LA LEGISLATION RABBINIQAE
PAR
le Rabbin Michel GUGGENHEIM
< Trois associés
interviennent dans (la venue au monde de)
I'homme : le Saint-Béni-Soit-il (c'est-à-dire
Dieu), le père et la
mère... > (Talmud d,e
Babylone,
traité Nida, BL a.)
- La questlgl d" statut juridique de I'embryon, abordée sous l.'angle
des risgues liés aux progrès de la biotechnolàgie, doit être envisagÉe,
dans--looptique
de la loi juive, sous deux aspects
bien distincts : le preÀier
se réfèr,e à la protection juridique quoil cônvient doaccorder
à loexistence
même de I'embryon ; le second conôerne son identité et sa filiation.
I. - PROTECTION
DE L'EXISTENCE
DE L'EMBRYON:
L'AVORTEMENT
A) Un statut ambioalent
La _qug.s_tion,
essentielle, de I'avortement permet, mieux que toute
autre, de définir le statut de I'embryon. rl se trouve qu'elle "rt truitée
de manière très claire dans le Talmud et les sources du Droit rabbinique.
Nous en donnerons ici quelques citations, à titre indicatif.
Il existe, dans la conception juive, sept lois bibligues gui s'adressent
à I'ensemhle de lohumanité (lois noa'hides). L'une d'eitr" "îl"r est lointer.
diction du meurtre, fondée sur ce verset de la Genèse (IX, 6) : < eui-
99"-S""* verse
_le sang doun homme, par l'homme son sang sera veisé.
Mais Rabbi IsmaëI, dans le ,Tal:nud (Sanhéilrin, 57 b), lxpose qu'il
importe rln traduire ce verset de manière strictement littérale, et le rend
ainsi : < Quicongue verse le sang de I'homme qui est en l,hotnme, sor-
LE STATUT JURIDIQUE DE L'EMBRYON BI
sang sera versé > : qui est < l'homme qui est en I'homme > ? coest le
fcetus dans le ventre de sa mère ! Maïmonide rapporte cette opinion dans
son Code (Michné Tora, Hillc Melakhîm, IX, 4tfui donnant âinsi valeur
légale. De sorte gueo selon le judaïsme, l'avortement est interd.it à toute
I'humanité, dans son ensemble.
fl serait-pourtant erroné d'en conclure gue I'embryon est considéré
comme un être vivant à part entière. Le teite fondamental, crui traite
directement de loavortement,
est une michna (Ohalot, VII, 6) qui stipule
ceci : <<
si une femme a un accouchement fifficile, on a re droitïe couper
I'enfant en son sein, et de le sortir metnhre par membre, car la vie de la
mère I'empo"J-. .q" celle de I'enfant. si la plus grande partie de l'enfant
(ou sa tête, d'après une autre lecture) est iortie, oo o"- le touchera pas,
car on ne repousse
pas une vie (Néfech) à cause
d'une autre vie >.
Cette source très ancienne met donc en relief le caractère a-hivalent
du statut de I'embryon : il s'agit bien d'un être à part, nouveau et distinct
de sa mère, qu'on n'a pas le droit de supprimer.-Néanmoins sa vie reste
moins;a-crge
gue celle de sa mère - c" qui démontre bien qu'ir n'est pas
considéré,
jusqu'à la naissance,
comme un être humain intéeral. La défense
de.porter
atteinte à ses
jours demande,
dès
lors, à être motiv?e.
Les rabbins,
à l'époque contemporaine notamment, ont formulé différentes thèses.
certains ont fait valoir I'argument de potentialité : le fætus est un être
humain en puissancc I d'autres, celui, quantitatifo de partiarité : ra vie
du fætus est une vie partielle, incomplète, mais en qirantité suffisante
pour interdire gu'on y por-te atteinte t. cependant, la règle elle-même,
quelles-qu'en soient^ses
motivations, reste inlontestable
: tant que ta vie,
la santé de la mère
2o
n'est pas en jeu, I'avortement, même théiapeutique
(malformatio_n Tætale) et, a fortiori, de simple convenance (économiqle,
socialeo familialeo etc.) n'est pas autorisé.
B) Condamnation d,e l'eugénisme
La conclusion de ce paragraphe, dans la perspective des risques riés
aux- prog-rès de la biotechnologie, conduit à iouligner l'oppositiàn caté.
gorique du judarsme à toute interruptio! de grosseise
à viiêe eugénique
Les progrès 19{is-és dans le domaine du diàgnostic fcetar augàentent,
en effet, considérablement la tentation du recouis à l'avortementf et même
lorsqu'il ne présente aucun caractère thérapeutigue : sexe du bébé, couleur
de ses
cheveux,
non conformes
aux desiderata
dis parents, ets.3. '
-- l. Pour plus de détails, ri. llétqdg sur lavorternent du Grand Rabbin B. GUG
cENHETM cr-ans res portei de ra rài iÀruin lrdéiËi,-àat. p-.-riîËi".ï""îaair*.1,
Paris, 1982,
pp. 235-245.
,2. Sur les différentes. extensions possibles de la notion de o yis de la mère
en danger D, v. ouvrage cité en note î, pp. 242-245,--'
3. certains décisionnairres
considèrent que l€ statut_ d'embryon n'est acquis
qu'après Ies quarantf premiers jours.de la'grossei!Ë.-ôJp;ili'Ë "uËest prii
en. compte en cas de très g-rave
-malformation fætale ménaçani ta -lante irsy-
chique de la mère. V, not€sl et 2.
82 BIOETHIQUE ET DROIT
C) Statut iles <<
embryon-éprouaettes
> - les <<
surnuméraires >>
Dans la pratique, les embryon-. congelés en surnombre sont purement
et simplement éliminés. Une telle des-truction est-elle assimila^ble
à un
avortement ?
Le fait que les embryons sont congelés
- et, par conséquent, sans vie,
_en
l'état - êt, surtout, qy" b congélation est réalisée heures après
la fécondationo alors que_l'æuf . tro-" di-"nsion microscopique donne à
per"_er
qu'il n'y a pas, à ce stade, existence d,e-hryono'ni, par suite,
avorternent. La_ suppression des surnuméraires seraii donc pÀmise, et
devrait même être recommandée afin d'éviter une éventuelle r'é"rrpé""iion
dans des conditions interdites (cf. le paragraphe suivant). l
- -Néanmoins?
nous n'avons pu. "oooàirrio"Ë lusqu'à présent, de source
rabbinique relative à ce srjetf et h position ofiiciJlle d'e la loi loiu" ,o"
ce point est encore inexprimée.
II. _ IDENTITE
DE L'EMBRYON:
LA FILIATION
-cette qu-estion intervient dans le cadre des progrès réalisés dans le
domaine de la procréation assistée (< procréatiqiie >).
A) Problèmes liés à I'anonyrnat d,u don d.e
sperme
Le.droit hébraïque impose à toute femme, veuve ou divorcée, dési-
reuse de se remarier un délai de viduité de 92 jours (choul,han A.rou.kh
Eaen Hazer, chap. l3). ce délai répondo
selon te TaLnid 1y"uo*ot, a2 a)
à une double préoccupation:
, a) Ainsi qu'il ressort
d'un verset de la Genèse (L7,7), il est défendu
de mettre au monde des < enfants de la confusion u, "trtlÉ-ai"e ignorants
leur filiation, et leur père véritabre. or si la femme se "emu"i"it sitôt
après le décès ou le divorce dg rgl prem]e_r conjoint et accouchait sept
mois plus tard, I'enfant ignorerait soil e]st
du premier ou du second
mari.
selon certains auteurs, Iinterdit gapital de I'aàultère est fondé en partie
sur le mêrne souci, la naissance d'rin bâtard gui soignore représentânt h
forme extrême de tels désordres
généaloeiques.
- b) Il importe d'éviter qr" rJ comm"etient des incestes par i'norance.
si par exemple, I'enfant ny sepJ mois après re divorce du r""v"rrvageo
se croit à tort fils du second maii, il pouriait prendre pour conjoint, une
fois arrivé à l'âge adulte, la fi]Ie du ^premier,'alo* gu"ils sont Ln réalité
rrere et sogur.
LE STATUT JURIDIQUE DE L'EMBRYON 83
rl est clair ![ue ces deux règles s'appliquent aussi bien à tous res cas
doinsémination
artificielle avec donneur (I.A.o.), dans la mesure on
pratiqr e actueUement,
en France, le don anonyme du sperme.
Les risques
sont même multipliés, puisque le sperme d'une même donoeur est utilisé
pour plusieurs inséminations (quatre en général).
f,a < pro_tection
de la personne > qui est requiseo
dans cette perspective,
revêt une double acception. Elle se réfère non seulement f l'"i-htvoo
lui-même - ou plutôt à I'adulte qui en sera issu - mais aussi à ra société
- à I'ensemble des autres adultes qui, plus tard, seront amenés à entrer
en relation avec luio et qui pourraient faire les frais des manipulations
qui ont présidé à sa procréation.
B) Les < mères-porteuses
> et les translerts d,'embryons
Dans ces cas, de plus _en
plus courants, la <<
confusion > produite et
les risques d'inceste dans I'ignorauce sont tous aussi importaits, surtout
lorsque I'enfant est conçu par une femme (la propriétaire de |ovocyte)
et mis au monde par une autre (la mère-porteusi, qui assure la grossesse
et I'accouchement).
Les _problèmes
juridiques - au sens du droit rabbinique - subsé-
quents, Iimiteront probablement à cet enfant de manière noltable le droit
11 aarjge religieux. Le risque du non-respect de cette limitation du
fait de I'ignorance par I'intéressé de sa véritible situation représente une
menace sérieuse pour la < pureté familiale >.
C) Insémination aaec donneur (I.A.D.) et lemme mariée
L'insémination artificielle - in vivo ou in vitro - daec d,onneur,
f-ajt-
I'obiet d'une condamnation toute particulière dès lors qu'une femmé
d'éjà mafiée y joue le rôle de la mère. Divers auteurs ont en effet assimilé
une jglle- pratigue à un véritable adultère. Par ailleurs, la procréation est
considérée par le judaisme comme un acte sacré. Toute intrusion dans
la matrice d'une femme d'un sperme autre que celui de son mari,
représente une atteinte à la purcté familiale et àu caractère sacré de la
procréation.
La conclusion de ce second
volet aboutit à n'admettre gue les pratiques
de fécondation assistée
qui ne font intervenir que deux cïnjointr, tegit".
ment mariés. Même dans ce cas,
les décisionnaires n'accepteni ..r p"o""édét
qu'avec.réticence, que lorsqu'il est avéré qu'elles constitirent une ihérapie
de dernier recours.
Toute autre applicatinn des te-chniques
de procréation assistée
n'est pas
compatible avec les impératifs de la loi juive. De son point de vuei il
a
at
B4 BroÉrHreuE
Er DRorr
importerait_d'y renoncer; et de veiller également à empêcher des erreurs
de.,manipulation (éprouvette ou "Th"y6n provenant à'un couple A et
utrlrses,
par megarde,
pour un couple B) dont les conséquences,
contrai-
rement à ce que peuvent penser ôertains praticiens, so'nt extrbmement
graves.
Ainsi_que nous le citions en exergue, il importe de ne jamais oublier
que pour le judaïsme, Dieu est, toujouis et obligitoirement, fartie prenante
dans cet événement si précieux et ii considé"uil" qn" repré'sente
i" o"o.r"
au monde d'une nouvel individu.
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