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YVONNE, OU COMMENT
S’EN DÉBARASSER
Yvonne
, à l’instar de son personnage éponyme, est un point d’interrogation, une question lanci-
nante qui exige une réponse (donc une pratique) sans que les réponses apportées puissent
jamais venir à bout de l’énigme. Gombrowicz lui même n’a cessé de faire retour à ce point
d’interrogation pendant les vingt ans qu’a duré l’écriture de la pièce, et cinquante ans, quatre
opéras, et beaucoup de mises en scène plus tard, le mystère n’a rien perdu de son pouvoir de
fascination. Comme son personnage principal, Yvonne est une pièce qui refuse de se laisser
exécuter sans pour autant entamer le désir qu’elle suscite d’en venir à bout : la quête des inter-
prètes, des metteurs en scène, des spectateurs, rejoint ici celle des personnages — que faire
d’Yvonne ? Comment répondre au mélange de désir et d’exaspération qu’elle suscite ? Paradoxe
central de la pièce : Yvonne qui ne fait rien, Yvonne qui ne parle pas, devient le détonateur
silencieux d’un univers de fantasmes à peine avouables, dont le théâtre se fait l’écrin.
Yvonne, princesse de Bourgogne
est ainsi une pièce qui convoque le théâtre pour cerner ce qui
précisément lui échappe : une réalité informe qui s’incarne ici dans l’humanité sans fard du
personnage titre. Yvonne, du début à la fin, ne rentrera jamais dans aucun jeu, ni celui du proto-
cole royal, ni surtout celui de la parole : elle met en péril la représentation. Elle est celle dont le
refus de jouer révèle en retour l’omniprésence d’un théâtre mortifère planqué sous les appa-
rences du quotidien. Yvonne sature les capacités mimétiques de la scène et met ainsi littérale-
ment sur un plateau un théâtre en crise, qui va – non sans jouissance – puiser à toutes ses
ressources pour pallier son incapacité à dompter cette chose revêche à toute formalisation
qu’est la réalité brute.
Mais cela ne revient pas pour autant à déclarer nul le pouvoir du théâtre — bien au contraire, et
c’est là toute l’ambiguïté de la scène finale, dans laquelle le sort réservé à Yvonne reste pour le
moins opaque. Car si Yvonne met face à face sur la scène un théâtre qui tourne à vide et un
personnage dont le vide ne cesse de faire théâtre, c’est bien parce qu’il s’agit d’adversaires
également formidables : une réalité informe d’un côté, une forme vidée de son sens de l’autre. Et
cette confrontation — le mot ne cesse de revenir dans le dernier acte de la pièce — ne pourra se
faire que « par le haut ». Yvonne apparaît ainsi comme une invitation à imaginer un théâtre
suffisamment fort pour pouvoir défier et peut être mettre à mort le réel — si tant est que cela
soit possible, et si tant est, à l’instar de la pièce de Gombrowicz, que ce dernier ne revienne pas
insidieusement nous hanter.
Vanasay Khamphommala