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Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 4, juillet-août 2008 et n° 5, septembre-octobre 2008
Cas clinique
Cas clinique
Discussion
Cette observation est l’occasion de rappeler que le trau-
matisme crânien (TC) est une cause de déficit hormonal
hypophysaire. Si on décrivait cette association il y a
encore quelques années comme rare, les études parais-
sant depuis 2000 ont montré le contraire, aboutissant
même à un consensus en 2005 (1). En l’absence de
facteurs prédictifs retrouvés dans la plupart des études,
ce consensus établit la nécessité d’explorer les fonctions
hypophysaires chez les patients victimes d’un TC modéré
ou sévère (score de Glasgow < 13) : par des dosages
hormonaux en base 3 mois après le TC afin de ne pas
méconnaître des déficits, en particulier corticotrope et
thyréotrope, puis par des dosages hormonaux en base
et des tests de stimulation à 1 an. Dans notre expérience
(2), la prévalence des déficits hormonaux hypophysaires
chez des patients présentant à plus d’1 an d’un TC des
séquelles neuropsychologiques apparaît particulièrement
élevée (46 %). Il paraît donc également justifié de réaliser
des évaluations hormonales hypophysaires, même à
distance d’un TC, quelle que soit sa sévérité, chez ces
patients, comme c’est le cas de M. M., présentant des
séquelles neuropsychologiques. Par ailleurs, il semble
que des tests de stimulation de référence doivent être
d’emblée réalisés, toujours au vu de la fréquence de ces
déficits hormonaux, et l’hypoglycémie insulinique ne
doit pas être crainte chez ces patients en particulier, en
l’absence d’une épilepsie séquellaire ou d’antécédents
cardiovasculaires. Le déficit en GH, retrouvé chez M. M.,
apparaît dans les études comme le plus fréquent, suivent
les déficits corticotrope, thyréotrope et gonadotrope. De
façon surprenante, la fonction gonadotrope chez M. M.
est la seule préservée des fonctions anté-hypophysaires.
La distance par rapport au TC lors de l’évaluation hormo-
nale (54 mois) et le motif de ces explorations, à savoir la
fatigabilité et les séquelles neuropsychologiques, peuvent
être des explications à cette particularité.
L’autre intérêt de l’observation de M. M. est de discuter
la physiopathologie complexe de la survenue de ces défi-
cits hormonaux hypophysaires après un TC. Chez M. M.,
l’IRM hypothalamo-hypophysaire a permis de visualiser
une hypotrophie de l’hypophyse et des lésions hémati-
ques hypothalamiques. En réalité, l’IRM conventionnelle
hypothalamo-hypophysaire permet rarement de mettre en
évidence de telles anomalies morphologiques (3). Quant
à la physiopathologie même de ces anomalies, elle est
également mal connue, probablement multifactorielle.
En effet, il se produit d’une part des contraintes méca-
niques lors du traumatisme, mais aussi chez ces patients
souvent polytraumatisés, comme c’est le cas de M. M.,
des défaillances multiviscérales pouvant conduire à des
phénomènes de bas débit circulatoire intracérébral.
Enfin, le cas de M. M. nous amène également à évoquer
l’intérêt du traitement hormonal substitutif dans cette
population particulière des traumatisés crâniens. La subs-
titution des déficits corticotrope et thyréotrope ne portent
pas à discussion, ce qui n’est pas le cas du déficit somato-
trope sévère. Le cas de M. M. nous apporte des arguments
en faveur de la substitution par hormone de croissance.
Tout d’abord, on a noté une diminution marquée de la
masse grasse, en particulier abdominale, mise en évidence
par mesure absorptiométrique à rayons X. Or, on sait que
le déficit somatotrope, via le syndrome métabolique, est
une cause de surmortalité cardio-vasculaire (4), et que le
traitement hormonal substitutif améliore ces paramètres
(5). D’autre part, M. M. décrit une amélioration subjective
de sa qualité de vie, effet reconnu du traitement hormonal
substitutif par GH (5). L’interprétation des questionnaires
chez ces patients traumatisés crâniens volontiers anoso-
gnosiques, comme c’est le cas ici, est malgré tout plus
délicate. Cependant, il a pu reprendre une activité profes-
sionnelle, améliorer son activité physique et souhaite pour-
suivre le traitement par GH dont on sait les contraintes de
l’injection quotidienne. Les évaluations neuropsycholo-
giques ont également montré une amélioration objective
de certains troubles, notamment des capacités attention-
nelles. L’observation de M. M. encourage donc à la mise
en place d’études thérapeutiques sur un plus grand nombre
de patients traumatisés crâniens ayant un déficit somato-
trope sévère, aucune étude n’étant publiée à ce jour. Une
telle évaluation thérapeutique pourrait également aider
à comprendre la part neuro-endocrinienne des séquelles
neuropsychologiques persistant à distance d’un TC.
Pour conclure, le cas de M. M. rappelle la nécessité d’une
prise en charge multidisciplinaire chez les patients trau-
matisés crâniens. Il faut, d’une part sensibiliser les neuro-
chirurgiens, réanimateurs, neurologues, rééducateurs
fonctionnels à la prévalence élevée des déficits hormo-
naux hypophysaires après un TC. L’endocrinologue doit
ensuite travailler conjointement avec les rééducateurs
notamment, pour le suivi des patients ayant un déficit
hormonal hypophysaire substitué. ■
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