Identification et analyse de quelques distorsions sémantiques rencontrées dans le résumé de texte. Cas des étudiants de l’Institut national Polytechnique Félix Houphouët Boigny de Yamoussoukro Johnson Manda Djoa Introduction Le résumé de texte occupe une place essentielle dans les cours de technique d’expression à l’université et dans les Grandes Ecoles. Malheureusement, sa pratique cause problème aux apprenants. Dans les Grandes Ecoles ivoiriennes et particulièrement à l’Institut National Polytechnique Félix Houphouët ‒ Boigny (INP-HB) de Yamoussoukro, les étudiants sont confrontés aux difficultés que suscite cette épreuve. En effet, en plus de la paraphrase et du non respect du nombre de mots imposé, on rencontre chez les étudiants d’autres lacunes qui, cette fois-ci, dénaturent le sens du texte original. Ces lacunes peuvent recevoir la désignation de « distorsions sémantiques ». Les enseignants et les apprenants sont conscients de ces difficultés, mais ils ont du mal à les identifier et à déterminer leur nature. Aussi toute solution visant à limiter ces distorsions reste-elle-inefficace. Cette préoccupation constitue notre objet de recherche. Le but de l’étude est donc d’identifier les phénomènes linguistiques susceptibles de déformer le contenu sémantique du texte à résumer. L’opération permettra de connaître leur nature en vue d’une analyse. Le résumé de texte, selon J.B. Kouamé (1998 : 78) et ses collaborateurs, exige du candidat « qu’il sache trier les idées, c’est-à-dire qu’il sache retenir l’essentiel en élaguant au maximum tout le superflu sémantique ». De même, Y. Stalloni (1998 : 23) recommande « une fidélité scrupuleuse au sens et à l’ordre du texte ». En somme, les exigences sémantiques font la spécificité de cet exercice. Certes, ces auteurs s’intéressent à la question du sens dans le résumé, mais leurs réflexions portent pour la plupart sur la méthodologie qui soustend cet enseignement. Les rares travaux qui évoquent la question dans une visée linguistique portent en général sur les mots et sur les phrases au détriment du texte. Cette rareté s’explique selon M. Grawitz par le fait que 164 Johnson Manda Djoa Toutes les recherches conduites dans ce domaine partent du principe que les énoncés ne se présentent pas comme des phrases ou des suites de phrases mais comme des textes. Or le texte est un mode d’organisation spécifique qu’il faut étudier comme tel en le rapportant aux conditions dans lesquelles il est produit. Considérer la structuration d’un texte en le rapportant à ses conditions de production, c’est l’envisager comme discours (Grawitz 1990 : 354). Il s’agira donc pour nous de dépasser le cadre phrastique au profit d’un objet plus vaste : le texte. Cette perspective place notre étude dans le champ de la grammaire de texte dont l’activité se situe autour de l’idée qu’un texte est une unité linguistique qui peut faire sur le plan grammatical l’objet de la même attention que la phrase. Nous nous appuierons sur des théories de l’énonciation pour désigner et analyser les difficultés des étudiants. Notre corpus est constitué de résumés de cent soixante dix (170) étudiants issus de trois classes de l’Ecole préparatoire : Prépa Commerce première année A et B (PC1A) et (PC1B) et Prépa Biologie deuxième année A (PB2A). Pour mieux comprendre l’étude, nous allons axer notre développement sur trois points essentiels : ‒ un aperçu sur le résumé de texte ; ‒ le texte à résumer ; ‒ l’analyse des distorsions identifiées. 1 Le résumé de texte 1.1 Principes généraux Y. Stalloni (1998 : 23) résume en dix (10) points les principes de l’exercice. 1. Appellation : Résumé ou contraction. Termes interchangeables. 2. But : Restituer brièvement un texte pour un lecteur qui ne le connaîtrait pas. 3. Dimensions : ‒ Textes de plus de 2000 mots : 1/10 ‒ Textes de moins de 2000 mots : de 1/5 à 1/8. 4. Faculté de dépassement : 5 à 10% en plus ou en moins. 5. Mesure du format : Tous les mots comptent, même ceux formés d’une seule lettre. 6. Pénalisations : 1 point (sur 20) en moins pour tout mot au-delà ou en deçà de la tolérance accordée ; puis 1 point par tranche de dix mots. 7. Prise en charge : Respectez le système énonciatif ; mettez-vous à la place de l’auteur et dites « je » si nécessaire. 8. Respect : Fidélité scrupuleuse au sens et à l’ordre du texte. AnnalSS 7, 2010 Identification et analyse de distorsions sémantiques dans le résumé de texte 165 9. Synonymes et citations : Pas de citation de l’énoncé ; pas de recours systématique aux synonymes. 10. Ton, forme, orthographe : Ecrivez correctement, lisiblement, dans un français clair et sans faute d’orthographe. 1.2 Quelques conseils pratiques Nous les empruntons à Y. Le Lay (2001 : 148-149). • La lecture préalable du texte à résumer se fait de manière active, crayon en main : on repère et on entoure les mots de liaison et les formules de transition, on annote les paragraphes en indiquant sommairement leur contenu et leur rôle et en délimitant arguments et exemples. • Les différentes parties ainsi définies sont numérotées, on isole entre parenthèses les phrases redondantes qu’il n’y a pas lieu de reprendre dans le résumé. • Chaque partie numérotée est alors résumée ; on n’oublie pas les articulations logiques nécessaires. • On détermine le nombre de mots du texte initial et du résumé : il suffit de compter le nombre de mots d’une ligne moyenne, articles et prépositions élidés compris, et de le multiplier par le nombre de lignes, puis on vérifie le rapport entre les deux (un résumé « au quart » comprendra environ quatre fois moins de mots que le texte). On procède enfin aux ajustements nécessaires (par exemple remplacer la locution « au cas où » + conditionnel par « si » + indicatif suffit à faire gagner deux mots). • On relit le résumé ou on le fait relire par une personne qui ne connaît pas le texte de départ afin d’en vérifier le style et la cohérence. Voici à présent le texte qui a servis à l’évaluation des étudiants: AnnalSS 7, 2010 166 Johnson Manda Djoa 2 Texte à résumer et remarques générales 2.1 Texte à résumer La violence tolérée Nous vivons, on le sait, dans une société de spectacle et de représentation, mais nous sommes aussi confrontés à une société paradoxale de la violence : violences routières et domestiques, violences nocturnes des cités, violences télévisuelles… En dépit des réprobations qu’elle inspire toujours et des sanctions qu’elle entraîne parfois, la violence continue ainsi de se développer dans nos sociétés civilisées sous les formes les plus diverses. Parmi celles-ci, les violences sportives ont trouvé logiquement leur place. Mais, ce qui frappe, c’est la vigueur et la rapidité avec lesquelles elles furent unanimement condamnées. Face au drame du Heysel, toutes parties prenantes, portées par une même vague d’indignation et dans une recherche affolée des responsabilités, ont invoqué tour à tour l’imprévoyance des organisateurs ou l’ « incurie des forces de l’ordre », la « barbarie des hooligans », l’exacerbation et l’agressivité par l’excès de boisson, les effets dépersonnalisants de la multitude, les mouvements incontrôlables de la foule, la vétusté des stades… Mais, pour l’essentiel, la condamnation, médiatiquement orchestrée, a porté sur l’identification et la stigmatisation des hooligans – promus de nouveaux barbares –, des skinheads politisés et des « excités » de toutes sortes. Ce qui surprend dans cette panoplie de « responsabilités », c’est l’occultation du rôle de la télévision et, fait plus surprenant encore, l’oblitération des fonctions du sport en général et du football lui-même comme drame. Tous les arguments avancés sont réputés être, en effet, extrinsèques au sport et étrangers à son principal médium. Ces explications gênent les sociologues, davantage enclins à considérer ce phénomène, que l’événement a brusquement révélé, comme un fait social total. En dépit des variations culturelles que peut subir sa définition, selon les civilisations, les sociétés et les groupes où elle se manifeste, la violence qualifie toujours l’agressivité ou la brutalité que l’homme peut exercer à l’égard de ses semblables en usant de sa force physique. Le sentiment de son caractère illégitime se renforce dès lors qu’elle s’exerce à l’égard de ses victimes les plus faibles (femmes, enfants, vieillards par exemple). Mais on peut remarquer que les juristes chargés de régler quotidiennement les affaires violentes, d’en apprécier et d’en peser les sanctions, précisent que trois secteurs, dans l’univers social, échappent à leurs juridictions ordinaires. Il s’agit des domaines exclusifs dans lesquels la loi reconnaît et même autorise la mise en jeu de la violence sur autrui (dans les conditions et les limites qu’elle s’efforce de définir), à savoir les opérations du maintien de l’ordre, l’acte chirurgical et l’affrontement sportif. Par ailleurs, on notera que dans nos représentations collectives trois registres métaphoriques se disputent la prévalence pour qualifier les principaux modes de relations sociales. Le modèle de la guerre, paradigme de la violence collective, qualifie aujourd’hui, dans son durcissement progressif, AnnalSS 7, 2010 Identification et analyse de distorsions sémantiques dans le résumé de texte 167 la concurrence économique entre les nations. Le modèle sportif (que la tradition imprègne de fair-play et de respect de l’adversaire dans des luttes à armes égales) semble symptomatiquement imprégner l’ensemble des rapports sociaux et politiques. Mais ce dernier le dispute, aujourd’hui dans les domaines professionnels, au langage et aux tactiques de la délinquance (« préparer » et « réussir un coup ») ou bien, pour les acteurs en position chronique de faiblesse sociale, aux techniques des « coups de main » que l’on pourrait croire inspirées de la guérilla de partisans. En tout cas, on peut identifier des domaines bien délimités de notre culture où les forts peuvent imposer en quelque sorte légitimement leur puissance ou leur loi aux plus faibles et où la violence que l’on dit symbolique peut même s’exercer, en douceur, avec le consentement de ses victimes. Le sport, avons-nous dit, peut être considéré comme l’une des rares occasions où les forts peuvent légitimement opprimer les faibles et, en tout cas, où la mise en jeu de la violence est réputée socialement acceptable. Il n’est pas sans intérêt de rappeler, à ce propos, que les sports collectifs modernes naissent, en Angleterre, dans les cours de recréation où les écoliers sont livrés à eux-mêmes et précisément dans les internats où les plus grands élèves exercent, sans vergogne, une forme de « terreur » physique à l’égard des plus jeunes. Les sports d’affrontement les plus durs sont des combats qui « procurent de l’excitation et du plaisir, sans choquer les consciences » (N. Elias). Aujourd’hui encore, leurs règlements définissent – garantissent et préservent – un type particulier d’investissement de la violence dont les joueurs assument implicitement toutes les conséquences. Le début du XIXe siècle sera le moment historique décisif du développement des jeux de combats collectifs, grâce à l’insolite combinaison de traits de culture urbaine (règlements écrits définissant le calendrier, fixant les effectifs, le comptage des points, induisant une division du travail…) avec des formes très anciennes de culture rurale (affrontements massifs, chaotiques, marqués par la coutume). Aussi doit-on rappeler que les jeux festifs populaires – essentiellement constitués de combats virils et d’exercices de force rurale – s’accompagnent toujours d’excès de boisson et d’ébats sexuels qui sont autant de prétextes à la transgression réjouissante des usages et au renversement ritualisé de l’ordre social… Mais à l’évidence le lieu et le temps mêmes du combat poussent à son paroxysme l’excitation des spectateurs toujours prêts à participer réellement à l’affrontement, c’est-à-dire à franchir le pas de la violence collective. (Encyclopaedia Universalis 1991 : 363-365) AnnalSS 7, 2010 168 Johnson Manda Djoa Question Résumez le texte en 170 mots avec une marge de tolérance de plus ou moins 10%. 2.2 Remarques générales sur le texte a) b) c) Thème : La violence sportive. Originalité : Le thème est d’actualité. Idée générale : La recrudescence de la violence sportive. 2.3 Idées essentielles des paragraphes Le candidat doit faire ressortir les idées essentielles suivantes : a) Paragraphe 1 – Dans la société contemporaine, la violence se développe sous diverses formes malgré les réprobations. L’une de ses manifestations les plus remarquables est la violence sportive. Mais dans la recherche des causes de celle-ci, on exclut les éléments liés au sport et à sa médiatisation. b) Paragraphe 2 – Quel que soit le contexte, la violence est perçue comme un acte choquant exercé sur les plus faibles. Les juristes sont impuissants à condamner fermement certaines formes de violence. c) Paragraphe 3 – Le phénomène de la violence est accepté unanimement dans les rapports humains. d) Paragraphes 4 et 5 – Depuis leur genèse (origine) jusqu’à leur développement actuel, les sports collectifs légitiment la violence. 3 Analyse des distorsions identifiées Nous avons identifié six types de distorsions sémantiques. 3.1 Le changement du système d’énonciation Le résumé de texte oblige à ne pas changer le système d’énonciation contenu dans le texte à condenser. La recommandation consiste, selon Y. Stalloni (1998 : 23), « à se mettre à la place de l’auteur et à dire “je” si nécessaire ». Cette règle n’est pas respectée dans les énoncés ci-après : AnnalSS 7, 2010 Identification et analyse de distorsions sémantiques dans le résumé de texte 169 (1) – Les gens constatent que la société dans laquelle ils vivent est dominée par diverses formes de violence qui prennent toujours de l’ampleur. (Vosso H. PC1B) (2) – Par ailleurs, ils ont divers modèles de violence dans leur société. (Sekongo M. PB2A) Les énoncés (1) et (2) sont l’interprétation des trois premières phrases du texte original. Ils sont construits avec les pronoms de la troisième personne (les gens, ils, leur) là où on attend la première personne du pluriel (nous, nos) ou le pronom on. Ce changement provoque un dysfonctionnement énonciatif, ce qui affecte le contenu sémantique du texte. En effet, deux types de pronoms personnels sont utilisés pour véhiculer l’information dans le texte : le nous et le on d’une part et ils d’autre part (voir les paragraphes 1-3-4). Les premiers réfèrent à l’énonciateur et aux lecteurs quand le troisième désigne les objets du monde. D’entrée de jeu, l’énonciateur, selon Benveniste (1966 : 259), se « pose comme sujet » quand il emploie le nous et parle ensuite des choses du monde avec les pronoms de la troisième personne. Il se pose à l’évidence le problème de la subjectivité linguistique : nous se réfère donc à l’acte de discours individuel où il est prononcé, et il en désigne le ou les locuteur(s). Comme on le voit, le système d’énonciation du texte, d’une façon générale, est commandé par nous. C’est cet indice de personne qu’il convient d’utiliser pour interpréter les premières phrases des paragraphes susmentionnés si le candidat juge les idées pertinentes. Certes, la plasticité sémantique du on ne permet pas de lui assigner systématiquement un référent (ce qui pourrait amener le candidat à choisir n’importe quel substitut), mais le français moderne manifeste une forte tendance à remplacer par on le pronom nous. D’ailleurs M. Riegel et ses collaborateurs (2004 : 197) assurent qu’ « il recouvre tous les emplois de nous, y compris celui du nous de modestie ». Voici à présent la forme restituée du premier énoncé : (1) – Nous constatons que la société dans laquelle nous vivons est dominée par diverses formes de violence qui prennent toujours de l’ampleur. La restitution sémantique en (1) inscrit le scripteur parmi les référents. Son discours peut être assumé par chaque lecteur qui lui aussi est désigné par nous. AnnalSS 7, 2010 170 Johnson Manda Djoa 3.2 Le non respect de la progression thématique La rédaction du résumé se fait suivant la linéarité des idées du texte original ; ce qui n’est pas le cas avec les illustrations suivantes: (3) – Définie comme la brutalité que l’homme exerce à l’égard de son semblable en utilisant la force, la violence est vraiment repartie sur le territoire, notamment la violence sportive1. (Adou C. PC1A) (4) – La violence est très souvent injustifiée. Cependant, les hommes de loi eux-mêmes autorisent l’application de la violence dans des domaines où ils s’efforcent d’établir des règles. (Assoko M. PB2A) Les énoncés sont relativement bien construits et ne posent pas de problème du point de vue sémantique. La difficulté vient du fait que la linéarité des idées du texte de base est ici rompue. En effet, ils sont placés en début de résumé, alors que le lecteur s’attend à ce niveau au « développement de la violence », à la « violence sportive » et aux « réprobations qu’elle inspire », comme le souligne le paragraphe 1. La définition de la violence contenue en (3) et la réaction des juristes vis-à-vis de la violence en (4) appartiennent au paragraphe 2. Pire, les étudiants associent dans une même séquence les idées de différents paragraphes. L’énoncé (3) en est une illustration. La définition de la violence et son ampleur sur le territoire sont respectivement développées dans les paragraphes 2 et 1. Cette disposition ressemble à un commentaire de texte qui autorise la présentation des unités de signification conservées dans un ordre différent de celui de l’auteur. On peut utiliser cette méthode dans le résumé quand le texte n’est pas très logiquement composé, lorsqu’il est redondant et quand le jeu des associations d’idées ou des raisonnements y provoque des répétitions de thèmes, ce qui n’est le cas avec le texte de base. En outre, la progression thématique commande que tout texte comporte un thème, c’est-à-dire ce dont il est question. Il s’agit ici de la violence sportive. C’est sur la base de ce point de départ connu que, par la suite, le développement textuel amène des propos, c’est-à-dire des informations nouvelles. Ainsi, à partir du thème d’ensemble on a : le développement de plusieurs formes de violence, les causes de la violence, la violence et les juridictions, la violence dans les rapports humains et la légitimation de la violence par les sports collectifs. Et D. Maingueneau (2003 : 190) de préciser qu’on analyse une phrase non seulement comme une structure AnnalSS 7, 2010 Identification et analyse de distorsions sémantiques dans le résumé de texte 171 syntaxico-sémantique mais comme une structure porteuse d’information à l’intérieur d’une certaine dynamique textuelle. D’autre part, comme le rappellent J. Moeschler et A. Reboul2 “le texte est un ensemble d’énoncés entre lesquels existe un lien. Ce lien est de nature multiple : thématique, référentielle, propositionnelle, illocutoire, argumentative. Une condition de bonne formation est liée à l’existence d’une permanence thématique” (Sarfati 1997 : 29). Le contenu sémantique du texte résulte donc de la progression thématique à laquelle le candidat doit obéir pour rédiger un résumé cohérent. 3.3 Le changement du système temporel et aspectuel Le résumé de texte oblige à conserver les valeurs temporelles et aspectuelles des formes verbales du texte original. Nombre de candidats n’ont pas observé cette règle. Les exemples suivants illustrent parfaitement le phénomène : (5) – Dans la même veine, on avait constaté aussi que les combats sportifs très appréciés par les populations avaient créé en elles la violence puisqu’ils avaient laissé place à la consommation d’alcool3. (Djama A. PC1B) (6) – Le sport était l’une des rares occasions où les plus forts pouvaient opprimer les plus faibles sans choquer les consciences. Les énoncés (5) et (6) sont relativement bien construits, mais du point de vue temporel, les temps verbaux qu’ils contiennent ne correspondent pas à ceux du texte de base. Le plus-que-parfait de l’indicatif (avait constaté) est employé en (5) quand l’énoncé (6) fait apparaître l’imparfait de l’indicatif (était). Mis à part le passé composé utilisé dans le premier paragraphe pour parler du « drame de Heysel » du 25 mai 1985, le présent de l’indicatif est la forme verbale la plus fréquemment employée dans le texte initial. Cependant, sa valeur fondamentale ne marque pas la coïncidence temporelle entre le moment où l’énonciateur rédige le texte et les actions dont il parle. La durée des actions déborde de part et d’autre de la durée nécessaire à l’énonciation des phrases. Ce phénomène de débordement explique les trois valeurs que prend le présent dans le texte. AnnalSS 7, 2010 172 Johnson Manda Djoa Présent d’actualité: « Nous vivons dans une société de spectacle et de représentation mais nous sommes aussi confrontés à une société paradoxale de la violence »4. Présent de répétition et d’habitude : « En dépit des réprobations qu’elle inspire toujours et des sanctions qu’elle entraîne parfois, la violence continue ainsi de se développer dans nos sociétés civilisées sous les formes les plus diverses »5. Présent de validité permanente ou de vérité générale : « En dépit des variations culturelles que peut subir sa définition (…), la violence qualifie toujours l’agressivité ou la brutalité que l’homme peut exercer à l’égard de ses semblables en usant de sa force physique »6. Dans l’ensemble, les procès couvrent un très grand espace de temps, englobant le passé, le présent (le moment où le locuteur écrit le texte) et le futur. Mais la sémantique textuelle est dominée par un aspect duratif marqué par la présence du verbe continuer (la violence continue) et la fréquence des adverbes « toujours » et « encore ». Ici, les procès se répètent de façon régulière sans qu’on envisage une borne. Alors que le présent de l’indicatif du texte de base permet de saisir les procès en cours de déroulement, sans préjuger de leur délimitation ou de leur durée, le plus-que-parfait employé dans l’énoncé (5) marque l’accompli. Ce qui veut dire que les actions sont totalement réalisées et achevées au moment où le sujet énonciateur parle. On rencontre la même distorsion en (6) où le candidat préfère l’imparfait de l’indicatif là où on attend le présent. Ici, la seule différence relève du fait que l’aspect dans le texte initial n’est pas exprimé à l’aide de temps verbaux, ni des verbes eux-mêmes, mais par le mot définition, dans la séquence « En dépit des variations culturelles que peut subir sa définition (…) en usant de sa force physique »7. En effet, la définition de la violence relève d’une constatation d’ordre général ou d’une vérité générale que le locuteur considère comme valable à toutes les époques, d’où l’emploi du présent dit permanent avec sa valeur omnitemporelle. R. Wagner et J. Pinchon (1991 : 364) rappellent qu’ « il est le temps des proverbes, des morales et des maximes » qu’aucun autre temps ne saurait substituer au risque de déformer le sens du texte. En outre, M. Gross (1978 : 69) pense que « le problème aspectuel est donc avant tout sémantique. Il porte sur la description des précisions du procès ». Or le changement des temps verbaux modifie les procès et AnnalSS 7, 2010 Identification et analyse de distorsions sémantiques dans le résumé de texte 173 présente de fausses indications sur la façon dont les actions se déroulent, ce qui modifie le sens du texte. En outre, la rigueur imposée par le résumé de texte invite à corriger les énoncés : (5) – Dans la même veine, on constate aussi que les combats sportifs très appréciés par les populations créent en elles la violence puisqu’ils laissent place à la consommation d’alcool. (6) – Le sport est l’une des rares occasions où les plus forts peuvent opprimer les faibles sans choquer les consciences. 3.4 La fausse référence L’acte de référence consiste à utiliser des formes linguistiques (mots, syntagmes, phrases) pour évoquer des entités (objets, personnes, propriétés, procès, événements) appartenant à des univers réels ou fictifs. Tout texte renferme donc des référents auxquels l’interprétant doit tenir compte s’il veut éviter des contresens. Ce qui n’est pas le cas dans les illustrations ciaprès qui désignent d’autres réalités : (7) – Il incombe alors aux juristes de juger selon la gravité des actes8. (Boni Y. PB2A) (8) – Ainsi dans nos stades, nous assistons fréquemment à des affrontements sanglants entre supporters des équipes en confrontation. (Kouassi E. PC1A) La distorsion réside au niveau des procès et événements décrits par les énoncés. En effet, ces entités sont étrangères au texte de base, ce qui pose un réel problème de référence. En (7) par exemple, le candidat attribue la responsabilité aux juristes de « juger selon la gravité des actes », alors qu’au paragraphe 2 du texte, il est question des « trois secteurs de l’univers social qui échappent aux juridictions ordinaires ». Quant aux expressions référentielles de l’énoncé (8), elles indiquent des réalités qui n’ont rien à voir avec les objets du monde du locuteur. Cette lacune pourrait être à l’origine de la présence des mots « juridictions », « stades » et « affrontements » qui figurent dans le texte de base et qui ont été repris par les candidats. Notre analyse est proche de celle de O. Ducrot qui qualifie de valeurs immédiates « les idées qui viennent à l’esprit de celui qui entend ou prononce l’énoncé au moment où il l’entend ou le prononce, c’est-à-dire celles qui accompagnent AnnalSS 7, 2010 174 Johnson Manda Djoa l’énoncé dans le courant même de l’activité linguistique (…) La démarche doit reposer en bonne partie sur des analogies et des oppositions avec des énoncés déjà envisagés ou entendus » (Ducrot 1991 : 315). Résultats : nous sommes devant des contresens grossiers car on attribue de faux procès et événements au texte qui n’a jamais fait cas « d’affrontements sanglants entre les supporters dans nos stades ». On pourrait donc dire qu’il manque beaucoup à la valeur immédiate pour constituer une interprétation utilisable dans l’établissement de la signification. Aussi le résumé doit-il rester absolument fidèle au contenu et à la logique du texte de base. Ici, le candidat rend compte des idées et affirmations du texte sans les modifier en faisant une analogie avec des événements déjà entendus ou envisagés. 3.5 Le commentaire énonciatif Il s’agit d’énoncé par lequel le locuteur exprime ses engagements à l’égard de ce qu’il est en train de dire. Cette subjectivité est proscrite dans le résumé comme le précise Y. Le Lay (2001 : 148) : « L’auteur du résumé s’abstient de tout commentaire, de toute approbation ou désapprobation, il s’efface et doit faire abstraction de sa propre personnalité (subjectivité) ». Et pourtant, on retrouve le phénomène chez certains candidats : (9) – Malheureusement, il est regrettable de constater que même la loi qui est censée protéger les hommes, assurer et garantir leur liberté et l’ordre public montre ses limites9. (Boni Y. PB2A) (10) – En toute franchise, ces combats sont très prisés par le peuple comme pour dire que la violence concourt parfois au divertissement de certaines personnes. (Koko K. PC1A) Cette attitude des locuteurs vis-à-vis de leur énoncé s’appelle la modalisation. L’adverbe « malheureusement » en (9) et les groupes prépositionnels « en toute franchise », « comme pour dire » en (10) signalent cette intrusion des sujets énonciateurs. Dans le commentaire, précise H. Weinrich (1973 : 33), le locuteur « a une attitude tendue ; ses propos s’en trouvent aiguisés car ce dont il parle le touche de près, et il faut également toucher celui à qui il s’adresse. Tous deux sont concernés. Ils ont à agir et à réagir ». AnnalSS 7, 2010 Identification et analyse de distorsions sémantiques dans le résumé de texte 175 Le commentaire réalise donc à la fois les fonctions expressive et conative de R. Jakobson reprises par B. Cocula et C. Peyroutet. L’émetteur, à ce niveau, « communique ses impressions, ses émotions, ses jugements sur le contenu de son message en attirant directement l’attention du récepteur qui doit se sentir concerné par le message » (Cocula et Peyroutet 1978 : 28). Le commentaire énonciatif, lui, s’intéresse seulement à la fonction expressive. Par ailleurs, ces adverbes à valeur prédicative, expriment deux types de modalisation. Ainsi avec « malheureusement », le sujet énonciateur évalue en fonction d’une attente le contenu propositionnel de l’énoncé. Alors qu’avec les groupes « en toute franchise », « comme pour dire », il commente l’acte même de son énonciation pour en justifier l’occurrence ou la forme. En (10), en toute franchise ne caractérise aucun élément de l’énoncé, mais l’acte de parole du locuteur (Je vous dis, en toute franchise, que ces combats sont prisés par le peuple). Ces expressions qui caractérisent la façon de dire figurent généralement en tête de phrase dont elles annoncent d’emblée la couleur énonciative. 3.6 La fausse intégration linéaire Selon D. Maingueneau (2003 : 187) les marqueurs d’intégration linéaire (ou les connecteurs) ont pour fonction de structurer la linéarité du texte, de l’organiser en une succession de fragments complémentaires en vue de faciliter le traitement interprétatif. Le résumé de texte représente un cas extrême d’emploi des marqueurs. La condensation imposée oblige à marquer plus fortement les relations entre les propositions pour faire apparaître clairement les articulations du texte à résumer. L’emploi fautif d’un connecteur entraîne donc un contresens, comme on le voit dans les exemples ci-après : (11) – Enfin, l’on se rend compte que les jeux ont toujours tendance à se terminer par des scènes de violence10. (Ponan G.PB2A) (12) – Pour terminer, les sports de combats qui font monter l’adrénaline des spectateurs sont la cause de la débauche. (Odjé L. PC1B) Les illustrations en (11) et (12) sont l’interprétation de l’avant dernière phrase du paragraphe 5 (Aussi, doit-on rappeler que les jeux festifs populaires… au renversement ritualisé de l’ordre social). Syntaxiquement, ils sont relativement bien écrits, mais la difficulté relève de l’emploi fautif des AnnalSS 7, 2010 176 Johnson Manda Djoa connecteurs « enfin » en (11) et « pour terminer » en (12). Conséquence : on assiste à une fausse intégration linéaire. En effet, dans l’organisation spatiale du texte de base, il n’y a ni ouverture, ni relais encore moins fermeture, d’où l’absence de marqueurs comme d’abord / puis / ensuite / enfin / pour terminer. Aussi, tout emploi de ces unités linguistiques, surtout en début de paragraphe, entraîne un contresens. Sémantiquement, la cohérence qui réunit les idées du texte initial est dominée par le « et » additif présentant une suite d’éléments et le « mais » opposition-concession. Ce qui donne clairement une structure sémantique énumérative et antithétique. Dans le dernier paragraphe, le connecteur aussi marque la complémentation, pour parler comme M. Riegel et ses collaborateurs (2004 : 621). Il sert à introduire un argument additif et a le sens de en outre, en plus de cela, de plus… C’est donc ces éléments de liaison qu’il convient d’utiliser pour substituer aussi. Et cela dans le souci de respecter les relations sémantiques entre les propositions du dernier paragraphe. Conclusion Le test soumis aux cent soixante dix (170) étudiants de l’Ecole préparatoire de l’INP-HB de Yamoussoukro, en vue d’identifier les phénomènes linguistiques qui déforment le sens du texte à résumer a permis de désigner six (6) types de distorsions sémantiques. Le changement du système d’énonciation, le non respect de la progression thématique, le changement du système temporel et aspectuel, la fausse référence, le commentaire énonciatif et la fausse intégration linéaire ont été tour à tour analysés sous des théories énonciatives. Ces résultats montrent ce que peuvent apporter les outils linguistiques pour la compréhension du texte. Ils pourraient contribuer à l’amélioration de la méthodologie qui sous-tend l’enseignement du résumé de texte. Mais ils ne suffisent pas pour rendre compte de la totalité des difficultés inhérentes à l’exercice. D’autres études, à partir d’autres types de textes (littéraires, journalistiques, publicitaires) avec un échantillon étendu et varié, permettraient de saisir entièrement les lacunes et de généraliser les résultats à l’ensemble de l’institution scolaire. AnnalSS 7, 2010 Identification et analyse de distorsions sémantiques dans le résumé de texte 177 Notes 1 Les idées contenues dans (3) appartiennent aux paragraphes 1 et 2 du texte de base ; (4) a un rapport avec le paragraphe 2. 2 Cités par Sarfati (1997). 3 L’exemple (5) exprime une idée du dernier paragraphe ; (6) est mis pour le paragraphe 4. 4 Voir paragraphe 1, ligne 1 à 3. 5 Voir paragraphe 1, ligne 4 à 7. 6 Voir paragraphe 2, ligne 1 à 4. 7 Phrase tirée du paragraphe 2, ligne 1à 4. 8 L’idée exprimée en (7) a un rapport avec ce qui est dit au paragraphe 2 ; (8) tente de résumer les idées des paragraphes 1et 5. 9 L’énoncé (9) est mis pour le paragraphe 2; (10) pour le dernier paragraphe. 10 (11) et (12) sont mis pour le dernier paragraphe. AnnalSS 7, 2010 178 Johnson Manda Djoa Bibliographie 1991 « La violence tolérée », in Encyclopeadia Universalis, Paris: 363-365; Arrivé, M. (éd.), 1997 Bescherelle. 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