Le romantisme
Le contexte historique et social
[Ecoute commentée : Weber–Der Freischütz]
Un mouvement esthétique international et interdisciplinaire
De tous les termes pour décrire un style artistique, celui de "romantisme" est sans
aucun doute le plus familier et le plus évocateur. Le mouvement romantique a été à la
fois international et interdisciplinaire : aucun art n’a été épargné et toutes les cultures de
l’Europe l’ont enrichi considérablement. Originellement appliqué à la littérature du xixe
siècle, le terme a fini par s’imposer dans toutes les autres domaines.
Alors que le terme "baroque" appliqué à la musique a été appliqué a posteriori par
les musicologues qui se sont inspirés du champ des arts plastiques, le terme "romantique"
en revanche provient de la littérature et a été appliqué dès les années 1820, par les écri-
vains romantiques, aux compositeurs de cette période. Cette anecdote nous apprend deux
choses importantes sur la musique après Beethoven. La première est que grâce à celui-ci,
désormais la musique est considérée comme un art supérieur. Elle est désormais traitée
avec respect dans les cercles cultivés et elle est considérée comme jamais elle ne l’avait été
auparavant. La deuxième est qu’il semble naturel de faire des liens entre la musique et la
littérature. D’Homère à Virgile, de Shakespeare à Milton, la littérature avait toujours été
considérée comme un art majeur. Son prestige et son pouvoir s’étendent désormais à la
musique, celle-ci finit même par la surpasser. Particulièrement en Allemagne, les roman-
tiques pensent que de tous les arts, la musique est celui qui exprime le mieux l’expérience
intérieure. Parce que la musique est la plus proche de la subjectivité, de l’instinct, de l’émo-
tion et de l’inconscient. La musique a ceci de supérieur sur les autres arts qu’elle n’est
pas dépendante de mots ni de la représentation des choses. Elle est le moyen le plus par-
fait d’expression pour une époque qui insiste par dessus-tout sur la valeur de l’expression
émotionnelle individuelle.
Au xviiiesiècle, les différents arts étaient conçus plutôt comme clos ou répartis
chacun à sa place sur une échelle qui devait toujours beaucoup à la division médiévale des
sept arts libéraux. Ce n’est qu’avec les Lumières, que les premières distorsions profondes
ébranlent cette échelle.La période romantique se caractérise donc par la tentative de lier les
arts entre eux. La poésie se fait ainsi plus musicale, les peintures et les œuvres musicales
prennent des titres poétiques. De même, les philosophes incorporent la musique au cœur
de leur vision : Rousseau avait montré la voie, il est suivi par Schopenhauer ou Nietzsche.
C’est Wagner qui synthétisera le mieux ces tendances, par sa volonté d’aboutir à une œuvre
totale. Le xixesiècle concevra les arts, la musique y comprise, d’une façon beaucoup plus
mobile. Mobile jusqu’à la carrière du musicien. Avec le romantisme, la musique s’éloigne
de plus en plus de la vie dans sa tonalité concrète et quotidienne pour se rapprocher dans
son autonomie plutôt des sphères de l’esprit.
Au centre et en marge : la nouvelle relation de l’artiste à la société
L’accent mis sur l’importance du sentiment personnel confère aux artistes un nou-
veau prestige. Les compositeurs et les musiciens ne sont plus considérés comme des ar-
tistes au service de la société, mais plutôt comme des esprité libres qui expriment leur
âme propre avec un génie que le commun ne possède pas. Le compositeur, n’étant plus
sommé de répondre à une demande précise ainsi s’ouvrir le champ entier des possibles de
la composition. Cette ouverture est favorisée par un "esprit du temps" valorisant par dessus
tout l’introspection, la plongée dans le monde intérieur. Et précisément, l’ère romantique
est celle de l’exaltation du sentiment individuel. L’exploration des territoires obscurs de
l’inspiration, du rêve, la mise en scène des épisodes de la vie personnelle de l’artiste dans
son œuvre : tout cela suscite une efflorescence de pièces d’un caractère explicitement pas-
sionnel, très étranger à l’époque précédente. Sur le plan social, l’époque romantique voit
la métamorphose profonde de la relation de l’artiste à la société. Le musicien, qui était
jusque là serviteur d’un prince ou dépendant du bon vouloir d’un mécène, acquiert une
indépendance financière qui lui ouvre, du même coup, une liberté créatrice inimaginable
auparavant.
Bien que les différentes fonctions de musicien subsistent, telles que celles d’orga-
niste, cantor, chanteur, directeur d’opéra, etc. subsistent, le xixesiècle voit apparaître une
nouvelle figure du musicien qui ne sera que compositeur et vivra de son travail de créateur,
ou presque. Ou du moins, il ne sera plus l’exécutant principal ou privilégié de ses propres
compositions, à moins d’être soliste et d’en écrire pour son instrument. Pourtant, le com-
positeur dépend forcément dans sa vie de son entourage, ce qui l’oblige souvent à vivre
une double vie, à faire des concessions au public, à s’occuper de choses qui l’intéressent
moins, pour revenir ensuite à la hauteur de ses préoccupations artistiques intimes, plus
élevées. De là naîtra souvent un conflit en lui-même et entre lui et la société environnante,
sans parler de celui qui surgira d’un décalage de vues sur la vie, sur l’art et sur sa misson.
Les nécessités économiques, les conceptions philosophiques et esthétiques seront la source
de bien des déchirements. La position du musicien au xixesiècle est difficile : par l’impor-
tance de sa mission et de son travail, il se sent en même temps au centre de l’humanité et
en marge de la société.
La démocratisation de la vie musicale
Les processus amorcés vers la fin du xviiiesiècle dans la vie musicale de l’Europe se
sont considérablement développés au xixesiècle, en aboutissant à une situation inédite dans
l’histoire de la musique occidentale. Désormais, le public restreint des cours et des palais se
réunit de moins en moins pour céder la place à un public numériquement plus important
et composé dans sa majorité de bourgeois. Les patrons et les mécènes nobles cessent peu
à peu de jouer leur rôle traditionnel, évincés par les impressarios et par les différents
groupes de musiciens professionnels et amateurs qui organisent eux-mêmes des concerts
publics. Le public augmente en nombre, surtout dans les grands centres européens, tels que
Londres, Paris et Vienne. Le compositeur, libéré des entraves qui lui étaient imposées dans
le passé, va jouir à l’époque du romantisme du préjugé favorable d’un public néophyte, qui
le regarde souvent comme un être extraordinaire, spécialement doué : le culte du génie se
développe. Conséquence de la démocratisation de la vie musicale, une coupure assez nette
se marque entre "la musique légère" et la "musique sérieuse". C’est une différenciation
déterminante pour l’avenir de la musique. Pour la première tendance, c’est la nouveauté
est est appréciée et demandée, tandis que pour la seconde, c’est plutôt l’appréciation de la
qualité esthétique de la musique.
L’âge de la virtuosité
Le xixesiècle voit se développer considérablement le sens du timbre et du coloris
sonore. Alors que l’orchestre baroque était fondé sur la primauté sonore des instruments
à cordes, de nouvelles inventions mécaniques permettent à l’orchestre classique et roman-
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tique de modifier la qualité de sa sonorité. Tous les instruments deviennent pue à peu
scientifiquement calibrés. La production du son devient déterminée, peu à peu standar-
disée. Avec l’augmentation du nombre des instruments, la division du travail dans l’or-
chestre s’affine. Au xixesiècle, le développement des techniques de production et le pas-
sage progressif à la production industrielle d’un grand nombre d’instruments, surtout à
vent (cuivres surtout), mais également le piano et l’orgue, ont rendu possibles les perfec-
tionnement des types d’instruments et donc la création d’instruments nouveaux, et ont
facilité l’exécution en renouvelant ses possibilités. Conséquence de ce perfectionnement
musical, l’émancipation de la musique instrumentale et l’épanouissement de la musique
orchestrale, désormais en avance sur la musique vocale du temps, en quantité et en qualité.
Le développement des techniques d’exécution avec des instruments toujours plus
parfaits a surtout permis l’épanouissement de la technique de virtuosité comme jamais jus-
qu’alors et du même coup la naissance d’une musique virtuose. L’évolution de la virtuosité
est parallèle à l’évolution des perfectionnement apportés aux instruments. Au début du
siècle, le virtuose le plus éblouissant est le violoniste Niccolo Paganini (17821840). La fas-
cination qu’il exerçait est telle qu’on le soupçonna de la devoir à un pacte diabolique. Et
tous les grands virtuoses du piano romantique ont été stimulés par le désir de rivaliser, sur
leur instrument, avec Paganini.
[Ecoute : Paganini–Caprice n˚24]
Les développements respectifs de l’orchestre et du piano comme instrument soliste
ne sont pas sans rapport. Ce qu’on a pu appeler l’orchestration du piano est apparent
déjà dans les dernières sonates de Beethoven et plus tard surtout dans les compositions de
Liszt. Les qualités nouvelles de l’instrument ont contribué au développement des grandes
formes qui lui sont destinées et plus encore au raffinement de la technique de la virtuosité
et à la tendance aux dimensions orchestrales chez Liszt. La musique ancienne pour les ins-
truments à clavier et clavecin sera jouée désormais selon les ressources propres, surtout en
ce qui concerna la sonorité et les nuances dynamiques. Les possibilités accrues ont condi-
tionné le style romantique de l’exécution de la littérature ancienne et l’épanouissement de
la musique expressive pour piano. En outre, les nouveaux modes techniques de fabrica-
tion du piano ont permis sa diffusion. Il est devenu au xixesiècle l’instrument préféré des
milieux bourgeois et a gardé pendant une longue période une véritable suprématie sur les
autres instruments solistes. Il accède, dans la maison bourgeoise, à une place d’honneur
qui en fait la pièce maîtresse d’un beau mobilier. Mais la diffusion du piano a également
été favorisée par les nouvelles conditions acoustiques, crées dans les grandes salles où se
donnaient les concerts payants, ouverts à un public toujours plus vaste. Avec l’orgue, le
piano est l’unique instrument facilement audible dans les grandes salles.
[Ecoute : Liszt–Etude d’exécution transcendante n˚4dite "Mazeppa"]
Les principales caractéristiques du romantisme
Individualisme, émotion, mépris des conventions sociales caractérisent l’art roman-
tique. Aujourd’hui le mot "romantique" se rapporte essentiellement à l’amour. Cet usage
date du xixesiècle et dérive du mouvement littéraire. Mais la glorification de l’amour n’est
que l’un des nombreux thèmes abordés par la littérature romantique, thèmes qui sont éga-
lement au centre de la musique du xixesiècle.
Le culte du sentiment individuel
Aspirer à un état meilleur, idéal, de l’être est au cœur du mouvement romantique.
Pour les Romantiques, le quotidien est une donnée morne et insignifiante, qui le peut être
transcendé que par le libre exercice de la volonté individuelle et de la passion. Le sentiment,
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libéré des conventions, de la religion ou les taboux sociaux devient le bien suprême et
l’expression de l’émotion devient le but artistique à part entière. Les "bohémiens" (parce
qu’ils menaient une vie de bohème), comme on les appelait alors, proclament l’amour,
mènent des vies marginales, portent des vieux vêtements. Ils ont beaucoup œuvré pour
l’image de l’artiste qui est toujours en vigueur aujourd’hui.
Cette nouvelle attitude face à l’art doit beaucoup à Jean-Jacques Rousseau le phi-
losophe des Lumières qui avait prêché au milieu du xviiiepour les sentiments humains
naturels, opposés aux contraintes artificielles imposées par la société. Reconnu comme le
père philosophique de la Révolution française, Rousseau nourrit les Romantiques avec ses
idéaux d’individualité, de liberté et de plénitude. Le second phénomène qui a beaucoup
joué est la Révolution industrielle, qui commence sa course inexorable dès le début du xixe
siècle : au fur et à mesure que se développent les usines s’exprime un malaise face aux
conditions inhumaines d’exploitation des hommes et au développement anarchique du ca-
pitalisme. Au cœur de la pensée romantique se trouve un profond désir de s’évader d’une
réalité insupportable.
Romantisme et révolte
Dans le sillage de la Révolution industrielle se produisent les révolutions politiques,
faits sociaux et politiques majeur de l’époque. Le phénomène commence avec la révolution
américaine et se poursuit avec la Révolution française. Il est suivi par de nombreuses se-
cousses qui culminent en 1848, année de bouleversements majeurs en France, Allemagne,
Autriche et Italie. Les Romantiques prennent inévitablement fait et cause contre l’ordre
établi. Nombre de musiciens épousent des causes politiques, ainsi Beethoven qui écrit une
symphonie "Bonaparte", ainsi Liszt avec Lamennais, ainsi Verdi, dont le nom est l’acro-
nyme du mouvement de libération italien, ou encore Wagner qui fut expulsé d’Allemagne
en 1849 pour avoir tenus des discours enflammés depuis les barricades révolutionnaires
de la ville de Desde. En outre, la révolution politique se double d’une révolution sociale.
L’époque voit la fin des privilèges de la noblesse et les classes populaires et moyennes ac-
cèdent à plus de mobilité sociale. Il est révélateur que Liszt entretienne des liaisons avec
une comtesse française et une princesse russe.
Les mondes populaires
Le champ du folklore, celui d’une culture populaire ressentie comme une "enfance
de l’art", un berceau de la culture savante, est fortement valorisé tout au long de la période
romantique. Les musiciens de cette époque voient dans la simplicité relative des produc-
tions populaires la source vive de toute création artistique et le moyen de se mesurer à
cet objet simple pour élaborer un monde sensible plus riche d’ambivalences, de sonorités
inouïes, de cadres changeants. Les retrouvailles des musiciens romantiques avec un fonds
populaire plus ou moins authentique vont donc leur permettre, soit de recourir à un "ton
populaire" relativement conventionnel, mais doté d’un charme nouveau, soit de repenser
beaucoup plus subtilement leur métier en reprenant les outils de la musique populaire
pour renouveler leur art en profondeur.
[Ecoute : Schubert–Impromptu n˚4en fa mineur D. 935]
Musique et surnaturel
Le surnaturel, souvent lié au macabre, joue une grande place chez les Romantiques,
ce qui n’est pas très étonnant pour un mouvement qui prétend transcender l’ordinaire. La
figure de Faust, qui vend son âme au diable pour un simple moment de bonheur, le roi
des Aulnes de Schubert, le Frankenstein de Mary Shelley, le Vaisseau fantôme de Wagner ou
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la Symphonie fantastique de Berlioz sont autant d’exemples particulièrement évocateurs. La
nuit apparaît également comme une métaphore de l’inspiration, inaugurée par le poète
Novalis dans ses Hymnes à la nuit. Celle-ci est le cadre idéal au déploiement de forces fan-
tasmagoriques, suscitant des pièces obsessionnelles et fébriles ou des œuvres ouvrant sur
un monde hypnotique, sur un entre-deux de la conscience et du rêve, propose à toutes les
variations de l’imagination. Le mécanisme est propice à l’art musical, qui est à même de
travailler l’ambivalence (harmonique entre autres), mais également d’exploiter le mouve-
ment dans toutes ses possibilités. Les compositeurs se plaisent à cultiver des harmonies
étranges et des sonorités orchestrales sinistres.
[Ecoute commentée : Schubert–Erlkönig]
[Ecoute commentée : Liszt–Totentanz]
Nature et émotion
La nature apparaît comme une force tutélaire, tour à tour bienveillante et inquié-
tante, consolatrice et meurtrière. Lieu de toutes les métamorphoses, la nature ne pouvait
que fasciner les musiciens de cette période qui mettant en question les cadres et la rhé-
torique de l’âge classique, étaient à la recherche d’une langue musicale plus diverse, plus
riche d’ambiguïtés, capable d’exprimer par la sonorité elle-même, par la texture harmo-
nique (non plus seulement par le modelé des thèmes) toutes les variations du sentiment,
dans leur correspondance avec celles de la nature elle-même. [Ecoute commentée. Berlioz–
Symphonie fantastique]
Le style romantique
L’expression de toutes ces individualités pose problème dès que l’on veut qualifier
le style romantique. Car chaque artiste a un style personnel. Tous les compositeurs du
xixesiècle partagent des intérêts communs, mais cet intérêt résonne différemment selon
les uns et les autres. Une autre façon de poser le problème est de distinguer des styles
propres à la période et des styles propres aux individus. La période romantique est le
moment dans l’histoire de la musique où la balance penche de manière décisive en faveur
des styles individuels. Quand on écoute de la musique baroque, on distingue d’abord un
style (le baroque), puis on trouve s’il s’agit de Vivaldi, Bach ou Handel. Avec une oeuvre
romantique, la première réaction est de dire "cela ressemble à du Chopin". L’âge classique
avait élaboré ses formes musicales (sonate, symphonie, quatuor, etc.) et construit un style
doté de caractéristiques précises (art des contrastes et du mouvement, liens étroits entre la
musique instrumentale et le monde du théâtre et de la danse). Le xixesiècle voit la mise
en question des acquis du classicisme. Les principaux genres musicaux vont être conservés
mais donneront lieu à de subtiles modifications. Il est difficile de faire une liste des formes
comme on peut le faire pour le baroque par exemple. Mieux vaut se contenter de quelques
caractéristiques générales.
Le rythme
La tendance romantique de brouiller les formes trouve une bonne expression dans la
pratique rythmique du tempo rubato, terme italien signifiant "temps volé". Le rubato indique
que lors de la représentation le rythme est flexible : il est possible d’accélérer certaines notes
de la mélodie ou d’en ralentir d’autres pour abandonner la rigueur de la mesure. Ces varia-
tions de vitesse sont appliquées selon l’inspiration de l’interprète ou du chef d’orchestre. A
l’origine, le tempo rubato affectait uniquement la mélodie, l’accompagnement ne connais-
sant pour sa part aucune variation de vitesse. Par la suite, mélodie et accompagnement
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