernier, constitue
une entrave importante à la collabora-
tion. Cette loi est perçue comme donnant
tous les droits aux patients majeurs et aucun
droit aux proches : « Effectivement, à
chaque fois que j’ai essayé d’intervenir,
d’avoir de l’information, c’était toujours :
bien ton gars est majeur. Là, il fallait
comme avoir le consentement de mon
fils pour que je puisse aller plus loin. Je
pense que c’est la plus grosse probléma-
tique qu’il y a dans toute l’organisation,
dans toute la structure. » Dans tous les
entretiens avec les familles, il ressort
que la réticence du psychiatreàcollabo-
rer constitue un frein majeur à l’implica-
tion de la famille dans les services :
«…je téléphonais au psychiatre, il ne
m’a jamais, jamais rappelée. Jamais ».
DES RECOMMANDATIONS ?
Au cours des entrevues de groupes, plu-
sieurs recommandations sont ressorties
de la partdes familles concernant leur
collaboration au sein des services de
santé mentale. Voici donc les principales,
avec les propos associés.
•Puisque le proche est celui qui connaît
le mieux le patient, il devrait êtreimpliqué,
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