Publicité sauvage: fou furieux depuis un quart de siècle Publié le 18 février 2012 à 07h00 Jean-Christophe Laurence La Presse C'est ce qu'on appelle un petit success story. Car rien n'annonçait un tel destin pour Publicité Sauvage, qui fête cette année son quart de siècle, expos et livre à l'appui. Il y a 25 ans, son fondateur Baudoin Wart devait se cacher de la police pour coller des affiches de spectacles. La chose était illégale et les amendes exorbitantes. Mais par amour pour l'art et la culture, cet «afficheur sauvage» prenait le risque. «On a déjà payé jusqu'à 12 000$ de contraventions dans une année, dit-il en riant. Alors, il fallait surveiller et aller très vite. Quand je sentais que j'étais repéré, je changeais de signalement et je me fondais dans la foule.» Un quart de siècle plus tard, Baudoin Wart n'a plus besoin de se cacher. Montréal a fini par tolérer l'affichage (voir autre texte) et Publicité Sauvage est devenue une entreprise prospère qui emploie 35 personnes et gère en moyenne 1500 campagnes publicitaires par année, en spécialisant toujours dans le domaine culturel. Dans le milieu, certains trouvent que l'entreprise en mène un peu large (voir autre texte). Mais on ne pourra pas blâmer Baudoin Wart d'avoir fait grandir sa business dans le confort. «C'est un fou furieux, au sens sympathique du terme», résume Marc Choko, directeur de la chaire de design à l'UQAM, en parlant de M. Wart. «Il n'a jamais lâché, même s'il a eu pour des milliers de dollars d'amendes de la Ville. C'est ce qui rend son histoire si fantastique.» Passionné par la culture de l'affichage, Marc Choko vient de diriger un très beau livre sur les 25 ans et demi(!) de Publicité Sauvage. Ouvrage important, en un sens, puisqu'en racontant l'histoire de l'entreprise, c'est aussi 25 ans de vie culturelle montréalaise qu'on résume. Il faut savoir qu'au fil du temps, Publicité Sauvage a «affiché» à peu près tout le monde dans le milieu culturel, de La La La Human Steps au Coup de coeur francophone, en passant par Louise Forestier, Fantasia, les Zapartistes, le Cirque du Soleil et les Monologues du vagin. Engagé jusqu'au cou dans les célébrations, Marc Choko supervise également une quinzaine d'expositions d'affiches qui auront lieu pendant toute l'année. Chaque expo aura son thème et sera présentée dans un lieu adapté. Les affiches de cirque seront exposées à la TOHU (4 juillet au 4 septembre), celles de cinéma à la Cinémathèque (4 au 29 avril) de littérature à la Grande Bibliothèque (11 septembre au 9 décembre), sans oublier les affiches à caractère social ou politique, qui sont accrochées jusqu'au 4 mars à l'Écomusée du fier monde. Oui, pas de doute, il est bien loin le temps où Baudoin Wart devait se cacher pour tapisser Montréal d'affiches. Devenue incontournable, pour le meilleur et pour le pire, l'ancienne rebelle est désormais une institution qui parle aux institutions. Elle a gagné la confiance de la Ville et s'occupe depuis 2007 du dépôt légal de ses affiches à la Bibliothèque nationale du Québec et aux Archives nationales, en plus de posséder quelque 50 000 affiches dans son propre fonds d'archives. «Il y en a qui disent que je suis un capitaliste de l'affichage, lance Baudoin Wart avec un grain de sel. Moi, Je dis juste qu'on est devenu une belle petite entreprise québécoise, avec un créneau qui n'existait pas avant. C'est sûr que la persévérance a fait la différence. Mais ma force, c'est le service que j'offre. Je ne pose pas seulement des affiches, j'assure le suivi et un entretien régulier. Maintenant que c'est légal, on a le temps de faire ça propre.» 25 ans et demi de Publicité Sauvage Sous la direction de Marc H. Choko, Publicité Sauvage/Éditions Infopresse Publicité sauvage: un monopole? Publié le 17 février 2012 à 15h47 Jean-Christophe Laurence La Presse Techniquement, tout le monde a le droit d'afficher à Montréal. Mais dans les faits, Publicité Sauvage a le contrôle quasi total du centre-ville. C'est bien simple: ceux qui se risquent à jouer sur ses plates-bandes sont perdants d'avance. «Si ce n'est pas un monopole, ce n'en est pas loin», confie Pierre, un producteur du milieu musical, qui préfère taire son vrai nom. «Ils occupent tellement bien le territoire que si tu veux être vu, t'es mieux de passer par eux.» «Ils ont une grosse machine, de gros coûts de fonctionnement, une grosse clientèle et beaucoup de monde à leur service», lance pour sa part Stéphane, qui travaille pour Affichage interdit, rare concurrent de Publicité Sauvage. «Ça ne donne rien d'empiéter sur leur réseau. Nous, on n'a pas eu le choix de développer d'autres circuits.» Une mafia de l'affichage? N'exagérons rien. Mais il est vrai qu'à Montréal, Publicité Sauvage domine outrageusement ce marché très spécifique du marketing culturel. On ne parle pas ici des grosses ligues commerciales, qui incluent les immenses panneaux publicitaires de Pattison, Mediacom ou Astral, mais d'un autre réseau, qui affiche plutôt sur les palissades des chantiers de construction et à l'intérieur des commerces. En 25 ans de lutte pour sa survie, Publicité Sauvage a non seulement gagné les faveurs de la Ville, mais aussi celles des propriétaires, avec qui elle a multiplié les ententes, dont celle de construire ses propres palissades si besoin est. Et bien mal avisé celui qui osera bafouer cette «chasse gardée». Avec une grosse équipe qui travaille sept jours sur sept, Publicité Sauvage aura vite fait de faire disparaître le travail de la concurrence en repassant derrière avec ses propres affiches! «C'est normal, lance la directrice de la boîte Isabelle Jalbert. Il faut s'assurer que nos clients ont une visibilité. Ils payent pour ce service.» À ce qu'on comprend, la situation a déjà été plus tendue. Des guerres d'affiches ont eu lieu à Montréal, mais «cette époque est depuis longtemps terminée», souligne Stéphane, d'Affichage interdit. Devant le puissant rouleau compresseur de Publicité Sauvage, la concurrence a cessé de jouer au bras de fer. Affichage interdit, par exemple, a simplement choisi de modifier sa stratégie, en allant chercher d'autres clientèles (milieu étudiant, communautaire, syndical) et en investissant de nouveaux lieux. «On a fait des efforts pour ne pas empiéter, résume Stéphane. Et je dirais qu'un certain équilibre s'est créé.» Équilibre peut-être, mais pour ce qui est d'une campagne d'affichage efficace, tout le monde est d'accord: il n'y a pas vraiment une solution de rechange à Publicité Sauvage. Le problème, c'est que ses services ne sont pas à la portée de toutes les bourses, ce qui suscite parfois la grogne chez les petits producteurs qui veulent promouvoir un événement. Pour ces derniers, il y a bien les flyers et le mobilier urbain (boîtes aux lettres). Mais attention: à l'exception des poteaux, tolérés depuis peu, les amendes sont très dissuasives, pouvant aller jusqu'à 2500$. «Sauvage» mais compréhensive, Isabelle Jalbert reconnaît qu'il manque d'espaces pour la promotion des producteurs indépendants. La Ville chercherait actuellement une solution qui ferait moins de mécontents. Chose certaine, il y a urgence. Car, à Montréal, le nombre de surfaces d'affichage va en diminuant, notamment à cause de la disparition progressive des palissades en bois, remplacées par du métal. Les médias sociaux? Ils offrent une voie de secours intéressante, mais ce n'est pas la solution miracle. Chez Blues Skies Turned Black, producteur de rock montréalais, on dit que Facebook et Twitter ont permis de réduire le nombre d'affiches de 50%, ce qui a considérablement diminué les coûts de promotion. Mais encore faut-il avoir un bon réseau, établi au préalable. Comme le dit si bien Pierre, «ce n'est pas une panacée, mais un outil de plus. C'est tout». Publicité sauvage: une longue histoire Publié le 18 février 2012 à 07h00 Jean-Christophe Laurence La Presse Ce n'est pas d'hier qu'on affiche à Montréal. Et ce n'est pas d'hier que cette activité donne des maux de tête à la Ville! En 1875, déjà, un règlement municipal autorise la chose... en autant que la police donne son accord! Dans les décennies suivantes, l'affichage prend de l'ampleur: faute de télé et de radio, c'est une des meilleures façons de s'annoncer. Le phénomène ralentit avec la crise des années 30, puis reprend de plus belle avec la Seconde Guerre mondiale et ses campagnes de propagande. Modifié et abrogé maintes fois, le règlement de 1875 est toujours en vigueur. Mais avec l'arrivée de Jean Drapeau, la loi se durcit considérablement. Adopté en 1977, le règlement 5128 interdit totalement l'affichage de palissade. La répression s'accroît. Les amendes et les arrestations aussi. Avec l'arrivée de Publicité Sauvage, l'affichage devient une véritable guerilla. Mais après quelques années de pure délinquance, la compagnie va emprunter les voies officielles. Appuyée par 60 entreprises culturelles, Baudoin Wart propose un projet de changement de règlement municipal, qui est accepté en 1994 par le maire Jean Doré, dans la foulée du nouveau plan d'urbanisme. On a désormais le droit d'afficher sur les palissades sauf avis contraire. En revanche, ceux qui débordent sur les poteaux et le mobilier urbain sont chassés par la Ville, qui lance une campagne extrêmement dissuasive (amendes très salée et casier judiciaire aux récidivistes), campagne qui ne se limite plus aujourd'hui qu'aux boîtes aux lettres. À la suite d'un jugement de la Cour d'appel rendu en 2010, la Ville a promis d'augmenter ses surfaces d'affichage. On a parlé de caoutchouc sur les poteaux, mais l'idée ne semble pas avoir fait long feu. Publicité Sauvage est pour sa part en train de développer un nouveau concept «qui ne serait pas dans le chemin», dixit Baudoin Wart, sans en dévoiler davantage. Dans tous les cas, l'affichage semble là pour rester, ce qui réjouit Marc Choko: «Je préférerai toujours un panneau réclame à un mur de briques, lance le professeur de design à l'UQAM. L'affiche fait partie de l'animation urbaine. C'est un musée à ciel ouvert qui change tout le temps. Sans oublier que ça en dit long sur l'évolution d'une société.... Maintenant, est-ce que les affiches ont toujours bon goût? Ça, c'est une autre histoire...»