[3] C’est sous l’emprise d’une peur inconsciente que les humains sont canalisés par les extra-
terrestres. Nada, en voulant dévoiler la vérité, lutte contre des moulins: non seulement les E.T.
tentent de l’arrêter, mais les humains ne veulent pas voir les choses telles qu’elles sont. À la fin
du film, au prix de son propre sacrifice il détruit l’émetteur qui permet de tronquer la vision des
humains. Tous alors finissent par se rendre compte de l’odieuse réalité de la situation, le regard
médusé par cette prise de conscience soudaine. Cette fin sonne comme l’aveu ultime de
Carpenter sur la vocation de son cinéma: parvenir à ouvrir les yeux des peuples occidentaux, dont
la peur du fascisme est telle qu’ils le nient, sur la réalité du monde. C’est un véritable fantasme de
gauche comme on en trouve peu dans le cinéma américain. C’est ce qui rend l’œuvre de John
Carpenter si précieuse.
Ensemble, le pire est possible
Une chose frappe dans l’œuvre de Carpenter: sous divers genres, revient une prédilection pour les
menaces posées dans une multitude. Évidemment, sa filmographie comporte quelques exceptions
restées fameuses (tel Halloween et son tueur solitaire aux victimes isolées). Il reste que la question
du collectif, ceux qui assaillent ou ceux qui se défendent, s’invite régulièrement dans ses films. Le
simple mot «plusieurs» semble être une menace pour les protagonistes, soit parce qu’ils font face
à une multitude organisée, soit parce que l’équilibre précaire de leur propre collectivité, au fond un
assemblage artificiel d’individualités disparates, ne fait qu’accélérer leur chute. Des états de fait
dont le cinéaste n’hésitera pas, dès que l’occasion s’en présente, à poser en une certaine vision
des conflits d’intérêt entre l’individu et le collectif, notamment dans la société américaine.
Son nom est Légion
Les groupes humains uniformes sont toujours suspects chez Carpenter. Il se peut que ce ne soit
qu’une unité de surface (cela concerne généralement les personnages «bons»), façade qui finit
par se craqueler face à l’adversité, révélant des disparités morales génératrices de conflits.
Dans Assaut déjà, les très honnêtes occupants du commissariat, assaillis par une bande de
malfrats à la recherche du père de famille qui a tué l’un des leurs, en viennent à se disputer sur la
question de leur livrer ou non le quidam pour sauver leur peau… Mais plus fréquemment, on se
trouve en face d’une foule aux objectifs, mouvements et actions coordonnés. Cependant, cette
coordination même pose problème: fruit de rites ou d’une puissance supérieure, elle est aussitôt
pointée comme contre-nature, malsaine, signe d’une force malfaisante en marche. Dans Assaut,
New York 1997 et Ghosts of Mars, les assaillants contre lesquels il faut lutter – gangs, mineurs
possédés – observent de concert des rites primitifs et barbares, comme hérités d’âges obscurs de
l’Humanité: parfois reconnaissables (les combats de gladiateurs dans New York 1997), mais au
sens souvent énigmatique pour le spectateur moderne dont ils brusquent la notion de civilisation
policée. Les adorateurs du Prince des Ténèbres, eux, obéissent à une force mystique d’essence
maléfique, mais utilisant le décorum de la religion (le lieu sacré de ce culte n’est autre qu’une
église catholique, laissée intacte, la foi dans le Bien et celle dans le Mal ne pouvant qu’aller de
pair…). Dans ces films-là, l’attitude inébranlable de la foule menaçante n’est pas sans évoquer, à
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