Revue AH n°189 janvier 2006
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Aussi l’aumônerie se trouve-t-elle partie prenante de ce combat pour l’homme vivant, et participe
ainsi à un accompagnement avec d’autres personnes. Par la reconnaissance de cette dynamique
spirituelle, les uns et les autres travaillent à ce que l’homme malade s’inscrive pleinement dans la
vie, non en se centrant et en se crispant sur sa dimension biologique, mais en se recevant comme un
être complexe, fragile, fondamentalement ouvert à l’autre. Il se produit alors, dans un certaine
mesure, une forme de guérison en sortant de l’impasse d’une conception rétrécie de l’humain où
seule compterait l’intégrité physique, avec des exigences démesurées adressées à la médecine. En
redonnant une place aux « besoins spirituels », le corps médical et soignant se dégage de la
tentation de toute puissance qui ne peut pardonner la moindre défaillance. De plus, les Eglises
elles-mêmes sont ici appelées à s’ouvrir à des partenariats insoupçonnés en évitant tout monopole
spirituel. En ce sens, la contribution thérapeutique d’une reconnaissance effective de la dimension
spirituelle de tout personne s’étend bien au-delà du patient, des soignants et des aumôneries sans
que l’on puisse dire encore où est la part originale de l’aumônerie.
Quelle originalité de l’aumônerie dans cette prise en charge du spirituel ?
Pourtant, l’aumônerie, par son statut clairement visible (badge, reconnaissance institutionnelle)
renvoie à une dimension religieuse même si la personne rencontrée n’explicite pas de demande de ce
type. Cela engendre d’ailleurs des réactions du genre : « Je ne suis pas de votre bord », « Vous
perdez votre temps avec moi »…
La première originalité me semble être là, et elle est souvent sous-estimée sous prétexte que le
dialogue n’a pas débouché sur du religieux. Par sa simple présence, l’aumônerie propose une
articulation du spirituel et du religieux. Loin d’ignorer la recherche de sens non confessionnelle, elle
la prend en compte, l’écoute avec attention et la place devant l’hypothèse de l’existence de Dieu et
du salut. Il est toujours question de favoriser du sens, de clarifier l’orientation de vie, de goûter la
saveur de l’existence quotidienne dans la rencontre humaine la plus simple. L’originalité tient au
fait que, par sa présence, se dit une proposition de vie définitivement reçue en Dieu. C’est ce
qu’exprimait une personne qui n’avait jamais rien demandé à l’aumônerie : « Vous qui êtes en
relation avec Celui qui nous regarde de là-haut
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… » La question du sens de la vie peut alors
s’ouvrir à des questions humaines inéluctables auxquelles chacun doit pouvoir répondre un jour
pour être en paix : « Que restera-t-il de ma vie, de ce que j’ai fait, des êtres que j’ai aimés ? », « Qui
suis-je réellement dans ce monde ? » Ces questions sont souvent tues faute d’interlocuteur capable
de les entendre. Elles peuvent aussi être masquées dans une conversation pour tester l’attention de
l’autre avec pudeur. Pour avancer dans ce labyrinthe, la personne malade cherche quelqu’un
d’expérience, une personne qui connaît un tant soit peu ce cheminement intérieur plein
d’embûches et de combats.
Or, le fait d’être chrétien inscrit les membres de l’aumônerie dans une contemplation de Jésus-
Christ, vrai homme et vrai Dieu ; et cette contemplation passe par le combat spirituel de la prière.
Au fond, le chrétien se trouve confronté à vivre le cheminement spirituel de tout homme redoublé
par celui de la prière. Cette expérience passe par des étapes, des prises de conscience, des
transformations de soi ; sous le feu des questions, bien des certitudes sont passées au crible. Le
doute, la remise en chantier des représentations de Dieu en font partie.
Les priants vivent ce cheminement intérieur parfois aride, parfois savoureux, en solidarité avec
tous les hommes. Dans le christianisme, ce chemin s’offre plus particulièrement comme un
approfondissement du mystère pascal vécu en premier lieu par Jésus-Christ, devenu frère de tous
les humains. C’est de cette expérience du passage de la mort à la vie – et donc d’un Dieu de vie,
non de mort – dont il faut pouvoir témoigner lorsque cela nous est demandé ou suggéré. Si des
réponses dogmatiques n’ont guère lieu d’être dans une rencontre d’aumônerie, des témoins
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Lu dans le témoignage de Marie-José Perroquin, A.-H. n° 205, octobre 2005, p. 8.