CORRIGE BAC S PHILOSOPHIE 2015 La politique échappe-t-elle à une exigence de vérité ? La cité, la civitas grecque, est constituée d’un peuple, de citoyens et d’un gouvernement qui l’organise par une science politique en vue du bien commun. Il y a interaction entre les éléments constitutifs de la société politique. Nous pouvons ainsi distinguer au moins deux genres de rapport entre vérité et politique. Le premier dans la relation entretenue entre le peuple et le pouvoir, le second en tant que conception même d’une politique ou d’une science politique. Montesquieu écrivait dans L’Esprit des Lois : « il faut quelque chose de plus dans les démocraties (sous-entendu : que dans les monarchies ou les aristocraties) : il faut la vertu », et ailleurs dans le même ouvrage : « l’Etat républicain a la vertu pour principe ». Sans aucun doute vertu et politique entretiennent un lien qui permet à la res publica de prospérer. Est-ce à dire que la politique soit objet de morale au sens de « bonnes mœurs », ou de système de valeurs ? Ou est-ce une question de régime politique. Suivant Montesquieu on pourrait penser que seul le système démocratique possède à la fois pour principe et pour attribut la vertu. D’après Aristote, la politique est une science pratique, une observation de la réalité sociétale hic et nunc. Or qu’observe-t-on depuis des décennies ? Les politiciens ne cessent de « mentir », il suffit de comparer leurs campagnes électorales avec leurs actions une fois ceux-ci élus. Qu’on se le dise, le populisme seul ne saurait motiver leurs discours de propagande électorale, c’est parfois la dure réalité des contingences politiques qui imposent un démenti aux promesses de campagne. La politique se rapprochant alors d’un idéalisme et de l’idéologie. D’où la question suivante : le peuple, les citoyens – puisqu’en démocratie ils sont ou l’Etat ou l’organe décisionnel du pouvoir- peuvent-ils être tenus pour inaptes à la connaissance politique, ou pour incompétents dans l’analyse politique de leur propre pays, puisqu’ils ne perçoivent pas qu’on les trompe (à dessein ou non) dans les discours politiques ? Mais le peuple a-t-il le droit de tout savoir ? Mais qu’est-ce que le peuple ? Bodin expliquait que la souveraineté en tant que telle est le pouvoir perpétuel d’une République. Serait-ce à dire que le peuple est à la fois sujet et souverain ? Commentdonc la politique (sous-entendu les politiciens) pourrait-elle mentir au peuple si celui-ci est l’interprète et le décideur de la chose publique ? Rappelons que pour Rousseau, une république parfaite – qu’on rêverait donc sans mensonge - n’est possible que dans une société de dieux. C’est-à-dire d’êtres parfaits. Sans pour autant pointer du doigt l’aspect paradoxal d’une démocratie, puisque pour Rousseau elle semble impossible à de simples mortels, comment penser que le peuple puisse se mentir à lui-même ? Cette question de la vérité en politique n’est pas sans poser de subtiles questions sur la portée du système démocratique en tant que principe et – et surtout – lorsqu’elle nous entoure de toute part comme système politique majeur en occident. Prenons le problème en sens inverse. Aristote, et avec lui toute la tradition médiévale, distinguait la science politique de la morale. Cependant L’Ethique à Nicomaque est plus un livre de politique que de morale individuelle. Aristote et toute l’Ecole attribuait à chaque domaine du savoir une entièreté quasi ontologique. Cependant cette conception politique se construisait hiérarchiquement : d’abord la morale individuelle (la monastique), puis l’économie (la politique du village ou des corps intermédiaires), puis, architectonique des deux premières, la politique. La politique gouvernant les autres mais surtout se les subordonnant. Il apparait ainsi que la chose politique n’est pas en soi affaire de tout un chacun mais qu’elle est réservée à une « élite » dirigeante. Par suite on peut douter qu’une telle doctrine conçoive l’obligation de tout dire au peuple. Aristote ne concevait d’ailleurs pas la démocratie comme le gouvernement du peuple, mais comme celui des citoyens, ce qui est un statut bien différent dans l’Athènes antique que dans l’Europe du XXIème siècle. Attardons-nous à présent sur la notion de vérité. Lorsqu’on se situe dans le domaine politique, il y a une connexion directe entre la notion philosophique de vérité, la pensée humaine qui la conçoit (ou non) et le fait que ces hommes qui pensent, forment ensemble une société politique : une cité. Quid est veritas ? disait Pilate. Si la vérité est un concept subjectif comme le prétend l’idéalisme depuis le XVIème notamment chez Descartes, comment donc des individus qui ensemble forment la cité peuvent-ils s’entendre entre eux et diriger la société pour le bien commun, si chacun possède sa vérité ? Il y a un paradoxe entre la position idéaliste et le subjectivisme même purement cartésien, qui conçoit l’existence d’une vérité, et l’observation que le philosophe peut faire de la société. La praxis politique est-elle à distinguer de la connaissance philosophique ? Descartes pensait qu’une morale et donc une politique devait être observée même si elle était fausse faute de mieux pour garantir la prospérité publique, en attendant d’obtenir la sagesse. Par suite le bien n’est pas rationnel mais pratique. Pour qu’une société soit pérenne il suffit qu’elle fonctionne. Kant et son volontarisme n’est pas en reste puisqu’il conçoit le bien politique dans l’obéissance à l’Etat en elle-même sans soucis de la moralité intrinsèque des décisions de l’Etat. Si moralement le bien politique n’est pas lié à la notion de vérité puisque le bien politique est une notion purement pratique, efficace dans l’action politique, il s’ensuit que la vérité ne semble pas essentielle à la conduite de la politique. On conçoit aisément les conséquences d’une telle doctrine après l’avènement des heures les plus sombres de notre histoire ou même devant les conflits qui convulsent le globe à cette heure où nous tentons de répondre à cette question de science politique. Ce qui nous mène à notre seconde partie. Marx en est l’archétype, une conception philosophique du monde entraine une conception politique de la cité. Les principes qui fondent une philosophie causent, au sens aristotélicien, une vision politique. La question s’oriente donc sur la relation entre perception du monde et énoncé d’une politique. C’est la question de l’idéologie ou du réalisme politique. Il est courant aujourd’hui d’entendre les hommes politiques affirmer que leur politique est une idéologie. Ce terme était pourtant péjoratif autrefois et dénotait un irréalisme foncier de la théorie politique ainsi qualifiée. De nos jours la sémantique d’ « idéologie » a évolué pour se rapprocher de celle d’idéal. A croire que la politique ne possède pas vraiment d’exigence de réalisme mais demande plutôt un idéal de type platonicien. Une idée souvent érigée en système de valeur absolu en terme de bien pour la cité. Qu’il soit économique, écologique ou purement morale. Mais la politique peut-elle s’affranchir du réel ? D’après Aristote la politique est une science inductive, qui se conçoit par l’observation. Elle ne part donc pas a priori des idées, ou d’une philosophie du monde. Marx par exemple, a fondé une doctrine politique impactée par son matérialisme. La vérité est-elle donc dans le monde ou dans les idées ? C’est une question philosophique de première importance. On peut cependant apporter un éclaircissement sur ce problème à la fois philosophique et politique. Certes Aristote écrivit des livres traitant de politique : La Politique, Ethique à Nicomaque, Les Politiques… mais Alexandre le Grand dont il fut le précepteur posa des actes. La politique est d’abord une science de l’agir, de l’action. C’est ici que notre première partie sur la vertu rejoint la seconde. Si la politique est un agir, il s’ensuit qu’elle est affaire de vertu. La vertu selon les Anciens n’est rien d’autre que l’habitude de faire le bien. En politique, il s’agit de la vertu de prudence : le fait de poser des actes politiques de manière adéquate avec le bien commun. La question reste donc : est-il parfois prudent de cacher la vérité au peuple ? N’est-ce pas là-même une certaine idéologie, paradoxe entre la conception idéaliste de la politique et la nécessité d’une action concrète et bien réelle ?