texture de sociétés différentes, la conscience historique y découvre à
l’œuvre une conscience qui, par delà les représentations formelles
qu’elle donne d’elle-même, lui est apparentée. En effet, en cherchant à
se saisir de l’« objet » que constituent, pour elle, les sociétés dif-
férentes, la conscience historique est amenée à y reconnaître un ensem-
ble de « traces laissées par d’autres sujets 7». En d’autres mots, elle est
amenée à reconnaître que la texture du monde social-historique est
partout la même, c’est-à-dire qu’elle est tissée par la culture, par des
ensembles de pensées et d’actes posés par des êtres enracinés dans des
lieux et des temps particuliers et qui cherchent à s’orienter dans le
monde en reconsidérant constamment leurs positions 8. En ce sens, la
conscience historique en vient, à mesure qu’elle se penche sur d’autres
figures de la conscience, à se reconnaître partout à l’œuvre dans l’his-
toire. Elle apparaît dès lors à Weber comme le « véritable universel9»,
elle seule transcende les lieux et les temps particuliers. Reste dès lors
à poser la question de la manière dont pourrait se traduire, du point de
vue de l’orientation des êtres dans le monde, ce statut de la conscience
historique : en quoi le fait pour celle-ci de s’identifier à l’histoire pour-
rait-il fournir des repères permettant de fonder des choix, d’éviter le
relativisme ?
Selon Merleau-Ponty, on ne trouve pas de réponse satisfaisante à
cette question dans l’œuvre de Weber. Certes, les types-idéaux,
puisqu’ils ne décrivent pas des «essences » mais cherchent plutôt à
cerner des faits ou des événements historiques ambigus, indiquent
l’existence de «structures fécondes » dans le monde social-historique,
c’est-à-dire de « matrices symboliques » contenant des « possibles »
qui n’ont pas été réalisés mais pourraient l’être en étant réactivés ici et
maintenant 10. Par là, Weber en arrive à l’idée d’une appropriation
active par la conscience historique de son statut, de sorte qu’elle puisse
viser la constitution d’un monde fondé sur la reconnaissance par tous
les êtres du fait que le tissu social-historique n’est rien d’autre qu’une
« dialectique » entre l’« interrogation » (même si souvent les questions
ne sont que « confusément posées ») et un ensemble de réponses qui,
parce qu’elles sont enracinées dans des temps et des lieux déterminés,
sont constamment susceptibles d’être ré-interrogées. Une politique est
ainsi esquissée dont l’axe serait la reconnaissance pratique de ce que
nous sommes tous « des “hommes de culture”, doués de la capacité de
12 GILLES LABELLE
7. M. Merleau-Ponty, Les aventures de la dialectique, p. 44.
8. « L’histoire entière est […] action » c’est-à-dire « choix » au sens de « réponses »
à une « interrogation » qui est constitutive de toutes les sociétés (M. Merleau-
Ponty, Les aventures de la dialectique, p. 17, 30-32).
9. M. Merleau-Ponty, Les aventures de la dialectique, p. 32, 36.
10. M. Merleau-Ponty, Les aventures de la dialectique, p. 20, 26, 25. Sur la notion de
« fécondité », voir Merleau-Ponty, « Le langage indirect et les voix du silence »,
Signes, Paris, Gallimard, 1960, p. 73.