INTRODUCTION
MIRAME
LA VIE ET LA CARRIÈRE LITTERAIRE DE DESMARETS
Jean Desmarets est né à Paris vers 1600, selon H.G. Hall qui recule de cinq
ans l'année présumée de sa naissance qui était jusque-là l'année 1595 d'après des
sources du XVIIIe siècle. Il n'existe en fait aucun document irréfutable prouvant
que Desmarets est né en 1600 ou en 1595 et H.G. Hall tente de démontrer la
véracité de sa thèse sans être vraiment convaincant1. L'auteur de Mirame
appartenait à une famille bourgeoise liée à la classe noble et à la Cour ; il était le
cousin de la baronne de Vigean, connue comme une Précieuse qui tenait salon à
Paris, fréquentait l'Hôtel de Rambouillet et la nièce de Richelieu, Marie-
Madeleine, devenue en 1638 duchesse d'Aiguillon ; Desmarets lui dédiera en
1639, Rosane, son deuxième roman. Notre auteur a eu donc très tôt ses entrées
auprès du Cardinal dont il devint le familier, en 16342. Desmarets devint aussi à
une date inconnue le précepteur du petit-neveu de Richelieu, Armand de
Vignerot, né en 1629 ; il restera un de ses proches puisqu'il mourra chez lui en
1676. Il ne deviendra le noble Desmarets de Saint-Sorlin qu'en 1653, grâce au
jeune duc de Richelieu dont il est intendant, qui lui fait don du fief et de la
seigneurie de Saint-Sorlin en Saintonge.
Avant d’être écrivain, il est officier, c’est-à-dire qu’il détient des offices. Il en a
plusieurs. Député pour les fortifications dès 1620, il achète la charge de
surintendant des fortifications de France en 1634 ; vers la même époque, il
1. H.G. Hall, Richelieu’s Desmarets and the century of Louis XIV, Oxford, Clarendon Press, 1990, p. 19-20.
2. J. Desmarets, Les Visionnaires, éd. H.G. Hall, Paris, STFM, 1995, introd., p. XIX.
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devient contrôleur, puis en 1639, contrôleur général de l'extraordinaire des
guerres ; ces charges concernent la finance. Le privilège de 1639 qu'il reçoit
pour 20 ans quand il publie Scipion le dit aussi conseiller du roi. Après la mort, le
4 décembre 1642, du Cardinal de Richelieu dont il est l’exécuteur testamentaire,
ce qui prouve les liens étroits qu’il avait tissés avec lui, il passe au service de sa
nièce, Mme d'Aiguillon, qui lui fait avoir la charge de secrétaire général des
galères, avec, à titre de gages une somme annuelle importante. Ces différentes
charges lui donnent donc le statut d'officier et de « noble homme3 ».
Outre ses activités d’officier, il est un écrivain déjà connu à partir de 1632,
quand il publie son roman historique Ariane (deux tomes de 523 et 423 p) qui a
tout de suite du succès, un succès qui durera jusqu'au XVIIIe siècle4. Il est
romancier mais aussi poète, dès 1633, avec des poèmes et le « Discours de la
poésie à Monseigneur le Cardinal de Richelieu » paru dans les Nouvelles Muses de
Boisrobert. Il participe aussi en 1634 à l’Hôtel de Rambouillet à la célèbre
Guirlande de Julie. Depuis 1631 il fréquente Conrart et les membres de la future
Académie française dont les réunions se tiennent chez lui dès 1634. Lorsque
l’Académie est constituée, il en est le chancelier de 1635 à 1638. En 1641,
l'année de la parution de Mirame, son éditeur Le Gras fait paraître aussi les
Œuvres poétiques du Sieur Desmarets, sorte de recueil factice qui comprend
plusieurs oeuvres déjà publiées, des poésies comme le Discours de la poésie…, un
extrait du Ballet de la Félicité dansé en 1639, et les Amours du compas et de la règle
…, poésie burlesque visant à amuser le Cardinal.
Après sa période théâtrale qui se termine à la mort du Cardinal, (de 1636 à
1642 il aura écrit 7 pièces de théâtre dont la dernière, Europe, comédie héroïque,
paraît en 1643 dans le format in-4°), il se convertit en 1645. Il publiera plus tard
plusieurs textes remplis d’une grande spiritualité religieuse comme l'Office de la
Vierge Marie en 1645, les Promenades de Richelieu ou les Vertus chrétiennes en 1653,
l'Imitation de Jésus-Christ qu’il traduira en vers (1654), Les Délices de l'Esprit, série
de trente dialogues où il cherche à prouver la valeur spirituelle de la religion
chrétienne (1658). Il lutte contre le jansénisme et contre l’hérésie et se trouve
violemment attaqué entre 1665 et 1667, après la malheureuse affaire Morin, par
3. C’est un bourgeois vivant noblement ; voir Desmarets, Théâtre complet, éd. Cl. Chaineaux, Champion, 2005,
p. 16.
4. Hall a compté dix éditions en français jusqu'en 1724 -celles de 1639 et de 1643 bénéficiant d'illustrations
d'Abraham Bosse- et au moins dix traductions jusqu’en 1714.
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les Lettres visionnaires de Pierre Nicole qui l’accusent d’être lui-même visionnaire,
donc en quelque sorte fou. Vers la fin de sa vie, toujours combatif, il s’intéresse
aux institutions littéraires en affirmant la supériorité des Modernes sur les
Anciens et déclenche alors la Querelle des Anciens et des Modernes : en 1670,
la publication de La Comparaison de la langue et de la poésie française avec la grecque et
la latine et des Poètes grecs, latins et français…tente « de concurrencer et de battre les
Anciens sur les terrains mêmes où ils se sont illustrés5 ». En 1674, La Défense du
poème héroïque… en forme de dialogues, s'attaque à l'Art poétique de Boileau ; en
1675, La Défense de la Poésie et de la Langue française, Adressée à Monsieur Perrault
s’élève contre ceux qui écrivent de la poésie en latin. Il n'en continue pas moins
à faire œuvre de poète avec Esther, en 16706.
Sa très longue carrière littéraire, commencée avec le roman, Ariane, en 1632,
et terminée, après sa mort en 1676, par des Maximes chrétiennes posthumes en
1680 et 1687, a donc été très fertile et assez austère, surtout après sa
conversion. En tout cas, romancier, poète, dramaturge, auteur de ballets et d'un
long poème épique, Clovis, de textes allégoriques et religieux, de jeux de cartes, il
aura touché presque à tous les genres.
DESMARETS ET LE BALLET
Le premier tiers du XVIIe siècle est encore la grande période du ballet de cour.
Le roi, la reine-mère, et toute la Cour sont très amateurs de ce divertissement.
Pour répondre à la demande qui est importante, de nombreux écrivains ou
poètes en rédigent les livrets, comme Malherbe, Racan, Théophile de Viau,
Colletet, L’Estoile, Sorel, Benserade. Même La Mesnardière qui, pourtant, dans
sa Poétique, en 1639, regrette que « la simple Danse et les Ballets […] ont été les
seuls passetemps que les Princes ont estimez dans la décadence des lettres,
arrivée par leur nonchalance7 », écrira des airs de ballet pour la cour de
Luxembourg. Le ballet de cour est incontestablement le spectacle à la mode
avant la politique de Richelieu de promotion du théâtre, à partir de 1635. Même
5. A. Viala, « Desmarets, La guerre des institutions et la modernité », XVIIe siècle, n° 193, 1996.
6. Ce poème a été publié curieusement sous le nom du Sieur de Boisval, ce qui a amené la BNF à adopter ce
nom comme le pseudonyme de Desmarets ; cela paraît excessif puisque, à notre connaissance, c'est la seule
œuvre de D. parue sous cette appellation et qu'en 1673 ce même poème porte cette fois le nom de D. dans
une édition in-12.
7. Cité par M. Mc Gowan, L'Art du ballet de cour en France 1581-1643, Paris, CNRS, p. 234-235.
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à la fin des années 1630, le ballet est encore la principale distraction des Grands
et un des instruments d'affirmation de la puissance du souverain. Desmarets le
sait bien qui, dans sa dédicace au roi de l’édition de Mirame en 1641, évoque le
Ballet de la Prospérité des armes de France, dansé le 7 février 1641 au théâtre du
Palais-Cardinal pour célébrer les victoires de Louis XIII et le mariage du duc
d’Enghien avec Claire-Clémence, nièce de Richelieu, trois semaines seulement
après la première représentation de Mirame. Ce ballet a paru dans la Gazette, sans
nom d'auteur, mais on peut attribuer le livret et sa conception à Desmarets,
grâce à Tallemant8. Ce fut un ballet magnifique d’une exceptionnelle ampleur,
avec trente-six entrées et cinq actes. Comme pour les autres ballets dansés chez
le roi, les Grands y participèrent, comme le duc d’Enghien lui-même, qui dansa
la première entrée de l'acte I et apparut dans la septième de l'acte IV en Jupiter9.
Desmarets a rédigé aussi l’argument du Ballet de la Félicité sur le sujet de l'heureuse
naissance de Monseigneur le Dauphin, dansé en mars 1639 après la naissance du
Dauphin Louis, non pas parce qu’on trouve « le sieur Marais » parmi les
danseurs, mais parce qu’une partie des chansons de ce ballet figure dans
l'édition des Œuvres poétiques de Desmarets en 1641.
Desmarets, ce bourgeois sévère, « esprit universel et plein d'inventions » mais
qui « n’estoit pas propre pour faire rire10», érudit, travailleur, auteur de poésies
et de textes religieux et tant apprécié de Richelieu, est-il bien celui qui, jeune
adolescent, dès 1613, puis à de très nombreuses reprises jusqu’en 1639, est
danseur à la Cour, celui que Tallemant traite de « bouffon du roi » dans son
Historiette consacrée à Louis XIII ? Certes, outre celles de Tallemant, on a de
multiples traces d'un certain Maraist, danseur à la Cour, danseur célèbre,
« homme d'armes de la compagnie du Grand Ecuyer », « mime prodigieux,
doublé d'un bon musicien11 ». Mais est-ce vraiment le même homme que
l'auteur de Mirame, comme le pensent H.G. Hall12, M. Fumaroli13 et tout
8. Tallemant, écrit dans ses Historiettes, éd. A. Adam, t. 2, p. 154-155 : « Il voulut (il s'agit de Porchères Laugier
qui a obtenu « l’employ de faire les ballets et autres choses semblables ») se formalizer de ce que Desmarets
avait fait le dessein du ballet qui fut dansé au mariage du duc d'Anguien».
9. Ballets et mascarades de cour de Henri III à Louis XIV (1581-1652), éd. P. Lacroix, t. VI, p. 35 et 43.
10. Tallemant, Historiettes, t. 1, p. 400.
11. H. Prunières, Le Ballet de cour en France avant Benserade et Lully, 1914.
12. H. G., Hall, Richelieu’s Desmarets…, op. cit., p. 58. Hall ne donne aucune preuve de ce qu’il avance.
13. Selon M. Fumaroli, Desmarets « débuta à la Cour comme favori de Louis XIII » et y dansa dans de
nombreux ballets, in « Les abeilles et les araignées », La querelle des Anciens et des Modernes XVII-XVIIIe,
Gallimard, Folio Classique, p. 106.
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dernièrement Déborah Blocker14 ? Il est permis d’en douter ! Celui qui était très
éloigné du théâtre15, qui répugnait à écrire les pièces de théâtre que lui
demandait Richelieu, et qui, après la mort du Cardinal, n’alla plus jamais à la
comédie, comme il le dit lui-même en 166616, a-t-il vraiment, dans la première
partie de sa vie et même en 1639, trouvé le temps, le goût et la disponibilité
d’accompagner les nobles désoeuvrés de la Cour qui dansaient pour le roi ? Son
caractère plutôt introverti l’a-t-il conduit à être ce « mime prodigieux » dont on
a parlé ? Comme le dit justement, Claire Chaineaux17, aucun témoignage
contemporain sur Desmarets ne mentionne son rôle de danseur à la Cour de
Louis XIII et la suite de sa carrière littéraire et de sa vie rend incongrue la thèse
présentée par Hall. Le danseur et l’écrivain pouvaient-ils être le même homme ?
C'est une question que l’on peut se poser encore, malgré les convictions de
H.G. Hall, de Fumaroli et de Blocker, et malgré l’extrême ressemblance des
noms18. Certes Desmarets a été influencé par l'esthétique du ballet : sa comédie,
Les Visionnaires, montre bien cette influence : toute la structure de la pièce est
proche de celle d'un ballet. Hall a remarqué aussi19 que les paroles d'Artabaze, le
capitan de la célèbre comédie, ressemblent beaucoup à celles d’un Rodomont
dans une entrée d'un ballet dansé à Bordeaux en 1620. Mais il n’était pas
nécessaire d’avoir été danseur à la Cour pour avoir conçu des ballets et avoir
écrit Les Visionnaires !
14. D. Blocker, Instituer un « art ». Politiques du théâtre dans la France du premier XVIIe siècle, p. 250. L’auteur
attaque Cl. Chaineaux qui écrit que le danseur Maraist et l’auteur Desmarets n’étaient le même homme, mais
elle n’apporte non plus pas de preuve quand elle affirme le contraire.
15. P. Pellisson, Relation contenant l’histoire de l'Académie française, 1653, cité par Hall, Richelieu's Desmarets…p. 143.
16. Dans la Seconde Partie de la Response à l'insolente Apologie des religieuses de Port Royal…
17. Desmarets, Théâtre complet, éd. Cl. Chaineaux, op. cit., p. 21. Tallemant, si cela avait été le cas, y aurait
certainement fait une allusion, surtout pour le ballet de 1639.
18. « Parmi les nombreux baladins issus de la confrérie des Ménestriers ( ) se distingue l’incomparable Marais.
Mime remarquable, bon chanteur et musicien, il tient des rôles importants… » (M. F. Christout, Le ballet de
cour de Louis XIV… nouvelle édition, Paris, Centre National de la danse, A. et J. Picard, 2005, ch. 1, p. 27).
Cette spécialiste du ballet de cour, interrogée ce mois-ci, affirme qu’il est impossible que Desmarets ait été le
danseur Maraist, ce qui confirme mes arguments basés sur la personnalité de l’auteur de Mirame.
19. Hall, Richelieu's Desmarets.., op. cit., p. 63.
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