Il convient toutefois, pour s’en assurer, d’atteindre au moins trois objectifs :
déterminer d’abord la façon dont un sujet, en tant que citoyen, s’intègre dans une
communauté qui le dépasse mais n’en constitue pas moins son lieu propre, et l’élément de
son existence historique ; et mesurer la part que chacun prend, en tant que tel, à un jeu au
cours duquel il n’est possible de faire abstraction d’aucun intérêt, d’aucune entreprise,
d’aucune fin. Dans une tension du citoyen à la cité se font effectivement jour et l’opposition
de l’individuel au collectif, et la différence de l’individuel à l’individuel. En quoi la question
de la citoyenneté est moins celle de son schème juridique et formel optimal, que celle des
pouvoirs qu’elle met en jeu, qui la traversent et qu’en retour elle mobilise. Quel est donc le
rapport d’appartenance du citoyen à la Cité, et comment nous approprions-nous ce rapport
dans l’élément de ces représentations politiques, économiques, et sociales qui induisent
invariablement nos conflits et notre histoire politique ?
*
La citoyenneté n’est pas à proprement parler un état, elle désigne une manière d’être
parmi d’autres, et la condition d’une contribution au devenir politique d’une communauté.
Ainsi en est-il de ses diverses figures, qui vont de la participation directe aux affaires de la
Cité à un éloignement qui, voulu ou contraint, n’en exprime pas moins un statut social et
juridique. Un régime électif censitaire exclut par exemple tels individus de la citoyenneté ou
certains citoyens de certaines fonctions, mais il n’exclut personne de la communauté du
travail, des échanges, et en somme de la société civile et des intérêts généraux qu’elle tend à
satisfaire. La citoyenneté signifie dès lors avant tout un être social qui ne se réduit pas à une
possession juridique : on ne « possède » pas sa citoyenneté comme on possède une terre, la
possession d’une terre serait-elle la condition d’une citoyenneté active et honorée comme
telle. En ce sens, on ne saurait prétendre disposer de sa citoyenneté, et renoncerait-on à telle
ou telle citoyenneté, on ne renonce jamais à un être ou une existence politiques subsistant au
moins à titre de virtualités. En quoi la citoyenneté désigne une condition universelle
d’appartenance à la sphère du politique, cristallisée toutefois dans un statut singulier, celui du
prêtre ou du prince, du menuisier ou du proscrit. Le citoyen est par conséquent comme une
abstraction réalisée, dont le processus effectif n’admet d’autre fin que celle du sujet
individuel en qui il se réalise : être citoyen, ce n’est jamais être citoyen qu’en devenir.
Mais deux difficultés majeures se présentent ici.
En premier lieu, si l’on admet que la citoyenneté qualifie l’appartenance d’un
homme au politique, il convient d’expliquer comment on désigne par là son insertion, en tant
que sujet, dans la réalité de la Cité. Or la langue, pour suivre Émile Benveniste1, est sur ce
1Voir « Deux modèles linguistiques de la cité », in Problèmes de linguistique générale, tome 2, Gallimard, collection
Tel, p. 272 et suivantes.
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