Strasbourg, le 7 décembre 2010 Restreint CDBI (2010) 22 COMITE DIRECTEUR POUR LA BIOETHIQUE (CDBI) 39ème réunion 30 novembre-3 décembre 2010, Strasbourg AVIS DU CDBI sur le projet de Recommandation sur les droits et le statut juridique des enfants et les responsabilités parentales I Introduction 1. A sa dernière réunion, le Bureau du CDBI a pris note des observations faites par plusieurs délégations sur le projet de Recommandation sur les droits et le statut juridique des enfants et les responsabilités parentales, en cours d’élaboration au sein du Comité sur le droit de la famille (CJ-FA), [document CJ-FA-GT3 (2010) 2 rev. 2, daté du 27 mai 2010]. Ces observations figurent dans le document CDBI (2010) 14 REV. Le Bureau a chargé le Secrétariat de préparer, à la lumière des observations reçues et tenant compte du domaine de compétence du CDBI, une liste des principaux points pour discussion en plénier. 2. Le présent document a pour objet de résumer ces points. Domaine de compétence du CDBI et portée de l’Avis 3. Le CDBI n’a pas pour mandat de définir le statut juridique des enfants en général. Cependant, certaines situations visées par le projet de texte résultent d’interventions médicales dans le domaine de la procréation, et c’est dans ce domaine que le CDBI apparaît comme ayant une compétence au moins indirecte. La question des droits des enfants issus d’une procréation médicalement assistée, en particulier en ce qui concerne leur filiation, reste en effet intimement liée au régime juridique de la procréation médicalement assistée elle-même. 4. Le présent document s’attache ainsi à décrire les principales situations résultant de l’assistance médicale à la protection, à rappeler les principes applicables en la matière, en particulier ceux résultant des dispositions de la Convention d’Oviedo, et enfin à analyser les dispositions pertinentes du projet d’instrument élaboré au sein du CJ-FA. Le document n’aborde pas certains aspects évoqués dans les commentaires des délégations lorsqu’ils ne relèvent pas de la compétence du CDBI ; cependant, les commentaires des délégations sont également communiqués au CJ-FA (voir document CDBI (2010) 14 REV). II Assistance médicale à la procréation : différentes situations envisageables 5. L’assistance médicale à la procréation (AMP) comprend différentes techniques médicales que l’on peut grouper en deux catégories principales : l’insémination artificielle (IA), dans laquelle la fécondation de l’ovule par le sperme se réalise à l’intérieur du corps de la femme, et la fécondation in vitro (FIV), dans laquelle ladite fécondation se réalise en dehors du corps de la femme. Tant l’IA que la FIV peut se réaliser avec les gamètes (sperme et ovule) du couple (fécondation autologue) ou avec des gamètes (sperme et/ou ovule) d’un tiers (fécondation hétérologue). Ainsi, les trois types de situations rencontrées sont les suivants : a. b. c. 6. l’IA ou la FIV sont réalisées avec les gamètes du couple (IA ou FIV autologues) l’IA se fait avec le sperme d’un tiers donneur (IA hétérologue) la FIV se fait avec le sperme d’un tiers donneur et l’ovule de la femme ; avec le sperme de l’homme et l’ovule d’une donneuse, ou avec le sperme et l’ovule provenant de tiers donneurs (FIVes hétérologues). La plupart des questions concernant la filiation des enfants issus de l’AMP découlent de la fécondation hétérologue (situations b et c). La fécondation autologue peut cependant en susciter d’autres, surtout lorsque l’on procède à la conservation du sperme prélevé sur le mari, des ovules prélevés sur la femme ou des embryons issus d’une FIV. Dans plusieurs pays, en effet, il est non seulement permis à un couple de conserver des embryons issus d’une FIV (autologue ou hétérologue) pendant une 2 durée plus ou moins longue en vue d’une procréation pour ce même couple, mais aussi de les donner à un autre couple (éventuellement à une femme seule). On doit par conséquent envisager un quatrième type de situation où : d. 7. le couple géniteur consent au don de ses embryons congelés à un autre couple (ou le cas échéant une femme) ; Au cours de la période de conservation des gamètes ou des embryons, des événements tels que le décès du mari ou compagnon ou bien encore la dissolution du couple peuvent se produire donnant lieu à des situations telles que les suivantes: e. la femme séparée ou divorcée souhaite le transfert dans son utérus des embryons conservés en vue d’une grossesse, alors que l’homme s’y oppose (voir Cour européenne des droits de l’homme, Affaire Evans c. Royaume-Uni, (GC) n°6339/05, arrêt du 10 avril 2007) ; http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?action=html&documentId=815165&por tal=hbkm&source=externalbydocnumber&table=F69A27FD8FB86142BF01C1166 DEA398649 f. après le décès de l’homme, la femme souhaite le transfert des embryons conservés en vue d’une grossesse, alors que le consentement de l’homme à un tel transfert posthume n’est pas formellement établi ; g. après le décès de l’homme, la femme souhaite être inséminée avec le sperme conservé de l’homme alors que le consentement de celui-ci à une telle insémination posthume n’est pas formellement établi (affaire Blood c. RoyaumeUni, http://www.bailii.org/ew/cases/EWCA/Civ/1997/4003.html). 8. D’autres situations problématiques peuvent encore se présenter, notamment celles résultant d’erreurs de manipulation des gamètes ou d’embryons conservés, par exemple : h. dans un laboratoire qui accueille de nombreux couples pour des procédures d’IA et de FIV, le sperme du mari du couple X est utilisé pour féconder l’ovule de la femme du couple Y par erreur, donnant lieu à une naissance; i. les embryons conservés du couple X sont transférés par erreur chez la femme du couple Y, donnant lieu à une naissance. III Les principes éthiques et juridiques en cause 9. Les efforts du CDBI dans le passé en vue de l’élaboration d’un protocole additionnel sur la protection de l’embryon humain n’avaient pas abouti, faute de consensus suffisant notamment en matière de recherche sur l’embryon. Cependant, plusieurs principes figurant dans la Convention elle-même sont applicables au domaine de la procréation médicalement assistée ; ces principes ne semblent avoir été nullement mis en cause lors des travaux d’élaboration du protocole additionnel. 10. Il s’agit notamment des principes du consentement éclairé (article 5 de la Convention), du principe d’interdiction de la discrimination (article 1er de la Convention) et du principe d’interdiction du profit (article 21 de la Convention). 3 Le principe du consentement éclairé 11. L’article 5 de la Convention énonce qu’une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé. Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de l’intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques. 12. Ainsi, le principe du consentement éclairé a un double versant : l’information et le consentement proprement dit. S’agissant de la procréation médicalement assistée, ce principe s’applique aux donneurs de gamètes (sperme ou ovocytes) ou d’embryons ainsi qu’au(x) parent(s) légaux de l’enfant. 13. Le devoir d’informer et celui de s’assurer du consentement des personnes concernées sont d’autant plus fondamentaux en matière d’AMP que la filiation des enfants issus de ces procédures est fondée précisément sur le consentement. L’information et le consentement devraient donc porter aussi sur ces aspects juridiques. L’interdiction de toute forme de discrimination 14. En vertu de l’article 1er de la Convention d’Oviedo, les Parties protègent l’être humain dans sa dignité et son identité et garantissent à toute personne, sans discrimination, le respect de son intégrité et de ses autres droits et libertés fondamentales à l’égard des applications de la biologie et de la médecine. 15. Pour sa part, l’article 2.1 de la Convention sur les droits de l’enfant énonce : «Les États parties s'engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou autre de l'enfant ou de ses parents ou représentants légaux, de leur origine nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance ou de toute autre situation.». Cette disposition est reproduite à l’article 1 du projet d’instrument du CJ-FA. 16. Il semble légitime de conclure que toute forme de discrimination doit être interdite dès lors qu’elle se fonderait sur un critère tel que la naissance ou, avant même la naissance, sur la manière dont l’enfant a été conçu. Une telle conclusion ne s’appuie pas uniquement sur une interprétation raisonnablement large du terme « naissance » ou « autre statut » de la Convention des Nations-Unies, mais sur les termes mêmes de l’article 1er de la Convention d’Oviedo, qui fait obligation aux Etats de garantir les droits fondamentaux des personnes à l’égard des applications de la biologie et de la médecine. L’interdiction du profit 17. L’article 21 de la Convention d’Oviedo édicte le principe selon lequel le corps humain et ses parties ne doivent pas être, en tant que tels, source de profit. L’esprit dans lequel cette disposition a été élaborée doit conduire à considérer que tant les tissus germinaux que les gamètes sont inclus dans le champ de la protection ainsi prévue. La sécurité juridique 18. La détermination de la filiation étant une prerrogative étatique, la sécurité juridique impose aux Etats d’énoncer des critères clairs permettant d’établir la filiation. 4 19. Pour ces mêmes raisons de sécurité juridique, il est important que, dans les Etats où des procédures d’assistance médicale à la procréation sont permises, la loi édicte des règles claires notamment quant à la filiation des enfants issus de ces procédures, en particulier lorsqu’il s’agit de procréation hétérologue, car il ne peut y avoir de sécurité juridique sur le statut des enfants nés d’un don de gamètes si les conditions applicables au don lui-même ne sont pas préalablement définies. En effet, comme indiqué dans les commentaires soumis par les délégations de la France et de Malte, la filiation d’un enfant issu d’une procréation médicalement assistée avec tiers donneur est par principe plus exposée à des incertitudes. Le devoir de l’Etat étant d’assurer aux enfants une sécurité équivalente quant à leur filiation, il apparaît nécessaire que l’Etat édicte des règles spécifiques. Cette exigence doit s’imposer a fortiori dès lors que la recommandation fait le choix de traiter toutes les interventions biomédicales possibles dans le domaine de la procréation, quand bien même il s’agirait de pratiques qui ne seraient expressément autorisées par la loi qu’au sein d’une minorité d’Etats du Conseil de l’Europe. 20. Ainsi, le CDBI convient de recommander que les Etats où les procédures d’assistance médicale à la procréation sont admises, en particulier lorsque le don de gamètes est admis, devraient : - - - réglementer les conditions du don de gamètes et du don d’embryons, dès lors que ceux-ci sont permis, en établissant un régime juridique clair de la filiation des enfants issus d’un tel don ; prescrire que, avant qu’une procédure d’assistance médicale à la procréation ne soit entreprise, les personnes concernées doivent être dûment informées en particulier sur les différentes situations pouvant survenir et sur les normes juridiques applicables notamment en matière de filiation; prescrire que le consentement ainsi éclairé des personnes concernées est nécessaire avant que la procédure ne soit entreprise ; la fécondation post-mortem et le transfert posthume d’embryon, dès lors qu’ils sont admis, devraient être réglementés ; IV Les dispositions du projet d’instrument concernées 21. Plusieurs des différentes situations évoquées plus haut sont visées par les dispositions du projet d’instrument du CJ-FA. Les dispositions les plus directement concernées par les procédures d’AMP sont celles de la Partie II relatives à la filiation parentale. D’autres dispositions du projet sont aussi concernées plus ou moins directement. A. La filiation parentale Article 7 Etablissement de la filiation maternelle Paragraphe 1 : « La femme qui donne naissance à l’enfant est considérée comme sa mère légale quels que soient ses liens génétiques avec celui-ci. » Commentaire 22. Les mots « quels que soient ses liens génétiques avec celui-ci » sont-ils nécessaires ? Dans tous les cas, ces mots ne semblent laisser aucune place à d’éventuels aménagements dans des situations telles que celles décrites plus haut 5 sous (h) et (i), ce qui est confirmé par l’énoncé de l’article 8.1, où la seule base de contestation de la maternité est que la mère n’ait pas donné naissance à l’enfant. Le critère multiséculaire de l’accouchement comme déterminant de la maternité n’avait lieu de subir aucune exception tant que la conception se faisait nécessairement avec l’ovule de la mère. Or les règles applicables à l’AMP sont fondées sur le consentement. D’ailleurs, si le père devait pouvoir contester la paternité d’un enfant issu d’une AMP à laquelle il n’aurait pas consenti, on peut se poser la question de savoir pourquoi une telle possibilité serait refusée à la mère dans les mêmes conditions. D’un autre côté, le nombre de cas concernés par des situations telles que celles décrites plus haut sous h. et i. est limité. Le CDBI est conscient de la complexité de ces situations. Les délégations au CDBI sont d’avis qu’il conviendrait de s’interroger non seulement sur l’intérêt éventuel des parents non-biologiques à contester la filiation mais aussi sur l’intérêt de l’enfant et sur les filiations qui sont susceptibles de venir se substituer à la filiation que la contestation ferait tomber (voir aussi § 29). Paragraphe 3 : « Ceux qui possèdent une législation applicable aux accords de gestation pour autrui sont libres de prévoir des règles spéciales pour ces cas de figure. » Commentaire 23. La maternité de substitution est permise dans une minorité de pays. Il est proposé de remplacer le début de la phrase par: A titre exceptionnel, les Etats où la maternité de substitution n’est pas interdite peuvent… 24. La même proposition vaut pour l’article 8.2 Article 14 Procréation médicalement assistée Paragraphe 1: «Les Etats qui règlementent la procréation assistée médicalement sont libres de déterminer que » Commentaire 25. Pour tenir compte des observations faites aux paragraphes 19 et 20 ci-dessus, il est proposé de remplacer cette phrase par : «Les Etats où les procédures d’assistance médicale à la procréation sont permises, en particulier ceux où le don de gamètes ou d’embryon est permis, devraient prévoir des règles appropriées en matière de filiation et permettant d’assurer que les personnes concernées sont adéquatement informées et que les procédures ne sont entreprises qu’avec leur consentement éclairé. Les Etats peuvent prévoir (en particulier) que…» Paragraphe 1 (a) «le donneur de sperme agréé n’est pas considéré comme le père légal» 26. La signification du terme “agréé” rapporté au donneur n’est pas évidente. Veut-on faire référence à une procédure à laquelle les personnes concernées auraient donné leur consentement ? Si tel était le cas, la proposition ci-dessus paraît plus explicite. Si 6 ce terme veut signifier que la procédure est prévue dans la loi, la rédaction proposée ci-dessus semble également préférable. Dans ce cas, le terme « agréé » ne serait pas nécessaire. 27. D’autre part, il convient de tenir compte qu’il peut y avoir un don non seulement de sperme mais aussi d’ovules et, le cas échéant, d’embryons (voir situations décrites sous (c) et (d) ci-dessus). Dès lors, la phrase pourrait se lire ainsi : «les donneurs de gamètes ou d’embryons ne sont pas considérés comme les parents légaux » Paragraphe 1 (b) « l’homme qui est le conjoint ou le partenaire enregistré de la femme dont l’enfant a été conçu grâce à un traitement de cette nature est considéré comme le père légal à moins qu’il ait refusé de consentir au traitement » Commentaire 28. Le terme “traitement” à la fin de cette phrase pourrait être remplacé par “procédure”. 29. Que se passe-t-il si l’homme a consenti à la procédure mais qu’il y a eu erreur dans l’utilisation des gamètes ou des embryons ? (voir situations évoquées sous (h) et (i)). Ces cas sont limités en nombre. Les délégations au CDBI sont d’avis qu’il conviendrait de s’interroger non seulement sur l’intérêt éventuel des parents nonbiologiques à contester la filiation mais aussi sur l’intérêt de l’enfant et sur les filiations qui sont susceptibles de venir se substituer à la filiation que la contestation ferait tomber. Le CDBI est conscient de la difficulté à résoudre ces situations et se demande s’il est opportun d’essayer d’y apporter une réponse dans le cadre de la Recommandation. Paragraphe 2 : «Les Etats qui prévoient qu’un enfant peut être conçu par le recours posthume à un gamète sont libres de déterminer si l’homme dont le gamète sert à titre posthume est considéré comme le père légal de l’enfant.» Commentaire 30. Outre la conception posthume mentionnée dans ce paragraphe, il peut y avoir le transfert d’embryon posthume, comme évoqué ci-dessus sous (f). 31. Il conviendrait de spécifier que la conception posthume et le transfert posthume d’embryon ne peut se faire qu’avec le consentement exprès de la personne concernée. 32. Si la conception ou le transfert d’embryon posthumes se fait conformément à la loi et avec le consentement éclairé de la personne concernée, on peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles la loi devrait pouvoir priver l’enfant de filiation paternelle. 33. Sur le plan rédactionnel, la phrase pourrait se lire comme suit : « Les Etats où la conception posthume ou le transfert posthume d’embryon est permis devraient prévoir qu’une telle conception ou un tel transfert ne peut être entrepris qu’avec le consentement exprès des personnes concernées. » 7 B. Droits de succession Article 5 « 1. L’enfant a les mêmes droits de succession sur les biens de chacun de ses parents et de la famille de ceux-ci indépendamment des circonstances de sa naissance. 2. Cependant, lorsque l’Etat prévoit que les enfants peuvent être conçus par le recours posthume à un gamète ou à un embryon, il est libre d’interdire ou de limiter les droits de succession sur les biens de la personne dont le gamète a été prélevé. » Commentaire 34. Si la conception ou le transfert d’embryon posthume se fait conformément à la loi et avec le consentement éclairé de la personne concernée, on peut s’interroger sur les raisons pour lesquelles la loi devrait pouvoir priver l’enfant des droits de succession, alors même que la recommandation rappelle dans son article premier le principe de non discrimination. Si des raisons de sécurité juridique devaient pouvoir justifier certaines restrictions aux droits de succession, ces restrictions devraient être proportionnées au but poursuivi1. C. Articles 29 et 30 35. Le CDBI est d’avis que l’exercice conjoint des responsabilités parentales est d’une pertinence particulière s’agissant de décisions concernant des interventions médicales importantes sur l’enfant. 1 Sur un point particulier, il a été fait remarquer, au cours de la discussion, que la loi dans certains pays n’autorise pas la succession des enfants issus d’un don de gamète dans certains titres honorifiques. 8