La cité, la civitas grecque, est constituée d’un peuple, de citoyens et d’un gouvernement qui l’organise
par une science politique en vue du bien commun. Il y a interaction entre les éléments constitutifs de
la société politique. Nous pouvons ainsi distinguer au moins deux genres de rapport entre vérité et
politique. Le premier dans la relation entretenue entre le peuple et le pouvoir, le second en tant que
conception même d’une politique ou d’une science politique.
Montesquieu écrivait dans L’Esprit des Lois : « il faut quelque chose de plus dans les démocraties
(sous-entendu : que dans les monarchies ou les aristocraties) : il faut la vertu », et ailleurs dans le
même ouvrage : « l’Etat républicain a la vertu pour principe ». Sans aucun doute vertu et politique
entretiennent un lien qui permet à la res publica de prospérer. Est-ce à dire que la politique soit objet
de morale au sens de « bonnes mœurs », ou de système de valeurs ? Ou est-ce une question de
régime politique. Suivant Montesquieu on pourrait penser que seul le système démocratique possède
à la fois pour principe et pour attribut la vertu.
D’après Aristote, la politique est une science pratique, une observation de la réalité sociétale hic et
nunc. Or qu’observe-t-on depuis des décennies ? Les politiciens ne cessent de « mentir », il suffit de
comparer leurs campagnes électorales avec leurs actions une fois ceux-ci élus. Qu’on se le dise, le
populisme seul ne saurait motiver leurs discours de propagande électorale, c’est parfois la dure réalité
des contingences politiques qui imposent un démenti aux promesses de campagne. La politique se
rapprochant alors d’un idéalisme et de l’idéologie.
D’où la question suivante : le peuple, les citoyens – puisqu’en démocratie ils sont ou l’Etat ou l’organe
décisionnel du pouvoir- peuvent-ils être tenus pour inaptes à la connaissance politique, ou pour
incompétents dans l’analyse politique de leur propre pays, puisqu’ils ne perçoivent pas qu’on les
trompe (à dessein ou non) dans les discours politiques ? Mais le peuple a-t-il le droit de tout savoir ?
Mais qu’est-ce que le peuple ? Bodin expliquait que la souveraineté en tant que telle est le pouvoir
perpétuel d’une République. Serait-ce à dire que le peuple est à la fois sujet et souverain ? Comment-
donc la politique (sous-entendu les politiciens) pourrait-elle mentir au peuple si celui-ci est l’interprète
et le décideur de la chose publique ? Rappelons que pour Rousseau, une république parfaite – qu’on
rêverait donc sans mensonge - n’est possible que dans une société de dieux. C’est-à-dire d’êtres
parfaits. Sans pour autant pointer du doigt l’aspect paradoxal d’une démocratie, puisque pour
Rousseau elle semble impossible à de simples mortels, comment penser que le peuple puisse se
mentir à lui-même ? Cette question de la vérité en politique n’est pas sans poser de subtiles questions
sur la portée du système démocratique en tant que principe et – et surtout – lorsqu’elle nous entoure
de toute part comme système politique majeur en occident.
Prenons le problème en sens inverse. Aristote, et avec lui toute la tradition médiévale, distinguait la
science politique de la morale. Cependant L’Ethique à Nicomaque est plus un livre de politique que de
morale individuelle. Aristote et toute l’Ecole attribuait à chaque domaine du savoir une entièreté quasi
ontologique. Cependant cette conception politique se construisait hiérarchiquement : d’abord la
morale individuelle (la monastique), puis l’économie (la politique du village ou des corps
intermédiaires), puis, architectonique des deux premières, la politique. La politique gouvernant les
autres mais surtout se les subordonnant. Il apparait ainsi que la chose politique n’est pas en soi affaire
de tout un chacun mais qu’elle est réservée à une « élite » dirigeante. Par suite on peut douter qu’une
telle doctrine conçoive l’obligation de tout dire au peuple. Aristote ne concevait d’ailleurs pas la
démocratie comme le gouvernement du peuple, mais comme celui des citoyens, ce qui est un statut
bien différent dans l’Athènes antique que dans l’Europe du XXIème siècle.
Attardons-nous à présent sur la notion de vérité. Lorsqu’on se situe dans le domaine politique, il y a
une connexion directe entre la notion philosophique de vérité, la pensée humaine qui la conçoit (ou
non) et le fait que ces hommes qui pensent, forment ensemble une société politique : une cité.