MAILHE-THESIS

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La Problématique Postcoloniale et la Question du ‗Genre‘ dans le Roman Francophone:
Kateb Yacine et Nina Bouraoui.
by
Alexandrine Mailhé, MA
A Thesis
In
FRENCH
Submitted to the Graduate Faculty
of Texas Tech University in
Partial Fulfillment of
the Requirements for
the Degree of
MASTER OF ARTS
Approved
Dr. Hafid Gafaiti
Chair of Committee
Dr. Carole Edwards
Dr. Diane Wood
Peggy Gordon Miller
Dean of the Graduate School
May, 2011
Copyright 2010, Alexandrine Mailhé
Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Acknowledgements
I would like to express my sincere gratitude to Dr. Hafid Gafaiti for his
supervision and support on both professional and personal levels ever since I entered the
program in 2009. I would also like to express my heartiest thanks to Dr. Edwards for her
guidance and kindness. In addition, I would like to thank Dr. Wood for her valuable
comments and corrections. I am also indebted to Dr. Bains and Dr. Price for their
encouragement and advice. The two years I have spent at Texas Tech have been
amazingly inspiring and I have learned a lot thanks to all my professors within our
dynamic department. Finally, I would like to thank my amazing family and my friends for
their love and support.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Contents
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I INTRODUCTION .......͘͘͘͘͘͘͘͘͘͘͘͘͘͘͘͘.......................................................................................... 1
Pourquoi le traumatisme de la guerre d‘Algérie dans la littérature franco-algérienne ? ...͘.. 1
Problématique et méthodologie .......................................................................................... 5
II INTODUCTION HISTORIQUE ..................................................................................... 11
L‘Algérie et la France ....................................................................................................... 11
La conquête ....................................................................................................................... 13
La colonisation .................................................................................................................. 16
La guerre ........................................................................................................................... 24
Le bilan et les conséquences du conflit franco-algérien ................................................... 33
III HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE ALGERIENNE ................................................ 36
Contexte historique ........................................................................................................... 36
Littérature algérianiste ..͘................................................................................................... 38
Littérature autochtone et dominée............͘........................................................................ 42
L‘École d‘Alger ...........͘.................................................................................................... 50
L‘émergence du nationalisme ..........͘................................................................................ 52
Révolution Littérature Algérienne autochtone ..........................͘....................................... 54
IV KATEB YACINE: LE TRAUMATISME POST-GUERRE D’ALGERIE................ 56
Nedjma, le roman ............................................................................................................. 59
iii
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Opposition à la tradition littéraire .................................................................................... 71
Militantisme politico-historique ....................................................................................... 79
Son idéologie ................................................................................................................... 85
Son combat linguistique .................................................................................................... 89
V NINA BOURAOUI OU LES CONSEQUENCES DU CONFLIT SUR LA
GENERATION METISSE................................................................................................ 93
Déracinement ................................................................................................................... 95
Rejet des deux cultures .................................................................................................. 100
Hybridité et Quête identitaire ......................................................................................... 114
Exécutoire dans l‘écriture. Exploration de sa différence dans un style violent ............. 121
VI CONCLUSION .............................................................................................................. 129
END NOTES......................................................................................................................... 137
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 138
iv
Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Chapitre I
Introduction
Pourquoi le traumatisme de la guerre d’Algérie dans la littérature francoalgérienne ?
La guerre d‘Algérie est l‘un des plus grands traumatismes de l‘Histoire de France. En
effet, le pays des Lumières, le pays des Droits de l‘Homme et du Citoyen se retrouve une
nouvelle fois aux prises avec sa conscience. Au lendemain de la libération de la France grâce
à des puissances alliées étrangères et à une poignée d‘irréductibles français, les Résistants, la
France se remet en question. Le gouvernement français a bel et bien collaboré avec les plus
grands criminels du siècle, les nazis. Sous prétexte de limiter la défaite française, le général
Pétain signe l‘armistice entre la France et l‘Allemagne nazie. La condition sine qua non de la
reddition française est évidemment la collaboration, l‘un des pires crimes commis pendant
cette période noire qu‘a connu l‘humanité. Elle sera volontairement occultée par l‘histoire
officielle dans un esprit de reconstruction du patriotisme français.
Au lendemain de ce conflit historique qui a marqué dans leur chair des milliards
d‘êtres humains, la France doit faire face aux volontés émancipatrices de ses colonies.
Cependant, contrairement à ses voisins britanniques, celle-ci n‘a pas d‘expérience en matière
de décolonisation. Elle tente de régler ces contestations de l‘ordre établi par une répression
aveugle et sanglante. Ceci aura entre autres pour conséquence des massacres à Madagascar
ainsi que deux guerres en Indochine et en Algérie. Les anciens combattants de ces colonies,
à l‘image des soldats du Constantinois en Algérie, rentrent chez eux et réalisent que le pays
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pour lequel leurs frères ont versé leur sang, pendant la Seconde Guerre mondiale continue à
reproduire les mêmes violences à leur égard.
La guerre d‘Algérie a une saveur particulièrement amère pour les Français. En effet,
l‘Algérie était considérée comme le joyau de l‘Empire français. Elle est le deuxième plus
grand pays d‘Afrique et possède de nombreuses ressources naturelles. Sa perte constituera
une amputation pour la nation. Selon François Mitterrand, alors ministre de l‘Intérieur,
― l‘Algérie c‘est la France‖. En effet, l‘Algérie était, contrairement à beaucoup de territoires
français, une colonie de peuplement où plus d‘un million d‘Européens vivaient, séparés, il
faut le dire, d‘environ quatre millions d‘autochtones algériens. La France, plus attachée que
jamais, dans cette période d‘après–guerre, aux idéaux républicains, voit toujours en la
colonisation un rôle civilisationnel qu‘un pays de son prestige doit jouer auprès
de ―peuplades barbares‖. Les atteintes au système colonial sont donc perçues comme un
désaveu de la France et de ses valeurs fondamentales. Sur le plan affectif, l‘Algérie occupait
également une place particulière dans le cœur des Français qui, depuis le dix-neuvième,
siècle avaient été bercés par les beautés mystiques et sensuelles de l‘Algérie que vantaient
les artistes orientalistes. Par ailleurs, sa proximité géographique en fait une colonie de plus
en plus réelle et non imaginée comme l‘Indochine qui, elle, se trouve en Asie, de l‘autre côté
du globe.
La guerre d‘Algérie, initialement appelée ―les évènements d‘Algérie‖, du fait de son
refoulement dans l‘Histoire française tout comme le régime de Vichy, fut particulièrement
éprouvante et meurtrière pour les Français et les Algériens. Les deux parties se sont livrées à
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de terribles massacres autant sur la population civile que militaire. Cependant, le nombre de
morts algériens est particulièrement important par rapport au nombre de morts français.
Pendant le conflit, l‘opinion publique française, d‘abord acquise à l‘Algérie
française, prend progressivement parti pour la cause des nationalistes algériens. En effet,
celle-ci découvre peu à peu que des pratiques moralement répréhensibles, comme la torture,
sont utilisées par l‘armée française dans sa tentative de maintien de l‘ordre en Algérie sous
couvert de l‘État français et du Ministère des Armées qui seraient à l‘origine de ses ordres.
Cette opinion publique, choquée se mobilise alors pour l‘indépendance de l‘Algérie à
l‘image de certains de ses plus grands intellectuels comme Jean-Paul Sartre ou Pierre VidalNaquet. Pourtant, après l‘indépendance, les criminels de guerre seront amnistiés.
Il semble impossible que la France, pays civilisé et humaniste s‘adonne à ce genre de
pratiques mais aussi qu‘elle les pardonne. Comment un pays qui s‘est insurgé contre les
crimes contre l‘humanité perpétrés par les soldats nazis contre les Juifs, peut-il à son tour,
moins de dix ans plus tard après la guerre, commettre les mêmes atrocités ? Au nom de
quoi ? Au nom de l‘économie ? Au nom d‘une idéologie civilisatrice désuète ? Au nom de
l‘égo d‘une nation qui a été meurtrie par des attaques successives à ses fondements et à ses
valeurs tout au long du vingtième siècle ?
Dans les années qui suivent, l‘on va assister à un véritable conflit mémoriel entre la
France et l‘Algérie, chacune essayant de dissimuler ses fautes et de blâmer l‘autre afin de
préserver son image. Il semble que toute tentative de réconciliation des deux pays, du côté
algérien comme du côté français, soit suivie d‘un recul systématique. Le 23 février 2005,
notamment, la loi française n° 2005-158 sur la ―reconnaissance de la Nation et contribution
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nationale en faveur des Français rapatriés‖ a fait scandale en France, dans les départements
français d‘outre-mer et dans les anciennes colonies. En effet, certains articles de ce projet de
loi soulignaient l‘action ―positive‖ du colonialisme français. Mais également, et c‘est aussi
grave, le gouvernement français reconnaissait aux soldats de l‘OAS,1 le statut d‘ancien
combattant ainsi que le droit au versement d‘une allocation. Les réactions furent nombreuses
comme, par exemple de la part du président algérien Abdelaziz Bouteflika et de l‘écrivain et
homme politique martiniquais Aimé Césaire. La député guyanaise Christiane Taubira a
notamment appelé à écouter ―cette voix de la France qui donne force et espoir aux opprimés
de la Terre, et non celle qui s'enferme dans la nostalgie‖ (Roger).
Moins de cinquante ans après l‘indépendance de l‘Algérie, les deux pays
entretiennent toujours cette relation passionnelle, entre l‘amour et la haine. Sur le plan des
relations internationales, cela se traduit par des conflits politico-économiques. Sur le plan
humain, les répercussions de ce traumatisme sont incalculables. Le racisme et la xénophobie
gangrènent toujours les relations entre autochtones français et immigrés algériens sur
plusieurs générations mais affecte aussi les métisses franco-algériens. Cela traduit cette
impossibilité de la société française à aimer vraiment ce qui est étranger. (Bouraoui 99).
L‘immigration algérienne et sa solide implantation dans la société française amène
nécessairement la question du modèle culturel occidental confronté au modèle culturel
musulman. En effet, l‘un des fondements de la société française est le principe de laïcité.
Cependant, il est évident qu‘aujourd‘hui une grande partie de sa population étant de
confession musulmane, des questions se posent. Les cultures doivent-elles être les mêmes
pour coexister ? L‘un des modèles culturels est-il supérieur à l‘autre ? La modernité est-elle
plus éminente que la tradition ?
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Voilà quelques-unes des questions idéologiques et socio-culturelles qui ont pour
origine le conflit franco-algérien. La pensée et la condition humaine n‘étant pas mieux
reflétées et racontées que dans la littérature, c‘est vers cet art millénaire que nous allons nous
tourner afin d‘analyser les modalités d‘expression de la guerre entre la France et l‘Algérie
pendant et après la période coloniale.
Problématique et méthodologie
Dans cette recherche, je me propose d‘analyser comment le traumatisme du conflit
franco-algérien se reflète dans la littérature algérienne de langue française et de quelle
manière il trouve un écho dans la littérature française dite beur, c‘est-à-dire la littérature
d‘une génération à cheval sur deux pays et cultures.
A travers l‘étude de deux romans emblématiques du vingtième siècle, je vais
m‘efforcer d‘analyser la représentation du traumatisme colonial et les questionnements
identitaires qui en découlent. De plus, à travers une étude du style, j‘analyserai les modalités
de transmission de ces conflits et troubles identitaires dans le récit.
Chapitre 1 : Perspective historique et chronologique
Afin d‘apporter une réponse à cette problématique, je vais d‘abord aborder la
question à partir d‘une perspective historique. En effet, dans le premier chapitre, je vais
étudier les relations franco-algériennes de manière strictement chronologique. Cette méthode
permettra une meilleure compréhension du contexte dans lequel ont préalablement évolué les
deux textes à l‘étude, qu‘il soit historique, politique, culturel ou humain.
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L‘avantage de cette perspective historique est qu‘elle me permettra également
d‘anticiper et d‘appréhender les problèmes qui seront soulevés avec plus d‘ouverture et de
connaissances sur le sujet. Ce chapitre comporte une étude sur les origines des relations
franco-algériennes, des grandes étapes de la colonisation et des crises avec la plus
importante qui est bien sûr la guerre elle-même, ainsi qu‘une présentation des personnalités
marquantes de la période (Par exemple, le général de Gaulle, l‘Émir Abdelkader, ainsi que
les organisations comme le FLN et l‘OAS). Enfin, une telle approche me permettra de mettre
en lumière les interactions ultérieures en matière de production littéraire et d‘intéractions sur
le plan des relations humaines.
Chapitre 2 : Perspective historico-littéraire
Dans le deuxième chapitre, je me propose d‘étudier l‘évolution de la littérature
algérienne à la lumière des courants littéraires qu‘elle a traversés (par exemple, le courant
algérianiste ou la littérature sous tutelle). Avec l‘éclairage historique apporté par le premier
chapitre, je vais également pouvoir situer cette évolution sur un plan historique. En effet,
cette littérature doit être resituée historiquement, non seulement par rapport aux évènements
tumultueux qui jalonnent le vingtième siècle, mais aussi par rapport aux situations politiques
ayant trait à la colonisation, la décolonisation française en Algérie, car comme nous le
verrons, l‘Algérie est un cas unique dans l‘histoire de la France. Nous verrons alors
comment la littérature a évolué parallèlement à l‘histoire franco-algérienne d‘un statut de
littérature franco-française régionale pour atteindre le statut de littérature algérienne
indépendante. A travers une histoire de la littérature, j‘effectuerai donc également une
histoire sociale de l‘Algérie. De la littérature arabo-musulmane, en passant par la littérature
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des colons pour arriver à la littérature algérienne proprement dite, les vicissitudes de
l‘histoire coloniale ont bien sûr trouvé un écho dans la production littéraire.
Chapitre 3 : Perspective postcoloniale
Dans le troisième chapitre, j‘ai choisi d‘étudier le roman de Kateb Yacine, Nedjma, à
partir d‘une perspective postcoloniale. La théorie littéraire postcoloniale est un courant de
pensée littéraire moderne développé dans les années cinquante. Elle permet d‘analyser les
écrits d‘auteurs dont le pays a fait partie d‘un empire colonial qu‘il soit français, britannique
ou espagnol par exemple. Le but des théoriciens postcoloniaux est d‘analyser les modalités
de représentation des anciens sujets colonisés à travers leurs textes et de combattre des effets
résiduels et disséminés de la domination européenne ou autre sur des peuples autrefois
colonisés. Cette théorie permet de rendre une légitimité aux discours autrefois marginalisés à
l‘intérieur du système colonial. (Bertens 160). Dans L’Orientalisme. L’Orient créé par
l’Occident publiée en 1978, Edward Said traite de la dichotomie entre Orient et Occident qui
n‘existe que dans cette relation d‘opposition. L‘épistème occidental aurait donc défini
l‘Orient comme exactement son opposé dans une entreprise de légitimation de la
colonisation. (Bertens 162) Selon Said,
My contention is that Orientalism is fundamentally a political doctrine willed
over the Orient because the Orient was weaker than the West, which elided the
Orient‘s difference with its weakness. . . As a cultural apparatus Orientalism is
all aggression, activity, judgment, will-to-truth, and knowledge. (Said 204)
L‘orientalisme serait donc une doctrine destinée à enfermer l‘Orient dans cette
inextricable prison de préjugés qui serviraient une raison politique car en aucun cas
prouvable scientifiquement.
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En effet, Said fait référence à de nombreuses personnalités politiques et artistes
occidentales comme Napoléon, Shakespeare ou encore Dante et Byron ayant participé à
développer cette image d‘un orient ―barbare,‖ ―faible‖ et ―exotique.‖ On citer ici Aimé
Césaire, un autre théoricien de ce mouvement: ―Je parle de millions d'hommes à qui on a
inculqué savamment la peur, le complexe d'infériorité, le tremblement, l'agenouillement, le
désespoir, le larbinisme.‖ (Césaire 11-12). Le verbe utilisé par Césaire dans cette citation est
particulièrement fort car il montre bien que les colons ont enseigné leur propre vision du
colonialisme aux peuples colonisés.
Jusque là, l‘épistème dominant et dominé étaient étudiés séparément, ce qui les
condamnaient à constamment s‘opposer. Avec l‘introduction du concept d‘hybridité d‘Homi
Bhabha, les deux modes de perception du monde se rencontrent enfin et supposent donc un
espace privilégié ou les deux cultures interagissent, le ―Tiers-Espace‖ (Bertens 167) : ―This
third space displaces the histories that constitute it, and sets up new structures of authority,
new political initiatives, which are inadequately understood through received
wisdom.‖(Rutherford 207-221).
Au contraire, Frantz Fanon défend la théorie selon laquelle les colonisés sont enfermés
dans une sorte de schizophrénie identitaire qui ne peut être réglée que par le rejet de la
culture oppressante: ―Seront désaliénés Nègres et Blancs qui auront refusé de se laisser
enfermer dans la tour substantialisée du passé‖. (Fanon 183). En effet, selon Fanon, les
anciens colonisés doivent se défaire de la domination coloniale passée afin d‘évoluer vers
une culture libérée qui leur est propre.
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Les sujets récurrents étudiés par les théoriciens post-coloniaux sont bien-sûr l‘identité,
la race, le genre, l‘ethnicité et l‘altérité. (Bertens 161). L‘opposition binaire entre rejet de
l‘épistème colonial et acceptation est également un topos dans ces textes.
A ce stade de la recherche, parler de postcolonialisme peut sembler anachronique.
Pourtant, comme nous le verrons dans ce chapitre, Nedjma a une dimension avant-gardiste
incontestable et le travail visionnaire de son auteur me permet de l‘inclure dans cette étude.
En effet, la théorie postcoloniale ne s‘applique pas strictement à la période postindépendance des colonies mais peut très bien être appliquée à tout texte qui présente les
mêmes questionnements sur l‘héritage de l‘influence coloniale.
C‘est donc grâce à ces théoriciens de la théorie postcoloniale comme Homi Bhabha et
Edward Said que nous allons voir comment le roman de Kateb Yacine constitue une
véritable entreprise de déconstruction des canons épistémiques coloniaux. Nous verrons
également comment le passé colonial hante les sociétés et se reflète dans les écritures
postcoloniales et résulte en une hybridation de l‘homme et de sa culture, notamment au
niveau linguistique, entre acceptation et rejet.
Chapitre 4 : Perspective du “Tiers-Espace” et féministe
Le quatrième et dernier chapitre de cette recherche me permettra d‘analyser le roman
intitulé Garçon Manqué de Nina Bouraoui sous un angle différent sur le plan du cadre
spatio-temporel. En effet, l‘auteure étant de nationalité française et ayant commencé sa
carrière littéraire dans les années quatre-vingt dix, je vais étudier ce roman dans le cadre
d‘un glissement vers une génération métissée et les problèmes que cela suppose. Grâce au
concept de ―Tiers-Espace‖ d‘Homi Bhabha, je vais examiner les questionnements
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
identitaires et les représentations de l‘individu culturellement hybride dans la société
contemporaine. Entre modernité occidentale et tradition musulmane, le cas de Garçon
Manqué va également me permettre d‘évoluer vers une perspective plus féministe. En
conséquence, je me propose d‘étudier les questions relatives au statut de la femme francoalgérienne dans le cadre d‘une théorie de la sexualité apparue dans les années 1970 et qui
trouve ses origines dans la critique féministe française conceptualisée en réponse à
l‘oppression subie par les femmes à cause de la problématique du genre. Je commencerai par
analyser le texte de Bouraoui grâce la théorie d‘Hélène Cixous qui, avec Julia Kristeva, a
posé les bases de ce qui deviendra la théorie féministe poststructuraliste. Selon Hélène
Cixous, tout type d‘interaction doit se concevoir comme étant des dichotomies hiérarchisées
d‘opposition entre homme et femme, action et passivité… (Bertens 129). De plus, la théorie
de Cixous se fonde sur la pratique de l‘écriture féministe en guise d‘exutoire, au même titre
que le rire ou le sexe :
Il est impossible de définir une pratique féminine de l'écriture, d'une impossibilité
qui se maintiendra car on ne pourra jamais théoriser cette pratique, l'enfermer, la
coder, ce qui ne signifie pas qu'elle n'existe pas. Mais elle excédera toujours le
discours que régit le système phallocentrique; elle a et aura lieu ailleurs que dans
les territoires subordonnés à la domination philosophique-théorique. (Cixous 45).
Cette méthode d‘analyse basée essentiellement sur une perspective historique
(chapitres un et deux), une critique postcoloniale (chapitres trois et quatre) et une critique
féministe (chapitre quatre) va me permettre de dégager les modalités de déconstruction de
l‘épistème colonial et des représentations personnelle et nationale sur une plan identitaire de
dimension culturelle, historique, sociale et sexuelle.
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Chapitre II
Introduction Historique
L’Algérie et la France
L’Algérie avant la France
L‘Algérie est le plus grand pays de la côte méditerranéenne de par sa superficie. Elle
est également le plus grand pays d‘Afrique après le Soudan. La France, bien avant la
conquête possède déjà un morceau de territoire algérien. En effet, en 1560, un marchand
marseillais fonde la colonie de La Calle, un comptoir français sur la côte algérienne, afin d‘y
exploiter le corail.
Les relations entre les deux pays sont plutôt correctes jusqu‘au dix-neuvième siècle.
L‘Algérie est alors sous contrôle turc. Beaucoup d‘historiens français affirment que le pays
subsistait à l‘état tribal sans de réelles structures sociales avant la conquête. Ce n‘est pourtant
pas l‘avis d‘Alexis de Tocqueville, un historien très réputé à l‘époque. En effet, selon lui:
La société musulmane, en Afrique, n'était pas incivilisée; elle avait seulement
une civilisation arriérée et imparfaite. Il existait dans son sein un grand nombre
de fondations pieuses, ayant pour objet de pourvoir aux besoins de la charité ou
de l'instruction publique. Partout nous avons mis la main sur ces revenus en les
détournant en partie de leurs anciens usages ; nous avons réduit les
établissements charitables, laissé tomber les écoles, dispersé les séminaires.
Autour de nous les lumières se sont éteintes, le recrutement des hommes de
religion et des hommes de loi a cessé ; c'est-à-dire que nous avons rendu la
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société musulmane beaucoup plus misérable, plus désordonnée, plus ignorante et
plus barbare qu'elle n'était avant de nous connaître (Stora 1994, 28)
Cependant, l‘Algérie n‘a pas vraiment, à l‘époque, de conscience nationale puisqu‘elle
a été, pendant presque toute son histoire, sous le joug de nombreux empires comme les
Turcs, les Espagnols, les Arabes, les Byzantins, les Romains…
Le cassus belli
En 1798, lors de la campagne d‘Egypte de Napoléon, le Directoire achète à crédit du
blé à un négociant, Nathan Bacri. Le gouverneur turc d‘Alger, le Dey Hussein devient le
créancier de l‘affaire en avançant l‘argent. Les caisses de l‘état étant vides le remboursement
de la dette est différé. Sous la restauration, le roi Louis XVIII refuse de payer une dette
contractée sous la République. Le contexte politique est donc très tendu. Le 29 avril 1827,
c'est-à-dire trente ans après le début de l‘affaire, une dispute éclate entre le Dey Hussein et le
consul général de France à Alger, Pierre Deval. Le Dey demande une nouvelle fois au consul
d‘intercéder en sa faveur afin que la dette soit réglée. Celui-ci refuse et le Dey, perdant son
sang froid, le gifle avec son éventail. C‘est l‘incident diplomatique. Le roi de France,
Charles X rompt toute relation avec le Dey D‘Alger. Il donne au Dey un ultimatum, réparer
l‘affront fait à la France ou s‘exposer aux représailles. Le Dey refuse catégoriquement et la
France met en place un blocus maritime d‘Alger qui durera jusqu‘en 1830. En 1829, période
pendant laquelle la France tente de négocier la levée du blocus avec Alger, le bâtiment de la
marine navale française, La Provence est bombardé par les forces ottomanes alors qu‘elle
quittait le port. Ce deuxième affront fait à la couronne de France entraîna la prise d‘Alger un
peu moins d‘un an plus tard.
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La conquête
Les forces armées françaises n‘improvisent pas vraiment la conquête d‘Alger. En
effet, celles-ci suivent un plan d‘action établi par un espion français, Vincent Yves Boutin,
pour le compte de Napoléon au début du 19e siècle. En effet, celui-ci avait prévu depuis
longue date une intervention sur le sol de la régence d‘Alger. Son rapport contient
notamment des recommandations quant aux lieux stratégiques, le nombre d‘hommes
nécessaire, la force à employer… C‘est ainsi que le haut commandement français choisira la
plage de Sidi-Ferruch comme lieu de débarquement.
L’expédition sur Alger.
La France attendra alors trois années pour venger l‘affront qu‘il lui a été fait par le biais
de son consul. Le 11 mai 1830, les forces armées françaises embarquent à Toulon et elles
arrivent le 14 juin sur la plage de Sidi-Ferruch située à environ vingt kilomètres d‘Alger. La
guerre sera interminable et extrêmement violente. Le bombardement de la ville dura
plusieurs semaines avant que celle-ci ne tombe. Le Dey ottoman capitulera le 5 juillet.
Les justifications de la conquête de l’Algérie
Les raisons justifiant la conquête d‘Alger ne sont pas seulement diplomatiques. Venger
l‘humiliation faite au consul Deval et au navire français La Provence et par extension à la
France n‘est qu‘une justification de façade. Les vraies raisons de cette conquête sont surtout
politiques. En, effet, cette victoire facile à l‘étranger a surtout le mérite de détourner les yeux
de l‘opinion publique française d‘un gouvernement très impopulaire, celui de Polignac. La
conquête d‘Alger permettrait également de redonner aux armées françaises tout le prestige
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qu‘elles ont récemment perdu, de devancer l‘Angleterre en terme de suprématie à l‘étranger,
ainsi que de lancer le pays dans une quête commune: la recherche de la gloire coloniale
perdue.
Les pro-colonisation avancent également l‘argument religieux très cher aux supporters
de l‘Empire français. En effet, il s‘agit de libérer les Algériens du joug musulman sous
lequel les Turcs les ont placés et rétablir le christianisme des Romains. L‘homme de cette
mission fut le cardinal français Charles Lavigerie, évêque de Nancy. Ordonné archevêque
d‘Alger en 1867, il commence alors une grande campagne d‘évangélisation de l‘Afrique en
commençant par l‘Algérie. Il fonde la Société des missionnaires d‘Afrique. Ses membres
sont appelés les Pères blancs et les Sœurs blanches. Leur mission est d‘évangéliser la
population indigène musulmane tout en effectuant un travail humanitaire de grande ampleur
dans les dispensaires et les écoles, par exemple. Après l‘Algérie, le cardinal Lavigerie envoie
ses missionnaires en Afrique noire dans des villes comme Tombouctou et Mombassa.
Finalement, il est vrai qu‘à cette époque de nombreux pirates stationnaient dans les eaux
algériennes et constituaient un véritable problème pour le commerce maritime dans la
région. L‘intervention de l‘armée française allait permettre d‘éliminer le problème.
Pro et anti-colonisation
Pourtant, la conquête de l‘Algérie ne résout pas le problème du gouvernement mais
contribue plutôt à en créer un nouveau. L‘armée est mobilisée en trop grand nombre à
l‘étranger, ce qui rend la France vulnérable à des attaques inopportunes, surtout dans le
contexte de troubles dans lequel le pays se trouve. Le gouvernement dépense aussi des
sommes trop importantes pour une opération inutile alors que la métropole est en proie à une
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crise financière. Ces problèmes sont trop graves pour être ignorés et la propagande
gouvernementale n‘y fait rien. Le gouvernement essaie d‘inspirer un esprit de compétition
avec l‘Angleterre et de nostalgie de la toute puissance de l‘Empire colonial français au
peuple notamment à travers des articles de journaux et des discours. On retrouve des grands
noms de l‘histoire française qui s‘opposent autour de cette question comme par exemple,
Clemenceau qui s‘opposera farouchement a la politique colonialiste de Jules Ferry.
Cependant, en grande partie, l‘opinion publique n‘est pas favorable au maintien de la
colonisation de l‘Algérie. A l‘avènement de Louis-Philippe, le problème, étant perçu par la
plupart des politiques comme une improvisation de dernière minute d‘un gouvernement à la
dérive, semble devoir être réglé au plus vite. L‘Angleterre manifeste également son
opposition aux visées coloniales françaises. Le roi ayant été soutenu par des libéraux anticolonialistes se doit de trancher en leur faveur. Cependant, l‘opinion publique semble être
désormais en faveur de l‘installation en terre d‘Algérie. Ses sentiments patriotiques sont
exaltés et le retrait des troupes apparaîtrait comme une déclaration de la supériorité anglaise.
Surtout que c‘est cette Angleterre qui en la personne de son consul à Alger pousse les
bourgeois de la ville d‘Alger, appelés les Maures, à s‘insurger contre l‘occupation française.
Elle les encourage, ainsi qu‘un groupe de libéraux anti-colonialistes français à envoyer un
comité afin de plaider leur cause dans les cercles lettrés de Marseille et de la capitale afin de
plaider la cause d‘un état algérien musulman. Ils se heurtent pourtant aux candidats à la
colonisation. Il s‘agit d‘une petite bourgeoisie provençale désirant se défaire d‘une vie
insignifiante et de ses déboires financiers en métropole pour aller faire fortune en Algérie.
Pétris de préjugés et d‘orgueil mal placé, ils pensent que le pays leur appartient déjà. Ces
colons deviendront par la suite les Pieds-Noirs. Ils commencèrent à s‘installer en 1830 et
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furent rejoints plus tard par des colons européens. En arrivant en Algérie, ils reçurent des
hectares de terres prises de force aux autochtones. Ces pro-colonisation et anti-colonisation
s‘affrontent également au Parlement. Les envois de commissions d‘enquête françaises en
Algérie se succèdent, plutôt pour apaiser les esprits que pour de réels résultats.
Il semble donc qu‘à ce moment là, le sort de l‘Algérie dépende d‘un lobby procolonisation, désireux de faire fortune à l‘étranger ainsi que de manœuvres politiques vaines
ayant pour but de redonner du prestige à la France sur le plan de la politique extérieure afin
de faire oublier l‘échec de sa politique intérieure. Les objectifs de cette expédition française
sur Alger sont donc plus que douteux. L‘opinion publique française, préoccupée par d‘autres
sujets qui la touchent de plus près et ne se passionne pas vraiment pour le sort de l‘Algérie
qui est donc laissée à la merci des spéculateurs financiers et des différents gouvernements
qui l‘utilisent comme faire-valoir.
La colonisation
Des débuts chaotiques
Contrairement à la conquête, la colonisation de l‘Algérie fut plutôt chaotique. Ayant
plutôt servie de diversion improvisée, aucune planification de la politique coloniale n‘était
disponible. Les débuts furent donc extrêmement difficiles. Les premières années furent
également chaotiques sur le plan de la politique coloniale. En effet, les gouvernements
successifs ne réussirent pas à gérer le problème algérien et le statut de la colonie changea
sans arrêt. Tout d‘abord, l‘acte de naissance officiel de la colonie fut l‘ordonnance du 22
juillet 1834. Le territoire algérien devient une colonie militaire gérée par le ministère de la
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
guerre et administrée par un consul et son conseil administratif. Elle restera sous
l‘administration militaire pendant environ cinquante ans. Cependant, la colonie reste sans
nom, on s‘y réfère par l‘expression ―possessions françaises dans le nord de l‘Afrique‖.
L‘imprécision de la politique à adopter en Algérie est causée par le refus des politiques
français de prendre une décision définitive. La succession des gouvernements et des
commissions d‘enquêtes n‘aident pas vraiment à donner un véritable statut à l‘Algérie. Ce ne
sera chose faite qu‘en 1837 avec l‘ordonnance du 28 février qui créera véritablement la
colonie algérienne. En 1836, la France met fin à son attentisme et envoie le général Bugeaud
avec pour mission de pacifier la zone troublée par des réfractaires à la présence française. Le
plus virulent d‘entre eux fut Abd el-Kader. Symbole de cette résistance algérienne, il va
s‘opposer à l‘occupation française pendant plus de quinze ans grâce au soutien de
nombreuses tribus.
Le général Bugeaud et Abd el-Kader signent un traité de paix, celui de Tafna, après
que la France ait décidé d‘opter pour une colonisation partielle de l‘Algérie, se concentrant
sur les côtes afin de développer son commerce maritime. La France réalise alors qu‘elle a
particulièrement avantagé Abd el-Kader en lui donnant la possibilité de développer son
influence dans les terres algériennes. Afin de réparer l‘erreur, le roi Louis-Philippe ordonne
une expédition sur la ville de Constantine en 1837. L‘option de la conquête généralisée de
l‘Algérie permet de renforcer le prestige de la monarchie de juillet. Le roi obtient du pape
Grégoire XVI la création d‘un évêché français à Alger. La prise de possession des terres
intérieures par la France est une violation des termes du traité de Tafna. Abd el-Kader
déclenche donc une guerre sainte. En 1840, Adolphe Thiers, alors chef du gouvernement
commence une critique extensive du traité de Tafna et prône que la France ne peut obtenir la
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
paix en Algérie qu‘en contrôlant la totalité du territoire. Le premier ministre et le roi LouisPhilippe vont avancer l‘argument que la conquête de l‘Algérie permettrait l‘enrichissement
du royaume car déjà sous le joug romain, le pays était prospère. Ils vont également s‘opposer
aux tenants de l‘anti-colonisation qui expriment l‘inquiétude de voir l‘armée française loin
de la métropole. Le roi nomme le général Bugeaud gouverneur général de l‘Algérie. Celui-ci
commence alors sa deuxième campagne de pacification. Il attaque le Maroc qui a aidé le
rebelle Abd el-Kader à continuer la lutte armée et obtient la victoire à la bataille d‘Isly en
1844. Abd el-Kader, lui, se rendra à la France en décembre 1847.
En 1848, la deuxième république déclare dans sa constitution que l‘Algérie fait partie
intégrante de la France après des années de tergiversation.
Constitution de 1848: Chapitre X — Dispositions particulières
Article 109. — Le territoire de l'Algérie et des colonies est déclaré territoire
français, et sera régi par des lois particulières jusqu'à ce qu'une loi spéciale les
place sous le régime de la présente Constitution.2
La même constitution crée les départements français d‘Algérie. En 1858, Napoléon III crée
sous le second empire le ministère de l‘Algérie et des colonies.
Au début du vingtième siècle, la France décide de s‘ouvrir les voies commerciales du
sud de l‘Algérie dans le désert du Sahara. Pour cela, les soldats français doivent traverser le
territoire des guerriers Touareg.
Pendant tout ce temps où la France a hésité à propos de ce qu‘elle voulait faire de sa
conquête, l‘Algérie n‘a pas cédé à l‘envahisseur français sans se battre. En fait, depuis la
conquête d‘Alger en 1830, les révoltes n‘ont presque jamais cessé rendant la tâche des
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
soldats français très difficile. Même si le peuplement du pays était principalement composé
de tribus qui voulaient par-dessus tout conserver leur indépendance autant face à la France
que par rapport aux autres tribus, la France a quand même mis environ quarante ans pour
s‘imposer durablement à ses opposants. D‘abord incarnée par Abd el-Kader, cette résistance
a continué après sa reddition avec d‘incessantes insurrections qui secouèrent le pays
jusqu‘en 1870. La dernière rébellion étant celle des Berbères d‘El Mokrani qui protestaient
contre la confiscation de leurs terres par les colons. L‘oppression française et la résistance
algérienne s‘engagèrent dans un cycle de violence et de répression sanglant.
Les méthodes de conquête de l‘occupant français sont en effet d‘une violence inouïe,
surtout pendant les périodes dite de ― pacification‖ du général Bugeaud. En effet, pour
ramener la paix en Algérie celui-ci pratiquait notamment la politique de la terre brûlée,
massacrait la population, la déportait ou l‘affamait. Ces pratiques eurent des effets
dévastateurs pour l‘Algérie. Les méthodes de Bugeaud étaient loin d‘avoir fait l‘unanimité à
l‘époque. En effet, selon Alexis de Tocqueville: ―nous faisons la guerre de façon beaucoup
plus barbare que les Arabes eux-mêmes [...] c'est quant à présent de leur côté que se situe la
civilisation.‖ (Ageron, 17-18).
L’administration coloniale
Depuis le rattachement de l‘Algérie à la France sous la deuxième république, les
Algériens musulmans sont considérés comme des sujets français mais pas comme des
citoyens français. Ils sont considérés comme des citoyens de seconde zone malgré quelques
efforts, malheureusement pas assez nombreux, des politiques. Par exemple, en 1865,
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Napoléon III fait publier les sénatus-consultes qui protègent la propriété des tribus et donne
aux musulmans un droit de naturalisation. Cependant, craignant pour leur suprématie et leur
main mise sur les terres musulmanes, les colons réussiront à la mettre en échec la réforme.
Celle-ci sera purement et simplement abandonnée avec l‘effondrement de l‘Empire.
En 1870, le décret Crémieux donne la nationalité française à tous les Juifs d‘Algérie
bien que ceux-ci représentent une minorité de la population. Ce traité sera annulé en 1940
sous Vichy dans le cadre des lois anti-juives.
En 1881, le code de l‘indigénat régit les droits et le statut des Algériens musulmans,
toujours des citoyens de seconde zone, sur le plan pénal notamment. En 1911, la France a
besoin de soldats. Le gouvernement fait voter une loi qui rend obligatoire le service militaire
pour les Algériens musulmans. 25 000 d‘entre-eux donneront leur vie à la France lors de la
première guerre mondiale.
En 1936, le parti politique appelé le Front populaire organise un congrès musulman
algérien. Le projet Blum-Violette, du nom des leaders du parti, prévoit d‘accorder la
citoyenneté française à l‘élite musulmane francisée. Ce projet échoue une nouvelle fois à
cause de l‘opposition farouche des colons.
En 1947, l‘Algérie est dotée d‘une assemblée paritaire composée de cent vingt
membres (soixante algériens français et soixante algériens musulmans). Cependant, les
intrigues politiques privent souvent les Algériens musulmans de s‘exprimer. Par exemple, en
1948, des élections pour l‘Assemblée sont organisées. Cependant, la France fait emprisonner
les deux tiers du nouveau parti de Messali Hadj, le Mouvement pour le Triomphe des
Libertés Démocratiques (MTLD) par peur de leur puissance politique.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
L‘Algérie devient rapidement le joyau de l‘empire français. Elle représente à elle
seule la moitié du poids économique et commercial de l‘Empire français d‘outre mer. Elle
assure à la France un contrôle presque total sur la mer méditerranée et constitue un passage
privilégié sur l‘Afrique saharienne et subsaharienne. Ses ressources naturelles sont très
importantes et diversifiées. On y trouve des hydrocarbures (gaz et pétrole) mais aussi des
minerais (fer, zinc, sel, marbre, or et diamant). Ces gisements sont parmi les plus importants
du monde. A cette époque, l‘Algérie fait partie de la France, ―l‘Algérie c‘est la France‖,
même si elle possède un statut particulier. Pour les politiques ainsi que pour l‘opinion
publique, se séparer de l‘Algérie est une chose inconcevable.
L’immigration algérienne en France
Une des conséquences de la colonisation est l‘immigration algérienne en France. Les
relations particulières qu‘entretiennent les deux pays favorisent ce mouvement de population
qui bénéficie les deux partis. Il y a eu environ cinq vagues d‘immigration algérienne en
France. La première commence au début du 20e siècle. La natalité française est en baisse et
l‘économie ralentit alors que le pays est en plein développement. Face à cette situation, les
autorités françaises font appel aux travailleurs étrangers ou non métropolitains afin de
redresser l‘économie. On parle alors d‘environ cinq mille Algériens. (Stora 2004, 24). Cette
politique favorisant l‘immigration a porté ses fruits puisqu‘à la veille de la première guerre
mondiale. On compte plus d‘un million d‘étrangers selon des statistiques officielles. Parmi
eux, la grande majorité est italienne mais il y a aussi des Belges, des Allemands, des
Portugais et des Espagnols. (Stora 2004, 25). Le terme ―étranger‖ ne désigne en aucun cas
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
les travailleurs Algériens. En effet, l‘Algérie est encore française à cette époque, ce qui
facilite leur migration.
Ces travailleurs coloniaux sont recrutés par les services militaires français afin de
combattre ou de participer à l‘effort de guerre à l‘arrière. Ils atteignent le nombre de 13 000
en 1914, période de la seconde vague migratoire, notamment grâce à la suppression du
permis de voyager, jusque-là requis pour ces travailleurs. A cette époque, les Algériens
bénéficient d‘un grand capital sympathie de la part de la population française qui reconnaît
la valeur de ces soldats mais rapatrie environ 250 000 travailleurs dans les colonies à la fin
de la guerre.
Dans les années vingt, l‘immigration est relancée mais cette fois-ci elle est organisée
et contrôlée afin de répondre à l‘importante demande de main-d‘œuvre afin de reconstruire
le pays et relancer son économie après le désastre de la Première guerre mondiale. C‘est la
troisième vague. (Stora 2004, 10). En 1924, la Société Générale de l‘Immigration (SGI) est
crée. C‘est cette société privée qui va se charger de recruter des travailleurs étrangers et de
les faire venir en France. Ces travailleurs originaires des pays du Maghreb, saisonniers pour
la plupart, se voient confiés des travaux pénibles et mal rémunérés qui sont boudés par les
Français. Ces hommes constituent une main-d‘œuvre peu chère, docile et facilement
mobilisable. Afin d‘éviter au maximum les contacts entre ces travailleurs coloniaux et la
population française, ils sont parqués dans des camps non loin des chantiers ou dans des
bidonvilles adjacents. (Stora 2004, 26)
Pendant la crise des années trente, la population française, s‘exprimant à travers les
médias et les politiques, cherche un bouc émissaire sur qui rejeter toutes les misères du
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
peuple français. Celui-ci est tout désigné, c‘est l‘immigré qui ―vole le travail des Français‖ et
qui leur enlève ‗le pain de la bouche‘. En effet, avec l‘exacerbation des tensions, la minorité
immigrée est plus visible que jamais et donc très facile à stigmatiser. S‘en suivent alors des
émeutes xénophobes qui feront de nombreuses victimes. Pourtant, après cette crise
économique et sociale, la SGI continue de recruter des travailleurs méditerranéens, mais en
leur offrant cette fois-ci des avantages sociaux afin qu‘ils fassent venir leurs familles. On
attend de ces ménages immigrés qu‘ils s‘intègrent à la société française et qu‘ils participent à
la société de consommation. Une fois encore, cette immigration répond à une demande
ponctuelle afin de relancer l‘économie du pays en crise.
La deuxième guerre mondiale est également l‘occasion de faire appel à ces hommes
pour qu‘ils se battent pour la France. Ils sont recrutés sur place, parfois de force, afin de
servir un pays qui les marginalise déjà en tant que colonisés. C‘est après ce conflit que la
France amorce la décolonisation. La quatrième vague d‘immigration déferle sur le pays. Les
travailleurs algériens participent dans une grande mesure à la reconstruction du pays et à la
relance économique. En 1947, leur immigration est facilitée par le fait qu‘ils sont reconnus
comme ‗citoyens‘ sous l‘appellation ―Français musulmans d‘Algérie‖ contrairement aux
Pieds-noirs ou aux Juifs algériens après la colonisation du pays qui eux sont reconnus
comme des citoyens sans aucune restriction. La guerre débuta moins de dix ans plus tard et
cette période fut marquée par des conflits avant-coureurs d‘un malaise social et politique
ainsi que par une grave crise économique qui poussa de nombreux Algériens à s‘expatrier
vers la métropole.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Le dernier mouvement important de population se produit entre 1954 et 1962. A cette
période, on ne peut pas a proprement parler d‘une immigration puisque les populations en
question sont pour la plupart de nationalité française depuis la loi de 1870 pour les Juifs,
celle de 1889 pour les Européens et depuis 1947 pour les musulmans. Les Pieds noirs et
certains combattants algériens (Harkis) sont rapatriés.
Après l‘indépendance de l‘Algérie, la France se tourne vers le Marché Européen et
développe l'industrie. Nécessitant une main d‘œuvre toujours plus importante, la France se
tourne alors à nouveau vers l‘immigration algérienne qui explose alors que les chantiers se
multiplient en France.
La guerre
Les rebellions avant coureuses
Au début des années trente, on retrouve le leader algérien Messali Hadj qui fonde à
Paris l‘Etoile nord-africaine avec un objectif clair, l‘indépendance de l‘Algérie.
L‘association sera démantelée trois ans plus tard car accusée de propagande subversive. Elle
sera reconstituée en 1933 pour être à nouveau dissoute en 1937. C‘est lui qui sera plus tard à
l‘origine de la création du FLN, le Front de Libération National Algérien.
Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, la France est une nation brisée et
appauvrie. Alors qu‘elle fête la libération, elle ne se doute pas que la contestation
musulmane en Algérie est en train de resurgir. Celle-ci est provoquée par une intensification
du mécontentement autant sur les plans économique, politique que social. En effet, l‘Algérie
est en proie à une violente crise économique et militaire. Après deux ans de mauvaises
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
récoltes, les Algériens sont affamés mais ils doivent encore subir des restrictions à cause de
la guerre. Les seules récoltes qui survivaient appartenaient aux compagnies étrangères
comme, par exemple, la Genevoise qui possédait environ 15 000 hectares de la meilleure
terre autour de Sétif, une ville au Nord-est de l‘Algérie. C‘est là que les premières rebellions
éclatent.
Quelques semaines avant mai 45, la plupart des troupes françaises n‘étaient toujours
pas rentrées des champs de bataille européens. Donc, les villes étaient nettement moins
policées. Des incidents ayant pour cible des colons éclatent à Sétif, une ville située à l‘est du
pays. Des musulmans lassés des injustices s‘en prennent violemment aux propriétaires
terriens. Des rebelles algériens commencent à intimider les colons ainsi que des Algériens
travaillant pour les colons. Ceux-ci ripostent avec violence. La tension entre les deux
communautés monte en puissance. Les organisateurs de la révolte contre les colons sont le
mouvement nationaliste appelé le Parti du Peuple Algérien (PPA). Par mesure de précaution,
le leader du mouvement Messali Hadj est exilé à Brazzaville, mais lors des célébrations du 8
mai, des troubles éclatent entre ses partisans et les forces de l‘ordre françaises. C‘est lors de
cet évènement qu‘apparaît pour la première fois le drapeau algérien vert et blanc. On choisit
un héros, Abd-el-Kader, le célèbre résistant à l‘oppression française au 19e siècle.
Des révoltes éclatent dans d‘autres villes d‘Algérie comme Chevreul, Périgotville,
Djidjelli et Guelma par exemple. La France réagit à ces troubles avec une violence inouïe.
Pendant cinq jours des villages sont bombardés et les villageois massacrés. La ―pacification‖
par l‘armée française au lendemain des émeutes de Sétif coûte la vie à environ mille
Algériens musulmans selon le rapport Tubert. Ce rapport est bien sûr contesté car il ne prend
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
pas en compte le nombre élevé de villageois qui n‘avaient pas de papiers. (Horne 26-27). Il y
aurait eu quarante cinq mille victimes selon la radio du Caire. (Horne 27). Cette réaction
peut être qualifiée de vengeance compte tenu de son irrationalité. La France craint son voisin
musulman et se sent insultée. Des mesures draconiennes furent prisent pendant ce que l‘on
appelle ―l‘heure du gendarme‖. Ces mesures ramenèrent la paix, mais ce fut une paix
précaire qui ne dura que neuf ans.
La France métropolitaine a beaucoup réduit l‘importance de cette manifestation. Les
journaux réduisent considérablement le nombre de morts ainsi que les troubles qui ont suivi.
Quant au général de Gaulle, il expédie l‘évènement dans ses mémoires de guerre publiées en
1954, 1956 et 1959 avec la phrase: ―En Algérie, un commencement d'insurrection survenu
dans le Constantinois et synchronisé avec les émeutes syriennes du mois de mai a été étouffé
par le gouverneur général Chataigneau‖. (Horne 27). C‘est à cette époque que le 7e régiment
de tirailleurs Algériens dont la plupart des soldats étaient originaires de Constantine et de sa
région, aux alentours de Sétif, rentra peu après les évènements sanglants de Sétif et ils furent
choqués par les représailles françaises sur leur peuple alors qu‘ils avaient combattu avec
courage et dévouement pour la démocratie, la justice et surtout pour la France.
Naturellement, beaucoup d‘entre eux deviendront par la suite des leaders du FLN. Parmi
eux, on se rappellera du très distingué sergent Ben Bella. Il dira plus tard que les horreurs de
Sétif l‘ont convaincu que l‘indépendance était la seule solution pour les Algériens opprimés.
(Horne 28). On assiste donc à une radicalisation de la contestation.
A partir de ce moment, la révolution algérienne prend une nouvelle direction. Elle
passe de la lutte armée désordonnée à la lutte politique couplée à la lutte clandestine mais
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
organisée à l‘image de Messali Hadj. Après de nombreuses tentatives légales mises en échec
par le régime français, Messali crée en 1954 le Comité Révolutionnaire d‘Unité et d‘Action
(CRUA) qui devient le Front de Libération Nationale (FLN) en marge du parti du
Mouvement pour le Triomphe des Libertés (MTLD). C‘est cette organisation qui
déclenchera la révolution algérienne musulmane.
Les différents partis
Il est important de rappeler les parties en présence avant le conflit. Tout d‘abord, les
révolutionnaires musulmans. Les requêtes indépendantistes commencent dès le début du
vingtième siècle sous forme de pamphlets ou de revendications politiques. Le gouvernement
français va se charger de ces leaders récalcitrants en les exilant ou en les faisant surveiller de
très près par les services secrets, pour ne dire que cela. En plus de cela, il semble qu‘aucun
des leaders indépendantistes n‘aient pu se mettre d‘accord sur la question algérienne ce qui a
provoqué la multiplication des partis politiques.
Parmi eux, Messali Hadj, qui a tenté l‘aventure de l‘Etoile Nord Africaine à Paris
dans les années trente, rentre à Alger où il fonde le Parti du Peuple Algérien (PPA). En 1947,
il crée l‘OS, une organisation secrète constituée d‘un millier d‘hommes prêts à la lutte
armée. Dans une moindre mesure, il y a aussi Ferhat Abbas. La différence est que ce leader
musulman exhorte le peuple musulman à revendiquer les mêmes droits que les colons
européens sans pour autant les pousser à la rébellion contre l‘envahisseur français. Sa
politique est modérée et faite de compromis avec les colons. Par exemple, il fonde en 1938
l‘Union Populaire Algérienne. Par le biais de l‘UPA, il demande l‘accession des Algériens
musulmans à la citoyenneté française. En 1943, il présente aux Alliés le Manifeste du peuple
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
algérien. Sa revendication principale est l‘égalité entre les communautés européennes et
musulmanes.
L‘Organisation Secrète entre en action au début des années quarante. Elle achète des
armes et rassemble des combattants afin d‘attaquer des postes stratégiques de l‘armée
française. Les arrestations des suspects s‘enchaînent et la lutte armée s‘organise. Cependant,
les divergences s‘accentuent au cœur même de la révolution dans les années cinquante,
notamment entre le Front de libération nationale et le Mouvement national algérien afin de
prendre le contrôle de la lutte. C‘est finalement le FLN, d‘abord très minoritaire, qui prendra
la tête de la révolution algérienne. Leurs méthodes sont extrêmement musclées. En plus des
affrontements avec l‘armée française, ils utilisent la torture, les exactions contre la
population et surtout contre les traîtres à la cause algérienne comme les Harkis.
Contre les révolutionnaires musulmans, on retrouve l‘armée française. Les militaires
déployés sur le sol algérien ils suivent les ordres de Paris. Pour eux, comme pour tous les
Français, ce n‘est pas une guerre mais tout simplement une opération de maintien de l‘ordre
car l‘Algérie est ni plus ni moins qu‘une partie de la France. A travers toute l‘histoire
coloniale, on remarque que la France a tout naturellement créé des liens forts avec les
musulmans algériens. Certains d‘entre eux étaient favorables à la suprématie française en
Algérie et ont donc intégré ses forces armées. Ces supplétifs indigènes sont les harkis et les
moghaznis.
Opposés à ces deux groupes, on trouve les Pieds-noirs, c'est-à-dire, les descendants
des colons européens. Leur cas est très particulier. On les appelle les ―Français d‘Algérie‖.
Ce groupe est composé des Pieds-Noirs et des Juifs d‘Algérie. Depuis leur implantation en
1830, ils ont fait prospérer l‘Algérie avec l‘agriculture et le vin. Grands propriétaires terriens
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
pour quelques-uns, ils emploient beaucoup d‘indigènes comme ouvriers sur leurs
exploitations ou comme domestiques. Habitués à vivre depuis des générations aux côtés des
Algériens musulmans et loin de la France, ils sont plus proches des préoccupations
algériennes que françaises. Cependant, ils sont toujours empêtrés dans ce sentiment de
supériorité français. On peut donc qualifier cette communauté d‘hybride, ni tout à fait
française, ni tout à fait algérienne. Au début du conflit, ils se rangent du côté français car les
autorités veulent maintenir l‘Algérie française. Cependant, après le changement de cap du
gouvernement, les Pieds-noirs se sentent incompris et abandonnés. Ils réagiront avec
violence envers la communauté française de métropole et les musulmans. Les leaders Piedsnoirs créeront l‘OAS (Organisation armée secrète) afin de défendre leurs intérêts, c'est-àdire, l‘Algérie française.
C‘est donc une double guerre civile qui s‘engage sur le terrain algérien entre les
sujets et les citoyens français ainsi qu‘entre les Français d‘Algérie et les Français de
métropole. C‘est pour cette raison que l‘euphémisme ― évènements d‘Algérie‖ a été utilisé
jusqu‘à récemment pour désigner la guerre d‘Algérie.
Les grandes étapes de la guerre
Les six chefs du FLN, Larbi Ben M'Hidi, Didouche Mourad, Krim Belkacem, Rabah
Bitat, Mostefa Ben Boulaïd et Mohamed Boudiaf, décident du début des hostilités. Le 1er
novembre 1954, le FLN fait appel au peuple algérien à la radio. Le porte parole du groupe
armé décrit son action comme anti-colonialiste et la justifie par le fait que toutes les voies
légales ont été épuisées. Le FLN exige le retrait de la France de l‘Algérie et promet de
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
restaurer un état algérien démocratique et musulman. Le soir même, des attentats et des
attaques à main armée éclatent en Algérie. C‘est la nuit de la Toussaint rouge. (Stora 2005,
87).
Du 20 au 26 août 1955, des massacres de civils français sont perpétués par les
indépendantistes algériens dans la région de Constantine, à Philippeville. La réaction de
l‘armée française sera terrible. Elle s‘engage dans une répression aveugle contre les
révolutionnaires mais aussi et surtout contre les civils algériens. Elle bombarde des villages
entiers au napalm causant des pertes immenses, notamment dans la région des Aurès. Le
FLN poursuit ses attaques contre ses rivaux algériens, notamment le Mouvement National
Algérien et contre des Français. En 1957, la situation atteint un pic de violence avec des
milliers d‘attentats par mois et un cycle de répression d‘une extrême brutalité. Des unités
spéciales se livrent à des opérations de recherche d‘armes et de rebelles dans les zones
rurales. Cela donne lieu à de nombreuses bavures à cause d‘un usage de la force
disproportionné contre la population.
En 1956, la France frappe un grand coup en organisant le premier détournement
d‘avion de l‘histoire. Les services secrets ayant appris que les principaux chefs du FLN
allaient effectuer un vol entre Rabat au Maroc et Le Caire en Egypte, ils décident de passer à
l‘action et de les intercepter en détournant l‘avion vers Alger. La même année, le conflit
devient international avec la crise du canal de Suez. Les autorités françaises suspectent le
colonel Nasser, le chef d‘état égyptien, d‘être un allié du FLN. Des contingents des armées
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
britanniques, israéliennes et françaises prennent le contrôle du canal. L‘URSS menace de se
servir de l‘arme nucléaire. C‘est alors que les Etats-Unis menacent la France et le RoyaumeUni de répressions financières s‘ils ne se retirent pas de la zone.
C‘est en 1956 que le FLN inaugure une nouvelle technique de guerre. Il s‘agit de la
politique de la terre brûlée. Les pertes matérielles sont considérables mais elle permet au
FLN de priver les forces françaises de ressources considérables de terroriser la population.
Cependant, le FLN se rend peu à peu compte que ce n‘est pas en s‘attaquant à des villages
que sa cause obtiendra une visibilité internationale. Le mouvement décide alors d‘attaquer la
ville d‘Alger.
La bataille d‘Alger durera plus de neuf mois entre janvier et septembre 1957. Le FLN
affronte l‘armée du général Massu qui vient de recevoir les pleins pouvoirs du gouvernement
de Paris afin de ramener l‘ordre dans la ville. Le général Massu sortira victorieux de la crise
grâce à l‘application systématique de la torture. Elle se banalise et est consentie par les
pouvoirs publics. Le général et ses soldats utilisent une grande variété de techniques afin
d‘obtenir des renseignements comme l‘électrocution, la pendaison par les membres, le
supplice de la baignoire et souvent les séances finissent par la mort du suspect. C‘est un
coup dur pour le FLN qui perd ses cellules actives à Alger. Ces évènements sont fidèlement
décrits dans ―La Bataille D‘Alger ―, le film de Pontecorvo.
Alors que la France subit une crise ministérielle conséquente, l‘armée prend le
pouvoir à Alger en 1958. Ce putsch est dirigé par le général Salan, qui après avoir pris la tête
du comité de Salut Public, fait part de ses revendications au président Coty ainsi que des
anti-Indépendantistes Pieds-noirs. Le général de Gaulle est rappelé au pouvoir afin de mettre
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
fin à la crise. En 1960, le général Massu est démis de son poste de commandant du corps
d‘armée d‘Alger pour avoir critiqué la politique de de Gaulle dans le dossier algérien dans
une interview pour un journal allemand. La nouvelle de sa disgrâce provoque la ― semaine
des barricades‖ en juillet de la même année.
La ―semaine des barricades‖ est un évènement clé de la guerre d‘Algérie. En janvier
1960, les Français d‘Algérie sont sur les dents. Ils ont peur de perdre l‘Algérie d‘autant que
le 1er janvier 1960, le Cameroun, une autre colonie française, acquiert son indépendance.3
Les leaders pieds-noirs comme Pierre Lagaillarde, responsable étudiant, Jean-Jacques Susini,
idéologue de droite, Joseph Ortiz, fondateur du Front de l‘Algérie Française (FAF) et JeanClaude Perez4 organisent une manifestation le 24 janvier pour déclarer leur soutien au
général Massu récemment limogé. Ils se heurtent aux forces de l‘ordre françaises. Une
fusillade éclate et fait une vingtaine de victimes. Les insurgés se réfugient à la Compagnie
Algérienne, un de leurs bastions. Des barricades sont dressées autour du bâtiment. Les
manifestants sont rejoints par les Unités Territoriales (UT) des civils chargés de protéger des
endroits stratégiques comme les centrales électriques. Après une semaine, les autorités
dénombrent environ un millier de manifestants. Cette insurrection marque le début d‘une
guerre civile franco-française. Un an après, l‘Organisation Armée Secrète (OAS) est créée
en remplacement de la FAF.
En 1960, l'ONU se prononce sur la question algérienne et déclare que le peuple
algérien doit avoir le choix de l'autodétermination. Le général de Gaulle qui avait dans un
premier temps pensé à pacifier et maintenir l‘Algérie française commence à perdre espoir
alors que les anti-indépendantistes refusent toutes les réformes proposées par le
gouvernement français et que les indépendantistes du FLN refusent le cessez le feu. Il
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
propose en 1961 un référendum sur l‘autodétermination algérienne et la célèbre phrase ―Je
vous ai compris‖. Après le putsch des généraux en 1961, de Gaulle avait organisé des
pourparlers avec le FLN. Ceux-ci aboutiront en 1962 à la signature des Accords d‘Evian.
Le référendum sur l‘indépendance algérienne est approuvé à une écrasante majorité.
Cependant, les irréductibles de l‘OAS continuent à organiser des attentats contre les
Algériens et les forces françaises, en particulier à Bab El-Oued sur le port d‘Alger. Ils sont
en grande partie responsables de la montée des tensions entre les Pieds-noirs et les
Algériens. En effet, l‘hostilité entre les communautés devient ingérable et nombre de Piedsnoirs choisirent la ―valise‖ contre le ―cercueil‖.
Le bilan et les conséquences du conflit franco-algérien
En Algérie
En ce qui concerne les supplétifs de l‘armée française, certains furent rapatriés en
France. Cependant, les autorités militaires françaises abandonnèrent la plupart d‘entre eux en
Algérie. Livrés aux représailles du FLN, ils furent massacrés. Durant l‘été 1962, alors que
l‘OAS continue ses attentats, les Pieds-noirs commencent leur exode, majoritairement vers la
France. Certains, se sentant trahis par la métropole, choisiront d‘émigrer en Espagne ou en
Argentine.
En France
La guerre d‘Algérie fut le plus traumatisant des conflits de la décolonisation pour la
France. Elle a provoqué une profonde remise en question du bien fondé de la colonisation
sur un plan religieux, idéologique et civilisationnel. La métropole commence à se demander
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
si les bonnes intentions comme ―apporter la civilisation à des peuples faibles et barbares‖
sont légitimes et suffisantes. La France, si fière d‘être le pays des droits de l‘homme et le
pays des grands philosophes des Lumières a pu mépriser la race humaine jusqu‘au point de
non retour. Il est important de rappeler que les massacres, la torture, l‘enrôlement de force et
même le sabotage politique est contraire aux idéaux que prône la France dans le monde,
mais elle s‘en ait servi pour faire régner un ordre illégitime ―à l‘intérieur‖ de ses frontières.
La ― sale guerre‖ divise l‘opinion française. C‘est un conflit à la fois militaire, économique,
culturel et religieux. La colonisation française passe du statut de fierté à celui de honte, au
même titre que la collaboration dans le massacre des Juifs sous le régime de Vichy.
La France n‘a reconnu qu‘en 1999 l‘appellation de ―guerre d‘Algérie‖ même si celleci faisait déjà partie du vocabulaire courant. Ce refus d‘appeler une guerre une guerre est
unique dans l‘histoire contemporaine et montre à quel point ces ―évènements d‘Algérie‖ ont
marqué les consciences françaises. Cependant, même si la France n‘a finalement reconnu
que ces évènements constituaient une guerre que quarante-cinq ans après le début des
hostilités, elle n‘a toujours pas reconnu les crimes de guerre. Au lendemain de la fin de la
guerre, elle a fait voter des lois d‘amnistie pour protéger les militaires. Au contraire, le
président Bouteflika a, en 2006, reconnu dans un discours officiel que ―Notre guerre de
libération nationale a été menée par des hommes et des femmes que l'élan libérateur portait
le plus souvent à un haut niveau d'élévation morale, mais elle comporte des zones d'ombre à
l'instar de tous les processus de transformation violente et rapide des sociétés humaines‖.5
Les relations franco-algériennes, on l‘a vu, ont toujours étés tendues. Elles oscillent
constamment entre l‘amour passionnel et la haine, tout aussi passionnelle. Cette passion
culminera dans la guerre qui laissera à jamais des cicatrices profondément douloureuses chez
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
les Français comme chez les Algériens. Ce conflit est fortement représenté dans la littérature
franco-algérienne.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Chapitre III
Histoire de la littérature algérienne
Contexte historique
Cette courte introduction à la littérature algérienne n‘a pas la prétention d‘être
exhaustive. En effet, elle se restreint volontairement à la littérature écrite et de langue
française et se contente de mentionner celle en langue arabe. En effet, la littérature
algérienne contemporaine a la particularité d‘être écrite en plusieurs langues: le berbère,
l‘arabe et le français. Entre le premier et le septième siècle, les écrivains, berbères pour la
plupart, comme Saint Augustin, Fronton ou Apulée par exemple, produisaient une littérature
en latin. Puis, au septième siècle, les arabes envahirent le Maghreb latin et leur influence va
à jamais changer le visage de l‘Algérie. En effet, les sociétés maghrébines vont grandement
bénéficier du rayonnement intellectuel et artistique de la civilisation arabo-musulmane. La
langue des élites devient alors l‘arabe. La littérature de langue arabe a eu une large
représentation à partir du IXe siècle dans le monde musulman. Pendant dix siècles, la
production littéraire et érudite est florissante grâce à l‘appui des diverses dynasties qui ont
régné sur le monde musulman comme les Bani Hammad, les Rostémides ou encore les
Fatimides par exemple. En effet, les érudits arabisés étaient encouragés à se réunir dans des
grandes villes comme Tiaret, Ténès, Qalaa, Constantine, Alger et Tlemcen pendant la
domination turque. Ces érudits ont fourni au monde arabe une production intellectuelle
extrêmement importante, comportant entre autres des traités scientifiques, des ouvrages
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
historiques et théologiques, de la poésie comme les mawlidiyyat (poèmes célébrant la
naissance du prophète Mahomet). Parmi eux, on distingue Ibn Khaldûn et al-Maqqari, deux
érudits qui vont offrir à la civilisation arabo-musulmane des ouvrages poétiques et
historiques extrêmement précieux. Ibn Hani, Ben Lefgoun, Ibn Rachiq et Abderramane
Thaalbi sont quelques-uns des auteurs de langue arabe et berbère de la période qui
rencontrèrent un grand succès jusqu‘au déclin progressif de la littérature arabe.
Cette littérature de langue arabe va être rapidement supplantée par la littérature de
langue française après le bouleversement social que constitue la conquête française pour la
société algérienne. Avec l‘instauration du système colonial, la France va progressivement
marginaliser la population arabe, sa culture et sa langue. La situation des indigènes devient
catastrophique avec l‘apparition des famines, des épidémies ainsi que la négation de leurs
droits avec le code de l‘indigénat. Ils deviennent indésirables sur leur propre terre.
L‘enseignement de la langue française devient presque exclusif, au détriment de la langue
arabe. L'instruction en français va surtout bénéficier aux colons français et européens.
L‘école indigène, elle, va peu à peu se noyer dans un océan d‘indifférence voire parfois
d‘hostilité. En effet, malgré les lois Ferry ainsi que la bonne volonté de certains recteurs, les
colons se sont toujours opposés à l‘instruction des Algériens musulmans. Son usage devient
également obligatoire dans l‘administration coloniale. Cette prédominance de la langue
française à l‘intérieur de la sphère coloniale va entraîner une perte de l‘influence et de la
diffusion de la langue arabe en Algérie. Privée de support langagier, la production littéraire
en arabe s‘essouffle. L‘Algérie est alors dominée politiquement et culturellement. Puis,
pendant les cent premières années de la colonisation française, le seul auteur de langue arabe
à produire des écrits était l‘Emir Abd el-Kader. L‘homme, qui incarnait presqu‘à lui seul la
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
résistance algérienne contre l‘occupant français, a produit entre 1830 et 1883, date de sa
mort, des ouvrages en arabe comme des réflexions spirituelles et de théologie soufiste.
Cependant, le développement de la littérature de la région algérienne en français est
un phénomène assez récent. En effet, celle-ci a commencé à éclore vers la fin du dixneuvième mais surtout au début du vingtième siècle. Malgré sa jeunesse, la littérature
algérienne de langue française a réussi en quelques années à supplanter celle en arabe à
cause, bien sûr, du contexte colonial. De plus, les auteurs trouvaient plus facilement des
maisons d‘éditions si leur œuvre était écrite en français à cause la prédominance des maisons
d‘éditions dirigées par des colons français. Cette littérature algérienne en français peut être
divisée en trois périodes principales. Tout d‘abord, la prédominance des œuvres pied-noires,
puis l‘acculturation des élites arabes francisées et enfin, la naissance et la véritable naissance
du roman algérien.
Littérature algérianiste
La première période est donc celle de la colonisation. A la fin du dix-neuvième et au
début du vingtième siècle, le paysage littéraire est largement dominé par les colons.
Influencés par la littérature française ainsi que par l‘idéologie coloniale, ils dictent les règles
de cette littérature régionale et bénéficient d‘une quasi-exclusivité de parole. Ils montrent
une Algérie romaine afin de légitimiser la conquête de l‘Algérie musulmane: ― la véritable
Algérie, c‘est nous les latins‖. (Bertrand préface). En effet, cette littérature démontre une
philosophie extrêmement ségrégationniste. Selon cette idéologie de la latinité, l‘arabomusulman, ayant envahi une terre romaine, a entrainé un âge obscur pour l‘Algérie qui a été
abandonnée à des ― barbares arriérés‖ (Bertrand préface), c‘est-à-dire les Arabes. Il est donc
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
dans l‘ordre des choses que les descendants des latins reprennent possession de la terre. Ces
idées sont transmises à travers la littérature régionale et ses auteurs.
En règle générale, les auteurs du mouvement algérianiste éprouvent un sentiment de
supériorité tellement puissant que leurs romans se font vecteurs d‘une haine raciale dirigée
vers les indigènes musulmans. Néanmoins, le degré de haine ou de condescendance varie
selon les auteurs. En effet, si certains auteurs comme Etienne Dinet ou encore Isabelle
Eberhardt apportent une sensibilité humaine et littéraire au peuple dont ils ont adopté la
religion, l‘Algérie française n‘est cependant jamais contestée. Leurs romans se contentent
d‘essayer de réveiller les consciences afin d‘améliorer la situation des autochtones à
l‘intérieur du système. Selon le critique littéraire Jean Déjeux, ce mouvement littéraire
régional n‘a pas vraiment d‘intérêt esthétique car il ne présente pas d‘innovations
esthétiques. Pourtant, le courant algérianiste est intéressant du point de vue des idées qu‘il
véhicule. En effet, il est le témoin d‘une période historique et politique particulière,
commune à la France et à l‘Algérie ainsi que le reflet d‘une idéologie, l‘idéologie coloniale.
Le mouvement algérianiste revendique la possession de l‘Algérie par l‘état français et
expose ses arguments à travers des romans plus politiques que proprement artistiques. En
décrivant la vie quotidienne et la pensée du peuple pied-noir sans fard, il s‘inscrit en porte à
faux par rapport au courant orientaliste et romantique: ― Ils ont un grand désir de faire vrai,
de peindre un milieu vrai et non plus romancé ou poétisé par une fantaisie de touriste.‖
(Notre Afrique). Ils dénoncent un orientalisme de bazar qui a dominé le paysage littéraire
français et européen. Leur but était de créer une conscience littéraire collective qui
s‘exprimerait par elle-même, l‘Algérie par les Algériens. Dans les années vingt, cette petite
communauté littéraire indépendante créa un grand prix littéraire de l‘Algérie, une revue
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
appelée Afrique ainsi qu‘une association regroupant les écrivains algériens.6 L‘écrivain
algérien se doit d‘être le porte-parole d‘une conscience intellectuelle de cette région
coloniale. En effet, selon Robert Rondau: ―Le premier devoir, écrivait-il, de l‘écrivain
algérien est de se rappeler qu‘il est un apôtre de la plus belle Algérie‖. (Chaulet). Ces
écrivains nourrissent une passion viscérale pour cette terre qu‘ils connaissent bien.
Cependant, à l‘image du contexte politique de l‘époque, ils affichent une grande
complaisance à propos de la ségrégation contre le peuple arabo-musulman. Leurs
représentations de l‘Algérie sur le plan ethnique est sans appel. Les seuls indigènes qui
trouvent grâce à leurs yeux sont ceux qui louent le système colonial et les valeurs de la
―mère-patrie‖ même si, souvent, ces auteurs mettent en doute la sincérité de ces indigènes
francisés à cause de leur religion qui serait incompatible avec une bonne assimilation. Ils
vantent un brassage culturel utopique dans la mesure où l‘autochtone est privé de parole, et
donc de représentation dans cet horizon français. Ce brassage culturel signifie plutôt ici
assimilation.
Le chef de file du mouvement est Louis Bertrand. Arrivé en Algérie en 1891 comme
professeur de lycée, il a vécu à Alger et ses environs pendant environ neuf ans. Ce séjour a
grandement inspiré une partie de son œuvre. Son amour pour l‘Algérie est incontestable. Il
consacre au pays et à ses habitants une œuvre importante qui est aujourd‘hui tombée dans
l‘oubli. Pourtant, il est incontestable que Louis Bertrand s‘inscrit dans un contexte politique
et idéologique de nature coloniale. En effet, sous une apparente sympathie pour les
indigènes, l‘auteur se fait l‘apôtre de l‘idéologie de la suprématie des colons européens. A
l‘image de son roman Le Sang des Races publié en 1899, il s‘inscrit en opposition complète
au courant littéraire orientaliste français sur le plan du genre. On passe du romantisme au
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
réalisme. Il se borne à décrire les colons, leur vie quotidienne en égratignant la population
autochtone au passage. Ils sont montrés du doigt pour leur ignorance et leur agressivité. Sa
condescendance est à son comble dans le roman La Cina publié en 1901. En effet, à travers
le récit, il montre que la survie ainsi que la mise en valeur de l‘Algérie dépend des colons et
non pas des indigènes. Il fait l‘éloge du système colonial. De la même façon, dans Les Villes
d’Or publié en 1921, il défend la thèse de la latinité de l‘Algérie. Il oppose les villes
blanches musulmanes aux villes d‘or romaines de Saint Augustin et d‘Apulée. (Oulebsir).
Louis Bertrand se fait le fer de lance d‘une idéologie coloniale qui trouve sa légitimité dans
l‘héritage latin de l‘Algérie. Il est à l‘origine d‘une littérature coloniale qui deviendra très
florissante mais dont le public restera quelque peu limité à l‘Algérie et ses colons.
De la même manière, Robert Randau est l‘un des pionniers de ce mouvement
algérianiste. Né en 1883 à Alger, il passe son enfance en Algérie avant de poursuivre ses
études à Paris. Robert Randau est un élève brillant qui parle l‘arabe couramment. Il devient
haut fonctionnaire et est affecté dans de nombreuses missions coloniales au Maghreb et en
Afrique noire. Pendant ses voyages, il tient des carnets dont il se servira pour écrire des
romans sur l‘Algérie coloniale en particulier. Avec seulement quatre ouvrages proprement
algérianistes, il devient à l‘instar de Louis Bertrand, un précurseur de ce mouvement
littéraire régional. Avec la publication de ses romans Les Colons en 1907, Les Algérianistes
en 1911, Cassard le Berbère en 1920 et enfin Professeur Martin en 1935, il offre une
peinture vivante de la vie des colons d‘Algérie, leur attachement à la terre ainsi que leur
mépris du musulman qui a ―envahit‖ cette terre latine. Dans Les Colons, il affirme que
l‘Algérie est une terre française, refusant ainsi toute légitimité au peuple algérien et prônant
le système colonial.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Grand ami de Robert Randau, Jean Pomier est également un auteur influent du
mouvement. Jean Pomier arrive à Alger comme attaché de préfecture. Il se rapproche du
mouvement algérianiste et se fera connaître par sa poésie. Il participera notamment à la
rédaction du manifeste du mouvement: ―Nous sommes Algériens et rien de ce qui est
Algérien ne nous sera étranger‖. (Héduy 375). De retour dans le sud de la France, il publiera
d‘autres ouvrages mais surtout une chronique du mouvement algérianiste et de ses
compagnons comme, par exemple, Louis Lecoq, Paul Achard, John-Antoine Nau, Charles
Courtin, Charles Hagel ou encore René Hughes (Pomier).
Le seul écrivain algérien qui réussira à être reconnu pour ses qualités littéraires est
Jean El-Mouhouv Amrouche. En effet, ce professeur de lettres dont la famille s‘était
convertie au Christianisme sera toujours déchiré entre la France et l‘Algérie, ―La France est
l'âme de mon esprit, et l'Algérie est l'esprit de mon âme‖. (Amrouche 78). C‘est en France et
en Suisse qu‘Amrouche, alors journaliste, se battra pour l‘Algérie indépendante jusqu‘à sa
mort. Il laisse derrière lui de nombreuses œuvres comme l‘essai L’Eternel Jugurtha (1946)
ou des recueils de poèmes comme Etoile Secrète (1937) ou Chants berbères de Kabylie
(1939).
Littérature autochtone et dominée
Parallèlement à cette quasi exclusivité des colons dans l‘expression littéraire, une
minorité de la population indigène commence à se faire entendre à partir des années vingt.
En effet, une petite poignée d‘Algériens autochtones faisant partie de l‘élite et ayant
bénéficié de l‘instruction coloniale en français, comme des médecins, des journalistes, des
professeurs ou encore des employés de l‘administration coloniale revendique alors les
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
bienfaits de celle-ci ainsi que ses vertus émancipatrices. Le genre le plus prisé fut d‘abord
l‘essai car c‘était un véhicule efficace de leurs idées. On compte parmi les essayistes les plus
connus, l‘Émir Khaled, petit-fils de l‘Émir Abdelkader par exemple. Puis, au fur et à mesure
que la sensibilité artistique des élites grandit de paire avec leur maîtrise de la langue, cellesci commencent à délaisser l‘essai et à se tourner vers le roman et le poème.
La tutelle coloniale
Cette nouvelle littérature née chez les élites algériennes francisées a deux
particularités. La première est qu‘elle est tributaire du contexte politique de la région. En
effet, il s‘agit d‘une littérature dominée. (Lanasri). Tout comme le peuple algérien lui-même,
la création artistique de celui-ci est soumise au joug français. Pour pouvoir être un écrivain
algérien de langue française, il fallait accepter plusieurs choses inhérentes au système
colonial. La première était de se faire ―parrainer‖ par un écrivain francophone reconnu par la
profession. L‘écrivain algérien est donc mis sous tutelle. Par exemple, afin de pouvoir être
publié, Chukri Khodja a confié l‘écriture de la préface de son roman, Mamoun, l’ébauche
d’un idéal, à Vital Mareille. De la même manière, Albert de Pouvourville a écrit la préface
du roman d‘Abdelkader Hadj-Hamou, Zohra, la femme du mineur en 1925. Ces écrits sont
de beaux exemples de la condescendance et du racisme de certains français de l‘époque.
Cette rédaction de la préface ainsi que la profusion d‘avant-propos, de remerciements,…
montrent bien l‘allégeance de ces auteurs algériens de la première heure aux écrivains
français ainsi qu‘à un régime aussi bien paternaliste que raciste. En effet, afin de pouvoir
entrer dans le milieu hermétique des écrivains de langue française en Afrique du nord, il
fallait que l‘écrivain algérien montre son obédience au système. Pour cela, l‘auteur devait
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
exposer de manière ostentatoire son acceptation de la dominance française à travers l‘abord
de thèmes comme les bienfaits de l‘instruction à la française, de la colonisation et l‘éloge de
la politique d‘assimilation. Flatté que l‘Algérien reconnaisse le bien fondé du système et
l‘exalte, les instances françaises donnaient donc leur aval, en quelque sorte, pour la
publication.
Ce mouvement des ―jeunes Algériens‖ apparaît à la suite d‘une prise de conscience
de ceux-ci que pour être entendus dans le contexte colonial, il faut utiliser la langue du
pouvoir. La langue française, contrairement à l‘arabe, devient ainsi l‘outil des Algériens qui
veulent s‘exprimer en Algérie. L‘écrivain devait aussi savoir que du fait que la langue
véhicule de ses idées, son public allait être composé dans sa majeure partie de Français, de
colons. A la suprématie militaire et politique s‘ajoute alors celle de la langue. Le public
indigène étant en grande partie maintenu dans un état d‘analphabétisation par le système
colonial, les auteurs algériens devaient se soumettre aux règles dictées par les colonisateurs.
En effet, ces auteurs étaient également extrêmement dépendants du bon vouloir des maisons
d‘édition qui dans le système politique de l‘époque étaient exclusivement françaises.
L‘auteur n‘était donc pas libre dans la création artistique. Sa marge de manœuvre était
extrêmement réduite à l‘intérieur du système. Cette littérature apparaît donc comme dominée
par un joug colonial.
La “ résistance-dialogue”
Cette littérature possède une orientation politique et sociale inhérente. En effet, on
peut parler de littérature engagée car, dans une certaine mesure, sous couvert d‘une
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
apparente complaisance avec le système colonial français, certains de ces auteurs dénoncent
la situation en Algérie et des Algériens musulmans. Selon les propos de Christiane Achour,
une historienne de la littérature algérienne, on parle de ― résistance-dialogue‖ car, avant
d‘être exprimée par la violence, cette résistance était s‘abord exprimée à travers les écrits,
d‘abord essais puis romans. On assiste également à une tentative de sauvegarde de l‘Algérie
et de sa culture, de la part de ces auteurs, mais à l‘intérieur du système. C‘est en fait au
moyen d‘un mélange de contestation et d‘allégeance au système que certains auteurs
débutent ce qui va devenir une première critique timide du régime colonial. C‘est le cas
d‘Hamdan Khodja qui publie Le Miroir en 1933, un aperçu historique dans lequel il compare
la situation du peuple algérien sous la domination turque et française. De la même façon,
Boulakhras Bengana publia en 1880 une étude de sa famille depuis la conquête française.
Ces essais de revendications égalitaires s‘attirèrent les foudres de l‘état français colonial.
Aussi, à la fin du dix-neuvième siècle (1891), M‘Hamed Ben Rahal publie La Vengeance du
Cheikh qui prône la justice et l‘enseignement en arabe mais aussi Taïeb Morsly qui, avec ses
essais et attaques virulentes va particulièrement incommoder l‘administration coloniale et
l‘état français. Cependant, il est important de rappeler qu‘aucun de ces auteurs ne conteste
encore la légitimité du système colonial, les revendications purement indépendantistes sont
pas encore d‘actualité. Les seules revendications de ces auteurs sont une préservation de
l‘Algérie sur le plan humain, identitaire et culturel. Ce développement d‘une élite Algérienne
instruite en français enrage particulièrement les colons qui craignent un rapprochement entre
la métropole et ces indigènes, un dialogue qui desservirait leurs intérêts en Algérie.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Une ambigüité sous-jacente
Le roman est également caractérisé par une ambigüité sous-jacente. On assiste alors à
une opposition idéologique entre les écrivains pro-colonisation, les algérianistes et les
partisans d‘une amélioration à l‘intérieur du système. Les uns et les autres se reprochant
mutuellement d‘être à l‘origine des maux de la colonie. En rupture avec le mouvement des
colons, ces auteurs redonnent la parole au peuple indigène, jusque-là réduit au silence par
des Français colonisateurs de la terre et de l‘expression artistique. Ces travaux de fiction
vont infailliblement démontrer la perversion que le système entraine. La cible principale de
ce mouvement aux intentions quelque peu cachées est la politique d‘assimilation qui entraine
inévitablement cette perte d‘identité tant redoutée. Le peuple algérien et ses traditions sont
glorifiés. On inverse la relation homme civilisé/ homme sauvage en montrant la barbarie de
la civilisation française. Tout comme les algérianistes, ces auteurs utilisent aussi la
description et la présentation de la réalité sociale à leur avantage, loin des clichés présentés
par les colons. C‘est ce que fait Mohammed Ould Cheikh dans Myriem dans les palmes
publié en 1936 en suggérant implicitement que le mélange ou la cohabitation des Français et
des Algériens n‘est possible qu‘en trouvant le véritable chemin: l‘identité arabo-musulmane.
Par exemple, Chukri Khodja dans Mamoun, l’ébauche d’un idéal qu‘il publia en
1928, ainsi que dans El Eudj, captif des barbaresques publié en 1929, fait le récit de l‘échec
de l‘assimilation. Aveuglés par une apparente obédience, les auteurs des préfaces font
l‘éloge des romanciers qui reconnaissent le bien-fondé de la colonisation. Par exemple,
Vital Mareille encense la thèse de Khodja en expliquant qu‘il est dans le vrai en faisant
confiance au système éducatif français. Cependant, une lecture approfondie de l‘œuvre lui
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
fait défaut. En effet, comme beaucoup d‘auteurs de préface, il ne remarque pas que l‘auteur
déconstruit en fait son propre postulat en montrant l‘échec du héros à cause d‘une politique
d‘assimilation inefficace.
L'écrivain sait les ressources de l'instruction. Il a foi dans la Vérité. Il condamne
l'aveuglement des réfractaires et leurs vaines bouderies. Sans rien perdre de la
noblesse traditionnelle de sa race, il fléchit le genou devant une civilisation
meilleure, et les bras largement étendus, il ouvre son âme à la lumière. (Khodja
11)
Quand Vital Mareille parle des ―réfractaires‖, il ne voit pas que parmi eux se trouve
justement l‘auteur dont il encense le jugement. La deuxième singularité de la littérature
Algérienne de langue française est liée à sa jeunesse. En effet, comme toute littérature
naissante, elle tâtonne et imite ce qu‘elle connaît car elle n‘est pas encore sûre de son style
particulier. Cette littérature est donc caractérisée par un mimétisme de la littérature
française. Elle ne propose aucune innovation littéraire. Tout comme les œuvres du courant
algérianiste, cette littérature ne possède pas d‘intérêt artistique. Par contre, elle recèle un
intérêt historique et idéologique important. Toujours selon Christiane Archour, cette
littérature est, certes, esthétiquement conventionnelle mais elle correspond à la période
normale d‘acclimatation du colonisé par rapport à la littérature dominante. En effet, il
semble que les auteurs Algériens qui s‘essayent à l‘écriture commencent par copier
purement et simplement le style de leurs auteurs préférés. La révolution dans le roman
algérien viendra plus tard. A l‘image de d‘Abdelkader Hadj-Hamou qui publia en 1925 le
premier roman du genre Zohra, la femme du mineur, ces auteurs maîtrisent la langue
grâce à l‘instruction coloniale et imitent les auteurs français auxquels ils ont étés
familiarisés. (Siline).
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
La période de mimétisme littéraire
Selon le critique littéraire Jean Déjeux, les romans algériens de cette période sont
― mediocre‖ car ils ne sont que de pâles copies des œuvres françaises, un exercice de style
prouvant que l‘auteur maîtrise le français. Ce mimétisme d‘une littérature étrangère enferme
ces précurseurs de la littérature algérienne dans une vision extérieure de leur société car ils
sont contraints d‘utiliser les codes du dominant ainsi que sa vision du système colonial. Leur
point commun est ―le couplet aux bienfaits de la mère-patrie‖, qui leur assure une
publication ainsi qu‘une audience francophone qui veut se donner bonne conscience.
(Déjeux 1975).
La première nouvelle indigène de langue française fut publiée en 1891 et signée par
M‘Hamed Ben Rahal: La Vengeance du Cheikh. Il fallut attendre le vingtième siècle pour
que soit publié un roman en langue française. Le tout premier roman de ce mouvement
indigène fut écrit par le capitaine Mohammed Ben Si Ahmed Ben Cherif et est intitulé
Ahmed Ben Mostapha, goumier. Publié en 1920, il raconte l‘histoire d‘un militaire algérien,
Ahmed, qui, au fur et à mesure de ses rencontres et de ses aventures, est désabusé par un
procès d‘assimilation inefficace. En effet, le héros finira malade et seul en Europe, loin de sa
patrie. Ahmed Ben Mostapha, goumier n‘a pour ainsi dire pour seul intérêt littéraire les
dialogues renfermant des idéologies reflétant les mentalités de l‘époque, à l‘image des
romans de Randau. (Benammar). En effet, ce roman est bien plus politique que littéraire. A
part la langue extrêmement bien maîtrisée, l‘intrigue n‘a pas vraiment d‘intérêt et l‘action est
quasiment absente. Il reconnait, comme beaucoup d‘indigènes francisés de cette période, la
valeur de la mission civilisatrice mais tout en restant très réaliste. (Benammar).
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Le deuxième roman du genre à être publié est celui d‘Abdelkader Hadj Hamou, en
1925. Il a pour titre: Zohra la femme du mineur. Abdelkader Hadj Hamou est un bourgeois
algérien qui, malgré son attachement à la religion musulmane, loue l‘Algérie française.
Cependant, dans son roman, il relate l‘histoire de Miliani, un mineur marié à la jeune Zohra
et son contact avec la civilisation européenne qui le conduira à sa perte. Sous les traits d‘un
Italien, le colon est la perversion incarné. En effet, il boit, il méprise la religion et quitte sa
femme. Zohra, sa femme est le symbole des valeurs musulmanes, restant fidèle et supportant
son mari jusqu‘à sa mort.
Le troisième roman indigène en français s‘intitule Mamoun, l’ébauche d’un idéal
(1928). Son auteur, Chukri Khodja est un fonctionnaire de l‘administration coloniale qui
vante les vertus de la civilisation française. Cependant, comme les autres auteurs de
l‘époque, il ne manque pas de reprocher au civilisateur son penchant pour l‘alcool et les
femmes avec la descente aux enfers d‘un jeune assimilé, Mamoun, qui afin de retrouver le
droit chemin doit revenir vers les siens et l‘Islam. Khodja publie également El Eudj, captif
des barbaresques, un an plus tard. Dans cet ouvrage, il expose la barbarie de la soi-disant
mission civilisatrice de la France à ceci près qu‘il place l‘action chez les Espagnols afin de
ménager les susceptibilités. Néanmoins, dans les romans de Khodja, la critique n‘épargne
pas la religion musulmane. En effet, celui-ci dénonce la condition des femmes ainsi que
l‘enseignement coranique.
Mohammed Ould Cheikh lui, publiera Myriem dans les palmes en 1936. Avec
Myriem dans les palmes, il s‘inscrit bien dans le mouvement de la ― résistancedialogue‖(Archour) en ce qu‘il feint de prêter allégeance au système. Il faut également citer
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Ali El Hammami et son roman Idriss publié en 1948 et Rabah Zenati dont les romans ont
participé à la construction d‘une conscience intellectuelle indigène, qu‘ils critiquent le
système ou l‘encensent.
Les romans de cette période d‘accoutumance des auteurs autochtones à la littérature
de langue française se rejoignent sur plusieurs points qui constituent leur intérêt principal. Ils
sont extrêmement moralisateurs. (Déjeux 1975). En effet, les héros finissent souvent par
souffrir de leurs choix assimilationnistes. Le folklore traditionnel algérien est utilisé afin
d‘encenser le peuple indigène et de préserver son identité distincte. Cependant, cette critique
de l‘inégalité entre colons et autochtones musulmans ne constitue en aucun cas une remise
en question en profondeur du système colonial. Cette complaisance avec le système va peu
à peu laisser la place à la résistance nationaliste avec le renouveau du roman algérien et la
découverte d‘un style qui lui est propre.
L’École d’Alger
C‘est d‘ailleurs cette montée du nationalisme ainsi que certains changements sociaux
à l‘intérieur de la société algérienne que le courant algérianiste des colons commence à
décliner au profit d‘une nouvelle idéologie, plus globalisante et moins sectaire. Ce nouveau
mouvement, que la critique littéraire appellera plus tard l‘École d‘Alger, illustre une
évolution de la pensée, vers une plus grande humanité. Avec en tête Albert Camus,
Gabriel Audisio, René-Jean Clot, Marcel Moussy, Jean Pélégri, Emmanuel Roblès, Jules
Roy, Claude de Fréminville, Max-Pol Fouchet, André Rosfelder ou encore Jean-Pierre
Millecam, la nouvelle génération de Pied-noirs tente de faire oublier ses ancêtres décadents.
Ses écrivains y réussissent car contrairement à Bertrand et autre Randau, leur succès dépasse
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
l‘Algérie. Dans leurs romans, ils se battent contre le stéréotype du Pied-noir qui spolie les
indigènes et les exploite. Selon leur idéologie, il est utopique de croire que l‘assimilation à la
française est une réussite. Ils résistent à cette tentation de syncrétisme de leurs aînés. En
effet, il suffit de prendre l‘exemple de la ville d‘Alger, qui, même cent ans après la conquête,
est toujours très distinctement divisée entre le quartier européen et la Casbah, ou ville arabe.
Cependant, ces auteurs s‘inscrivent dans un cadre plus méditerranéen qu‘algérien car
contrairement aux algérianistes, ils se considèrent plus proches des Maghrébins. Habitant
l‘Algérie depuis des générations, considèrent ce pays comme leur terre mais une terre qu‘ils
partagent avec les arabo-musulmans.
A l‘image de Gabriel Audisio, le romancier et essayiste français, l‘École d‘Alger est
bien plus contemporaine et terre à terre que l‘idéologie de la suprématie de la race latine:
―Ah ! Qu‘on nous fasse grâce de la trop facile latinité! […] Je regarde bien ma race et je
trouve qu‘elle n‘en conserve pas grand-chose‖. Ils se font apôtres d‘une
multiculturalité: ―mon peuple a de multiples visages comme tout ce qui vit‖. (Audisio).
Dans ses romans, Jeunesse de la Méditerranée, Six proverbes du rivage, Trois hommes et
un minaret, il développe cette idéologie méditerranéenne.
Albert Camus, lui, est peut-être l‘artiste le plus célèbre de ce mouvement. Né à
Mondovi (Algérie), il est l‘auteur de plusieurs romans comme L’Étranger, La Peste qui ont
pour décor l‘Algérie. Il est également essayiste (Le Mythe de Sisyphe) et dramaturge
(Caligula, Le Malentendu). Cependant, son œuvre la plus importante est sans doute son
œuvre philosophique. En effet, il développe une idéologie existentialiste fondée sur la prise
de conscience par l‘homme que sa condition est absurde mais qu‘il peut néanmoins donner
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
un sens à sa vie et au monde autour de lui en se révoltant contre cette absurdité par l‘action.
Il reçoit le Prix Nobel de Littérature en 1944. Albert Camus est également profondément
attaché à l‘Algérie et à ses habitants, il milite pour les droits des musulmans. Incompris des
Algériens musulmans ainsi que des Pieds-noirs, il se réfugie en France.
Cette nouvelle sensibilité littéraire et humaine commence à se développer vers 1935
autour de ces écrivains mais aussi et surtout autour d‘Edmond Charlot, un libraire et éditeur,
résistant pendant la guerre 39-45 et intellectuellement très indépendant. Compagnon de la
première heure pour beaucoup d‘écrivains de cette mouvance comme Albert Camus, Gabriel
Audisio ou encore Emmanuel Roblès, il publie une grande partie de leurs œuvres dans
diverses collections. Il sera également acteur de la réussite de certains précurseurs de la
littérature algérienne autochtone en publiant notamment Le Fils du pauvre de Mouloud
Feraoun en 1950.
L’émergence du nationalisme
Toutefois, le débat colonial va mettre tous ces amoureux de l‘Algérie en opposition.
En effet, malgré l‘évolution de la pensée coloniale, les Pied-noirs restent des colons. Des
colons qui, de surcroît, n‘ont jamais connu la France qu‘ils ne considèrent pas comme leur
mère-patrie. Par conséquent, une grande majorité de ces écrivains est opposée à
l‘indépendance de l‘Algérie.
A partir de la fin la deuxième guerre mondiale et pendant les années cinquante, des
voix nationalistes commencent à s‘élever en Algérie et cela se traduit au niveau de la
création artistique. En effet, on assiste à une résurgence de la littérature de langue arabe en
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Algérie. Grâce au mouvement réformiste incarné par le Cheick Ibn Bâdîs et les intellectuels
qui le suivent comme les poètes Mohammed El Id El Khelifa et Tayeb El Oqbi ou des
historiens et des journalistes. Tous révolutionnaires, ils vont participer à la création d‘écoles
libres ou l‘enseignement de l‘arabe sera suppléé à celui du français. Ils créeront également
des associations théâtrales, sportives, culturelles ainsi que des centres d‘alphabétisation pour
adultes. Ils créent la première école pour filles à Constantine afin d‘éduquer la population et
lui inspirer l‘envie de se rebeller contre le joug français. La poésie en arabe se développe
ensuite, toujours au vingtième siècle, autour des thèmes de la politique et de la religion.
Parallèlement à la poésie, la presse arabe aide au développement d‘un autre genre, la
nouvelle. Grâce à certains journaux comme al-Basâ‘ir, des auteurs comme Reda Houdou et
Merzak Bagtache se font connaître et publient leurs œuvres. Tous ont un point en commun:
la libération du joug français. En effet, on retrouve dans beaucoup de nouvelles de l‘époque
les thèmes de la révolte ainsi que du retour aux traditions et le mode de vie arabo-musulmans
comme le travail, la campagne, la religion musulmane…7 Le théâtre en langue arabe a lui
aussi connu un développement important au vingtième siècle. Cependant, la langue utilisée
n‘est pas l‘arabe littéraire mais plutôt l‘arabe populaire. Au même titre que les meddâh
(conteurs) ou les gouwaline (diseurs), le théâtre contribue à la transmission du patrimoine en
dialectes arabes ou en français. Ces modes d‘expression populaires ont étés les vecteurs
d‘idées révolutionnaires pendant la guerre. Parmi les plus connus sont Yacine Kateb avec Le
Cercle des Représailles représenté en 1959, Assia Djebar et son Rouge l’aube dix ans plus
tard, Mouloud Mammeri en 1967 avec Le Foehn.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Révolution Littérature Algérienne autochtone
C‘est dans ce même contexte revendicatif que la véritable littérature algérienne
indigène de langue française voit le jour. L‘inexorabilité de l‘histoire fait que pour être
entendus, malgré le contexte, les Algériens devaient encore et toujours s‘exprimer en
français. La guerre d‘Algérie redonne un nouveau souffle à cette littérature algérienne. En
effet, à partir de la période d‘après-guerre, date où les premiers troubles ont secoué l‘Algérie,
la production littéraire connaît elle aussi sa propre révolution. Grâce à des auteurs de génie
comme Mouloud Feraoun, un instituteur kabyle qui publia des romans innovants comme Le
Fils du pauvre en 1950 ou encore la Terre et le Sang en 1953, mais aussi Mohammed Dib
avec La Grande maison en 1952 et L’Incendie en 1954 et Mouloud Mammeri, auteur de La
colline oubliée, l‘auteur algérien change sa manière d‘écrire. Du mimétisme de l‘entre-deux
guerres, il passe à une écriture plus personnelle en décrivant la société arabe d‘Algérie avec
un propos plus revendicatif. Mais c‘est véritablement avec la publication de Nedjma de
Kateb Yacine en 1955 que la révolution dans la littérature algérienne se profila. Nedjma
rompt de manière claire avec le style français notamment en termes de descriptions. La
littérature clairement engagée supplante alors les descriptions ethnographiques. Dans un
contexte de contestation politique, la littérature remet également en cause la domination
française: le roman algérien est né! Le chef-d‘œuvre de Kateb Yacine dénonce les
contradictions coloniales et notamment le discours humaniste et le système colonial dans un
style libéré des contraintes de la littérature de l‘occupant. Kateb Yacine, dont la conscience
nationaliste s‘est éveillée après le massacre de Sétif de 1945, va ouvrir la voie d‘une
littérature indépendante dont les représentants seront Mohammed Dib, Mouloud Feraoun,
Mouloud Mammeri, Malek Haddad et Assia Djebar. Leurs romans d‘une qualité littéraire
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
largement supérieure à leurs prédécesseurs vont faire connaître cette littérature au-delà des
frontières de l‘Algérie, comme l‘avait fait Camus.
Depuis l‘indépendance, l‘on aurait pu croire que cette littérature d‘expression
française aurait souffert de la ré-arabisation du pays. Loin de là, puisque cette littérature a
continué de remplir sa fonction contestataire en changeant cependant de cible principale.
Avec le démantèlement de l‘administration coloniale, ces auteurs ont commencé à contester
les gouvernements algériens qui se succédèrent au pouvoir. Certains romans sont devenus
des emblèmes de cette contestation politique comme par exemple Le Muezzin de Mourad
Bourboune, La Répudiation de Rachid Boudjedra, L’enfant de sable, la nuit sacrée de Tahar
Ben Jelloun8 ou encore A quoi rêvent les loups de Yasmina Khadra. La littérature féminine
se développe également dans ce contexte de modernité propice à une telle émergence avec
des auteures comme Assia Djebbar, Leila Sebbar et Nina Bouraoui.
De nos jours, la littérature algérienne a tout de même conservé son caractère
revendicatif. Cependant, une nouvelle forme s‘y est rattachée, celle de l‘immigration avec
des écrivains comme Medhi Charef, Farida Belghoul, Azouz Begag, Faïza Guène, Tassadit
Imache et Rachid Djaidani qui incarnent la deuxième et la troisième génération d‘immigrés
en France.
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Chapitre IV
Kateb Yacine, le traumatisme post-guerre d’Algérie
Pourquoi Kateb Yacine ?
Même si Nedjma a été publié deux ans après le début du conflit franco-algérien, son
écriture a commencé aux alentours de 1945. D'ailleurs, Kateb Yacine a vécu, avant la
rédaction de ce roman, la montée en puissance des revendications nationalistes jusqu‘à
l‘explosion le 8 mai 1945 et le massacre de Sétif lors des célébrations de la libération. Kateb,
tout comme son roman Nedjma, porte les blessures de ce conflit à venir. Il est sûr, comme
l‘avance Jacqueline Arnaud, que le roman ne trouve pas son référent dans la guerre
d‘Algérie. Cependant, l‗écriture de Nedjma a commencé à une époque où l‘Algérie a cessé
de rêver son indépendance mais a commencé à l‘envisager. Ce roman a donc une dimension
prophétique sur le conflit qui va suivre, ce qui lui confère une place légitime et centrale dans
cette analyse du traumatisme de la guerre d‘Algérie dans la littérature.
Biographie
Kateb Yacine est né en 1929 à Constantine, dans une famille berbère descendante du
peuple berbère des chaouis. Kateb, qui signifie écrivain en arabe, va apprendre le français et
l‘arabe. Il sera successivement inscrit à l‘école française, où il fut jeté selon ses dires, dans la
―gueule du loup‖ (Déjeux, Les structures de l’imaginaire dans l’œuvre de Kateb Yacine. 267-292)
et à l‘école coranique (Memmi). Encore lycéen, les évènements du 8 mai 1945 à Sétif vont
achever de le convaincre que les Algériens doivent s‘unir pour la cause nationale en raison,
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
entre autre, du déploiement de force sanguinaire leur l‘encontre et parce qu‘ils provoquent la
folie de sa mère. C‘est à partir de ces évènements que Kateb Yacine va devenir un écrivain
extrêmement politisé. Il est ensuite envoyé au lycée à Bône où il rencontre celle qui sera son
―étoile‖, son inspiration pour le personnage de Nedjma dans le roman éponyme, mais aussi
dans Le Polygone étoilé ainsi que dans de nombreux poèmes. Il s‘agit de sa cousine.
Malheureusement, celle-ci est déjà mariée. ―Là ce fut le deuxième choc, l‘amour. J‘ai
rencontré Nedjma. J‘ai vécu plus de huit mois avec elle. C‘était le bonheur absolu‖ (Kateb
1991,11).
Il crée également des relations avec le Parti du Peuple Algérien qui est à l‘époque le
plus grand parti nationaliste en Algérie. Puis, il écrira pour le quotidien Alger républicain
entre 1949 et 1950. Ses articles sont particulièrement controversés. Il s‘installera à Paris en
1952 et y rencontrera notamment l‘écrivain algérien Malek Haddad. En métropole, il
redécouvre son véritable peuple, les berbères, auquel il avait déjà été exposé étant petit.
Ce que je savais sur les kabyles, quand j‘étais petit c‘était plutôt péjoratif. Le
kabyle était presque un juif, c‘était un étranger, quelqu‘un pas comme nous […]
Pour moi ça a été une espèce de coup de foudre. J‘ai découvert mon vrai peuple.
J‘ai découvert la générosité, la beauté aussi. Tout ce que nous sommes (Yacine).
Kateb Yacine va au-delà des préconçus sur le peuple berbère avec lesquels il a grandi pour
les transcender et en faire une valeur universelle libératrice du peuple arabe.
En 1954, il publie Le Cadavre Encerclé dans la revue Esprit mais celui-ci est interdit
en France à cause de son caractère dénonciateur. Deux ans plus tard, il publie Nedjma, son
chef-d‘œuvre qui, en révolutionnant les codes du roman, sera à l‘origine de la naissance du
véritable roman algérien. Suivra Le Polygone Étoilé, une sorte de suite à Nedjma, en 1966.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Pendant la guerre franco-algérienne, Kateb vivra une errance mouvementée en Europe
et dans les pays de l‘Est, notamment à cause des services secrets français qui vont
inlassablement le poursuivre. Dans les années soixante, il donne des représentations de La
Femme Sauvage, Les Ancêtres redoublent de férocité et de La Poudre d’Intelligence à Paris
et à Alger. Mais ce n‘est que dans les années soixante-dix qu‘il revient s‘installer en Algérie.
Il obtient le concours du Ministère du Travail afin de créer une troupe de théâtre itinérante
qui parcourait l‘Algérie et faisait des représentations en arabe dialectal, afin d‘être au plus
près des vrais Algériens. Pour cette troupe, il écrira plusieurs pièces comme Mohammed,
Prends ta valise (1971), La Voix des femmes (1972), La Guerre de deux mille ans (1974), Le
Roi de L’Ouest (1975) et enfin Palestine Trahie (1977). C‘est alors que Kateb Yacine
devient persona non grata à la télévision et à la radio algérienne en raison de ses positions
politiques et religieuses progressistes. Il se réinstalle en France dans les années quatre-vingt.
Il y mourra en 1989. En 2003, son œuvre théâtrale sera inscrite au répertoire de la Comédie
Française.
Kateb Yacine est avant tout un écrivain déchiré. Ce sont les évènements traumatisants
qu‘il va subir successivement, tout d‘abord le massacre de ses compatriotes et la folie de sa
mère lors des évènements de Sétif ainsi que la rencontre avec Nedjma, son amour
impossible, qui vont réveiller son génie littéraire caractérisé par la douleur et le déchirement
du passé colonial de l‘Algérie.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Nedjma, le roman
Kateb Yacine est donc un écrivain hors du commun dont le roman, également hors
du commun, a permis à la littérature algérienne autochtone de s‘émanciper et de s‘affranchir
des codes et des définitions étrangères qui l‘aliénaient. Il ne va pas écrire son roman dans les
règles afin de contenter le public de la métropole. Il n‘a pas peur de bousculer les
convenances et de faire fi des règles d‘écriture à la française héritées de la colonisation.
D‘ailleurs, une des critiques les plus récurrentes faites à son roman par le public
métropolitain est la complexité. Dans sa vision suprématiste et dogmatiste, le public
métropolitain ne conçoit pas qu‘une œuvre ― indigène‖ soit complexe, la complexité étant
réservée aux écrivains expérimentés qui connaissent la langue et qui ont quelque chose à dire
qui les intéresse. C‘est de cela que témoigne ce commentaire adressé par un lecteur français
à Kateb Yacine : ―Kateb se souviendra de la réflexion d'un lecteur : ― C'est trop compliqué,
ça. En Algérie vous avez de si jolis moutons, pourquoi vous ne parlez pas de moutons ?‖9
Cette remarque traduit le sentiment de supériorité qui fut toujours présent chez les
métropolitains. C‘est cette attitude qui a contribué à gangréner les relations francoalgériennes. C‘est également à cause de cela que le roman algérien a eu du mal à trouver sa
place dans le paysage littéraire francophone très traditionnaliste et sectaire. Pourtant, Nedjma
est un roman qui mérite de voir ses repères bousculés et s‘aventurer dans un paysage
littéraire inconnu.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Résumé
Nedjma raconte l‘histoire de quatre jeunes algériens, Lakhdar, Rachid, Mourad et
Mustapha dans l‘Algérie française pendant la période qui précède la Deuxième Guerre
mondiale. Ces quatre amis sont des manœuvres sur des chantiers qui vivent dans un univers
de misère, de violence et de frustrations. Ils sont tous amoureux de la belle et mystérieuse,
Nedjma, la fille d‘un Algérien et d‘une Française. Si la mère de Nedjma est clairement
identifiée dans le roman, son père, lui, ne l‘est pas. Plusieurs Algériens qui auraient étés les
amants de cette femme française se dispute la paternité. Parmi eux, Si Mokhtar que Rachid
accompagnera dans un pèlerinage raté à la Mecque jusqu‘à ce qu‘il découvre que celui-ci
pourrait bien avoir tué son propre père alors son rival dans le cœur de la Française. C‘est
également avec Si Mokhtar qu‘il décide d‘enlever Nedjma afin de la soustraire à sa vie
malheureuse et son mariage forcé. Dans leur fuite qui les amène au Nadhor, le berceau de la
civilisation algérienne, ils rencontrent les descendants d‘une tribu algérienne, les Keblouts.
Le récit prend alors une dimension mythique et identitaire. Nedjma est enlevée par un
―Nègre‖ fanatique qui entend la protéger avec ou sans son consentement. Le récit fini par
une boucle car il renvoi le lecteur à un évènement qui a déjà eu lieu dans le récit. Cela est
peut-être symbolique du combat katébien qui cherche les réponses de la quête identitaire
dans le retour en arrière, vers le passé, les origines tribales.
Nedjma, un roman résolument moderne
La modernité de Nedjma fait peur car l‘auteur malmène tous les concepts littéraires
établis par le modèle romanesque français des 19e et 20e siècles. (Bonn 1989 273-279).
Effectivement, Nedjma est unique par la forme, le genre et le style. Selon Charles Bonn dans
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
son étude du roman, les descriptions dans Nedjma sont très rares, ce qui pour le coup est
nettement différent des auteurs classiques français comme Balzac ou Flaubert, mais
également des compatriotes de Kateb, Feraoun et Mammeri. Ici l‘auteur se concentre sur
l‘expression des sentiments et des questions profondes que se pose le peuple algérien.
L‘étude ethnographique l‘intéresse peu. Le lecteur est également déconcerté par le nonrespect de la chronologie. Les récits sont multiples et enchevêtrés à l‘image d‘un souvenir
que l‘on raconte et comme le dit l‘auteur lui-même, ― la mémoire n‘a pas de succession
chronologique‖ (Déjeux 1975). C‘est une écriture presque spasmique selon Beida Chikhi
(Chikhi 16). La répétition de certains évènements, de certains passages permet d‘insister et
de renforcer le message. La polyphonie offre également une plus grande variété de points de
vue, contrairement à la tradition romanesque française. C‘est exactement l‘effet produit
avec, par exemple, la répétition du passage où ces compagnons d‘infortune se séparent, une
première fois au début du roman (Kateb 1986, 33) et à la fin du roman: ― Les deux ombres se
dispersent sur la route‖ (Kateb1986, 256). Il s‘agit en fait d‘un cercle perpétuel. Lakhdar et ses
amis n‘avancent pas, c‘est une illusion. ― L‘absence d‘itinéraire abolit la notion de temps‖
(Kateb1986, 33).
Le genre du roman est également assez libre. En effet, Kateb Yacine se laisse parfois
aller la méditation poétique à l‘intérieur même du récit. Cela donne au roman, tout comme
au personnage de Nedjma une dimension mystique et évanescente. En effet, Nedjma, qui
signifie étoile en arabe, est sensuelle, lointaine mais proche à la fois, elle est insaisissable.
Tout comme la poésie. L‘un des plus beaux exemples est la scène du bain.
Baigne-toi, Nedjma, je te promets de ne pas céder à la tristesse quand ton charme
sera dissous, car il n‘est point d‘attributs de ta beauté qui ne m‘aient rendu l‘eau
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
cent fois plus chère ; ce n‘est pas la fantaisie qui me fait éprouver cette immense
affection pour un chaudron (Kateb1986, 139).
Cette scène crée définitivement le mythe de Nedjma en tant que personnage à la fois
fantasmagorique et réel. Rachid notamment la voit comme ― un astre impossible à piller dans
sa fulgurante lumière‖ (Kateb1986, 138). Nedjma est un mythe car elle dépasse les frontières
du roman à proprement parler, on la retrouve dans des poèmes, dans le Polygone Étoilé, dans
les Ancêtres redoublent de férocité… Mais Nedjma transcende également son personnage de
femme mariée convoitée par plusieurs personnages, elle est le symbole d‘une Algérie
mythique à la recherche de ses racines. La création du mythe de Nedjma, mère de l‘Algérie a
une fonction performatrice. En effet, selon Charles Bonn, le fait de raconter l‘histoire de la
patrie algérienne, de l‘écrire participe à cette renaissance (Bonn 1989) à l‘image de la pensée
lévistraussienne qui veut qu‘un peuple sans écriture n‘ait pas d‘histoire. En l‘écrivant, Kateb
rend son histoire au peuple algérien. Dans la préface sur l‘actualité de Kateb Yacine, Charles
Bonn parle du mythe. Selon lui, ― le mythe est probablement une des dimensions majeures
de l‘œuvre katébienne‖. En effet, grâce à son traitement des thèmes, des personnages et de la
forme, l‘auteur développe des mythes identitaires nationaux, notamment à travers cette
histoire qu‘il rend aux Algériens.
Kateb et Jean-Jacques Rousseau: l’ardeur de la jeunesse.
Kateb se caractérise aussi par sa précocité. Il a écrit son premier chef d‘œuvre,
Nedjma, alors qu‘il n‘a qu‘une vingtaine d‘années. C‘est grâce à cette fougue et cette révolte
qui caractérisent la jeunesse qu‘il se fera une place dans le paysage littéraire francophone.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Dans cette perspective, il est souvent comparé à Arthur Rimbaud. Le jeune poète français a
également écrit ses plus beaux chefs-d‘œuvres comme Le Bateau Ivre et le Dormeur du Val
pendant ses jeunes années. Ce lyrisme emporté fait de leurs œuvres imparfaites des
témoignages d‘une beauté époustouflante car spontanées (Déjeux 1975) et éruptives (Bonn
1989). En voici pour preuve un extrait de poème publié dans le recueil Soliloques alors que
Kateb n‘a que dix-sept ans :
Mais les morts sont les plus à plaindre,
Ceux que mon cœur veut consoler,
Ce sont les pauvres d‘un pays de soleil,
Ce sont les champions d‘une cause étrangère,
Ceux qui sont morts pour les autres,
ET POUR RIEN ! (Kateb 1991, 22).
Ses poèmes respirent la rébellion à l‘image du poème de Rimbaud Le Dormeur du Val qui
dénoncent le mal de leur temps. Dans cet extrait, Kateb exprime sa rage contre la France qui
a utilisé les algériens comme main-d‘œuvre lors de la deuxième guerre mondiale et Rimbaud
dénonce la guerre franco-prussienne de la fin du dix-neuvième siècle.
Nedjma a ouvert la voix à ce que l‘on appelle le roman algérien. Il fut l‘inspiration de
beaucoup de ses contemporains ainsi que des générations qui suivirent que ce soit sur le plan
thématique ou technique dans la littérature maghrébine (Arnaud 1962).
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Nedjma, a totalement bouleversé l‘écriture maghrébine. Il y a un avant et un
après Nedjma. Que l‘on s‘y réfère ou pas, après Nedjma on ne pouvait plus écrire
sans tenir compte de ce poème fulgurant, même si on ne le connaissait pas
vraiment. Beaucoup n‘ont pas obligatoirement lu Nedjma, c‘est sans importance,
le livre est là malgré tout. C‘est comme ça. L‘évidence du mythe est qu‘il
travaille tout un chacun, consciemment ou inconsciemment (Tengour).
Ce jugement de Charles Bonn n‘est pas unique car dès la sortie de Nedjma, il fut encensé par
la critique et reconnu non seulement comme un chef d‘œuvre et également comme une
révolution.
Selon Charles Bonn, en se démarquant ainsi de ce que Kateb Yacine appelait ― une
production pour analphabètes‖, l‘écrivain a donné au roman algérien une identité particulière
qui réside principalement dans la recherche du non conformisme par rapport au modèle
français (Bonn).
Ma lecture
J‘ai moi-même été éblouie par la lecture du roman de Kateb Yacine. Nedjma n‘a
décidément pas volé son statut de pièce maîtresse de la littérature algérienne. Au début, il
faut avouer que Kateb Yacine perturbe un peu le lecteur avec la multiplicité de ses narrateurs
et leur reprise d‘un récit déjà énoncé. C‘est alors que l‘on s‘aperçoit de la richesse de cette
nouvelle perspective à l‘œuvre. Nedjma, c‘est un savant mélange de réalisme cru et de
fantasmagorie poétique:
Les charmes de Nedjma, filtrés dans la solitude, l‘avaient elle-même ligotée,
réduite à la contemplation de sa beauté captive, au scepticisme et à la cruauté
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
devant la morne adulation de ses gardiens, n‘ayant que ses jeux taciturnes, son
goût de l‘ombre et des rêves jaloux, batracienne pleine de cris nocturnes,
disparue au premier rayon de chaleur, grenouille au bord de l‘équation, principe
d‘électricité fait pour allumer tous les maux, après avoir brillé, crié, sauté à la
face du monde et affolé la mâle armée que la femme suit comme une ombre qu‘il
suffirait de franchir pour atteindre au zénith, loin du sosie prolifique dont
l‘homme n‘attend le produit qu‘après avoir dépouillé sa vigueur engloutie dans
une expérience sans fin […] (Kateb 1986, 185-186).
Ce nouveau style amène un vent de fraîcheur et d‘originalité dans cette littérature régionale
pour en faire une littérature unique et violente qui fait ressurgir la souffrance d‘un peuple
maltraité.
Nedjma est l‘héroïne éponyme mais elle n‘est pas le personnage principal. Pourtant,
elle est l‘objet de la convoitise des quatre personnages principaux : Lakhdar, Mustapha,
Mourad et Rachid mais aussi de leurs ancêtres : Si Mokhtar, Sidi Ahmed. Les plus jeunes en
sont amoureux malgré leurs possibles liens familiaux et les plus vieux s‘en disputent la
paternité. C‘est là le nœud de l‘histoire. Tous les personnages sont liés entre eux. C‘est dans
une Algérie d‘après-guerre (mondiale) que l‘on rencontre les personnages principaux, alors
manœuvres à Bône. Sur fond d‘injustice, de discrimination et de colonisation, le lecteur est
le témoin privilégié d‘un court moment de la vie tragique des personnages. A part l‘amitié,
ce qui les lie entre eux, c‘est l‘amour qu‘ils portent à Nedjma. Nedjma, fille d‘une française
et d‘un père inconnu, est incandescente et sensuelle. Nedjma est un symbole. Le symbole de
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
l‘Algérie. En effet, à l‘image du pays, elle est un objet de convoitise dont l‘âme est
insaisissable.
La femme impossible (Nedjma), au fur et à mesure que je travaillais, s‘identifie à
l‘Algérie et se précise en tant que symbole. Et c‘est là qu‘il faut comprendre le sens
du symbole. Le symbole dans ce qu‘il a de profond, n‘est jamais voulu. C‘est une
chose qui se structure à partir d‘une vérité, à partir d‘un noyau, et qui plus elle
signifie, plus elle donne lieu à des interprétations diverses. Au fond, un symbole est
de plus en plus riche en signification, chaque fois qu‘on l‘examine d‘un côté ou de
l‘autre, le symbole jette des éclairs de significations. Par exemple, dans les origines
de Nedjma, il y a des résurgences (...) qui font penser au passé de l‘Algérie
(Boussaha 261-271).
Nedjma est mariée de force à Kamel, puis, elle est enlevée par celui qui prétend être
son père et enfin par un nègre fanatique. On peut y voir ici les diverses périodes qu‘a connu
et que va connaître l‘Algérie. D‘abord, la conquête française et la colonisation vue par
l‘auteur comme un mariage forcé où Nedjma est ― ligotée‖, puis l‘indépendance avec
l‘enlèvement par Si Mokhtar qui va en quelque sorte lui rendre sa liberté de manière factice
avant qu‘elle ne soit rattrapée par les fanatiques religieux représentés par le nègre. A l‘image
de l‘Algérie, Nedjma a des origines multiples et confuses. Progressivement, Kateb Yacine
règle ses comptes avec la colonisation et prévoit un futur tout aussi sombre pour la belle
Nedjma/Algérie. En effet, Lella Fatma, la mère adoptive de Nedjma est comparée à une
mégère stérile. La France est la mère adoptive de l‘Algérie. Tout comme Lella Fatma, elle a
imposée ses décisions par la force, tout en lui vouant un amour sans limites : ―comme si les
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
flatteries de Lella Fatma et les faiblesses de son époux avaient fait de la fillette un objet
quasi religieux, lavé de ses enfantines noirceurs, poli, incrusté, encensé sans nulle crainte de
l‘altérer‖ (Kateb 1986,185).
Il en va de même avec tous ses ―gardiens‖ qui lui valent ―une morne adulation‖, une
―adoration‖. Lella Fatma est stérile dans le sens où elle ne peut avoir d‘enfants. La France,
elle, a semé la discorde et allumé les braises de la guerre civile, puis est partie. De la même
manière, le père adoptif de Nedjma, le mari de Lella Fatma est comparé à un ―dévot
eunuque‖. Le père de Nedjma, c‘est la civilisation arabo-musulmane. Elle développera en
Nedjma/l‘Algérie, la dévotion musulmane mais n‘engendrera pas le progrès, comme
l‘eunuque qu‘il est, car incapable de donner la vie. La France et la civilisation arabomusulmane sont donc pareillement stériles. Puis, on parle de la véritable mère de Nedjma,
une française. Cette mère est mystérieuse, l‘on ne s‘y réfère qu‘avec sa nationalité, l‘on ne
sait pas qui elle est vraiment et ce qu‘elle est devenue.
Nedjma l‘Andalouse, la fille de la Française qui avait opposé entre eux quatre
soupirants, dont trois de la même tribu, les trois descendants de Keblout, car
c‘était la mère de Nedjma, la Française, c‘était elle qui avait fait exploser la tribu,
en séduisant les trois mâles dont aucun n‘était digne de survivre à la perte du
Nadhor (Kateb 1986,178).
Nedjma, tout comme ses origines, et ses parents algériens et français sont troubles et c‘est de
là que provient son côté mythique.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Cependant, on lui confère une certaine candeur avec, par exemple, la ― naïveté
maternelle‖ qui l‘a poussé à commettre des erreurs ―involontaires‖ ou ―par amour‖ qui vont
conduire l‘Algérie/ Nedjma à la liberté mais également à sa chute. En effet, ― la mère
ingénue éduque par ses erreurs; nos destinées ne peuvent que choir avec des feuilles libres‖.
Nedjma est une ―solitude de beauté, stérile et fatale‖ qui s‘apprête à tomber car elle est à
peine soutenue par ―des tuteurs invisibles‖. Ces ―tuteurs invisibles‖ sont les tribus de son
passé. Avant, les Arabes et les Français, l‘Algérie était composée de tribus. L‘une d‘elle, les
Keblout, est représentée par les quatre amis qui découvrent qu‘ils font partie des quatre
branches de la tribu séparées par le destin. Ils sont le passé et le futur de Nedjma/ l‘Algérie.
La véritable Algérie, selon Kateb Yacine, c‘est l‘Algérie des traditions et des tribus. Ces
quatre jeunes amants sont les ―bâtisseurs rivaux‖ de l‘Algérie indépendante. Ses ― amants
d‘hier et d‘aujourd‘hui‖, l‘ont blessée et lui ont fait perdre sa grandeur et son innocence
d‘antan, ―ce passé fastueux‖. Kateb Yacine souligne cependant le passé français avec
l‘insistance ―surtout d‘hier‖.
Le nègre qui convoite Nedjma, l‘enlève à son père, son passé et à son avenir, représenté
par Rachid. La conduite du nègre est dictée par un grand fanatisme religieux. Il soustrait
Nedjma l‘Algérienne à cette liberté nouvellement retrouvée. Le nègre représente également
le combat de Kateb Yacine contre la religion car il est le symbole de la religion musulmane
qui aliène aussi le peuple : ―[e]lle est voilée de noir. Un nègre l‘accompagne, son gardien
semble-t-il […]‖ (Kateb 1986,183). ―Entre le père abattu et le nègre qui l‘avait vengé, mais
gardait Nedjma en otage‖ (Kateb 1986,190).
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Ce sont ces quatre amis, constituant l‘avenir de l‘Algérie par leur jeunesse et leurs
illustres ancêtres, qui sur fond d‘histoires personnelles, nous livrent un portrait de l‘Algérie
opprimée. A travers l‘histoire de Mustapha, à l‘école, celle de Lakhdar et de son grand-père
adoptif, Rachid, sa désertion de l‘armée et son errance avec l‘assassin de son père puis de
Mourad et de la prison pour avoir défendu une Algérienne et tué son agresseur, on découvre
la grande misère identitaire d‘un peuple aux racines floues et qui se cherche.
Le combat de Kateb Yacine à travers le roman
C‘est justement là que réside toute la substance du combat de Kateb Yacine. Kateb
Yacine n‘est pas seulement un écrivain. C‘est un écrivain engagé. Engagé pour une cause,
pour son pays l‘Algérie. On le voit bien dans Nedjma, c‘est un provocateur, un écrivain
symbole selon Charles Bonn. Il n‘a pas peur de dire des vérités qui fâchent même ses
compatriotes comme en témoigne la petite analepse à la fin de Nedjma qui montre Lakhdar
et son grand-père. Le colonisé est alors comparé à un âne de manière symbolique. En quête
de l‘identité de son peuple, il bouscule les pseudos vérités pour essayer d‘ouvrir les yeux
d‘un peuple dont l‘identité a été quelque peu égarée après des siècles d‘invasion. Il se place
en opposition sur le plan littéraire et politique mais aussi religieux, ethnique et linguistique.
Le combat de Kateb Yacine est perceptible à travers son roman Nedjma. Kateb Yacine va, à
travers toutes ses œuvres, se placer en opposition à la tradition littéraire. Tout d‘abord, il va
s‘opposer à la littérature algérienne de ses compatriotes comme Chukri Khodja, Abdelkader
Hadj-Hamou mais aussi Mouloud Mammeri et Mohammed Dib, par exemple. En effet, en ce
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
qui concerne les contemporains de Kateb, malgré la qualité indéniable de leurs romans, ils
s‘inscrivaient toujours dans ce rapport dominant/dominé avec la France. Kateb Yacine va
également s‘inscrire en porte à faux par rapport à la littérature coloniale. En effet, après le
courant algérianiste et celui de l‘école d‘Alger, l‘appellation ―littérature algérienne‖ était
trop souvent utilisée pour désigner la littérature des colons. L‘auteur va s‘indigner contre
cette pratique et imposer un nouveau genre qui sera propre aux auteurs algériens. Kateb
Yacine va également faire de Nedjma un roman politico-historique. En effet, il a, grâce à ce
texte, exposé ses combats contre la colonisation française à travers les références historiques
ainsi que son exposition des méfaits du système sur la population. Cependant, la France n‘est
pas la seule cible de l‘écrivain. En effet, celui-ci dénonce aussi la civilisation arabomusulmane et le fanatisme religieux que celle-ci à amenée, à travers le personnage du nègre.
Toutes deux ont, selon Kateb Yacine, contribué à la perte d‘identité du peuple algérien.
C‘est dans cette optique que Kateb tente de présenter sa conception. Il propose ce
qu‘il considère être la véritable identité du peuple algérien avant les colonisations
successives, c‘est-à-dire, les tribus. C‘est également là que commencera son combat
linguistique afin de se rapprocher du véritable peuple algérien.
En effet, Kateb Yacine s‘inscrit dans une perspective postcoloniale en tant
qu‘Algérien qui combat l‘épistème colonial qui fut injecté de force dans l‘épistème algérien.
Il redonne la parole au peuple marginalisé sous le système colonial en abordant les
problèmes d‘identité, de race et d‘altérité. Avec Nedjma, Kateb Yacine s‘inscrit dans ce
qu‘Homi Bhabha appelle le ―Tiers-Espace‖. L‘auteur est hybride, influencé à la fois par la
civilisation française et par la civilisation arabo-musulmane. Cette analyse postcoloniale est
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
perceptible dans le combat katébien entre rejet et acceptation de l‘héritage colonial
notamment au niveau de la langue et l‘écriture.
Opposition à la tradition littéraire
Tradition littéraire coloniale
Tout d‘abord, Kateb Yacine s‘oppose à la tradition littéraire de ses compatriotes
algériens. Il s‘oppose dans un premier temps à la tradition des années vingt. A cette époque,
les auteurs d‘une littérature algérienne à peine naissante devaient se faire parrainer par un
auteur français grâce au système des préfaces. Ils devaient aussi faire l‘éloge du système
colonial. C‘est ce que l‘on voit avec Chukri Khodja ou encore Abdelkader Hadj-Hamou, des
auteurs algériens sous tutelle coloniale. Environ vingt ans plus tard, les auteurs algériens
combattaient enfin le système colonial. Ils abandonnent l‘écriture indigéniste de leurs
prédécesseurs pour des textes aux revendications clairement exposées. En effet, leurs romans
répondaient à la demande des militants français pro-indépendance algérienne. Pour cela, ils
produisaient des romans qui étaient en fait des études sociologiques et ethniques de la
population algérienne. Le but de ces essais était, entre autre, de s‘opposer aux mythes de la
colonisation qui montrent le colonisé comme un enfant reconnaissant ou comme une bête
sauvage. A travers les descriptions notamment, ces auteurs montrent que les vrais Algériens
sont les paysans méprisés et volés par les colons. Ils se font les narrateurs d‘une réalité
sociale et culturelle au service des Français. On retrouve notamment dans ces romans des
éléments du folklore algérien et des traditions, surtout chez Mouloud Mammeri et Mouloud
Feraoun. C‘est à travers de longues descriptions que ce folklorisme apparaît. Le problème de
ces auteurs est qu‘ils limitent la réflexion de la quête identitaire des Algériens en montrant ce
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
qu‘ils sont à l‘extérieur. Leur propos, bien que revendicatif, n‘est pas à la mesure de la lutte
katébienne. Sans pour autant dénoncer ses contemporains, qui œuvrent également pour la
reconnaissance du peuple algérien et qui donneront à la littérature algérienne quelques-uns
de ses chefs-d‘œuvres, Kateb Yacine va plus loin dans la démarche nationaliste en proposant
une approche complètement différente de la présentation de la véritable Algérie par son
peuple. En effet, au lieu faire une étude ethnologique du peuple algérien, il va dévoiler son
âme. Un des moyens d‘éviter ce genre d‘étude est la rareté des descriptions et la
concentration sur les sentiments et les réflexions des personnages comme il le fait dans
Nedjma. C‘est ce dont discute Assia Kacedali dans son article intitulé ―Le
Redimensionnement de l‘espace de Camus à Kateb‖. Selon elle, l‘œuvre de Kateb Yacine se
distingue des autres car elle ne fait pas de régionalisme. Kateb Yacine, ainsi que les autres
romanciers algériens, chacun à leur manière, opposent des descriptions fidèles de la vie et
des souffrances quotidiennes des Algériens aux représentations qu‘ont faites les colons. Ils
redonnent à l‘Algérie et aux Algériens une légitimité que les Français et la colonisation leur
ont déniée. Kateb, lui, va plus loin dans le sens où il reproche aux Algériens de conserver ce
complexe d‘infériorité par rapport aux Français, ce qui transparait dans l‘écriture. Pour lui,
se démarquer du joug français passe également par la prise de risque en littérature afin de se
démarquer des colonisateurs du pays et de l‘écriture.
Qu’est ce que la littérature coloniale ?
Dès le début du vingtième siècle, l‘adjectif ―algérien‖ ne s‘appliquait pas du tout aux
véritables Algériens mais plutôt aux colons français. Les vrais Algériens étaient appelés
―indigenes‖. Une grande partie du combat katébien d‘avant la guerre d‘indépendance
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
consistait en grande partie à rétablir la vérité sur cette définition qui entraîne un certain
nombre de compromis. Par exemple, les auteurs du courant dit ―algérianiste‖ comme Louis
Bertrand et Robert Rondau dénigraient l‘Algérie et son peuple dans des romans empreints de
racisme et de paternalisme condescendant. C‘est en partie à cause de leur littérature que
beaucoup de stéréotypes coloniaux perdurent. Contrairement aux berbères, les Arabes en
général sont vus comme paresseux, menteurs et vicieux. D‘autre part, certains observateurs
paternalistes ont une vision plus utopiste de l‘indigène maghrébin, celle d‘un enfant
reconnaissant et docile (Savarèse). Il y a également eu le courant de l‘École d‘Alger. Cette
nouvelle génération de colons a essayé de se démarquer en reniant ses ancêtres, leur racisme
et leurs considérations d‘un autre temps en proposant des idéologies plus méditerranéennes
et humanistes. Mais, selon Kateb Yacine, ces auteurs ont de plus grands torts que leurs
prédécesseurs dans le sens où ceux-ci ont complètement rejeté les indigènes dans l‘ombre.
Ils les ont ignorés en prétendant que l‘Algérie n‘était que la côte, les villes européennes, le
soleil et les colons. Le résultat de ces mentalités est des représentations erronées d‘un monde
feutré et irréel. Leurs prédécesseurs, certes extrêmement ségrégationnistes, ne feignaient pas
de l‘ignorer ou d‘ignorer l‘objet de leur xénophobie. La littérature de ces hommes ne peut
donc être considérée comme algérienne. Elle est française et coloniale. L‘histoire donnera
raison à Kateb. En effet, aujourd‘hui Albert Camus est considéré comme un auteur français,
né en Algérie et ses contemporains algériens sont considérés comme des auteurs algériens
d‘expression française.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Exemple Analyse d’Albert Camus
Dans cette optique, la cible privilégiée de Kateb Yacine est Albert Camus. Sans remettre
en question la qualité de son travail, Kateb dénonce l‘attitude de Camus, le colon. Il est
l‘exemple parfait de cette idéologie coloniale nouvelle qui consiste à faire comme si les
autochtones n‘existaient pas. En effet, dans toutes ses œuvres dites algériennes, comprenant
notamment L’Étranger et La Peste. Albert Camus ne fait pratiquement pas référence au
peuple algérien bien que l‘action se passe en Algérie. Dans L’Étranger, par exemple, le
héros Meursault tue un Arabe venu intimider son ami Raymond parce qu‘il avait frappé sa
sœur, une prostituée. Ceci constitue la seule référence à des autochtones d‘un roman dont
l‘action se passe à Alger. En ce qui concerne La Peste, le roman qu‘il a publié en 1947,
l‘histoire se passe à Oran mais exclusivement dans le quartier européen et tous les
personnages sont des colons français comme le Docteur Rieux ou encore Mr. Michel. Les
Algériens sont complètement absents du champ de vision colonial. En effet, le monde des
colons français et celui des indigènes musulmans semblent être des mondes parallèles vivant
dans un même espace, l‘Algérie. Ils ne se rencontrent pas ou très peu. C‘est cela la base du
système colonial français en Algérie, la séparation. De plus, un grand nombre de colons ne
s‘intéressaient ni à la culture ni à la langue arabe. C‘est précisément cela qui va attirer les
foudres de Kateb Yacine. En effet, selon lui, les colons, et surtout Albert Camus, exposent
une représentation partielle de l‘Algérie qu‘il appelle ―l‘Algérie des plages‖10, une
représentation idyllique de la colonie et de ses villes européennes. Cette position contribue à
faire passer le problème de la colonisation de l‘Algérie pour le problème d‘une minorité
invisible. De plus, pour Kateb Yacine, Albert Camus n‘est pas vraiment un patriote algérien.
C‘est une de ses interventions sur les troubles en Algérie qui va prouver le point de Kateb.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
En effet, il déclara un jour à un étudiant : ―Entre la justice et ma mère, je choisis ma mère‖.
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Ceci est inacceptable pour Kateb. En effet, selon lui, tout véritable Algérien considère la
patrie, l‘Algérie, comme sa mère et la justice est au nom de cette patrie. ―L‘amour d‘une
mère c‘est au fond l‘amour du pays‖(Déjeux). Par conséquent, Camus n‘est pas un véritable
Algérien impliqué dans une cause pour sa patrie.12
D‘ailleurs, c‘est justement contre cette conscience collective algérienne que se battent les
colons, le danger étant qu‘un groupe d‘érudits redécouvre l‘histoire algérienne. Les colons
nient cette histoire de l‘Algérie afin de ne pas remettre en question le bien fondé du système
colonial. Albert Camus en tête, les colons refusent les revendications historiques du peuple
algérien en niant le passé de la nation : ― Il n‘y a jamais eu encore de nation algérienne‖
(Camus 1956). Le problème avec cette histoire algérienne est qu‘elle pourrait engendrer une
conscience nationale extrêmement puissante. En effet, les institutions coloniales ont toujours
œuvré pour faire penser aux autochtones qu‘ils étaient des barbares avant l‘arrivée de la
France. C‘est donc pour cette raison que ceux-ci ont besoin de la France qui, grâce à sa
mission civilisatrice a réussi à faire d‘eux des hommes. En effet, même dans leurs positions
les plus humanistes, les colons et Camus en tête, limitent toujours leur réflexion au problème
de la colonisation en prenant bien soin de la justifier.
Quand l‘opprimé prend les armes au nom de la justice, il fait un pas sur la terre
de l‘injustice. (…) Quoi qu‘on pense de la civilisation technique, elle seule,
malgré ses infirmités, peut donner une vie décente aux pays sous-développés. Et
ce n‘est pas par l‘Orient que l‘Orient se sauvera physiquement, mais par
l‘Occident qui lui-même trouvera alors nourriture dans la civilisation de l‘Orient
(Camus 1955, 1956).
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Albert Camus se bat contre l‘injustice et est définitivement un humaniste. Cependant, il ne
considère jamais l‘illégitimité de la colonisation car il pense à l‘intérieur du système et par
conséquent, il voit les Algériens comme des colonisés.
Comparaison avec l’auteur américain William Faulkner
Afin d‘illustrer son propos, Kateb Yacine compare souvent Albert Camus à l‘écrivain
William Faulkner. C‘est un auteur qu‘il connaît bien et qui a particulièrement influencé
l‘écriture katébienne notamment, sur le plan de la forme.
William Faulkner est un écrivain américain majeur du vingtième siècle. Tout comme
Albert Camus, il a reçu le prix Nobel de Littérature. Il est avec Mark Twain, Truman Capote
et Tennessee Williams l‘un des écrivains sudistes les plus célèbres. A travers des romans
majestueux comme Lumière d’Aout, Le Bruit et La Fureur, Tandis que j’agonise, ou encore
Absalon, Absalon !, l‘on voit que l‘histoire du sud des États Unis influença grandement son
travail et qu‘il apporta sa compréhension du clivage racial et social entre les blancs et les
noirs. Selon Kateb Yacine, William Faulkner est un écrivain de génie, tout comme Albert
Camus. Il est également raciste. Cependant, contrairement à l‘auteur français, Faulkner ne
prétend pas que les noirs n‘existent pas. Il vit au milieu des noirs et il les représente dans ses
romans. Il les inclut dans ses récits dans un souci de représentation authentique du monde
dans lequel il vit.
Il ne se contente pas de décrire le monde des blancs alors qu‘Albert Camus ne décrit
que le monde des colons.
Je préfère la violence créatrice de Faulkner au moralisme de
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Camus. Dans les romans de Camus, il n‘y a pas d‘Algérien. Dans
Lumière d’août, le héros, Christmas, est un nègre. Pourtant
Camus et Faulkner étaient tous deux dans une situation fausse
vis-à-vis du pays où ils vivaient. Mais Faulkner a crié. Il s‘est
débattu. Il a fait vivre le peuple de son pays. Tel est son génie. Et
sa haine des noirs n‘était pas si loin de l‘amour. Rien de tel chez
Camus, et c‘est bien dommage. Dans sa manière de se débattre
avec les Noirs, Faulkner a créé des personnages beaucoup plus
vrais, il n‘a pas escamoté le problème, il n‘a pas voulu le noyer
dans les bons sentiments…Dans Lumière d’août on voit
Faulkner aux prises avec son ombre noire (Arnaud 1982, 667).
Pour Kateb Yacine, la morale des deux écrivains est condamnable mais Faulkner
trouve plus de grâce à ses yeux car il ne feint pas d‘ignorer son racisme et de se cacher
derrière un humanisme limité.
Il est également évident que Kateb Yacine lui-même fut grandement influencé par le
génie moderne de William Faulkner. Les deux écrivains ont beaucoup de points communs.
Tout d‘abord, d‘un point de vue technique Kateb doit beaucoup au caractère révolutionnaire
de l‘écriture faulknérienne. En effet, la rupture espace/temps et ses retours en arrière
intempestifs, ses mouvements circulaires, ses répétitions, ses disjonctions mais aussi les
monologues intérieurs trouvent leur origine dans les œuvres de Faulkner (Boudraa). Du
point de vue thématique, Faulkner et Kateb partagent également le goût de la tradition
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
ancestrale et de l‘étude des clivages ethniques. En effet, les deux écrivains étant proches de
leur milieu, pour Kateb l‘Algérie et pour Faulkner le sud des États Unis, ils connaissent leur
patrie et c‘est cet enracinement qui leur donne la légitimité d‘écrire sur ces peuples et leurs
terres. En effet, Faulkner se disait de lui ―I am just a farmer who writes‖ (Boudraa) et Kateb
était qualifié d‘écrivain public (Boudraa).
Dans son entretien avec Hafid Gafaiti, Kateb Yacine dit de Faulkner qu‘ ―[i]l était en
contact avec la terre, la nature, les hommes et les animaux. Le monde de Faulkner est
palpable, charnel. C‘est Joyce mais avec le sens et la chair en plus, pas seulement cérébral‖
(Gafaiti 39-40). Il vit sa terre et son pays et essaie de la décrire sans chercher à échapper à
certains aspects, en l‘occurrence les Noirs, qui le dérangent contrairement à Albert Camus,
qui comme on l‘a vu, préfère ignorer les Algériens. Pour Kateb Yacine, malgré la divergence
claire d‘opinion ainsi que de moralité, Faulkner reste d‘une grande influence pour son œuvre
dans le sens où il a réussi à peindre la complexité de la société de Sud, ce qu‘à également fait
Kateb avec l‘Algérie coloniale.
Il [Faulkner] ne pouvait pas ne pas m‘influencer, surtout que l‘Algérie était une
sorte d‘Amérique du Sud, un Sud des États-Unis, au moment où j‘écrivais, avec
cette forte minorité de Blancs et ces problèmes qui étaient assez identiques. Donc
il y a une raison à la fascination pour Faulkner. Indépendamment du monde de
Faulkner qui est proche du nôtre, il y a aussi une nature d‘écrivain, quelqu‘un qui
se bat avec ce qu‘il écrit, qui livre un corps à corps (Arnaud 1982).
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
A l‘image de Faulkner avec les Noirs, dans Nedjma, Kateb Yacine ne feint pas
d‘ignorer la population des colons. Ils font parti du paysage algérien, ils doivent donc, dans
un souci de réel et d‘honnêteté, avoir leur place dans les romans algériens de l‘époque. On le
voit dans Nedjma, l‘auteur évoque la vie des colons de la ville ouvrière de Bône et n‘omet
pas toutes les interactions entre ses personnages algériens et français. Aussi, Kateb Yacine
dévoile donc ici son premier combat qui est la représentation du peuple algérien dans la
littérature. Cette représentation ouvrira la voie à la reconnaissance des Algériens en tant que
peuple et en tant que nation et qui exigera son autodétermination.
Militantisme politico-historique
Anti-colonialisme français
Kateb Yacine est donc, nous l‘avons compris, un écrivain militant. Cependant, son action
ne se limite pas à la littérature. C‘est également un militant politique. Il livre son premier
combat contre le système colonial français. Selon Abdelkader Djeghloul, ―c‘est le
pourfendeur du colonialisme‖ (Kateb Yacine. Le Provocateur Provoqué 1987). En effet,
dans le roman, il utilise beaucoup de références historiques. Tout d‘abord, il fait de
nombreuses références à des villes symboles de la colonisation française, Bône et
Constantine: ―Constantine et Bône, les deux cités qui dominaient l‘ancienne Numidie
aujourd‘hui réduite en départements français‖ (Kateb 1986, 1975). Constantine est
également un foyer de la résistance nationaliste. Il fait aussi référence à des évènements
historiques qui ont eu une importance décisive sur la conscience collective des Algériens. Il
s‘agit du massacre du 8 mai 1945 à Sétif à l‘occasion de la fête de la libération de la France.
En effet, au lendemain de la libération de l‘Europe du joug nazi, des heurts avaient éclaté
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
entre les colons et les militants nationalistes. Les Algériens, que les discours humanistes
internationaux avaient inspirés, profitent des célébrations pour revendiquer, eux aussi, le
droit à l‘égalité et au respect. Il semble également que le drapeau algérien, blanc et vert
décoré d‘un croissant de lune et d‘une étoile soit apparu pour la première fois à Sétif en
1945. Les témoignages divergent grandement sur qui a provoqué les débordements.
Toujours est-il que des milliers d‘Algériens sont tués, blessés ou emprisonnés et que des
Européens apeurés ont appliqués une répression sanglante. Ce jour de liesse nationale a donc
pour les Algériens un goût particulièrement amer. Parmi eux, le jeune Kateb Yacine qui est
en dernière année au lycée. Il sera également torturé. Son ressentiment contre la France
naîtra après cet évènement qui a aussi rendu folle sa mère. On le voit très bien dans Nedjma,
où les quatre héros sont constamment sur le qui-vive et sont victimes de la violence, de
l‘injustice et de la discrimination. Après la manifestation du 8 mai, c‘est Lakhdar qui est
torturé et la famille de Mustapha qui est décimée : ―Depuis le 8 mai 1945, quatorze membres
de la famille sont morts sans compter les fusillés…‖ (Kateb 1986, 83). Cela devient
rapidement un cercle vicieux car ceux-là mêmes répondent avec les mêmes procédés. Les
quatre amis évoluent dans une atmosphère lourde et qui interdit leur réalisation personnelle.
Et voilà, pense Mourad, le charme est passé, je redeviens le manœuvre de son père,
elle va reprendre sa course à travers le terrain vague comme si je la poursuivais,
comme si je lui faisais violence rien qu‘en me promenant au même endroit qu‘elle,
comme si nous ne devions jamais nous trouver dans le même monde, autrement que
dans la bagarre et le viol (Kateb 1986, 19).
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Les quatre amis sont des victimes. Leur vie est dépourvue de jouissance. Le dur
labeur ou le chômage sont leur lot quotidien : ―Longtemps que je suis revenu du chantier,
longtemps que je suis sans travail, trois ans que je n‘ai rien devant moi‖ (Kateb 1986, 34). A
travers les quatre héros, Kateb Yacine nous livre en fait un ― autobiographie plurielle‖ (Bonn
1982, 1428). En effet, selon Charles Bonn, l‘auteur partage la parole avec ses quatre
hommes qui partagent chacun quelque chose en commun avec lui. C‘est la biographie de
toute la génération qui a vécu le massacre de 45 comme un désenchantement, une
frustration, un traumatisme au plus profond de l‘âme qui seront générateurs de
revendications nationalistes et non plus égalitaires. Bonn va plus loin en disant qu‘ ―[e]n
parlant de l‘Algérie, Kateb parle de lui‖ (Bonn).
Kateb Yacine dénonce également tout le système colonial à travers le personnage de
Nedjma. L‘Algérie est aussi un objet de convoitise :
Nedjma dont les hommes devaient se disputer non seulement l‘amour, mais
aussi la paternité, comme si la mère française, dans un oubli sans vergogne, ou
pour n‘avoir pas à choisir entre quatre mâles, deux par deux, n‘avait même pas
départagé ces deux derniers, ses ravisseurs la condamnant ainsi à ce destin de
fleur irrespirable, menacé jusqu‘à la profondeur et la fragilité de ses racines…‖
(Kateb 1986, 19).
Après un destin fastueux, elle connaît la déchéance.
[D]ans sa solitude de beauté prête à déchoir, à peine soutenue par des tuteurs
invisibles : amants d‘hier et d‘aujourd‘hui, surtout d‘hier, de ce passé fastueux où
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elle avait semé ses charmes en des lieux de plus en plus secs ; ils la voyaient
déchoir et préparaient dans l‘ombre leur défection […]‖ (Kateb 1986, 187).
Nedjma est également un roman teinté de revendications nationalistes avant le
déclanchement des hostilités à proprement parler. On le voit avec l‘allusion à l‘inscription de
Lakhdar sur le pupitre de l‘école ―Indépendance de l‘Algérie‖ (Kateb 1986, 227) ainsi qu‘à
un des pères du mouvement nationaliste ―Ferhat Abbas‖ (Kateb 1986, 229). Il y a aussi les
slogans scandés par la foule lors de la manifestation du 8 mai 1945 ―Vive la France, [l]es
Arabes silence‖ (Kateb 1986, 156).
Enfin, on retrouve l‘écrivain militant avec l‘épisode de Lakhdar et de son âne. En
effet, il semble que l‘âne symbolise le colonisé et Lakhdar soit le colonisateur.
Le chemin de la rivière est aisé, large, solide ; c‘est le chemin des Romains ; il
garde les traces des chars ; il a vu naître le village ; mais l‘âne est un saboteur ;
[…] il semble que l‘âne se soit habitué au chemin ; Lakhdar lâche la bride ; […]
l‘animal va lentement, d‘un pas régulier, avec un semblant de fierté : celle d‘un
esclave sous le carcan perpétuel […] si Lakhdar somnole, il lâche la bride, se
laisse gagner par la prodigieuse insouciance, par l‘unique idée de l‘âne, l‘idée de
liberté […] (Kateb 1986, 198).
Anti-colonisation arabo-musulmane
Kateb Yacine est un auteur qui dérange à la fois en Algérie et en France (Déjeux
1993). Son militantisme est objectif car il ne se contente pas d‘accuser le système colonial
de tous les maux de l‘Algérie. Il s‘en prend également à la civilisation arabo-musulmane.
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Tout d‘abord, on peut voir dans le roman que l‘auteur condamne le fanatisme à travers le
personnage du nègre. En effet, c‘est lui qui enlève Nedjma à son père et au descendant de la
tribu Keblout. Le choix de Kateb Yacine pour de personnage est très révélateur. En effet, les
hommes de couleur noire ont une grande importance dans la religion musulmane puisque le
premier muezzin nommé par le prophète Mahomet fut un homme de couleur nommé Bilal
Ibn Rabah. Il fut également le premier esclave noir à se convertir à l‘Islam. Dans le roman, il
représente l‘Algérie nationaliste et fanatique. Ce même fanatisme qui enlève et retient en
otage l‘Algérie/Nedjma. Dans le roman, il bouscule le caractère sacré de la religion
musulmane en tournant en dérision le pèlerinage à la Mecque de Rachid et Si Mokhtar. Il en
fait une ―épopée burlesque et raté‖ (Bonn 1989, 273-279). Le combat de Kateb Yacine
consiste également à dénoncer ces personnes qui ont une influence néfaste sur la nation. En
effet, certains nationalistes ne sont pas des patriotes pour Kateb Yacine. Leur but est de
dominer l‘Algérie et son peuple (Kateb). Pour cela, ils utilisent les mêmes procédés que les
Français. Ils utilisent principalement la religion et la négation de l‘histoire algérienne pour
maintenir le peuple en constant assujettissement. Pour dénoncer ces pratiques, Kateb Yacine
lui-même cite souvent l‘exemple du port du voile par les femmes. En effet, il fait référence à
la Kahéna. Cette femme était la chef d‘une tribu berbère qui a combattu les Arabes et plus
particulièrement les Omeyyades lors de l‘invasion du VIIe siècle. La question que se pose
Kateb Yacine est comment un peuple qui fut jadis dirigé par une femme et dont l‘image était
celle d‘une femme guerrière et protectrice peut aller à l‘encontre de son histoire et participer
à une entreprise de dégradation de la femme par la religion musulmane importée par la
colonisation ? Les autorités essaient de nier son existence afin de maintenir le peuple dans
une fervente pratique de l‘Islam dans laquelle la femme est voilée et assujettie. Reconnaître
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
son existence serait sortir de l‘ignorance et rendrait au peuple la conscience de la nation
algérienne. Ainsi, les gouvernements perdraient leur pouvoir et autorité sur le peuple. Pour le
militant, ―les trois grandes religions monothéistes font le malheur de l‘humanité‖(Kateb).
Kateb Yacine est vraiment plus un militant de la cause du peuple algérien qu‘un
écrivain. Il s‘est d‘ailleurs arrêté d‘écrire en langue française, 1970 après la publication de
L’homme aux sandales de caoutchouc afin de militer pour les causes qui lui tiennent à cœur.
Il s‘est mis à écrire en langue arabe (Gafaiti). Cet arrêt doit également être interprété, selon
lui, comme un cri du cœur de l‘écrivain. On le sait, Kateb Yacine a abandonné le roman pour
le théâtre et le français pour l‘arabe populaire :
J‘ai essayé la radio, le journalisme et bien d‘autres choses encore. Ce que je
voulais d‘abord c‘était rentrer en Algérie. Pourquoi ? Parce que j‘avais vécu dix
ans d‘exil. Et dix ans c‘est terrible, surtout que pendant cette période, il s‘est
passé beaucoup de choses dans notre pays. Il fallait reprendre contact avec le
pays, avec le peuple, vivre en Algérie à tout prix (Gafaiti).
C‘est donc dans ce contexte de mensonges autant du côté du système colonial que
des fanatiques algériens que tout un peuple a perdu son identité. A l‘image de la naissance de
l‘héroïne, la naissance de la patrie est obscure et incertaine. En s‘opposant aux représentants
des envahisseurs français et arabes, le but de l‘écrivain est de faire sortir le peuple algérien
de l‘ignorance et lui faire retrouver ses racines car, selon lui, l‘Algérie existait bien en tant
que peuple avant les Arabes et avant les Français. Les Algériens ont une histoire. Mais celleci s‘est perdue après des siècles de colonisation.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Peu importe qu‘Hippone soit en disgrâce, Carthage ensevelie, Cirta en pénitence
et Nedjma déflorée… La cité ne fleurit, le sang ne s‘évapore apaisé qu‘au
moment de la chute : Carthage épanouie, Hippone ressuscité, Cirta entre terre et
ciel, la triple épave revenue au soleil couchant, la terre du Maghreb (Kateb 1986,
182).
Son idéologie
Passé Algérien
Selon Kateb Yacine, le postulat qui veut que l‘Algérie n‘a pas d‘histoire est
complètement erroné. En effet, malgré les efforts importants fournis par les colonisateurs
successifs pour cacher cette vérité historique afin de mieux dominer le peuple algérien, il
s‘avère que les Algériens ont bien une histoire. Il s‘agit en fait de tribus qui peuplaient toute
l‘Afrique du Nord. Leur influence s‘étendait sur un large territoire car, à l‘époque des
invasions arabes, il n‘y avait pas de frontières définies comme aujourd‘hui. Il s‘avère que la
tribu dont parle Kateb Yacine dans Nedjma a vraiment existé. En effet, selon Habib Tengour,
poète et anthropologue à l‘Université d‘Évry :
Moi, je croyais qu‘il racontait n‘importe quoi. Puis, au cours de recherches aux
archives d‘Aix, j‘ai trouvé le dossier de son ancêtre, Keblout, avec les rapports
de police qui le poursuivaient à Tripoli, à Istanbul. Ce personnage mythique de la
tribu avait réellement existé (Tengour).
Kateb Yacine est un auteur tourmenté par le déchirement de son peuple dont on
continue de nier les origines. En recherchant sa propre identité, il veut trouver celle des
Algériens. C‘est un poète déraciné tout comme tous les personnages algériens de Nedjma.
Dans le roman, Nedjma, la femme, est l‘objet des convoitises de ses propres frères. C‘est
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
donc l‘inceste qui, selon Kateb Yacine, empêche la tribu Keblout d‘évoluer par peur des
attaques extérieures : ― notre tribu mise en échec répugne à changer de couleur ; nous nous
sommes toujours mariés entre nous ; l‘inceste est notre lien, notre principe de cohésion
depuis l‘exil du premier ancêtre‖ (Kateb 1986, 186). Puis, le personnage de Nedjma est, au
fur et à mesure du récit, sublimée en Nedjma, la mère de la nation algérienne. Nedjma, la
mère patrie, la mère algérienne réconcilie les deux combats de Kateb Yacine, son amour
pour Nedjma, la femme (sa cousine) et son amour pour la patrie algérienne. La femme
devient donc la mère comme Kahéna, la chef de tribu guerrière. Tout comme la France a sa
Marianne et l‘Angleterre son Albion, l‘Algérie en tant que nation a sa Nedjma (Déjeux).
Cependant, cette mère et cette patrie ont été abandonnées par la femme ―étrangère‖
(Déjeux), c‘est-à-dire la française qui a séduit trois descendants Keblout. C‘est un ―monstre
fugitif‖, un mirage qui a détourné ces hommes de leur tribu, de leur patrie, de leur mère :
―C‘était elle qui avait fait exploser la tribu, en séduisant les trois mâles dont aucun n‘était
digne de survivre à la ruine du Nadhor‖ (Kateb 1986, 178). On peut voir ici un symbole de la
colonisation française dont les mirages et les promesses ont attiré plus d‘un Algérien et l‘on
détourné de sa nation. Cela a pour conséquence une génération perdue pour qui les origines
tribales sont confuses. Les personnages du roman sont de parfaits exemples de cette
génération. Par exemple, Mourad est ―un enfant terrible perdu lors d‘un déménagement‖
(Kateb 1986, 71). Rachid, lui, est un ―fantôme voué à cette impitoyable démarche d‘aveugle
butant sur le fabuleux passé, le point du jour, la prime enfance vers laquelle il demeure
prostré, répétant les mots et les gestes de la race humaine‖ (Kateb 1986, 167-168). Ces
enfants sont les victimes de la faiblesse de leurs ancêtres, leurs origines sont maintenant
semblables à ― un cours d‘eau ensablé‖ (Kateb 1986, 97) ou à des ruines :
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Pas les restes des Romains. Pas ce genre de ruine où l‘âme des multitudes n‘a
eu que le temps de se morfondre, en gravant leur adieu dans le roc, mais les
ruines en filigrane de tous les temps, celle que baigne le sang dans nos veines,
celles que nous portons en secret sans jamais trouver le lieu ni l‘instant qui
conviendrait pour les voir : les inestimables décombres du présent… (Kateb
1986, 174).
Ces blessures là sont extrêmement profondes pour cette nouvelle génération marquée
par la colonisation qui tente un retour vers le passé, vers les origines à l‘image de Rachid qui
retourne au Nadhor, la terre de ses ancêtres. Mais selon Kateb Yacine, ce passé, cette
Nedjma est en danger : ―l‘irrésistible forme de la vierge aux abois, mon sang et mon pays‖
(Kateb 1986, 175). Cette génération est donc la seule qui peut lui venir en aide et lui
redonner sa légitimité en la libérant de ses oppresseurs et de sa rivale ―l‘étrangère‖(Déjeux)
qui a séduit ses pères. A travers le roman, l‘auteur propose donc également une réflexion sur
l‘histoire et la légitimité de certaines pratiques religieuses imposées à un peuple alors que ses
traditions indiquent un tout autre comportement. Kateb Yacine prend l‘exemple de la
Kahéna, la chef d‘une tribu indigène. La Kahéna était donc une femme et une guerrière qui
plus est, à la tête d‘une tribu entière. C‘est elle qui a tenté pendant des années d‘unifier les
tribus du Nord afin de repousser l‘envahisseur arabe. Son entreprise aurait sûrement réussi
mais cela était sans compter sur la force militaire des troupes ennemies. Il est donc peu
convaincant d‘essayer de justifier l‘assujettissement des femmes et le port du voile par
l‘histoire des Algériens. En effet, il est évident que ces soi-disant traditions que ce ne sont
pas le fait des Algériens qui imposent une inégalité homme/femme mais que c‘est encore
une conséquence de la colonisation. La raison pour laquelle la France n‘a jamais essayé de
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faire évoluer la condition de la femme algérienne est encore une fois le fait que pour asseoir
son autorité sur un peuple elle le maintenait volontairement dans l‘ignorance. Cette reine
guerrière est en fait la première représentante du nationalisme algérien. Au contraire, les
dévots musulmans qui aliènent le peuple sont les ennemis de l‘Algérie. Selon l‘auteur, la
France et les Arabes ont créé une Algérie qui n‘est pas la véritable Algérie : ―J‘ai écrit
Nedjma pour que les Français apprennent ce qu‘était l‘Algérie‖(Kateb).
C‘est ce que son œuvre traduit. En effet, à travers les problèmes identitaires de
Nedjma, c‘est-à-dire, sa naissance et des multiples cultures dont elle est le fruit, la quête et
les aspirations d‘une nation opprimée transparaissent. Afin de trouver son identité propre, les
Algériens doivent se démarquer de leurs oppresseurs historiques.
Pour Kateb Yacine, la quête identitaire du peuple algérien passe donc par une
connaissance précise de ses origines. C‘est cette opinion et toutes les positions égalitaires et
anti-religieuses qu‘elle implique qui ont valu à Kateb Yacine de nombreux ennemis autant
du côté français que du côté algérien. L‘écrivain illustre ici sa position intermédiaire entre
les deux cultures, le ―Tiers-Espace‖ d‘Homi Bhabha. Ne voulant pas s‘identifier aux deux
seuls modèles qui lui sont proposés, le modèle français et le modèle algérien, il s‘identifie au
peuple algérien originel. Cependant, le peuple algérien est, à l‘image de Kateb, de culture
hybride et c‘est au niveau de la langue qu‘il se rapproche ou se détache.
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Son combat linguistique
La langue comme détachement identitaire
Les autorités et le pouvoir intéressent peu Kateb. En tant que nationaliste de cœur,
c‘est le peuple qui l‘intéresse. Ce rapprochement passe nécessairement par le vecteur
linguistique. La plupart de ses premières œuvres comme les romans Nedjma et Le Polygone
Étoilé, ses œuvres théâtrales comme Le Cadavre Encerclé, mais aussi sa poésie, Soliloques,
furent écrites en français. En effet, on retrouve dans ce choix de la langue utilisée,
l‘inexorabilité de l‘Histoire. Si un auteur voulait faire entendre sa voix dans la bataille anticoloniale, il devait écrire en français.
La francophonie est une machine politique néocoloniale, qui ne fait que
perpétuer notre aliénation, mais l‘usage de la langue française ne signifie pas
qu‘on soit l‘agent d‘une puissance étrangère et j‘écris en français pour dire aux
Français que je ne suis pas français (Kateb 1966).
La langue comme rapprochement identitaire
Puis, Kateb Yacine s‘est tourné vers la langue arabe. Là encore, il existe une
différence importante entre l‘arabe littéraire et l‘arabe dialectal. Le peuple, pour la plupart
analphabète (Gafaiti), ne pouvait être atteint que par le théâtre, à cause de sa caractéristique
visuelle et par la langue populaire. Il engage donc une troupe de théâtre qui sillonne
l‘Algérie et va répandre idées progressistes et choix identitaires. Il se rapproche du vrai
peuple algérien. Kateb Yacine promeut cette souche berbère de la population algérienne
ainsi que sa langue, le tamazight. Cela va également à contre courant de la mentalité
algérienne. En effet, afin de pouvoir protéger leur autorité, les colons arabes et français ont
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
successivement tenté de faire disparaître les caractéristiques de cette région en l‘arabisant. A
l‘époque de Kateb Yacine, les arabophones méprisaient encore en grande partie les Berbères
et leur langue à cause de stéréotypes créés artificiellement par des siècles de colonisation
(Kateb). Les prémices du combat linguistique sont visibles dans le roman. En effet, dans le
roman, Kateb fait référence à l‘ogresse dans ―l‘ogresse au sang obscure‖ (Kateb 1986, 179).
Cette ogresse est présente dans de nombreux contes oraux populaires berbères (Farès). Une
autre référence à l‘oralité est faite à travers la structure du roman avec les phrases
extrêmement longues de Kateb qui rappellent un conteur prit par son histoire et qui la
raconte à perdre haleine.
Dans Nedjma, la langue, tour à tour crue, argotique et poétique provoque le lecteur. Il
devient un acteur de la situation historique.
Fallait pas partir. Si j‘étais resté au collège, ils ne m‘auraient pas arrêté. Je
serais encore étudiant, pas manœuvre, et je ne serais pas enfermé une seconde
fois, pour un coup de tête. Fallait rester au collège comme le disait le chef du
district.
Fallait rester au collège, au poste
Fallait écouter le chef de district.
Mais les Européens s‘étaient groupés
Ils avaient déplacé les lits.
Ils se montraient les armes de leurs papas. […]
J‘ai caché la vie d‘Abdelkader.
J‘ai ressenti la force de ses idées.
J‘ai trouvé l‘Algérie irascible. […]
Moi j‘étais en guerre. Je divertissais le paysan.
Je voulais qu‘il oublie sa faim. Je faisais le fou. Je faisais le fou devant mon
père le paysan. Je bombardais la lune dans la rivière (Kateb 1986, 54).
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Le lecteur est poussé à l‘action. En restant de marbre, il devient complice de la
barbarie et de la misère d‘un peuple qui se cherche. Quand celui-ci s‘émeut et se révolte des
souffrances de Nedjma et ses compagnons, il participe à ce processus de prise de conscience
de l‘illégitimité et de la barbarie du système colonial. Ce roman constitue un cri, un appel au
secours d‘un peuple perdu par environ 1500 ans de colonisation.
Conclusion
Nedjma est avant tout un travail critique. Il bouscule les stéréotypes sur l‘Algérie en
tant qu‘espace littéraire. Kateb Yacine nous offre une œuvre extrêmement originale grâce
notamment à son travail innovateur en termes de technique, de genre et de thématique. Il
aide également à la redéfinition de la littérature algérienne en excluant les éléments
coloniaux et en devenant le symbole d‘une véritable littérature algérienne naissante et
indépendante. Sa plume se fait aussi vectrice de ses idées politiques anti-coloniales opposées
autant à la France qu‘à la civilisation arabo-musulmane. C‘est un écrivain obsédé par la
question des origines du peuple algérien et il est persuadé que c‘est l‘ignorance de ce passé
national qui aliène la nation. L‘œuvre de Kateb Yacine, et en particulier son roman Nedjma,
porte les stigmates de la période postérieure au conflit franco-algérien et à la colonisation au
sens large. C‘est dans cette dimension que le roman se fait vecteur d‘apports intellectuels
importants en termes de quête identitaire pour le peuple algérien. Selon ses propres dires,
Kateb Yacine est ―l‘homme d‘une seule œuvre‖ (Bonn), mais cette œuvre est le symbole de
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
son engagement progressiste. Kateb Yacine est en fait un écrivain au service de sa nation et
de son peuple. Il est à la recherche de ses racines et il partage sa quête à travers ses textes. A
l‘image de Keblout, son ancêtre, il devient le fondateur d‘une nouvelle Algérie (Arnaud), ni
française ni arabe, mais algérienne, c‘est-à-dire, selon la conception de Bhabha, une hybride
se situant entre les deux épistèmes.
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Chapitre V
Nina Bouraoui ou les conséquences du conflit sur la génération métisse
Pourquoi Nina Bouraoui ?
Nina Bouraoui est en quelque sorte l‘enfant de la guerre d‘Algérie. Enfant métisse
ayant vécu en Algérie et en France, son trouble identitaire est à la fois spatial et historique.
Ce problème est commun à toutes ces générations d‘immigrés ou de métisses, nés de l‘union
de deux pays qui se déchirent et qui se sentent comme piégés entre deux mondes. On peut
voir dans ces enfants, la conséquence du conflit.
La guerre d'Algérie, en tant qu‘évènement historique est présente dans Garçon
Manqué à travers Amar, l‘oncle tué à la guerre, et la rencontre de ses parents. Elle va se
servir de cela pour s‘interroger sur son identité.
Biographie
Yasmina Bouraoui, dite Nina, est née en 1967 à Rennes d‘un père algérien, originaire
de Jijel, une ville côtière d‘Algérie, et d‘une mère française originaire de Bretagne. Elle
passe les premières années de sa vie en Algérie de 1970 à 1980. Cependant, elle et sa famille
ne se mélangent ni aux Algériens, ni aux Français, elles restent à part entre métisses. Elle ne
connaît ni la culture ni la langue algérienne. Ce qui constituera un énorme vide dans sa vie
d‘adolescente et d‘adulte.
Nina Bouraoui est décrite comme une enfant sauvage et peu bavarde. Au lieu de
s‘identifier aux figures féminines, la petite Nina développe une relation très étroite avec son
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
père. Elle devient un ―garçon manqué‖. A l‘âge de quatorze ans, elle est arrachée à l‘Algérie
de façon assez brutale. En vacances en France, la famille Bouraoui se trouve dans
l‘impossibilité de rentrer en Algérie. Ils s‘installent alors en Bretagne. Là-bas, elle se
retrouve une nouvelle fois à l‘écart car différente. Cependant, Nina Bouraoui vit ce
traumatisme comme une seconde naissance. Elle fera également à cette époque la découverte
de son homosexualité. Elle vivra également à Paris, à Zurich et à Abou Dabi.
A l‘âge adulte, elle devient écrivain et s‘installe en Italie. Dans ses livres, elle parle
de son enfance, de l‘Algérie, de la France et de son trouble identitaire. Parmi ses romans les
plus célèbres, on compte notamment La Voyeuse Interdite pour lequel elle a gagné le prix du
livre Inter en 1991, Le Bal des Murènes publié en 1996, Garçon Manqué en 2000 et Mes
Mauvaises Pensées en 2005 qui fut récompensé par le Prix Renaudot.
Nina Bouraoui est une artiste multi-facettes car elle est également parolière de
chansons. En 2007, elle écrit ―Immensité‖ et ―Les Paradis‖ sur l‘album ―D‘elles‖ de Céline
Dion.
Nous allons analyser ici son roman intitulé Garçon Manqué car, parmi tous ses chefs
d‘œuvres intimes, c‘est celui-ci qui se rapproche le plus de notre sujet: le traumatisme de la
guerre d‘Algérie dans la littérature algérienne de langue française.
Résumé du livre
Garçon manqué est un récit autobiographique sur l‘enfance de l‘auteure. Née d'un
couple mixte dans l'Algérie libérée du joug français, Nina, surnommée Brio, la narratrice,
raconte la discrimination dont elle est victime de par ses origines métissées et son sexe
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
féminin. Son père, prénommé Rachid, est berbère et sa mère, Maryvonne, est française. Dans
le récit, la rencontre des parents de Nina est associée à la guerre d‘Algérie en raison de
l‘époque où elle a eu lieu, les années soixante. Nina, refusant la faiblesse caractéristique de
la gent féminine en Algérie devient un garçon manqué violent. La violence caractérise
l‘écriture de l‘auteure. Ce mécanisme de défense contribue aux troubles identitaires de la
petite Nina. En effet, celle-ci, perdue dans la multitude d‘identités qu‘elle endosse en termes
de nationalité et de sexe, ne connaît pas sa propre identité. Le personnage-narrateur évoque
son déchirement spatial, identitaire et sexuel. La violence de Nina fait place à la douceur
quand celle-ci parle de l‘amour qu‘elle porte à son ami Amine. Nina Bouraoui nous livre le
récit intime et troublant d‘une jeune femme incomprise par elle-même et par les autres car
elle est le fruit de l‘amour entre deux peuples qui se sont affrontés.
Déracinement
Pour la narratrice, l‘expérience du déracinement intervient tout d‘abord à chaque fois
que celle-ci quitte le sol algérien pour aller en France pour les vacances. En effet, il apparaît
que quand celle-ci va chez ses grands-parents, elle ressent une certaine solitude. C‘est donc
une sorte de déracinement de son pays, l‘Algérie, où elle grandit, et de ses parents: ―Oui, je
t‘ai longtemps attendue maman, pendant mes vacances françaises. Que tu m‘arraches à ça. A
cette tristesse. A ton absence‖ (Bouraoui 56-57). Ces courts déracinements forcés, ―le mois
d‘août entier‖ (Bouraoui 57) constituent de petits traumatismes pour Nina, qui ressent
l‘abandon et la perte pour la première fois de sa courte existence: ―Je suis orpheline,
soudain‖ (Bouraoui 108).
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Le plus grand traumatisme que Nina aura à subir, est son exil forcé pour la France et
l‘impossibilité du retour: ―Je quitte Alger, son été brûlant. […] Je pars pour deux mois. C‘est
immense de quitter l‘Algérie. Mon départ semble impossible. Ou définitif‖ (Bouraoui 95).
Nous sommes en présence d‘un narrateur omniscient. Par l‘incise, ―Ou définitif‖, il nous
livre un indice important pour la suite. Nina vivra cet exil qui était supposé être de deux
mois seulement comme un arrachement à cet espace mystique qu‘elle porte dans son cœur,
dans sa chair: ―Cette ville est dans le corps. Elle hante. La quitter est une trahison. Elle
pourrait se venger. Porter malheur. Sa séparation est violente‖ (Bouraoui 95). On voit ici une
personnalisation de la ville d‘Alger par la narratrice. En effet, celle-ci prête une âme à la
ville de son enfance et une personnalité vengeresse. On peut voir ici dans la ville d‘Alger
une maîtresse jalouse et sensuelle. Une femme que la narratrice a ―dans la peau‖ et qui
comme une femme méditerranéenne protège jalousement et avec violence l‘objet de son
amour et de son désir. La petite Nina connaît ce personnage notamment par les sensations
qu‘elle éprouve: ―Elle est dans la chaleur, dans l‘air épais, dans toutes les odeurs décuplées.
Du pin brûlé, de la terre sèche, du sable rouge. Ça sent l‘été‖ (Bouraoui 95). La chaleur du
soleil est très présente dans la description de la terre aimée à l‘image de l‘écrivain pied-noir,
Albert Camus: ―Le soleil est son obsession, […] le soleil est violent‖ (Bouraoui 30). Tout
comme la mère d‘Amine, également française, qui ressent ce soleil comme une menace, la
mère de Nina se sent comme étouffée par le soleil. C‘est donc la mère de Nina, Maryvonne,
qui est à l‘origine du départ définitif de l‘Algérie même si cela n‘était pas son intention. ―Ça
sent la mort aussi. […] C‘est une guerre contre le soleil. Partir. Pour respirer, dit ma mère‖
(Bouraoui 95). La ville d‘Alger et le pays, l‘Algérie au sens large, sont donc perçus par la
narratrice comme un mélange mystique de sensualité et de dangerosité. La narratrice ressent
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
pour ce pays un amour et un attachement extrêmement profonds. Son exil forcé est donc
ressenti comme une blessure qui laissera une cicatrice si profonde que l‘auteure, des années
après, éprouvera le besoin de raconter ce déchirement et ressentira la même douleur à
l‘écriture de ce passage.
Car en effet, pour la narratrice, cet exil loin de son espace vital, loin de l‘Algérie,
c‘est également un exil loin d‘elle-même: ―Habillée pour quitter Alger. Pour me quitter.
Habillée pour quitter ma vraie vie‖ (Bouraoui 96). En effet, la narratrice ayant passé une
grande partie de son enfance en Algérie, elle s‘y était crée sa personnalité de ―garçon
manqué justement. Elle était Brio ou Ahmed, les garçons qu‘elle voulait être. Cependant, ces
personnages, elle doit les laisser derrière elle car ils ne conviennent ―[p]as pour la France‖
(Bouraoui 96). Dans le pays de sa mère, ce sont les convenances qui priment: ―Étouffer
Ahmed et Brio. Dissimuler. Ma grand-mère aime les vraies filles‖ (Bouraoui 96). Dans sa
petite communauté composée de métisses comme sa sœur et Amine, elle n‘avait pas besoin
de se cacher ou de faire oublier qu‘elle était le fruit de l‘amour d‘un Algérien et d‘une
Française. A Rennes, faire ―excuser‖ sa propre existence et la liberté de son pays.
Excuser ma mère. Tu n‘épouseras pas un Algérien. Excuser par mon corps si doux,
si tendre, cette séduction. Cette histoire entre la Française et l‘étudiant algérien.
Excuser 1962. Excuser l‘Algérie libre. […]Le butin de ma mère. Ses filles, ses
trésors. Les montrer. Les donner. Pour les grandes vacances. Pour se faire
pardonner. Les filles du gendre algérien […] (Bouraoui 96-97).
Selon sa perception, le personnage-narrateur voit sa propre existence comme un moyen
de faire pardonner l‘amour que son père et sa mère éprouvent l‘un pour l‘autre. L‘enfant est
la clé du salut des pécheurs qui ont épousé l‘ennemi.
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Le personnage-narrateur a donc bien compris que pour faire oublier et faire pardonner
son identité algérienne, elle va devoir s‘oublier elle-même et faire ressortir son identité
française. Si tant est qu‘elle en ait une: ―Mon déguisement. Ma peau française. Partir.
Chercher mon second visage‖ (Bouraoui 97).
Ce départ constituera le glissement de son enfance algérienne de la réalité vers le rêve
ou la mémoire. En tout cas quelque chose d‘irréel, d‘impalpable. En changeant d‘espace de
manière involontaire, le personnage-narrateur va en quelque sorte subir la mort d‘une
identité qui était inhérente à sa personne. Il s‘agit du personnage de Nina en tant que Brio ou
Ahmed, les Algériens. En effet, cet exil constitue une sorte de naissance. La naissance de
Nina, l‘Algérienne émigrée: ―Être dans la nostalgie. À jamais. Dans le manque‖ (Bouraoui
97).
Cependant, il est évident ici que la narratrice ne parle pas de l‘Algérie en tant que
nation où elle se sentait complètement chez elle et où elle était épanouie. En effet, rappelonsnous que cette dernière ne se sent chez elle que dans sa communauté de métisses. Pour les
Algériens, elle est également une bizarrerie, un rappel de la colonisation française et du
traumatisme de la guerre d‘Algérie: ―Je suis la fille de la Française. L‘enfant de Roumia. Ici,
je porte la guerre d‘Algérie‖ (Bouraoui 32). Le manque dont parle la narratrice est donc le
manque d‘une certaine Algérie. Celle de la terre, des sensations, des odeurs. Celle qui ne
juge pas. C‘est donc son petit monde de l‘enfance qui va toujours manquer à Nina: ―Ce n‘est
pas l‘Algérie qui nous manquera vraiment. Ce sera l‘habitude des voix, des visages, des
vagues vertigineuses, de la chaleur‖ (Bouraoui 98).
98
Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Nina est donc arrachée de force à cet univers familier qui a bercé son enfance pour être
projetée dans un univers dont la différence et la froideur la bouleverse. La narratrice
remarque également la différence entre les vagues de la Manche qui sont froides, qui se
retirent et celles de Zeralda, sa plage algéroise ―les vagues amples et dangereuses‖ (Bouraoui
9).
Le sol est aussi différent en France, la terre est ―mouillée‖ (Bouraoui 99), humide. En
Algérie, le sol est sec et jonché de sable. Nina respire ―l‗odeur du gazon‖ (Bouraoui 99) à
Rennes contrairement au sable et à la chaleur en Algérie. Ces deux terres sont
diamétralement opposées. On peut le voir grâce à l‘utilisation des adjectifs et notamment des
couleurs chaudes pour l‘Algérie et les couleurs froides pour la France.
Une deuxième vie s‘offre à la narratrice loin de son quotidien familier d‘une certaine
Algérie dont elle a été enlevée de force. En Algérie, elle laisse ses racines. C‘est donc dans
un pays totalement différent mais non moins violent dans son rejet de ce qui est étranger que
la narratrice est propulsée.
On retrouve ce thème du déracinement dans plusieurs romans de Nina Bouraoui. Ce
thème suit une certaine progression. En effet, son premier roman, La Voyeuse interdite, le
cadre spatial est l‘Algérie et uniquement l‘Algérie tout comme son cinquième roman Le Jour
du séisme. Dans Garçon manqué, l‘action se situe d‘abord en Algérie, puis en France. La
Vie heureuse, Poupée Bella voient leur action se dérouler en France. Puis, on note un certain
retour vers l‘Algérie dans Mes Mauvaises Pensées et Nos Baisers sont des Adieux. Ce
constant mouvement de la narration entre l‘Algérie et la France est symptomatique d‘une
incertitude de l‘auteure quand à sa situation spatiale et identitaire. Ce malaise est commun à
99
Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
tous les écrivains immigrés ou descendants d‘immigrés sans distinction d‘origine ni de
nationalité.
Rejet des deux cultures
Rejet par la société algérienne
―Le rejet de l‘Algérie. Notre séparation‖ (Bouraoui 98). En effet, ce rejet, la
narratrice de Garçon Manqué en fait d‘abord l‘expérience en Algérie. Le pays de son
enfance, qui est aussi le pays de son père, la rejette principalement pour deux raisons. La
première est son sexe.
En effet, la condition de la femme est difficile en Algérie. C‘est une société
traditionnelle et misogyne qui, à cause de la colonisation, n‘a pas évoluée sur le plan de
l‘émancipation de la femme. Dans la société algérienne, la femme doit être une femme
d‘intérieur, une bonne mère mais aussi et surtout elle doit obéissance à son mari. Celui-ci est
le chef de famille et la soutient financièrement.
Aussi, selon une certaine interprétation de la religion musulmane, la femme doit
cacher son corps et ses attributs féminins (ses cheveux), afin de ne pas attirer le regard des
hommes. C‘est ce regard de l‘autre qui domine la diégèse. Le regard de la société française
et algérienne, le regard du père, le regard d‘Amine, des hommes algériens, le propre regard
de la narratrice… C‘est un regard qui aliène la narratrice et lui ôte la liberté d‘être ellemême. ―Ça brûle le corps. Le feu du regard des autres. Sur ma peau. Sur mon visage. C‘est
difficile de s‘aimer après. De ne pas haïr le monde. De ne pas vouloir s‘en éloigner‖
(Bouraoui 141).
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
C‘est un regard qui la juge. Elle ressent ce regard masculin sur son corps féminin
comme un viol: ―C‘est le viol de mon visage, de mes yeux, de ma peau. C‘est le viol de ma
confiance. C‘est une immense trahison. C‘est un étranger qui tient ma nuque. Il brise déjà
sans savoir. Il retire l‘enfance‖ (Bouraoui 46). C‘est réellement après cette tentative
d‘enlèvement que la narratrice désavouera les hommes et réalisera l‘inéluctabilité de son
statut de femme en Algérie. Les contrastes entre les hommes et les femmes y sont puissants.
On retrouve cette dichotomie entre le monde des femmes et celui des hommes et la
violence de leurs rapports dans le premier roman de Nina Bouraoui, La Voyeuse interdite.
Elle dresse le portrait d‘une société algérienne dont la narratrice de Garçon Manqué est un
peu préservée par son statut de métisse. Fikria, la narratrice de La Voyeuse interdite, est une
jeune algérienne qui vit dans la terreur de son père violent et misogyne, dans l‘attente d‘un
mariage forcé: ―Dans les rues d'Alger, les hommes s'étreignent. Derrière leurs portes closes,
les femmes s'ennuient‖ (Bouraoui 1991). C‘est une société où la loi patriarcale domine. La
violence est omniprésente dans cet univers, de manière physique et morale: ―Il me tendit la
cigarette, et, au passage, l'écrasa sur mon sourire. Il dessina au fer rouge quatre petites
boursouflures puis, une main collée derrière ma nuque, il pressa plus fort afin d'écraser la
cigarette contre l'émail de mes dents‖ (Bouraoui 1991, 67-68).
La narratrice, Fikria, perd l‘espérance dans un avenir meilleur: ―La tradition est une
dame vengeresse contre qui je ne peut lutter‖ (Bouraoui 1991, 126). La narratrice est
constamment humiliée et violentée dans cette société religieuse où l‘inégalité et l‘injustice
dont les femmes sont victimes glacent d‘effroi: ―je baissais les yeux devant les jeunes
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
garçons qui descendaient leurs braguettes en nous voyant ; ma mère muette, laissait courir
sur son corps cinq doigts étrangers. On ne pouvait rien dire, les femmes qui sortaient dans la
rue étaient des pouffiasses‖ (Bouraoui 1991, 22). La vie des filles n‘a également aucune
importance. Cette idéologie est perpétuée par des femmes soumises et incapables de se
révolter tant elles sont prisonnières de cette communauté dévote et phallocentrique:
Leyla est ma seconde sœur. Horrifiée par l'arrivée d'une seconde fille, ma mère
voulut la jeter par la fenêtre (...). Les funérailles étaient brèves. Ma mère
entourait le rejeton de papier journal et rabattait le couvercle de la poubelle sur la
petite tête béante aux yeux mi-clos, quand l'enfant n'etait qu'un œuf craquelé par
un auriculaire impatient, elle se contentait de l'immerger dans la cuvette des w.c
(Bouraoui 1991, 39).
On voit bien ici que la mère est complètement indifférente au sort de la petite fille qu‘elle
vient de mettre au monde. Elle est donc complice de la société dominée par les hommes et
participe à son maintien.
Cette dénonciation de la société traditionnelle algérienne par Nina Bouraoui, traduit
son exposition à un statut nouveau de la femme dans la société occidentale. Selon Esma
Lamia Azzouz, Nina Bouraoui nous livre un réquisitoire impressionnant de la société
algérienne de par sa force et sa précision:
[…]aucune femme n'a écrit comme Nina Bouraoui. Aucune n'a pu montrer la
face cachée du monstre qu'est la société avec une telle cruauté et une telle
précision. Aucune n'a pu se glisser aussi subtilement dans les antres de ces
monstres de la rue. Aucune n'a pu montrer aussi judicieusement les conséquences
de la perversité de la société masculine sur les femmes (Azzouz 129)
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
“[J]'ai vite compris que je devais me retirer de ce pays masculin, ce vaste asile
psychiatrique‖ (Bouraoui 1991, 21). C‘est que Fikria va entreprendre de faire par la pensée.
Elle va devenir ―la voyeuse interdite‖. Elle va observer le monde de l‘extérieur, à travers sa
vitre et va, par la pensée, s‘échapper de ce monde où règne la terreur.
Dans les pays maghrébins, en général, l'ensemble de la société contribue à ternir
l'existence de la femme en en faisant une victime malheureuse, triste, vouée à un sort peu
enviable. La révolte contre la société traditionnelle, qui a permis entre autres de projeter le
roman maghrébin sur la scène littéraire internationale, a été le thème central de plusieurs
œuvres marquantes de la littérature maghrébine13. Le problème d'être femme dans ce type de
société est particulièrement déchirant (Benmahamed).
Cette exposition à une société ouvertement inégalitaire a également des conséquences
sur la jeune narratrice de Garçon Manqué. Ayant très vite compris que la seule façon d‘être
libre et respectée dans cette Algérie, c‘est d‘être un homme, Nina décide d‘en devenir un.
Selon la théorie féminine féministe poststructuraliste développée par Hélène
Cixous, tout type d‘interaction entre un homme et une femme doit se concevoir comme
étant des dichotomies hiérarchisées d‘opposition entre le masculin et ses attributs et le
féminin et ses tares. Nous pouvons citer par exemple les dichotomies entre action et
passivité, force et faiblesse… (Bertens 129). Ici cette théorie trouve sa place dans le sens
ou les hommes et les femmes sont en constante opposition, en constant combat dont
l‘issue est toujours la même. C‘est pour cette raison que le personnage-narrateur cherche
à inverser la tendance même si cela signifie pour elle perdre son identité et être dans la
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confusion. Car c‘est cette confusion qui lui donne l‘illusion du pouvoir et de la non
soumission à la peur et à la faiblesse associée à son sexe (Cixous 1975, 114-246).
Confusion identité sexuelle
―Être un homme en Algérie, c‘est perdre la peur‖ (Bouraoui 39). Nina, la narratrice
de Garçon Manqué, consciente de la difficulté d‘être une femme en Algérie, décide de
changer de camp et d‘entrer dans celui des puissants pour ne pas être cette femme algérienne
soumise et faible. Elle devient: ―l‘enfant qui ment‖ (Bouraoui 18). Elle devient un garçon.
―Je prends un autre prénom, Ahmed. Je jette mes robes. Je coupe mes cheveux. Je me fais
disparaître. J‘intègre le monde des hommes‖ (Bouraoui 17). C‘est une mutation
psychologique qui sera suivie d‘une mutilation physique. Elle essaie d‘échapper à sa
condition afin de pouvoir, selon Hassiba Lassoued, neutraliser le regard accusateur de la
société et de s‘y conformer (Lassoued,) : ―Je soutiens leur regard. […] Je n‘ai pas peur des
hommes de Zeralda‖ (Bouraoui 17). Pour pouvoir atteindre son but, elle se rapproche de son
père: ―il m‘élève comme un garçon‖ (Bouraoui 26); elle s‘identifie à lui et développe une
relation extrêmement étroite avec lui: ―Je me nourris de mon père‖ (Bouraoui 32). Elle
pratique des activités exclusivement masculines: ―Ici je suis la seule fille qui joue au
football‖ (Bouraoui 18) et devient même l‘homme de la maison, garante de la sécurité de sa
mère et de sa sœur en son absence. Elle joue de cette confusion des genres et les interchange
en fonction de la situation, en France avec sa grand-mère ou en Algérie avec son père,
Amine et les hommes de Zeralda: ― abracadabra, je m‘appelle Ahmed, Brio, Steve et
Yasmina‖ (Bouraoui 145).
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Cependant, cette confusion a des effets psychologiques sur le personnage-narrateur
qui, à force de chasser son identité, finit par se perdre: ― je ne sais plus qui je suis […]. Une
fille ? Un garçon ? L‘arrière-petite-fille de Marie ? L‘arrière-petite-fille de Rabiâ ? L‘enfant
de Méré ? Le fils de Rachid ? Qui ? La France ? L‘Algérie ? L‘Algéro-française ? De quel
côté de la barrière ?‖(Bouraoui 145). Selon, Hassiba Lassoued, cette pléthore
d‘interrogations identitaires à la fois sur l‘identité sexuelle et culturelle sont symptomatiques
de ce malaise existentiel dont souffre le personnage-narrateur et que l‘on retrouve dans tous
les romans de l‘auteure. On retrouve ce refus de la féminité, de cette faiblesse dans la
Voyeuse Interdite:
Le corps est le pire des traîtres, sans demander l'avis de l'intéressé, il livre
bêtement à des yeux étrangers des indices irréfutables: âge, sexe, féconde pas
féconde? Pubère, il m'a rendu inapprochable, dans le royaume des hommes je
suis LA souillure… (Bouraoui 1991, 61).
Ici on remarque que le genre féminin est associé à la pire des tares pour cette société
traditionnelle, la faiblesse. Il est également impossible de la dissimuler à la puberté. Le genre
féminin c‘est donc la perte du respect et de la force.
Cette période de surexposition volontaire aux regards masculins est suivie, après la
tentative d‘enlèvement dont elle est victime, d‘une période de dissimulation. Elle fuit le
regard des hommes: ―Longtemps je marche la tête baissée. Longtemps je longe les murs des
grandes villes. Longtemps je plie mon corps. Longtemps je fuis les hommes. […] Ma haine
contre leur désir. Longtemps je porterai cette injustice-là‖ (Bouraoui 48). Cette injustice est
celle d‘être née femme dans une société traditionnelle et phallocentrique. A la puberté, le
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
personnage-narrateur se sent trahie par son corps qui révèle sa féminité à la société et donc
ramène la peur envers les hommes.
Elle se sent trahie par les hommes et leur violence. Cependant, malgré ce rejet, les
conséquences psychologiques de cette confusion des genres sont déjà là. De plus, lors de
l‘épisode du pantalon d‘Amine, elle nous révèle ce changement.
Tu me prêtes ton pantalon préféré, Amine. […] Je le garde longtemps. En otage.
Je refuse de le rendre. Ta mère proteste. Je vis dans ton vêtement, là où
précisément tu tiens ton sexe caché. N‘est-ce pas à cet instant, par ce geste, par
ce vol, que prend l‘homosexualité ? (Bouraoui 70).
Elle s‘approprie l‘identité sexuelle d‘Amine grâce à ce symbole du pantalon. En
effet, dans les années soixante-dix, le pantalon reste un attribut masculin. Ce vêtement a une
valeur d‘autant plus symbolique pour la narratrice que c‘est la celui qui couvre le sexe
masculin, comme elle le confie au lecteur. Cependant, il est bien entendu que ce n‘est pas en
Algérie qu‘elle va pouvoir explorer cette découverte de la sexualité saphique. C‘est en
France, en même temps qu‘elle fera l‘expérience de la libération de la femme, qu‘elle
s‘épanouira dans sa différence sexuelle.
La langue arabe comme vecteur de rejet
Il semble que la langue arabe constitue également un élément de rejet. En effet, cette
langue la sépare des Français tout comme des Algériens. La narratrice ne la maîtrise pas:
― Cette langue qui m‘échappe comme du sable est une douleur. Elle laisse ses marques, des
mots, et s‘efface. Elle ne prend pas sur moi. Elle me rejette. Elle me sépare des autres. Elle
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rompt l‘origine. C‘est une absence. Je suis impuissante‖ (Bouraoui 14). Elle marque sa
différence et sa non appartenance:
J'ai deux éléments, agressifs. Deux jalousies qui se dévorent. Au lycée français
d'Alger, je suis une arabisante. Certains professeurs nous placent à droite de leur
classe. Opposés aux vrais Français. Aux enfants de coopérants. Le professeur
d'arabe nous place à gauche de sa classe. Opposés aux vrais Algériens. La langue
arabe ne prend pas sur moi. C'est un glissement (Bouraoui 35-36).
Cette dichotomie gauche et droite, vrais Français, vrais Algériens, accentue cette
division entre les origines françaises et algériennes. Cela les présente comme
irréconciliables. Pourtant, comme nous le verrons plus tard, c‘est dans l‘écriture que
l‘auteure tentera de les rapprocher, de les expliquer, de les concilier: ―Écrire rapportera cette
séparation. Auteur français ? Auteur maghrébin ? Certains choisiront pour moi. Contre moi.
Ce sera encore une violence‖ (Bouraoui 36). En effet, cela se vérifie avec la plupart des
œuvres de la littérature beur comme mais également avec tous les auteurs imprégnés de deux
cultures. Ces écrivains choisissent un vecteur langagier, ici le Français avec Nina Bouraoui
en l‘occurrence, mais leur écriture est imprégnée d‘accents d‘une autre culture, d‘une autre
tradition. Cela confère à leur écriture une sensibilité particulière. Dans le cadre de
l‘appartenance culturelle et identitaire, il semble que le personnage-narrateur de Garçon
Manqué soit, à cause de la langue, indéniablement entre deux mondes. Cet espace métissé
qui est le sien est un havre de paix car en dehors de cet espace, du côté algérien, elle a fait
l‘expérience d‘une enfance muette, car privée de la parole arabe. Du côté français, au
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contraire, elle connaît une enfance aveugle, car privée de l‘espace français mais dotée de la
parole en langue française.
Les origines françaises
La narratrice est une métisse. En effet, elle est l‘enfant d‘un couple mixte composé
d‘un Algérien et d‘une Française: ―Je viens d‘une union rare. Je suis la France avec
l‘Algérie‖ (Bouraoui 11). Son existence même pose plusieurs problèmes dans la société.
Tout d‘abord, comme nous le verrons plus tard, être métisse suppose une appartenance à
deux cultures et donc une impossibilité physique pour le sujet de faire un choix entre les
deux. Sa différence, bien que constituant une grande richesse, sera perçue par ces sociétés
comme une tare. Ce refus de choisir est ressenti comme une trahison et un rejet par les deux
cultures opposées. Cela entraîne donc le racisme et la violence.
Selon Émile Durkheim, un des pères fondateurs de la sociologie française:
Quand la société souffre, elle éprouve le besoin de trouver quelqu'un à qui elle
puisse imputer son mal, sur qui elle se venge de ses déceptions; et ceux-là sont
naturellement désignés pour ce rôle auquel s'attache déjà quelque défaveur de
l'opinion. Ce sont les parias qui servent de victimes expiatoires (Verdès).
Émile Durkheim fit cette observation au moment de l‘affaire Dreyfus afin
d‘expliquer l‘antisémitisme ambiant. Force est de constater que plus d‘un siècle plus tard, la
situation n‘a guère évolué. La xénophobie de la société française n‘est plus tellement dirigée
contre ― les Juifs‖ mais contre ―les Arabes, qui sont devenus les ―nouveaux parias de la
République‖.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Ce qui rend donc le cas de la narratrice de Garçon Manqué et de son auteure si
particulier, ce sont ses origines et le contexte historique dans lequel elle est née. En effet,
Nina Bouraoui est née en 1967 alors que les accords d‘Évian ont étés signés en 1962. La
plaie de la guerre franco-algérienne est encore ouverte. Les Algériens, tout comme les
Français comme nous le verrons plus tard, ont du mal à souffrir la vue du fruit d‘une union
franco-algérienne. Nina et son ami Amine, en tant que métisses, leurs rappellent les heures
sombres du colonialisme: ―Longtemps je crois porter une faute. Je viens de la guerre. Je
viens d‘un mariage contesté. Je porte la souffrance de ma famille algérienne. Je porte le refus
de ma famille française‖ (Bouraoui 34). Pour la famille algérienne de la narratrice en
particulier, malgré l‘amour, la vue de Nina est une souffrance car elle rappelle la perte d‘un
fils, d‘un frère, Amar, tué à la guerre. La narratrice en est consciente et elle sent qu‘elle
personnifie cette guerre: ― Ici je porte la guerre d‘Algérie‖ (Bouraoui 32) et prend la forme
de cet oncle: ―Je deviens Amar‖ (Bouraoui 34).
Pendant environ dix ans, le racisme qu‘ils subissent est plus ou moins passif. En
effet, la violence se trouve surtout dans les regards et les jugements. Ce sont les mères
françaises qui sont le plus souvent victimes de cela. On peut le voir avec la mère de la
narratrice: ―Ma mère est un défi. Elle le sait‖ (Bouraoui 14) mais également avec la mère
d‘Amine: ―Sa peau blanche. Son visage contre le soleil, une guerre. Elle est démunie, là, sur
la plage algérienne. […] Elle est plus qu‘une étrangère. C‘est une femme française‖
(Bouraoui 29). Ces femmes françaises en Algérie constituent un rappel constant du
traumatisme de la colonisation et leur présence est une bravade permanente aux millions de
morts de l‘indépendance. C‘est pour cette raison que les métisses vivent entre eux, cachés,
loin des grands regroupements de population algérienne et française:
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Ma vie algérienne bat hors de la ville. […] On me protège de la rue, des voix,
des gestes et des regards. Je suis fragile, disent-ils. On m‘exclut. Amine reste
avec moi. Toujours. Il garde le secret. Il est le secret. Par ses yeux, par sa peau,
par son accent (Bouraoui 11).
Dans cette communauté de personnes qui ont les mêmes origines, le même ―secret‖,
le personnage-narrateur est protégé. On ne la juge pas sur son caractère culturellement
hybride.
La situation va s‘envenimer dans les années quatre-vingts. La narratrice vit alors la
violence aveugle et archaïque d‘une société raciste: ―Un char préhistorique. La terrible
immobilité de ce nouveau temps. L‘âge de pierre‖ (Bouraoui 82) ― C‘est donc cela ‗perdre la
raison‘ ?‖ (Bouraoui 83). La sécurité de la famille devient incertaine. La situation devient
alors incontrôlable quand les regards et les paroles médisantes font place à la violence et à la
tentative d‘empoisonnement mais aussi quand la violence passe de la mère française à
l‘enfant métisse: ―La punition pour la fille de la Française‖ (Bouraoui 83). C‘est cette
montée de violence qui va forcer la famille Bouraoui à s‘exiler.
Rejet de la société française
Le racisme de la société française s‘est fait beaucoup plus virulent à partir du conflit
franco-algérien. La narratrice dénonce ce racisme insidieux qui commence à prendre forme à
l‘abri des regards, dans les maisons, et qui après avoir contaminé les enfants, se répand
comme une épidémie. Ce racisme pervers, c‘est surtout ses parents qui l‘ont subi à
l‘université:
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Radidja la mouquère chantent les étudiants. La Française, la vicieuse. Comme
celles qui fréquentent les Noirs. Ces visages. Ces couteaux. Oui, ce rejet est
sexuel. Oui, le racisme est une maladie. Un vice. Une maladie honteuse. Qui se
développe parfois dans le silence des maisons (Bouraoui 153).
En effet, la mère est la fautive, elle porte la faute. ―En pleine guerre. Embrasser
l‘ennemi. Le désirer. Faire la paix avant les autres. Par le corps. Se mélanger. Faire des
enfants. Je la sens, cette peur‖ (Bouraoui 114). On voit bien ici, une fois de plus, que pour
Nina Bouraoui, le racisme est sexuel. En effet, selon Hélène Jaccomard, ―l‘enfant métissé est
la vivante expression d‘une étreinte qui devait rester cachée. Dans l‘imaginaire collectif de la
société, l‘enfant serait un mélange du ― pur‖ et de ― l‘impur‖ (Jaccomard). Pourtant, Hélène
Jaccomard avance l‘argument proposé par Henry Laurens dans son article intitulé ―Les
Arabes et nous‖ : ―Tout Arabe a en lui une part d‘occidentalité intériorisée, comme tout
Européen a une parcelle du monde arabe et musulman en lui‖ (Henry 16). Selon cette
idéologie raciste primitive, la Française qui donne son corps à ―l‘Arabe impur‖ trahit son
pays. N‘oublions que quinze ans avant la rencontre des parents de la narratrice, les
Françaises coupables d‘avoir cédé à la tentation avec des militaires allemands avaient été
rasées publiquement. Il semble donc que les généralisations, les préjugés et surtout
l‘ignorance soient la gangrène des relations entre les individus. Loin de s‘en rendre compte,
les deux groupes continuent à s‘affronter sans chercher à résoudre le problème sous-jacent:
la peur de la différence. Cette peur est nourrie par l‘ignorance:
Demain, j‘irai chez le médecin pour vérifier ma vie algérienne. Juste par
précaution. Sang, ouïe, os, réflexes. Passer en revue le corps. Traquer. Déceler.
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Les dignes de carence. Oui, monsieur, on mange à notre faim. […] Demain, on
m‘examine. Mais moi je vais très bien‖ (Bouraoui 114-115).
On retrouve dans cette citation la pensée coloniale. En effet, il semble inconcevable
pour les grands-parents du personnage-narrateur que les enfants soient bien soignés en
Algérie car, contrairement à la métropole, elle est habitée par des ―barbares‖.
Ce racisme et ce rejet de la différence se retrouvent même chez les grands-parents de
la narratrice. En effet, malgré l‘amour qu‘ils portent à leur fille et à leurs petites filles, ils
sont en fait incapables ―d'aimer vraiment ce qui est étranger‖ (Bouraoui 99). En effet, ils
refusent d‘abord que leur fille épouse un Algérien, malgré l‘éducation de celui-ci.
Tout comme en Algérie, en France, l‘existence même de la narratrice est un rappel
permanent des horreurs d‘une guerre encore toute fraîche dans les esprits. Elle symbolise
l‘interdit que ses parents ont transgressé par amour: ―Quelle faute, alors ? D‘être la fille des
amoureux de 1960. De rendre ce temps éternel. Par ma seule présence. Par mon seul regard.
Par ma seule voix. Par ma seule identité. De remuer le couteau dans la plaie‖ (Bouraoui
128).
La société féminine et française, elle, porte un autre regard sur Nina que les hommes
algériens. La femme est loin d‘être considérée de la même façon dans la société occidentale.
Le rejet se fonde donc sur une incompréhension du travestissement de Nina. Tout d‘abord, la
mère d‘Amine s‘inquiète de voir son fils être ami avec ce garçon manqué, par peur qu‘il
devienne homosexuel. Ensuite la société française a une attitude négative envers elle: ―ces
regards sur mes cheveux courts. Nina, un garçon manqué. Nina, une fille ratée. Nina, à force,
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
il te poussera un zizi. Ou une barbichette‖ (Bouraoui 111). C‘est pourtant en France que la
narratrice commencera à explorer son homosexualité.
La France et le rejet de l’homme/ perte de pouvoir
La France est donc l‘espace où la toute-puissance de l‘homme est diminuée. Dans la
société occidentale, la femme jouit d‘une plus grande reconnaissance de manière générale.
De plus, l‘arrivée de ces immigrés algériens coïncide avec la période de la libération de la
femme en France. En effet, toute la période d‘après-guerre (mondiale) fut prolifique en
matière d‘avancées sociales. En 1944, l‘on accorde le droit de vote et d‘éligibilité aux
femmes. Dans le domaine du travail, l‘année 1945 voit la disparition de la notion de ―salaire
féminin‖ et l‘introduction de celle de ―À travail égal, salaire égal‖ dans la législation
française. Dans les années soixante, ce sont les régimes matrimoniaux qui sont réformés et la
contraception qui est autorisée annonçant la loi Veil sur la dépénalisation de l‘avortement en
1975. Il en va de même avec la femme issue de l‘immigration. Parallèlement à toutes ces
réformes occidentales en faveur de l‘émancipation de la femme, l‘Algérie reste en arrière et
toutes les propositions de loi tournent court. L‘immigration est donc le moyen d‘exposer les
femmes à la modernité et de les libérer de l‘autorité de leurs maris. L‘immigration a
également tendance à opérer un glissement de l‘autorité au sein de la famille et de la faire
reposer sur la mère. Elle change de visage. La femme travaille et prend des décisions. Même
si des différences importantes existent encore entre les femmes et les hommes dans la société
française, celle-ci prend de plus en plus de pouvoir. En effet, celle-ci travaille et tient le
foyer. Celle-ci a pris conscience, petit à petit de sa valeur et de son droit à exercer son
autorité dans le couple et dans la famille. Les hommes n‘étant pas vraiment prêts pour ce
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type de changement choisissent généralement la violence, comme par exemple dans
Boumkoeur de Rachid Djaidani ou encore la fuite comme dans Garçon Manqué de Nina
Bouraoui. Dans le roman de Medhi Charef, le Thé au Harem d’Archi Ahmed, le père du
héros n‘a pas eu le choix d‘être violent ou de prendre la fuite puisqu‘il a été victime d‘un
accident de travail qui l‘a rendu amorphe. Toujours est-il que face à des adolescents ayant
perdu leurs repères paternels, les mères ne peuvent pas faire grand-chose afin d‘empêcher
leurs enfants de sombrer et d‘abandonner l‘école pour certains.
Hybridité et Quête identitaire
A travers ses romans, Nina Bouraoui nous fait partager la quête effrénée de son
identité à travers celle de ses personnages-narrateurs: ―Je cours vite. Je tombe souvent. Je me
relève toujours. Ne pas être algérienne. Ne pas être française‖ (Bouraoui 35). Rejetée par ses
deux cultures, elle rend compte de cette violence de la société intolérante dans ses romans et
notamment Garçon Manqué, La Voyeuse interdite, Le Bal des murènes et L'Age blessé.
Cette question de l‘identité revient comme une complainte, un appel à l‘aide tout au
long de ses romans: ―Qui suis-je?‖ (Bouraoui 146), ―Tous les matins je vérifie mon identité.
J'ai quatre problèmes. Française? Algérienne? Fille? Garçon?‖ (Bouraoui 167). La quête
identitaire du personnage-narrateur se situe donc sur deux niveaux: culturel et sexuel.
Dans un premier temps, la narratrice perçoit son identité culturelle comme nulle,
absente. L‘expression ―je ne suis rien‖ (Bouraoui 31) est symptomatique du déni de soi
qu‘elle opère. On retrouve ce problème dans la plupart majorité des romans de la littérature
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
beur. Par exemple, dans Le thé au Harem d’Archi Ahmed de Medhi Charef, Madjid est
―[p]artagé entre deux cultures sans avoir la sensation d‘appartenir à aucune‖ (Charef).
Selon Amin Maalouf, un immigré est le résultat d‘une multitude d‘influences ―à la
lisère de deux pays, de deux ou trois langues, de plusieurs traditions culturelles‖ (Maalouf
7), qui font de lui un être à part dans le bon sens du terme: ―ce qui fait que je suis moi et pas
un autre‖. Cette multiculturalité ou double appartenance n‘est pas comprise par la société qui
presse ces individus de choisir entre une et l‘autre et préférablement de prêter allégeance à la
culture dominante: ―Mais quel camp devrais-je choisir? Quelle partie de moi brûler? ‖ se
demande la narratrice de Garçon Manqué (Bouraoui 35). S‘il ne le prend pas part au
processus aliénant d‘acculturation, l‘individu est rejeté car différent. Il doit alors chercher
ailleurs que dans la société, les repères qui l‘aideront à se construire. Dans Le Thé au harem
d’Archi Ahmed, Madjid, le narrateur se construit des repères avec ses amis, des jeunes de la
cité qui rencontrent la plupart de ses problèmes identitaires, sociaux ou économiques. Dans
Garçon Manqué, Nina se construit des repères avec son ami Amine, qui est métisse lui aussi.
Elle l‘aime, c‘est le seul qui puisse la comprendre. Être métisse, c‘est un peu avoir ―deux
passeports‖ mais ―un seul visage apparent‖ (Bouraoui 21).
L‘individu subit aussi une métamorphose inévitable, une modification identitaire
quand il est exposé à une culture différente mais il n‘est pas le seul. La culture à laquelle
l‘étranger est exposé subit également une métamorphose grâce à ce jeu des influences. De
cette métamorphose résulte une hybridation de la culture ainsi que de l‘individu. Celle-ci est
inéluctable. L‘individu se construit une nouvelle identité qui lui est propre. Dans le cas de la
narratrice, ― ni vraiment Française ni vraiment Algérienne‖ (Bouraoui 133). Cette double
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
appartenance de l‘individu peut être perçue de différentes façons. Tout d‘abord, l‘individu
peut être perçu comme métisse. Le métissage, c'est-à-dire le mélange des deux cultures en
contact, tend à avoir une connotation péjorative. Il suppose qu‘une des cultures est
inférieure. On peut aussi voir la nature multiculturelle de l‘individu comme une hybridation,
c'est-à-dire une culture qui a été influencée et qui a intégré plusieurs éléments de différentes
cultures. La notion d‘hybridité semble être la plus appropriée pour décrire la pluri-identité du
narrateur. Elle suppose une ouverture à l‘autre, qu‘elle soit volontaire ou non.
Selon Homi Bhabha, l‘hybridité peut se concevoir comme ―une culture
internationale, fondée non pas sur l'exotisme du multiculturalisme ou la diversité des
cultures, mais sur l'inscription et l'articulation de l'hybridité de la culture‖ (Bhabha 83). En
effet, l‘hybridité est un processus de refus de s‘identifier complètement à la culture d‘origine
mais aussi de s‘identifier à la culture du pays d‘accueil car dans les deux cas cala présuppose
un abandon.
Par ce processus, l‘individu sort enrichi et sa compréhension du monde et des
différences s‘en trouve améliorée: ―De mère française. De père algérien. Je sais les odeurs,
les sons, les couleurs. C'est une richesse‖ (Bouraoui 35). En effet, selon Nestor Garia
Canclini, le sujet recèle en son hybridité et grâce à sa ―déterritorialisation‖, une aptitude à
une production nouvelle: ― les pertes de la relation naturelle de la culture aux territoires
géographiques et sociaux et, en même temps, certaines relocalisations territoriales partielles
des anciennes et des nouvelles productions symboliques‖ (Canclini 228-229).
Cependant, cette théorie semble présupposer l‘existence à postériori d‘au moins une
culture originelle, non affectée par les influences extérieures. Alors qu‘en fait, toute identité
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
est le fruit d‘un savant mélange de diverses cultures qui s‘influencent mutuellement. C‘est ce
que l‘on retrouve dans le roman de Marco Micone, Le Figuier Enchanté, le récit d‘un
immigré italien au Québec:
Ni tout à fait italienne, ni tout à fait québécoise, ma culture est hybride. […]
Aucune culture ne peut totalement en absorber une autre ni éviter d‘être
transformée au contact de celle-ci. La culture immigrée est une culture de transition
qui, à défaut de pouvoir survivre comme telle, pourra, dans un échange harmonieux,
féconder la culture québécoise et ainsi s‘y perpétuer (Micone 100).
On revient alors avec cette théorie au propos d‘Henry Laurens dans son article ―Les
Arabes et nous‖ (Henry 16). En effet, la culture arabe a été influencée par la culture
française et vice versa. De telles modifications sont inéluctables et participent à la richesse
de la culture et à sa conservation dans le temps: ―Deux petites métisses le nez dans le
chocolat Poulain‖ (Bouraoui 129). Cette particularité est inhérente à l‘être qu‘est l‘exilé. On
peut ici citer Mahmoud Darwich:
Je ne peux faire, en ce qui me concerne, aucun reproche à l‘exil. Il a été
extrêmement généreux. Il m‘a appris, éduqué, il a élargi les horizons de mon
humanité et de ma langue. Il m‘a permis de faire dialoguer les peuples et les
cultures. Je ne peux me désister de cet exil, il est l‘une de mes constituantes
essentielles (Darwich 188).
Il faut comprendre cette citation de Mahmoud Darwich non pas comme une vision des
autres cultures comme meilleures que sa culture d‘origine mais plutôt comme une richesse
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
supplémentaire qui lui permet de voir le monde différemment, riche de plusieurs
perspectives.
Malgré la nature hybride des identités, cette double appartenance n‘est pas reconnue
par la culture dominante. Le processus d‘acculturation qu‘entreprennent les immigrés ne
change rien au rejet qu‘ils subissent. Cette notion de rejet est longuement évoquée dans
Garçon Manqué: ―Tu n‘es pas vraiment Algérien. Tu en a juste l‘air, empêché par cet alcool
français qui te ronge‖ (Bouraoui 17). Il est vrai que l‘étranger c‘est l‘inconnu et l‘inconnu
fait peur en même temps qu‘il attire. Cependant, les mentalités sont telles que rares sont les
individus qui vont au-delà de cette peur. Le comportement qui en résulte est primitif, la
culture dominante se sent menacée dans sa suprématie et rejette tout ce qui est différent, un
rejet fasciné selon Freud. Selon la pensée de la philosophe française Julia Kristeva basée sur
son étude de Freud, la peur de ―l‘étranger‖ en tant que concept serait en fait une
manifestation de l‘étranger qui fait partie de nous. Quand on se confronte à l‘étranger, quand
on le rejette, on s‘oppose en fait à notre propre inconscient et exprimons nos peurs enfouies.
Même si son étude ne rapproche jamais la notion d‘étranger comme inconnu à celle
d‘étranger comme immigré, pour Julia Kristeva il est évident qu‘il faut lire entre les lignes et
rapprocher ces deux concepts. Freud nous invite à nous questionner sur qui nous sommes
étant donné que l‘inconnu ou l‘étranger est en nous et que nous n‘en avons pas conscience.
Kristeva, elle, nous montre que la rencontre avec l‘altérité étrangère de surcroit et le rejet
que nous en faisons nous renvoient en fait à notre propre peur inconsciente. Elle va même
plus loin en affirmant que reconnaître notre ― inquiétante étrangeté‖ (Freud 163-210) nous
amènerait à ne plus avoir peur de l‘étrangeté de l‘inconnu qui évolue en dehors de notre
sphère personnelle et donc à l‘accepter (Kristeva).
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
De même que Kristeva, l‘écrivain et philosophe marocain Abdelkébir Khatibi,
s‘oppose à tout ce qu‘il nomme le ―jargon d‘authenticité, toute égologie, ―une pensée du
dehors‖, qui déconstruit la déformation de l‘image entre le moi et l‘autre et accentue le fait
que ni le moi ni l‘autre n‘est assimilable‖. En réalité, il ―conçoi[t] l‘autre en sa limite
infinie, porteuse d‘un monde inconnu, qui exige de la pensée l‘exercice d‘une violence
novatrice entre les cultures, leurs rencontres et leurs résistances à la pulsion de cruauté des
uns et des autres‖ (Khatibi).
Il semble que les troubles identitaires ne soient pas seulement la cause d‘un rapport
conflictuel avec la société. En effet, comme l‘on peut le voir dans La Voyeuse Interdite, la
crise identitaire du personnage-narrateur est plus particulièrement le reflet du manque
d'identification aux images parentales. La mère lui est indifférente et le père, misogyne, la
maltraite. La narratrice n'est pas reconnue, elle n‘est pas aimée, elle ne sait pas qui elle est.
On retrouve ici la déchirure identitaire de Nina Bouraoui, qui elle, si elle a bénéficié de
l‘amour parental, étant issue d‘un mariage mixte, n‘est vraiment reconnue par aucune des
deux cultures: ―La France m‘oublie. L'Algérie ne me reconnaît‖ (Bouraoui 31). Entre deux
cultures qui s‘affrontent, le personnage-narrateur poursuit sa quête identitaire dans le roman
Garçon manqué.
On peut illustrer ce concept de l‘influence extérieure par la théorie de Gilles Deleuze,
sur le rhizome. Un rhizome est une tige souterraine. Cependant, il est différent d‘une racine
traditionnelle par sa structure. En effet, il est composé d‘écailles, de nœuds, de bourgeons,…
Quelquefois, des ramifications considérables permettent la multiplication végétative de la
plante. Selon Gilles Deleuze, l‘individu est comme un rhizome. Il n‘y a pas d‘identité propre
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
et clairement définie. En effet, toute identité prend son origine dans beaucoup plus de
cultures que l‘on ne l‘imagine. Le jeu des influences est extrêmement important dans la
construction des cultures. Elles sont complexes et prennent leur origine de plusieurs
branchements, selon le modèle de l‘Arbre de Porphyre (Deuleuze). Selon Deleuze, le
rhizome n‘a pas d‘origine, de centre à l‘abri des influences extérieures. Il n‘a pas de point
d‘entrée ni de point de sortie bien défini.14 Tout comme le rhizome, l‘identité des individus
est unique influencée par toutes celles qui l‘entourent. La narratrice de Garçon Manqué
influencée par la terre chaude de l‘Orient et donc attachée au passé (être un homme) tout en
allant vers la multiplicité avec l‘Occident, s‘ouvre aux influences et aux possibilités
nouvelles (être une femme).
Cependant, dans Garçon Manqué, les genres sont confus en Algérie et en France.
Tout d‘abord, le personnage d‘Amine, qui est un garçon est décrit comme très féminin. En
effet, ―Tu as les cheveux longs, noirs et bouclés. Tu pleures pour un rien. Tu gémis. On
t‘appelle la fontaine. […] Ta peau est blanche et fine. Tu veilles sous la peau d‘une fille‖
(Bouraoui 64-65). La narratrice, elle, est décrite comme un garçon: ―Ma poitrine musclée.
Mes épaules fortes. […] Se sentir virile‖ (Bouraoui 34). Cette confusion des genres suppose
une homosexualité latente que la narratrice confirme à plusieurs reprises dans le roman: ―Je
t‘aime comme un homme. Je t‘aime comme si tu étais une fille‖ (Bouraoui 65), ―Je suis en
toi, Amine. Tu es pénétré‖ (Bouraoui 64). Là encore, il s‘agit d‘une hybridité homme-femme
autant dans l‘apparence que dans la sexualité. L‘identité sexuelle du personnage-narrateur,
tout comme son identité culturelle se situent dans l‘altérité.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Enfin, il semble que malgré les efforts de l‘individu pour s‘acculturer, celui-ci ne
peut échapper à un état autre, situé entre les deux états, les deux cultures. C‘est selon Homi
Bhabha, l‘immigré sera toujours ―presque le même, mais pas tout à fait‖ (―the same but not
quite‖) (Delvaux 681). C‘est ce qu‘illustre la narratrice de Garçon Manqué quand elle nous
dit: ―je reste entre les deux pays. Je reste entre les deux identités‖ (Bouraoui 28). Pour Homi
Bhabha, l‘immigré sera toujours dans cette espace qui ne lui permettra jamais de s‘identifier
complètement à une culture ou à une autre, car ―une ombre qui ne peut bénéficier des mêmes
critères d‘appréciation que la norme‖ (Rutherford). Dans Garçon Manqué, à nouveau Nina
s‘adresse à Amine en ces termes: ―Tu seras incomplet, Amine. Tu ne seras jamais toi en
entier. Il te manquera toujours quelque chose. Un secret. Un visage. Un fragment
introuvable‖ (Bouraoui 78). Cette quête de l‘identité autre, Nina Bouraoui la mène grâce à
son personnage-narrateur à travers l‘écriture qui lui procure un exutoire privilégié.
Exécutoire dans l’écriture. Exploration de sa différence dans un style
violent
Nina Bouraoui est une écorchée vive. Sa différence, elle la ressent de manière
viscérale. Avec la publication de Garçon manqué en 2000, elle nous livre une véritable
autobiographie, contrairement aux autofictions comme La Voyeuse interdite, son premier
roman. En effet, l‘autobiographie constitue l‘ultime moyen pour l‘écrivain de se raconter et
par là de se trouver. L‘écriture devient libératrice. Cette conception de l‘écriture pour se
libérer pour guérir une blessure a de tout temps fait parti de la littérature. En effet, on le voit
avec le grand nombre de publications par des auteurs juifs qui ont vécu l‘enfer dans les
camps de concentration nazis. On peut citer quelques-uns comme Si c’est un homme de
Primo Levi qui fut publié en 1947, La Nuit d‘Elie Wiesel publié en 1958 ou encore Au Nom
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
de tous les miens de Martin Gray publié en 1971. Raconter son traumatisme, sa souffrance
permet de se libérer car l‘individu se défait de son ―secret‖. L‘écriture lui permet alors
d‘extérioriser ses angoisses et de prendre du recul et de les analyser. L‘individu s‘ouvre aux
autres. L‘avantage de l‘écriture sur la parole ou la thérapie par exemple, c‘est que l‘individu
échappe aux regards et aux possibles jugements d‘autrui. On pourrait objecter en disant que
le livre sera par la suite lu par le public. Cependant, un texte est un texte indépendant de son
auteur c‘est un système autonome. L‘auteur même s‘il a un rapport très étroit avec son
travail comme Nina Bouraoui, par exemple, peut considérer le texte comme hors de lui et
donc il est psychologiquement moins difficile de livrer un roman que de livrer sa parole.
Le style
Le style de Bouraoui est moderne. Il est également fragmentaire, à l‘image de son
identité sexuelle et culturelle. Les phrases s'enchaînent à une vitesse folle ne laissant aucun
répit au lecteur. Le récit est composé de phrases courtes à la construction grammaticale
simple: sujet, verbe, complément. Cependant, le style de Nina Bouraoui est tout sauf
simpliste. La cadence folle à laquelle s‘enchaîne ses phrases et mots témoigne de l‘urgence
d‘écrire dans laquelle elle se trouve. Son écriture est dictée par le cœur, les sentiments. Elle
est instinctive. Elle s‘exprime par rafales lyriques et passionnées. Son écriture est violente.
Elle fait également appel aux sens du lecteur. En effet, quand elle décrit la sensation du
soleil sur sa peau ou la tristesse du sol humide de Rennes, le lecteur se trouve transporté dans
sa peinture. Les romans de Nina Bouraoui sont violents et anti-conventionnels. Ils disent une
vérité que la société préfèrerait enfouir.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Selon Hassiba Lassoued, cette apparente simplicité syntaxique masque la situation
psychologique de l‘auteure qui, il faut bien l‘avouer, est extrêmement complexe. Garçon
manqué symbolise ce trouble. Nina Bouraoui devient en tant qu‘auteure de cette littérature
beure, le porte flambeau de cette parole de toute une génération qui dans le silence se débat
et souffre de ce trouble identitaire.
Exutoire/ Quête Identitaire
L‘œuvre de Bouraoui opère une sorte de glissement de la critique de la société à la
question existentielle qui martèle le roman Garçon Manqué, ―Qui suis-je ? Entre l‘Algérie et
la France, où est ma place?‖
C‘est en écrivant sur son drame personnel qui est aussi le drame de milliers
d‘immigrés, sur le rejet et le racisme des deux sociétés qui font qui elle est ―Mon corps se
compose de deux exils‖ (Bouraoui 22) qu‘elle trouve le moyen de se délivrer de ses démons.
L‘écriture devient un abri contre le rejet du monde extérieur, un monde à part où elle
s‘exprime sans entraves liées à son statut de femme et de métisse. Elle a un rapport
extrêmement fort avec son travail. Un livre peut la bouleverser. Par exemple, son livre publié
en 1996, Le Bal des Murènes, elle ne peut le relire.
On retrouve dans l‘écriture de Bouraoui une extension phallique. En effet, l‘écriture
confère à l‘auteure une véritable force masculine qu‘elle ne possède pas dans la réalité. Son
style est agressif comme un ―coup de poing‖ (Lassoued). Elle est dans la maîtrise:
―L‘écriture, c‘est mon vrai pays, la seule terre que je maîtrise‖ (Bouraoui). Le pronom
personnel ―je‖ lui confère entre autre cette puissance et lui donne la possibilité de s‘affirmer.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
C‘est un texte fortement imprégnée des couleurs du style durassien dans la puissance et
l‘éloquence du récit.
Le personnage-narrateur se trouve dans une dynamique d‘écriture féminine.
L‘écriture féminine est un concept développé dans les années soixante-dix par Cixous
entre autres. Selon elle, l‘écriture est un moyen de se définir, de se trouver mais aussi de
regagner ce dont la femme a été privée : ―Il faut que la femme s‘écrive: que la femme
écrive de la femme et fasse venir les femmes à l‘écriture, dont elles ont été éloignées
aussi violemment qu‘elles l‘ont été de leur corps‖ (Cixous l‘Arc 1975, 39). Le
personnage-narrateur de Garçon Manqué a été éloigné de son corps de femme et c‘est par
l‘écriture, une écriture féminine, empreinte de violence qu‘elle le regagne.
Selon la théorie de Cixous l‘écriture féminine est un exutoire, qui permet la libération du
sujet féminin écrivant au même titre que le rire ou le sexe :
Il est impossible de définir une pratique féminine de l'écriture, d'une
impossibilité qui se maintiendra car on ne pourra jamais théoriser cette pratique,
l'enfermer, la coder, ce qui ne signifie pas qu'elle n'existe pas. Mais elle
excédera toujours le discours que régit le système phallocentrique; elle a et aura
lieu ailleurs que dans les territoires subordonnés à la domination philosophiquethéorique (Cixous 1975, 45).
En effet, l‘écriture du personnage-narrateur de Nina Bouraoui ne peut être complètement
indépendante de ce système phallocentrique et son opposition à la masculinité dans la
deuxième phase de son existence ne fait que corroborer son appartenance au système
philosophique et théorique de l‘écriture et du monde en général.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Écriture comme vecteur de réconciliation avec sa nature.
Il semble également que cette écriture chez Nina Bouraoui soit un moyen de
s‘accepter telle qu‘elle est, d‘accepter sa différence. Au fur et à mesure de ses romans, elle
comprend que cette déchirure de son identité lui permet de se construire en tant qu‘individu,
en tant que femme, en tant qu‘écrivain. Elle est originale, c‘est ce qui fait sa force. Son style
reste distinctif. Cependant, il se fait de plus en plus envoûtant et sensuel. Elle commence à se
questionner de plus en plus sur son identité sexuelle. Son écriture devient un ―langage du
corps‖. En quelque sorte traumatisée par la violence et la toute puissance des hommes
algériens de son enfance, elle témoigne de son choix et de sa liberté d‘être une femme et
d‘aimer les femmes. Elle décrit cet amour et ce désir dans ses romans Nos Baisers sont des
Adieux et La Vie Heureuse par exemple.
Ses romans sont à l‘image de son existence, le triomphe de l‘espoir et de l‘amour sur le
racisme et l‘intolérance. Par l‘écriture, elle réunit ses deux identités, ses deux amours:
“j‘écrirai en français en portant un nom arabe‖ (Bouraoui 35).
Équilibre dans l’exil
Paradoxalement, c‘est dans l‘exil en Italie que Nina Bouraoui, auteure et narratrice,
trouvera l‘équilibre alors que lors de son premier exil elle avait ressenti une souffrance
extrême. Cependant, l‘on se rend compte petit à petit que sa vraie souffrance, c‘est d‘être
double sur le plan identitaire. En effet, même si le déracinement, l‘arrachage au pays de son
enfance fut difficile, c‘est plutôt, comme on l‘a vu plus haut, un attachement à la terre, aux
odeurs et aux sons que Nina Bouraoui avait développé, et non un attachement aux Algériens
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
en tant que peuple. Il apparait alors que son choix d‘un nouvel exil n‘est pas si paradoxal que
cela et qu‘il s‘impose même comme une évidence. En effet, si Nina Bouraoui s‘inscrit dans
un tiers-espace, un espace hybride entre l‘Algérie et la France sur le plan personnel, il est
donc logique que la réciproque soit vraie sur le plan de l‘espace. Afin d‘être en paix avec
elle-même, ne pas avoir à choisir, ne pas avoir à ―brûler une partie de son corps‖, elle doit
trouver un espace neutre, où elle n‘a pas l‘impression de trahir son père ni sa mère. L‘Italie
s‘impose alors de par son emplacement géographique très proche des deux pays et de par sa
neutralité envers les deux nations. Là-bas, elle n‘est pas un objet de discorde symbolisant le
traumatisme de deux peuples en souffrance.
L’appartenance à l’espace littéraire et linguistique
Le problème de l'inscription dans un espace littéraire donné est un problème que pose
également Nina Bouraoui dans Garçon Manqué. En effet, elle se demande: ―Auteur
français ? Auteur maghrébin ? Certains choisiront pour moi. Contre moi. Ce sera encore une
violence‖ (Bouraoui 47). Cependant, selon Hassiba Lassoued, la différence avec Nina
Bouraoui, c‘est qu‘elle parvient à trancher en choisissant de s‘inscrire dans un espace
linguistique et non totalement culturel: ―Je parle en français. Uniquement. Je rêve en
français. Uniquement. J'écrirai en français. Uniquement. La langue arabe est un son, un
chant, une voix. Que je retiens. Que je sens. Mais que je ne sais pas. La langue arabe est une
émotion‖ (Bouraoui 171). Elle s‘inscrit donc dans la mouvance littéraire beur Française, un
mouvement littéraire d‘enfants d‘immigrés de la deuxième génération dont elle partage les
mêmes souffrances, les mêmes peurs et les mêmes questions.
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Conclusion
Dans son roman autobiographique Garçon Manqué, Nina Bouraoui raconte son mal
être. Tout d‘abord, son arrachement à l‘Algérie de son enfance et la projection brutale dans
le pays de sa mère, un pays qui lui est quasiment inconnu. Les contrastes entre les deux
terres sont très marqués. La narratrice parle également du rejet qu‘elle a subit mais aussi que
ses parents ont subit aussi bien en Algérie qu‘en France. En effet, sa nature métisse lui
confère une différence qui la sépare des deux peuples dont elle est issue. Nina Bouraoui
parle notamment de la discrimination et des violences faites aux femmes en Algérie dans
Garçon Manqué mais également dans la Voyeuse Interdite. C‘est cette difficulté d‘être une
femme en Algérie qui va pousser Nina, la narratrice de Garçon Manqué à vouloir devenir un
homme, à prendre le pouvoir et donc à avoir une identité sexuelle confuse ; et Fikria, la
narratrice de La Voyeuse Interdite, à haïr les hommes.
Nina Bouraoui poursuit à travers ses romans une quête identitaire qui l‘amènera à
discuter de son appartenance. Elle, comme tous les immigrés, les métisses ou toute personne
profondément influencée dès le plus jeune âge par une autre culture que la sienne, se situe
dans un Tiers-Espace, un entre-deux des cultures. Sa culture n‘est ni complètement
algérienne, ni complètement française. Elle est hybride. Cependant, ne pas avoir une identité
clairement définie, ne pas savoir qui ont est, est une souffrance.
C‘est ce questionnement sur son identité et cette souffrance que Nina Bouraoui nous
livre à travers son écriture. L‘écriture est devenue cet espace entre les cultures, cet espace
qu‘elle connaît et dont elle est maîtresse. Son style est d‘une beauté rare et violente. Elle
n‘épargne pas le lecteur et lui expose son malaise intime. L‘écriture est aussi le moyen de se
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
réconcilier avec soi-même et de trouver un apaisement dans la tempête. L‘auteure, Nina
Bouraoui ainsi que la narratrice de Garçon Manqué, trouveront sur le plan spatial, un
apaisement de leur souffrance dans un nouvel exil, l‘Italie.
Sur le plan littéraire, la question de la langue est également très importante chez
Bouraoui. En effet, c‘est également grâce à la langue qu‘elle peut s‘affirmer en tant
qu‘auteure. Nina Bouraoui s‘identifie à toute une génération qui, dans l‘ombre se bat contre
les mêmes démons et essaie, tout comme elle de trouver une identité qui lui est propre. Ces
écrivains font partie de ce que l‘on appelle la littérature beur, une littérature française aux
forts accents maghrébins et qui traite des mêmes processus identitaires, entre autres, que
Nina Bouraoui. Assurément, si elle éprouve des difficultés à trouver une appartenance sur le
plan culturel et identitaire, sur le plan de la littérature, en tant qu‘auteure, elle trouve sa place
au sein d‘une littérature beur francophone qui comme elle, n‘est ni tout à fait française, ni
tout à fait algérienne.
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Chapitre VI
Conclusion
Dans ce travail de recherche, je me suis particulièrement intéressée au traumatisme
de la guerre d‘Algérie et son reflet dans la littérature. En effet, l‘histoire de France a pris un
autre tournant au vingtième siècle. Le pays des droits de l‘homme a commencé à entrevoir
un nouveau côté sombre, c‘est-à-dire son côté pas aussi humaniste qu‘il aime à le prétendre.
La première remise en question est intervenue après la découverte de la collaboration sous le
régime de Vichy. La deuxième, et celle qui nous intéresse ici, est la guerre d‘Algérie.
Longtemps appelée ―opérations de maintien de l‘ordre‖ ou ―évènements d‘Algérie‖ afin de
minimiser son importance, cette guerre est le symbole d‘une France qui cherche à
s‘accrocher à la grandeur d‘un passé perdu. Cette grandeur passe évidemment par son
empire colonial et donc par sa mission humaniste et ―civilisatrice‖. L‘histoire française et
mondiale du vingtième siècle remet en question des fondements idéologiques hérités des
Lumières et toute la littérature d‘Après-guerre en est marquée.
La guerre d‘Algérie s‘inscrit donc dans ce contexte de décolonisation difficile qu‘a
été obligée d‘entreprendre la France au vingtième siècle et qui s‘est terminée dans un bain de
sang. N‘oublions pas que la guerre d‘Algérie a eu lieu à un moment de l‘histoire où la
France essayait de se reconstruire moralement et économiquement après la Deuxième Guerre
mondiale. Par ailleurs, la colonie algérienne avait une valeur affective toute particulière pour
les Français qui en avaient fait une colonie de peuplement. Le conflit franco-algérien est
donc traumatique à plusieurs niveaux. Mais que reste-t-il après un conflit d‘une telle
ampleur ? Quel est l‘impact sur les hommes ?
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Texas Tech University, Alexandrine Mailhé, May 2011
Dans cette recherche, je me suis proposée d‘analyser à partir de deux romans
comment le traumatisme du conflit franco-algérien se reflète dans la littérature algérienne de
langue française et de quelle manière il trouve un écho dans la littérature française dite beur,
c‘est-à-dire la littérature d‘une génération à cheval sur deux pays et cultures.
Résultats de la recherche
Tout d‘abord, j‘ai rappelé la nature des relations franco-algériennes d‘un point de vue
historique. C‘est en 1830 que l‘Algérie commence à devenir le faire valoir en même temps
que le souffre douleur de la France. Après une conquête difficile et qui prit plusieurs années,
la France installe un régime colonial chaotique mais qui se stabilise au début du vingtième
siècle sous le nom d‘ ―Algérie française‖ ou de ―Départements français d‘Algérie‖.
L‘Algérie est le bijou de l‘empire français, lui assure un contrôle presque total sur la mer
Méditerranée et constitue un passage privilégié vers l‘Afrique saharienne et subsaharienne.
A cette époque, l‘Algérie fait partie de la France, ―l‘Algérie c‘est la France‖ pour l‘opinion
publique comme pour les politiciens. La population française et européenne vivant en
Algérie, dont les membres sont appelés ―les Pied-noirs‖ est très importante et bloque
constamment toute tentative de réforme en faveur de la population autochtone. L‘Algérie
étant également considérée comme un réservoir de main d‘œuvre, les pouvoirs publics de la
métropole n‘hésitent pas à encourager l‘immigration algérienne.
Les relations franco-algériennes ont donc toujours été tendues de par la colonisation.
Elles oscillent constamment entre l‘amour passionnel et la haine, tout aussi passionnelle.
Cette passion culminera dans la guerre qui laissera à jamais des cicatrices profondément
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douloureuses chez les Français comme chez les Algériens. Ce conflit est fortement
représenté dans la littérature franco-algérienne
Dans un deuxième temps, mon but était de mettre en relation l‘histoire et les
mouvements littéraires successifs en Algérie qui ont amené à la libération de celle-ci et sa
constitution en tant que nation moderne. En effet, la littérature occidentale commence tout
d‘abord par représenter l‘Orient comme un endroit voluptueux et étranger, de manière plus
imaginaire que réelle. Puis, avec l‘avènement des auteurs dits algérianistes, s‘est opéré un
glissement de l‘image de l‘Algérie, de l‘imaginaire vers le réel. La caractéristique principale
des auteurs de ce mouvement est qu‘ils n‘étaient pour la plupart que des voyageurs comme
les orientalistes. A l‘image de ses représentants les plus célèbres comme Louis Bertrand et
Robert15 Randau, les romans algérianistes étaient pour la plupart des études ethnologiques de
la population européenne et de la population autochtone. Alors qu‘ils faisaient l‘éloge de la
latinité et donc célébrait le système colonial, ils faisaient preuve d‘une grande
condescendance et d‘un profond racisme à l‘encontre des populations algériennes
autochtones. En réaction directe à ce mouvement, l‘École d‘Alger s‘est créée autour de
valeurs plus humanistes et méditerranéennes mais toujours sans dénoncer le système
colonial. Son représentant le plus célèbre est Albert Camus.
Parallèlement à cette littérature coloniale, une littérature autochtone s‘est
progressivement développée. Néanmoins, en raison du système politique dans lequel elle
s‘inscrit, cette littérature était à l‘image de ses auteurs, une littérature sous tutelle. En effet,
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afin d‘avoir une chance d‘être publié, leurs romans devaient se faire les défenseurs du
système colonial et de sa légitimité.
A mesure que les revendications nationalistes se faisaient entendre, elles
apparaissaient à travers la littérature. Des écrivains algériens comme Mouloud Mammeri ou
Mouloud Feraoun ont engagé cette quête dans leurs écrits. Ils ont représenté le vrai peuple
algérien aux prises avec l‘injustice et la violence perpétrées par les colons français.
Cependant, la véritable révolution du roman algérien n‘arrivera qu‘avec la publication en
1956 du chef d‘œuvre de Kateb Yacine, Nedjma.
En effet, avec son roman intitulé Nedjma, Kateb Yacine signe l‘acte de naissance du
véritable roman algérien. Il y raconte l‘histoire de quatre jeunes Algériens en Algérie
française après la Seconde Guerre mondiale. Leur univers est teinté de violence et de
discrimination mais aussi d‘amour et de quête des origines à travers la belle et mystérieuse
femme Nedjma.
Nedjma est avant tout un travail critique. Il bouscule les stéréotypes sur l‘Algérie en
tant qu‘espace littéraire. Kateb Yacine nous offre une œuvre extrêmement originale grâce
notamment à son travail innovant en termes de technique, de genre et de thématique. Il aide
également à la redéfinition de la littérature algérienne en excluant les codes français
classiques et en devenant le symbole d‘une véritable littérature algérienne naissante et
indépendante. Sa plume se fait aussi vectrice de ses idées politiques anti-coloniales opposées
autant à la France qu‘à la civilisation arabo-musulmane. C‘est un écrivain obsédé par la
question des origines du peuple algérien et il est persuadé que c‘est l‘ignorance de ce passé
national qui aliène la nation. L‘œuvre de Kateb Yacine, et en particulier son roman Nedjma,
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porte les stigmates de la période du conflit franco-algérien et à la colonisation au sens large.
C‘est dans cette dimension que le roman se fait vecteur d‘apports intellectuels importants en
termes de quête identitaire pour le peuple algérien. Selon ses propres dires, Kateb Yacine est
―l‘homme d‘une seule œuvre‖ (Bonn 1989) mais cette œuvre est le symbole de son
engagement progressiste. Kateb Yacine est en fait un écrivain au service de sa nation et de
son peuple. Il est à la recherche de ses racines et il partage sa quête à travers ses textes. A
l‘image de Keblout, son ancêtre, il devient le fondateur d‘une nouvelle Algérie (Arnaud).
Notre réflexion se déplace ensuite sur le plan spatial, puisque Nina Bouraoui est une
auteure française, mais aussi sur le plan temporel car son roman Garçon Manqué a été publié
en 2000. Tout d‘abord, Nina Bouraoui raconte son mal être et son arrachement à l‘Algérie de
son enfance ainsi que la projection brutale dans le pays de sa mère, un pays qui lui est
quasiment inconnu. Les contrastes entre les deux terres sont très marqués. La narratrice
parle également du rejet qu‘elle a subi mais aussi que ses parents ont subi aussi bien en
Algérie qu‘en France. En effet, sa nature métisse lui confère une différence qui la sépare des
deux peuples dont elle est issue. Nina Bouraoui décrit également la discrimination et les
violences faites aux femmes en Algérie dans Garçon Manqué mais également dans son
roman La Voyeuse Interdite (1991). C‘est cette difficulté d‘être une femme en Algérie qui va
pousser Nina, la narratrice de Garçon Manqué à vouloir devenir un homme, à prendre le
pouvoir et donc à avoir une identité sexuelle confuse ; et Fikria, la narratrice de La Voyeuse
Interdite, à haïr les hommes. Elle se situe en permanence dans cette dichotomie sexuelle et
identitaire dont parle la théoricienne française Hélène Cixous.
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Nina Bouraoui poursuit à travers ses romans une quête identitaire qui l‘amènera à
méditer sur son appartenance. Elle se situe, comme tous les immigrés ou descendants
d‘immigrés, les métisses ou toute personne profondément influencée dès le plus jeune âge
par une autre culture que la sienne, dans un Tiers-Espace, un entre-deux des cultures selon
Homi Bhabha. Sa culture n‘est ni complètement algérienne, ni complètement française. Elle
est hybride. Cependant, ne pas avoir une identité clairement définie, ne pas savoir qui l‘on
est, est une souffrance.
Sur le plan littéraire, la question de la langue est également très importante chez
Bouraoui. En effet, c‘est aussi grâce à la langue qu‘elle peut s‘affirmer en tant qu‘auteure.
Nina Bouraoui s‘identifie à toute une génération qui, dans l‘ombre, se bat contre les mêmes
démons et essaie, tout comme elle, de trouver une identité qui lui est propre. Ces écrivains
font partie de ce que l‘on appelle la littérature ―beur‖, une littérature française aux forts
accents maghrébins et qui traite des mêmes processus identitaires, entre autres, que Nina
Bouraoui. Assurément, si elle éprouve des difficultés à trouver une appartenance sur le plan
culturel et identitaire, sur le plan de la littérature, en tant qu‘auteure, elle trouve sa place au
sein d‘une littérature beur francophone qui comme elle, n‘est ni tout à fait d‘ici, ni tout à fait
d‘ailleurs.
Points Communs Entre les Auteurs Étudiés
On trouve de nombreux points communs entre les deux auteurs malgré les
différences d‘époque et de lieu. En effet, on retrouve chez Kateb comme chez Bouraoui une
certaine violence de l‘écriture, une urgence. Tout deux déconstruisent leur épistème
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identitaire, le questionne afin de trouver un équilibre dans un espace différent que ceux qui
leurs sont proposés.
Par contre, sur le plan de la langue, il semble que les deux auteurs aient des vues
différentes. En ce qui concerne la langue arabe, elle constitue, pour Kateb, le moyen de se
rapprocher de son peuple et pour Bouraoui c‘est le principal vecteur de rejet car elle ne la
maîtrise pas. La langue française, au contraire, est utilisée par Kateb en raison des
vicissitudes de l‘histoire coloniale qui ont fait que la langue française est un moyen et une
cible pour dénoncer la colonisation. Symboliquement, Kateb donne la vie à son peuple par
l‘écriture, il lui donne une histoire reconnue par la France car écrite en français. Bouraoui,
elle, n‘utilise que la langue française pour assoir son identité. Elle s‘inscrit dans un groupe
qui comme elle est métisse mais dont l‘identité hybride s‘exprime en français. Si pour Kateb
Yacine, la langue française est un trésor de guerre, pour Nina Bouraoui, c‘est une vengeance.
Les écrits de Kateb et Bouraoui constituent le cri désespéré d‘êtres marqués dans leur chair
et leurs identités sur fond de conflit fondateur de l‘histoire française et algérienne, mais aussi
mondiale.
La colonisation française en Algérie a profondément marqué les mémoires qui
garderont à jamais l‘empreinte de la domination européenne. Cependant, la guerre d‘Algérie
a bien plus que marqué les mémoires, c‘est la chair qu‘elle a marqué de son empreinte
sanglante. Le traumatisme ne s‘arrête pas aux frontières de l‘Algérie ni ne s‘estompe avec le
temps. En effet, on retrouve la même sensation d‘être perdu, la même rage, la même
violence dans le corps des personnes. Même si Kateb Yacine et Nina Bouraoui sont des
auteurs qui représentent parfaitement ce traumatisme du conflit dans leur texte, ils sont loin
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d‘être les seuls. Pour l‘Algérie, on retrouve des auteurs comme Mohammed Dib, Rachid
Boudjedra ou encore Assia Djebar. En France, la littérature ―beur‖, le mouvement dans
lequel s‘inscrit Nina Bouraoui, les questionnements sont souvent d‘une autre nature pour des
femmes occidentales comme Tassadit Imache et Farida Belghoul qui se retrouvent aux prises
avec deux cultures qui se rejettent sur le plan du statut de la femme par exemple.
Cependant, il est évident que l‘on ne peut couvrir la grande variété de questions que
soulève cette problématique dans le cadre de cette thèse. J‘ai le projet d‘étendre et de
développer cette recherche dans le cadre une thèse de doctorat. En effet, je voudrais étudier
les productions postcoloniales dites ―beur‖ de femmes comme Tassadit Yacine et Nina
Bouraoui ainsi que celles des auteurs dits de la troisième génération comme Faiza Guène. Il
serait intéressant d‘analyser leur traitement des cultures et des relations transnationales ainsi
que des politiques identitaires et les problèmes de genre. En faisant cela, je voudrais
redéfinir les identités françaises et algériennes dans un contexte de dynamique européenne et
de cultures globalisées, qui sont néanmoins caractérisées par une tension entre les modèles
culturels et les diverses perspectives individuelles ainsi que l‘on peut le voir dans le
problème actuel de l‘Islam en France et, plus généralement, dans le monde occidental.
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(QG1RWHV
1
L‘Organisation Armée Secrète est une organisation française politico-militaire partisante de l‘Algérie
française. C‘est une armée clandestine qui, refusant l‘indépendance de l‘Algérie en 1962, a continué le
combat et est notamment responsable de nombreux massacres de civils algériens.
2
Site de l‘Élysée. <. http://www.elysee.fr/president/la-presidence/les-textes-fondateurs/les-constitutionsdepuis-1791/les-textes-constitutionnels-anterieurs/la-constitution-du-4-novembre-1848.8882.html>.
3
Interview de Benjamin Stora sur le site du journal l‘Express.fr <
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/le-debut-d-une-guerre-franco- francaise_843598.html>
03/03/2011.
4
Idem.
5
Le message d‘Abdelaziz Bouteflika sur le site du journal :Le Nouvel Observateur.com
< http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/monde/20060821.OBS8882/le-message-d-abdelazizbouteflika.html> 0303/2011.
6
Comprenez Pied-noir.
7
Article ― Littérature Algérienne‖ en ligne.
< http://www.larousse.fr/encyclopedie/litterature/Alg%C3%A9rie/170893>.
8
Tahar Ben Jelloun est marocain. Cependant, il est réputé pour ses prises de position politiques contre le
gouvernement de son voisin algérien.
9
Site Internet Éditions Arabesques. < http://www.arabesques-editions.com/fr/biographies/katebyacine1974605.html>.
10
Vidéo Youtube de Kateb Yacine on Albert Camus <http://www.youtube.com/watch?v=EpXExBh7UR0>
11
Article journal Libération Albert Camus. ― Camus, cet étrange ami ―. 02/01/2010
<http://www.liberation.fr/culture/0101611506-camus-cet-etrange-ami>
Cependant, selon le journal Libération, ses propos ont étés mal rapportés : il aurait dit ―En ce
moment, on lance des bombes dans les tramways d‘Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces
tramways. Si c‘est cela la justice, je préfère ma mère.‖ en réaction aux méthodes du FLN‖.
12
Vidéo Youtube de Kateb Yacine on Albert Camus http://www.youtube.com/watch?v=EpXExBh7UR0
13
Par exemple, Driss Chraïbi, Le Passé simple, Denoël, Paris, 1954 ; Rachid Boudjedra, La Répudiation,
Denoël, Paris, 1969 ; Tahar Ben Jelloun, Harrouda, Denoël Paris, 1973 ; Leïla Sebbar, On tue les petites
filles, Stock, Paris, 1978.
14
<http://fra.anarchopedia.org/Rhizome_(philosophie)> 12/02/09.
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