Recherches régionales. Alpes-Maritimes et contrées limitrophes, 2014, n° 206
brièvement député de Rambouillet. Les élections cantonales de 1926, âprement disputées, lui
donnent l’impulsion nécessaire aux Législatives. En effet en 1928 le voilà à 27 ans député de
Rambouillet, le plus jeune de l’hémicycle. Cette ascension éclair triomphe de
l’antiaméricanisme du temps des Réparations, quand les alliés d’Outre Atlantique semblent
cautionner les positions allemandes et refuser le diktat de Versailles. Le 20 juin 1931, le
Président Hoover prononcera un moratoire sur les dettes de la guerre qui annulera l’ardoise
allemande mais non la française. Due à l’assise locale du candidat, au prestige de ses origines
et à sa fortune, l’élection au siège de député n’en a pas moins nécessité l’intervention d’une
« petite main », un homme de la presse rambolitaine, Albert Lejeune. Rencontre insolite entre
deux destins que rien ne prédestine à la convergence, national pour le richissime Raymond
Patenôtre, régional pour l’homme de presse modeste dont vocation et talent sous-tendent la
réussite professionnelle.
La trajectoire de la famille Lejeune est exemplaire de l’attraction qu’exerce, dans la
deuxième moitié du XIXe siècle, sur ces paysans de la grande couronne parisienne, le bassin
d’emploi de la capitale. Originaires de villages du Loiret, Chilleurs-aux-Bois et Sougy,
proches de Pithiviers et de Chartres, ses parents se marient à Orléans en 1882. Lors de sa
naissance à Savigny-sur-Orge le 26 octobre 1885
, son père Albert Auguste Lejeune, 29 ans,
est employé à la Compagnie des chemins de fer Paris-Orléans, sa mère Rose Savin, 30 ans, est
sans profession. Malade de la poitrine, son père le laisse orphelin à trois ans aux soins de sa
mère femme de ménage. Après son certificat d’études, il gagne sa vie, sautereau chez un
notaire, puis à 16 ans employé au contentieux de la compagnie de son père, autodidacte en
lettres et en droit. La fibre journalistique le taraude déjà et il produit quelques livraisons d’une
petite revue, L’Echo mondain. En 1905, la tuberculose le dispense de service militaire ; il sert
de secrétaire au maire de Juvisy, député de Seine-et-Oise, Jean Argeliès
, spécialiste à la
Chambre du prolongement de la ligne Paris-Orléans. Le 4 juin 1910, il épouse à Arpajon
(Seine-et-Oise), quatre jours après la signature chez Maître Bordier, notaire à Orléans, d’un
contrat de communauté réduite aux acquêts, Georgette Charpentier née en 1889, jeune fille
d’Arpajon d’un milieu plus aisé, ce que confirme le contrat. Un petit douaire permet à son
mari l’achat de sa première imprimerie. La famille Charpentier constitue pour l’épouse
d’Albert Lejeune une attache très forte. Elle séjournera le moins possible sur la Côte d’Azur.
Georgette donnera à Albert deux enfants, Georges, en 1912, et Ginette, en 1920. En même
temps, il fonde un hebdomadaire, L’Avenir de la Seine, Seine-et-Oise, Seine-et-Marne, qui ne
vit que quelques semaines, et participe comme pigiste à L’Auto, le journal d’Henri
Desgranges
, initiateur du Tour de France, et au Petit Journal, quotidien parisien. Il se rend
acquéreur d’une petite imprimerie à Arpajon, où il est partout à la fois, composition,
typographie, comptabilité, démarchage, puis prend la direction de La Gazette de Seine-et-
Service Archives-Documentation de Savigny-sur-Orge (Seine-et-Oise), registre de 1883 à 1887, acte n° 61.
Jean Argeliès (1862-1914), boulangiste, puis inscrit à l’Union républicaine, est considéré par les adhérents de
la loge de Juvisy, obédience du Grand Orient, comme le « digne héritier de l’ultramontanisme, véritable bastille
cléricale », ce qui permet de supposer qu’Albert Lejeune, son protégé, ne fit pas partie de la franc-maçonnerie,
pas plus que Raymond Patenôtre, sans autre preuve (Documents de la loge « L’Humanité future », une loge du
Grand Orient de France, fondée en 1907).
Henri Desgranges (1865-1940), fondateur du journal L’Auto-Vélo, devenu L’Auto, seul quotidien sportif à
grand tirage, réunit les qualités d’un sportif, d’un entrepreneur, d’un patriote, et d’un meneur d’hommes. Tout en
gérant le vélodrome du Parc des Princes puis le Vélodrome d’hiver, il lance en 1903 le premier Tour de France,
entreprise sensationnelle qui survit à la guerre avec l’aide de Victor Goddet puis de son fils Jacques. Celui-ci
s’oppose à la reprise de la compétition sous l’occupation allemande, mais le quotidien continue sa publication,
remplacé, après son interdiction en 1944, par L’Équipe (Pierre Lague, Le Tour de France, reflet de l’histoire et
de la société, Paris, L’Harmattan, 2004. Jacques Seray et Jacques Lablaine, Henri Desgranges, L’homme qui
créa le Tour de France, Saint-Malo, Éditions Cristel, 2006. Jacques Lablaine, L’Auto-Vélo, le journal
précurseur du Tour de France, collection History, 2010. Guillaume Courveille, « Un Tarnais raconte la vie du
fondateur du Tour de France », La Dépêche, 09/06/2013).