âme propre avec un génie que le commun ne possède pas. Le compositeur, n’étant plus
sommé de répondre à une demande précise ainsi s’ouvrir le champ entier des possibles de
la composition. Cette ouverture est favorisée par un "esprit du temps" valorisant par dessus
tout l’introspection, la plongée dans le monde intérieur. Et précisément, l’ère romantique
est celle de l’exaltation du sentiment individuel. L’exploration des territoires obscurs de
l’inspiration, du rêve, la mise en scène des épisodes de la vie personnelle de l’artiste dans
son œuvre : tout cela suscite une efflorescence de pièces d’un caractère explicitement pas-
sionnel, très étranger à l’époque précédente. Sur le plan social, l’époque romantique voit
la métamorphose profonde de la relation de l’artiste à la société. Le musicien, qui était
jusque là serviteur d’un prince ou dépendant du bon vouloir d’un mécène, acquiert une
indépendance financière qui lui ouvre, du même coup, une liberté créatrice inimaginable
auparavant.
Bien que les différentes fonctions de musicien subsistent, telles que celles d’orga-
niste, cantor, chanteur, directeur d’opéra, etc. subsistent, le xixesiècle voit apparaître une
nouvelle figure du musicien qui ne sera que compositeur et vivra de son travail de créateur,
ou presque. Ou du moins, il ne sera plus l’exécutant principal ou privilégié de ses propres
compositions, à moins d’être soliste et d’en écrire pour son instrument. Pourtant, le com-
positeur dépend forcément dans sa vie de son entourage, ce qui l’oblige souvent à vivre
une double vie, à faire des concessions au public, à s’occuper de choses qui l’intéressent
moins, pour revenir ensuite à la hauteur de ses préoccupations artistiques intimes, plus
élevées. De là naîtra souvent un conflit en lui-même et entre lui et la société environnante,
sans parler de celui qui surgira d’un décalage de vues sur la vie, sur l’art et sur sa misson.
Les nécessités économiques, les conceptions philosophiques et esthétiques seront la source
de bien des déchirements. La position du musicien au xixesiècle est difficile : par l’impor-
tance de sa mission et de son travail, il se sent en même temps au centre de l’humanité et
en marge de la société.
La démocratisation de la vie musicale
Les processus amorcés vers la fin du xviiiesiècle dans la vie musicale de l’Europe se
sont considérablement développés au xixesiècle, en aboutissant à une situation inédite dans
l’histoire de la musique occidentale. Désormais, le public restreint des cours et des palais se
réunit de moins en moins pour céder la place à un public numériquement plus important
et composé dans sa majorité de bourgeois. Les patrons et les mécènes nobles cessent peu
à peu de jouer leur rôle traditionnel, évincés par les impressarios et par les différents
groupes de musiciens professionnels et amateurs qui organisent eux-mêmes des concerts
publics. Le public augmente en nombre, surtout dans les grands centres européens, tels que
Londres, Paris et Vienne. Le compositeur, libéré des entraves qui lui étaient imposées dans
le passé, va jouir à l’époque du romantisme du préjugé favorable d’un public néophyte, qui
le regarde souvent comme un être extraordinaire, spécialement doué : le culte du génie se
développe. Conséquence de la démocratisation de la vie musicale, une coupure assez nette
se marque entre "la musique légère" et la "musique sérieuse". C’est une différenciation
déterminante pour l’avenir de la musique. Pour la première tendance, c’est la nouveauté
est est appréciée et demandée, tandis que pour la seconde, c’est plutôt l’appréciation de la
qualité esthétique de la musique.
L’âge de la virtuosité
Le xixesiècle voit se développer considérablement le sens du timbre et du coloris
sonore. Alors que l’orchestre baroque était fondé sur la primauté sonore des instruments
à cordes, de nouvelles inventions mécaniques permettent à l’orchestre classique et roman-
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