Positivisme juridique et éthique de la responsabilité

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Pontificia Academia pro Vita
XIII Assemblea Générale, Roma, 23-25 febbraio 2007
Positivisme juridique et éthique de la responsabilité
Nouveaux champs de l'objection
Communication par
Mgr Michel Schooyans
Membre de l'Académie Pontificale pour la Vie
Abus de pouvoir
Beaucoup inclinent à penser que les pouvoirs publics ont
une disposition habituelle à veiller au bien commun. Il en serait
ainsi au niveau de l'Etat et aux niveaux des organisations
internationales. Ce que nous enseigne l'histoire et ce que nous
pouvons observer aujourd'hui nous
poussent
à
plus
de
circonspection, voire de méfiance. Ainsi que l'illustre l'histoire
de bien des révolutions, aucun pouvoir politique institué ne
procure automatiquement le bien commun. Dans d'autres
travaux, nous avons vu maints exemples d'abus de pouvoir, et
certains de ces abus sont tellement graves qu'ils justifient
l'objection de conscience1, voire la désobéissance civile, jusqu'à
faire de celle-ci un devoir moral.
Un problème analogue se pose à propos du droit. Ici aussi
beaucoup inclinent à penser que le droit est toujours au service
de la justice. Mais il n'en est pas automatiquement ainsi ; on l'a
1 Sur« L'objection de conscience en politique », voirnotre article dans le Lexique publié par le
Conseil Pontifical pour la Famille, Paris, Téqui, 2005 ; cf. pp. 835-842.
vu à propos de nombreux cas, notamment à propos du droit à la
vie. L'objection de conscience trouve ici un champ d'application
évident.
Cependant, dans le domaine du droit, l'objection de
conscience
ne
se
justifie
pas
seulement
au
niveau
de
dispositions ponctuelles, portant sur des cas particuliers. Elle se
justifie aussi au niveau -moins visible mais plus grave- de la
conception même du droit.
La dénaturation du droit
Outre les cas habituellement étudiés, l'objection de conscience
s'impose en effet en raison de l'emprise croissante et perverse du
positivisme juridique. Les ravages de celui-ci sont particulièrement
perceptibles et désastreux dans le domaine du respect de la vie. Qu'elles
aboutissent ou non, les tentatives de légaliser le don de la mort sont effet
révélatrices d'une dénaturation du droit tel que celui-ci a prévalu
jusqu'ici dans les sociétés démocratiques.2 Le droit de tous les pays
civilisés reconnaissait le droit inaliénable à la vie et protégeait ce droit.
Devant la réalité de l'homme, le législateur s'inclinait ; il en reconnaissait
la dignité. Il inscrivait ses droits dans des déclarations, des constitutions ;
il protégeait cette dignité et ces droits par des lois civiles et pénales. A
présent, émanant d'un prétendu consensus soi-disant obtenu
dans des assemblées internationales, la norme fondamentale
est seule à valider les droits nationaux. En ultime analyse, c'est
d'elle que procède la définition des droits de l'homme.
La conception réaliste du droit est de plus en plus mise à
mal sous l'influence d'une certaine conception anglo-saxonne du
2 Nousavons discuté cettequestion dansdivers travaux. Voirsurtout Laface cachée de l'ONU, Paris,
Le Sarment, 2000 ; en particulier pp. 131-172.
droit. Selon cette conception, le droit par excellence est le droit
commercial. Celui-ci offre un cadre idéal aux affaires, aux
négoces et aux négociations, et par conséquent au consensus.
En droit commercial, on négocie à propos de choses échangées,
dont le prix et la valeur peuvent fluctuer dans le cadre du
marché et sur lesquels on peut transiger. C'est cette conception
du droit -valable dans sa sphère propre- qui est aujourd'hui
extrapolée au point d'envahir la sphère des droits de l'homme.
Les questions relatives à la vérité concernant l'homme n'ont ici
aucune pertinence • tout se négocie, même les droits de
l'homme. Les nouveaux droits de l'homme sont chosifiés ; ils
sont obtenus au terme d'une procédure consensuelle, reflétant
la volontés des plus forts.
La dérive totalitaire du libéralisme
Nous avons déjà eu l'occasion d'attirer l'attention sur
l'abandon inquiétant de la conception réaliste du droit et sur la
substitution
subreptice
de
celle-ci
par
une
conception
volontariste. Cette conception-ci est en train d'être généralisée.
Tous les juristes du monde savent que cette conception
positiviste du droit a été théorisée par Hans Kelsen (18811973) î beaucoup savent que la source s'en trouve chez Hobbes
(1588-1679). La loi procède de la volonté du plus fort. La
sélection des individus se fait par la force et la seigneurie des
plus forts s'exprime dans la loi. Cette conception de la loi et du
droit
convient
merveilleusement aux formes
radicales
de
socialisme et de libéralisme, et à tous les autres aspirants au
pouvoir totalitaire. Elle permettait déjà à Kelsen d'affirmer
sans sourciller que, même dans l'URSS de Staline, il y avait
Etat de Droit ! Aujourd'hui, elle sert admirablement ce que
nous avons appelé la dérive totalitaire du libéralisme?
Ethique •' Conviction ou responsabilité ?
Les méfaits de cette conception du droit sont renforcés par
la désaffection croissante d'hommes politiques pour l'éthique de
la conviction, exposée par Max Weber (1864-1920). Beaucoup de
ces hommes politiques —de même que beaucoup d'hommes
d'affaires- se signalent par leur adhésion de fait à l'éthique de
la responsabilité exposée par le même auteur. Or, dans la
pratique politique, l'éthique de la responsabilité est une des
expressions du relativisme moral. C'est l'éthique des seigneurs,
qui visent
l'efficacité
à
tout
prix.
Selon cette
éthique
machiavélienne et cynique, l'homme politique n'a à répondre de
ses actes que devant lui-même, et sa volonté est source unique
de la loi. L'éthique de la conviction, c'est celle des saints et des
héros, qui règlent leur conduite selon des valeurs supérieures,
philosophiques ou rehgieuses. C'est l'éthique des objecteurs de
conscience, des héros et des martyrs.
L'éthique wébérienne de la responsabilité continue à
inspirer les thèses fondamentales des versions les plus radicales
de l'idéologie néo-libérale. Elle contribue toujours à cautionner
deux
courants • d'une
part,
les
systèmes
contemporains
honorant la volonté de puissance d'individus ou de groupes ;
3 Voirnotreouvrage La dérive totalitaire du libéralisme, Ouvrage honoré d'une Lettre personnelle de
Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II, Paris, Marne, 1995.
d'autre part, en théologie, les systèmes de l'option fondamentale
et du proportionnalisme. Le trait commun à ces deux courants
et à l'éthique wébérienne de la responsabilité, c'est la référence
à l'autonomie absolue du sujet chaque fois que celui-ci doit
prendre une décision morale. La magie du mot responsabilité
aidant, cette éthique, d'inspiration kantienne, a été intériorisée
par des politiciens chrétiens qui, parfois par coquetterie,
mettent entre parenthèses ce qu'ils ont de plus précieux • leurs
références aux valeurs morales et rehgieuses. Or le moins que
l'on puisse attendre de ces politiciens, c'est qu'ils ne cachent pas
leurs convictions...
Le droit asservi
Par des voies différentes, les théories de Kelsen et de
Weber convergent donc vers le
même terme : l'extension
universelle et le durcissement de la conception positiviste du
droit. Le plus fort, dont la volonté s'exprime dans la loi, ce sera,
selon le cas, le dictateur, le Parti, la Race, le Marché, ou encore
la majorité tyrannique déjà dénoncée par Tocqueville (18051859).
Au terme de cette conception, le droit n'a plus aucun
rapport avec la vérité . Il n'a plus la justice pour objet ', son objet
c'est la loi. Étrange paradoxe • le droit, issu de la volonté des
plus forts, finit par être asservi à la volonté de ceux-ci ; il se met
dans l'impossibilité de protéger les plus vulnérables. Il est et
doit être étranger à la morale ; il doit refouler la religion dans la
sphère de la vie privée.
L'objection des institutions
Concluons
cette
communication
par
une
simple
suggestion. A partir du moment où s'élargit le champ des
institutions pour lesquelles se pose la question de l'objection, il
faut constater que le devoir d'objecter ne se pose plus
simplement au niveau des personnes î il doit désormais être
aussi envisagé au niveau des institutions. La déferlante
positiviste met en effet directement en péril l'identité, l'action et
l'existence de celles qui se sont donné pour but d'œuvrer sans
réserve au service de l'homme, de sa dignité et de ses droits.
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