À propos de séquelles neuropsychologiques…

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Cas cliniqueC
Edwige Yollin*, Christine Cortet-Rudelli*
M.
M., âgé de 26 ans, a été victime d’un polytraumatisme avec traumatisme crânien sévère, lors
d’une tentative d’autolyse par défenestration.
Le score de Glasgow initial était à 3, la durée de coma de
17 jours. Le scanner cérébral initial faisait état de contusions fronto-temporales droites. Il a également présenté
des lésions extracrâniennes comprenant une fracture du
massif facial avec perte de l’œil droit, une fracture du
calcanéum, une fracture du tibia-péroné droit, du coude
gauche, et un traumatisme thoracique avec pneumothorax
droit. Lors de la prise en charge en réanimation, M. M. a
été trachéotomisé et a présenté un choc hémorragique.
M. M. nous est adressé 54 mois après ce traumatisme
crânien, en raison d’une fatigabilité excessive persistante qui l’oblige à dormir tous les après-midi. Il se
plaint également de troubles de la mémoire et de la
concentration, d’un manque d’initiative. Il a bénéficié
peu de temps avant d’évaluations neuropsychologiques
qui retrouvaient un ralentissement majeur, des troubles
mnésiques touchant la mémorisation et l’information
visuelle, des difficultés de prise de décision, d’initiation
de l’action, un manque de souplesse relationnelle, avec
une conscience partielle des troubles. M. M. est traité par
Seropram® depuis ce polytraumatisme pour un syndrome
dépressif. Il ne présente pas d’épilepsie séquellaire.
Sur le plan neurologique, il persiste une altération de la
commande motrice aux membres supérieur et inférieur
gauches, et une hypoacousie gauche. Il a alors un score
de devenir GOS (Glasgow Outcome Scale) à 2, soit un
handicap modéré lui permettant d’être indépendant pour
les activités de la vie quotidienne. Il parvient à réaliser
une activité physique régulière, avec participation à un
sport collectif, natation, et séances de musculation en
salle deux fois par semaine, dans le cadre du service de
réadaptation et rééducation. Il ne travaille pas. Il a par
ailleurs un poids stable à 81,2 kg, une taille à 1,86 m, soit
un IMC à 23 kg/m2. Il ne présente pas de troubles de la
satiété, pas de syndrome polyuro-polydipsique. Il a un
pouls à 55 bpm, et une tension artérielle à 90/60 mmHg,
sans notion de malaise. Il ne se plaint ni de frilosité, ni de
trouble du transit. Sa pilosité et sa libido sont normales.
Le reste de l’examen clinique est sans particularité.
Le bilan biologique standard est normal, notamment
la natrémie à 139 mEq/l, et l’osmolarité sérique à
289 mOsmol/kg. Les explorations hormonales hypo-
* Service de diabétologie et pathologies hypothalamo-hypophysaires,
CHRU, Lille.
physaires montrent un cortisol plasmatique à 8 h à
5,2 μg/ dl, l’ACTH en regard est à 18 pg/ml, et le
SDHA à 2,8 μmol/l. Lors de l’hypoglycémie insulinique (glycémie veineuse à 0,28 g/l), l’ACTH ne s’élève
qu’à 23 pg/ml et le cortisol à 12,7 μg/dl (N > 20). La
FT4 est basse à 10,8 pmol/l, la FT3 à 3,4 pmol/l et la
TSH normale à 1,64 μUI/ml. La prolactine est en base
à 2 ng/ ml, et ne s’élève pas après stimulation par le
métoclopramide. La testostérone est normale à 6,08 ng/
ml, la SBP est à 44 nmol/l, la FSH à 2,8 UI/l et la LH à
1,9 UI/l. L’IGF1 est basse à 55,7 ng/ml pour l’âge et le
sexe (146-444), et lors de l’hypoglycémie insulinique, le
taux de GH ne s’élève qu’à 0,47 ng/ml. M. M. présente
donc un déficit corticotrope, thyréotrope, somatotrope
sévère et lactotrope ; seules les fonctions post-hypophysaire et gonadotrope sont préservées.
Concernant l’évaluation du retentissement de ces déficits
hypophysaires, et plus particulièrement du déficit en GH,
le score de qualité de vie QoL-AGHDA est à 7/25 chez un
patient présentant une anosognosie partielle. Les résultats
de l’évaluation métabolique, incluant l’absorptiométrie à
rayons X (LUNAR), sont consignés dans le tableau. La
mesure de la densité minérale osseuse est normale.
Dans l’enquête étiologique de ces déficits hormonaux
hypophysaires, nous n’avons pas retrouvé d’autres
antécédents particuliers, ni personnels, ni familiaux, en
dehors du traumatisme crânien sévère. Nous avons réalisé
une IRM de la région hypothalamo-hypophysaire, avec
notamment des séquences coronales T2* pour visualiser
d’éventuels signaux hématiques. On visualise finalement
sur cette IRM une hypophyse hypotrophique, avec un
hypersignal spontané en T1 de la post-hypophyse, une
tige pituitaire intègre et des lésions hématiques hypothalamiques droites (figures 1 et 2). Dans les autres régions
de l’encéphale, il existe d’importantes séquelles parenchymateuses hémisphériques droites, un élargissement du
troisième ventricule, des traces hématiques séquellaires
intéressant la tête du noyau caudé, la capsule interne et
la partie antérieure du noyau lenticulaire droit, et il est
décrit des lésions axonales diffuses.
Nous avons introduit un traitement hormonal substitutif, initialement par hydrocortisone 10 mg le matin et
5 mg l’après-midi, puis par lévothyroxine sodique à 75
puis 100 μg/j pour obtenir un taux de FT4 dans la moitié
supérieure de la norme de notre laboratoire. Sous ces
thérapeutiques, M. M. décrivait une diminution de la
fatigabilité, mais il persistait des troubles de la mémoire,
de la concentration et un manque d’initiative. Un traitement par hormone de croissance a ensuite été instauré,
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 4, juillet-août 2008 et n° 5, septembre-octobre 2008
as clinique
À propos de séquelles neuropsychologiques…
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Cas clinique
Cas clinique
Tableau. Résultats de l’évaluation de la qualité de vie et du métabolisme du patient, avant et 1 an après instauration du traitement
substitutif par hormone de croissance.
Avant instauration
Après un an de
de la GH
traitement par la GH
QoL-AGHDA
Poids (kg)
7
4
81,2
77
(kg/m2)
23
22
Tour de taille (cm)
90,5
90
Tour de taille/
tour de hanche
0,88
0,9
Glycémie à jeun (g/l)
0,81
0,72
Glycémie
post-prandiale (g/l)
0,99
0,75
Insulinémie à jeun
(mUI/l)
1,4
3,7
Insulinémie postprandiale (mUI/l)
10,1
4,4
Cholestérol total (g/l)
1,79
1,76
LDL cholestérol (g/l)
1,16
1,18
HDL cholestérol (g/l)
0,51
0,43
Triglycérides (g/l)
0,59
0,76
Masse grasse corps
entier (%)
30,3
24,7
Masse grasse
tronculaire (%)
29,8
26
IMC
initialement à 0,3 mg/j, augmenté jusqu’à 0,5 mg/j pour
obtenir une IGF1 normale. Après un an de traitement par
GH, nous avons réalisé un nouveau bilan hormonal. Nous
avions évalué le retentissement métabolique, osseux,
neuropsychologique et sur la qualité de vie.
Le bilan hormonal retrouve une cortisolémie à 8 heures
avant prise d’hydrocortisone à 8 μg/dl, le SDHA à
2 μmol/l, en faveur de la persistance du déficit corticotrope. La FT4 est à 22,9 pmol/l. La prolactine est
à 1 ng/ml, la testostérone reste normale à 5,93 ng/ml.
L’IGF1 est à 148 ng/ml (146-444). Il n’y a donc pas de
déficit hormonal nouvellement apparu.
Sur le plan métabolique, M. M. pèse 77 kg, soit une perte
de poids de 4,2 kg, avec une diminution de la masse grasse
à l’absorptiométrie, en particulier au niveau du tronc.
L’évaluation métabolique est consignée dans le tableau.
La mesure de la densité minérale osseuse reste normale.
Concernant le score de qualité de vie QoL-AGHDA, il
est coté à 4/25, en faveur d’une amélioration de celle-ci.
M. M. a repris une activité professionnelle à temps
partiel en menuiserie. Il décrit toujours une asthénie en
fin de matinée après son travail. Il a intensifié son activité physique avec 4 heures de musculation par semaine,
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Figure 1. IRM en coupe coronale T1 sans gadolinium : hypophyse
hypotrophique, importantes séquelles parenchymateuses hémisphériques droites.
Figure 2. IRM en coupe coronale T2* : lésions hématiques hypothalamiques droites.
3 à 6 heures de tir sportif et de la course à pied au moins
1 heure par semaine. Il signale une amélioration de sa
motivation, également de ses troubles de l’attention et de
la mémoire, de son humeur avec diminution de l’anxiété.
Les évaluations neuropsychologiques confirment une
amélioration depuis la substitution hormonale : amélioration de la vitesse du traitement de l’information, des
capacités d’attention qui se sont normalisées. Il persiste
des difficultés d’apprentissage en modalité visuelle et des
difficultés au niveau des capacités visuo-constructives.
Finalement, quand on demande à Mr M. s’il souhaite ou
non continuer les injections sous-cutanées quotidiennes
d’hormone de croissance, il répond qu’il n’envisage pas
de les interrompre.
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XII), n° 4, juillet-août 2008 et n° 5, septembre-octobre 2008
Cas cliniqueC
Cette observation est l’occasion de rappeler que le traumatisme crânien (TC) est une cause de déficit hormonal
hypophysaire. Si on décrivait cette association il y a
encore quelques années comme rare, les études paraissant depuis 2000 ont montré le contraire, aboutissant
même à un consensus en 2005 (1). En l’absence de
facteurs prédictifs retrouvés dans la plupart des études,
ce consensus établit la nécessité d’explorer les fonctions
hypophysaires chez les patients victimes d’un TC modéré
ou sévère (score de Glasgow < 13) : par des dosages
hormonaux en base 3 mois après le TC afin de ne pas
méconnaître des déficits, en particulier corticotrope et
thyréotrope, puis par des dosages hormonaux en base
et des tests de stimulation à 1 an. Dans notre expérience
(2), la prévalence des déficits hormonaux hypophysaires
chez des patients présentant à plus d’1 an d’un TC des
séquelles neuropsychologiques apparaît particulièrement
élevée (46 %). Il paraît donc également justifié de réaliser
des évaluations hormonales hypophysaires, même à
distance d’un TC, quelle que soit sa sévérité, chez ces
patients, comme c’est le cas de M. M., présentant des
séquelles neuropsychologiques. Par ailleurs, il semble
que des tests de stimulation de référence doivent être
d’emblée réalisés, toujours au vu de la fréquence de ces
déficits hormonaux, et l’hypoglycémie insulinique ne
doit pas être crainte chez ces patients en particulier, en
l’absence d’une épilepsie séquellaire ou d’antécédents
cardiovasculaires. Le déficit en GH, retrouvé chez M. M.,
apparaît dans les études comme le plus fréquent, suivent
les déficits corticotrope, thyréotrope et gonadotrope. De
façon surprenante, la fonction gonadotrope chez M. M.
est la seule préservée des fonctions anté-hypophysaires.
La distance par rapport au TC lors de l’évaluation hormonale (54 mois) et le motif de ces explorations, à savoir la
fatigabilité et les séquelles neuropsychologiques, peuvent
être des explications à cette particularité.
L’autre intérêt de l’observation de M. M. est de discuter
la physiopathologie complexe de la survenue de ces déficits hormonaux hypophysaires après un TC. Chez M. M.,
l’IRM hypothalamo-hypophysaire a permis de visualiser
une hypotrophie de l’hypophyse et des lésions hématiques hypothalamiques. En réalité, l’IRM conventionnelle
hypothalamo-hypophysaire permet rarement de mettre en
évidence de telles anomalies morphologiques (3). Quant
à la physiopathologie même de ces anomalies, elle est
également mal connue, probablement multifactorielle.
En effet, il se produit d’une part des contraintes mécaniques lors du traumatisme, mais aussi chez ces patients
souvent polytraumatisés, comme c’est le cas de M. M.,
des défaillances multiviscérales pouvant conduire à des
phénomènes de bas débit circulatoire intracérébral.
Enfin, le cas de M. M. nous amène également à évoquer
l’intérêt du traitement hormonal substitutif dans cette
population particulière des traumatisés crâniens. La substitution des déficits corticotrope et thyréotrope ne portent
pas à discussion, ce qui n’est pas le cas du déficit somatotrope sévère. Le cas de M. M. nous apporte des arguments
en faveur de la substitution par hormone de croissance.
Tout d’abord, on a noté une diminution marquée de la
masse grasse, en particulier abdominale, mise en évidence
par mesure absorptiométrique à rayons X. Or, on sait que
le déficit somatotrope, via le syndrome métabolique, est
une cause de surmortalité cardio-vasculaire (4), et que le
traitement hormonal substitutif améliore ces paramètres
(5). D’autre part, M. M. décrit une amélioration subjective
de sa qualité de vie, effet reconnu du traitement hormonal
substitutif par GH (5). L’interprétation des questionnaires
chez ces patients traumatisés crâniens volontiers anosognosiques, comme c’est le cas ici, est malgré tout plus
délicate. Cependant, il a pu reprendre une activité professionnelle, améliorer son activité physique et souhaite poursuivre le traitement par GH dont on sait les contraintes de
l’injection quotidienne. Les évaluations neuropsychologiques ont également montré une amélioration objective
de certains troubles, notamment des capacités attentionnelles. L’observation de M. M. encourage donc à la mise
en place d’études thérapeutiques sur un plus grand nombre
de patients traumatisés crâniens ayant un déficit somatotrope sévère, aucune étude n’étant publiée à ce jour. Une
telle évaluation thérapeutique pourrait également aider
à comprendre la part neuro-endocrinienne des séquelles
neuropsychologiques persistant à distance d’un TC.
Pour conclure, le cas de M. M. rappelle la nécessité d’une
prise en charge multidisciplinaire chez les patients traumatisés crâniens. Il faut, d’une part sensibiliser les neurochirurgiens, réanimateurs, neurologues, rééducateurs
fonctionnels à la prévalence élevée des déficits hormonaux hypophysaires après un TC. L’endocrinologue doit
ensuite travailler conjointement avec les rééducateurs
notamment, pour le suivi des patients ayant un déficit
■
hormonal hypophysaire substitué.
as clinique
Discussion
Références bibliographiques
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Congrès de la Société Française d’Endocrinologie 2006.
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C. Quels sont les apports de l’IRM hyopthalamo-hypophysaire à la compréhension de la survenue des déficits hypophysaires chez les patients présentant
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