Les Champs d`honneur, texte et intertextes

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Les Champs d’honneur,
texte et intertextes
Alain PAYEUR1
Univ Lille Nord de France, F-59000 Lille, France
ULCO, HLLI, F-62200 Boulogne-sur-Mer, France
L’objet de cet article est de repérer à partir du roman de Jean Rouaud - Les Champs
d’honneur, quelques intertextes qui ne sont pas seulement convoqués dans l’espace
d’une intertextualité close, mais qui ouvrent sur d’autres scènes avec des enjeux sociaux. D’un côté, les intertextes confortent le projet littéraire d’un écrivain refusant
l’évacuation de l’auteur et l’évacuation du réel au profit d’une productivité formelle
revendiquée dans les années 70. De l’autre, le recours à des formes sémiotiques
différentes de celle du roman comme celle d’une bande dessinée et à d’autres médiatisations faisant intervenir par exemple de l’oralisation, donne à ces intertextes des
dimensions communicationnelles qui s’éloignent du projet strictement littéraire affiché
par l’écrivain.
Mots-clés: diffusion, identité littéraire, intertextes, productivité, transmission
The object of the article is to highlight - starting from Jean Rouaud’s novel Les Champs
d’Honneur - a few intertexts which are not just called upon within the space of a closed
intertextuality, but which open up onto other scenes with social stakes. On the one
hand, the intertexts reinforce the literary project of a writer who refuses to eliminate
both author and reality for a formal productivity which was demanded in the 1970s. On
the other hand, resorting to semiotic forms which are different from those of the novel
as well as the comic strip’s and to other mediatisations where, for instance, oralisation
occurs, gives the intertexts communicative dimensions which are drifting away from
the strictly literary project drawn up by the writer.
K ey words : diffusion, literary identity, intertexts, productivity, transmission,
production, transmission
1 Alain PAYEUR, agrégé de Lettres Modernes, est Maître de Conférences à l’université du Littoral Côte
d’Opale. Membre du laboratoire HLLI, ses travaux menés dans les perspectives ouvertes par le Sémi­
naire sur l’Industrialisation de la Formation (SIF) portent sur la circulation sociale et le déplacement
des savoirs, et sur la problématique de la distance dans les dispositifs de médiation.
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Les Champs d’honneur 2 relève ouvertement d’une ambition littéraire. Les qualités littéraires de ce premier roman de Jean Rouaud, couronné par l’attribution
du Prix Goncourt en 1990, ont d’ailleurs été saluées unanimement par la critique. Pourtant, si le travail d’élaboration littéraire propre à cet auteur mérite
l’attention, la position importante qu’il occupe actuellement comme écrivain sur
la scène publique et médiatique, invite à sortir de la seule sphère du littéraire.
L’idée est qu’il ne convient pas de lire ce roman - pas plus que les œuvres qui
l’ont suivi, seulement dans la clôture du texte ou de la fiction. Pour bien comprendre cette littérature, il faut en même temps élargir l’analyse en faisant,
par exemple, le lien avec une figure particulière, celle de l’écrivain, figure que
Rouaud s’efforce par différents moyens de recomposer et de faire exister dans
l’espace public en la rendant manifeste. Autrement dit, il s’agit de traiter « deux
problèmes qui vont ensemble », à savoir : « l’étude des conditions de production
de l’oeuvre » mais aussi « la question de sa communication à des lecteurs »
(Macherey, 1970 : 87), c’est-à-dire plus largement celle des processus de participation à un environnement social dans lequel l’écrivain est doté d’un certain sta­
tut. On pourrait aussi parler d’un capital symbolique, capital que Bourdieu (1994)
faisait reposer « sur la connaissance et la reconnaissance » (rééd., 1996 : 161).
De manière générale, articuler les problèmes de production littéraire et ceux de
transmission soulève de réelles difficultés dont certaines avaient déjà été identifiées par Pierre Macherey : l’une est la confusion entre transmission à base
culturelle et cognitive et un autre processus, celui de la diffusion, de nature plus
nettement économique ou marchande; une autre difficulté, plus fondamentale
encore, tient à la nécessité d’éviter la séparation, ou la coupure, entre production
et transmission dans la mesure où « en même temps que le livre, sont produites
les conditions de sa communication » (1970 : 88) et de ses manifestations dans
l’espace public. On le voit, la question de la transmission se trouve au croisement de la production et de la communication.
Fondée de manière générale, cette problématique théorique est particulièrement
pertinente pour aborder une oeuvre complexe comme celle de Rouaud. L’exercice est délicat, mais il peut aider à revenir sur une notion comme celle d’intertexte, quitte à la transformer pour la rendre opératoire. La notion d’intertexte
sera donc ici doublement sollicitée, comme un point d’appui pour une analyse à
la fois du cadre énonciatif (celui de la production du texte) et du cadre discursif
(celui de sa communication en contexte).
2 Dans cet article, nous nous référerons à l’édition de poche, avril 1996, Paris : Editions de Minuit,
coll. Double n°12.
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TEXTE ET INTERTEXTES
Le projet littéraire de Rouaud.
Le fait est qu’il s’agit pour Rouaud de composer à nouveau une figure de l’écrivain
ou encore: de la ré-accréditer. Rouaud confronté à ce qu’il présente comme la doxa
des années 70, a eu le projet de ré-inscrire cette figure de l’auteur et conjointement,
celle de l’écrivain. Pour un « postulant écrivain » comme Rouaud (La fiancée juive,
2008 : 54)3, il était impératif de s’émanciper des thèses défendues par les courants
formalistes qui ont fait du texte un système programmant la disparition de l’auteur.
D’où la question qu’il pose: comment dans des conditions où « le romancier était
bien peu considéré, à deux doigts de l’idiot » (op.cit. : 55), répondre au désir d’écrire?
Comment sortir de l’impasse qui faisait croire que « la littérature n’était plus là où
on la situait autrefois (…) mais dans ses marges – roman de gare, Pieds Nickelés et
compagnie » et « que parler de Flaubert valait mieux que d’être Flaubert » (ibid.).
Le projet littéraire de Rouaud, son « vouloir-écrire », est conditionné par ces paramètres qui codifient l’activité littéraire et dont il refuse l’orientation : soit vers les
marges du paralittéraire soit vers les avant-gardes théorisantes.
Rouaud rapporte, dans un entretien 4, que ses « tout débuts romanesques (…) relèvent d’une décision d’écrire des romans » survenue « à la fin des années 70 ».
Ainsi, le moment où se forge son « envie d’être reconnu comme un écrivain »,
fait qu’il se « heurte de plein fouet avec les théories littéraires en vogue, à savoir
Tel Quel, le structuralisme, etc. ». Les théories littéraires récusées sont présentées comme des théories « qui repoussent l’idée même de raconter une histoire
puisque le référentiel (le réel) était évacué, l’auteur était évacué ». Rouaud est alors
amené à revenir sur la notion d’intertextualité : « Il y avait cette idée qu’un texte
ne renvoie qu’à d’autres textes, c’est l’intertextualité et donc qu’on puisse raconter
sa propre histoire, c’était le comble de l’hérésie puisque s’il n’y avait pas d’auteurs,
il ne pouvait y avoir de récits autobiographiques ». Autrement dit, le désir d’écrire
de Rouaud se fonde explicitement sur une réaffirmation complexe, celle de l’auteur
mais aussi sur la prise en compte d’une réalité à découvrir, d’un réel qui puisse
être pris dans le cadre d’une autobiographie. Ces deux questions traversent celle
de l’intertextualité que nous proposons de déplacer, en montrant qu’il y a, à côté du
texte proprement littéraire, - un roman, en l’occurrence : Les Champs d’honneur, des
objets particuliers, des intertextes, ensembles textuels qui complètent, corrigent,
confortent la textualité à l’œuvre dans le roman mais qui, dans le même temps,
postulent une extériorité. En position d’interfaces, de tels intertextes entrent dans
le système d‘organisation formelle mis en place par l’écrivain Rouaud.
3 Dans cet article, nous nous référerons à l’édition de 2008. Paris : Editions Gallimard.
4 Voir la « transcription de l’enregistrement de la rencontre avec Jean Rouaud, animée par JeanClaude Lebrun le 13 mai 2000 », consultable sur le site de l’auteur
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De fait, son roman entre dans la perspective d’une ré-affirmation de l’auteur
qui engage Rouaud à renouveler le pacte autobiographique. C’est ce qu’il fait
en renouant avec les jeux de la filiation et de la mémoire familiale. Pour
Sylvie Ducas (2006 : 44), « ce qui frappe d’emblée dans Les Champs d’honneur, c’est un propos décentré (…) qui n’emploie presque jamais le récit à la
première personne »; préférant le nous ou le on, Rouaud ancre ainsi le moi
dans le temps, ou plus exactement, « dans une durée générationnelle ». Les
Champs d’honneur deviennent ainsi un « récit transpersonnel » (ibid.). S’appuyant sur cette première observation, Sylvie Ducas (2009 : 3-4) a prolongé
sa réf lexion en faisant remarquer cette conséquence qui éclaire le projet littéraire de Rouaud : « s’il n’a pas lieu d’être, l’écrivain de la filiation vise à s’en
approprier un, à investir un nouveau territoire littéraire : il s’agira pour lui
de repenser un terroir, un champ et un espace d’écriture afin de retrouver un
lieu pour se légitimer. Processus par lequel tout auteur se situe et s’institue
en écrivain » et elle ajoute: « la paratopie joue ainsi à des niveaux multiples
de la scène d’énonciation » (ibid.). C’est ce qui lui permet également, reprenant une formule de Dominique Maingeneau, d’attirer l’attention sur le point
suivant: « cette posture qu’il adopte et ce scénario qu’il invente sur la scène
de l’écriture, (…) sont aussi ‘une manière d’habiter ‘l’espace social’ (...) et de
prendre position par rapport aux conditions d’exercice de la littérature de son
époque » (ibid.).
Plus modestement, il s’agira pour nous d’être attentif à tout un espace complexe, littéraire et social en nous demandant quels objets, placés à la fois à côté
du texte et dans l’espace social, peuvent être qualifiés d’intertextes. Prendre en
compte les intertextes chez Rouaud présente à notre sens un double intérêt :
a) fortement liés au texte et à ses marges, les intertextes, offrent d’une part,
l’occasion d’analyser un travail énonciatif caractérisé aussi bien par les types
d’ « énoncés rapportés » (Maingueneau, 1983) que par les effets liés à leur
intégration; b) d’autre part, les intertextes montrent que la question littéraire
de l’identité narrative et de l’écriture biographique, se double d’un processus
de nature historique de construction d’une individualité littéraire (Barthes,
1971)5 .
2- Intertextes et production littéraire.
Le travail énonciatif entrepris par Rouaud met en jeu des intertextes en relation
avec la question de l’auteur d’une part et avec le traitement du réel d’autre part.
D’un côté, il s’agit d’interroger les relations intertextuelles à travers le modèle
du palimpseste; de l’autre, c’est le modèle de l’archive qui est convoqué.
5 Pour Barthes, notre littérature reposerait sur la production « d’individuations stéréotypées : les
auteurs, les mouvements, les écoles » (op. cit. : 172) qu’il faudrait « paradigmatiser ».
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TEXTE ET INTERTEXTES
2.1- Les intertextes en tant que palimpseste
Le texte qui constitue un roman comme Les Champs d’honneur s’ouvre sur d’autres
textes dont la critique littéraire a déjà commencé à faire le recensement. Conformément au projet littéraire de l’auteur, le premier espace intertextuel, presque immédiatement repérable, inscrit une relation forte avec « le récit autobiographique
(A la Recherche du Temps perdu, pour situer) », (La fiancée juive : 57). Toutefois, la
critique littéraire a aussi montré que l’intertextualité ne fonctionne pas de manière
homogène et unique mais qu’elle convoque aussi d’autres espaces. S’attachant à ce
récit considéré sous l’angle d’un palimpseste, Sylvie Ducas repère d’autres strates
qu’elle fait fonctionner comme des « références culturelles implicites » (2006 : 58),
largement partagées, comme la Bande Dessinée ou le cinéma burlesque, de Chaplin
à Tati. Signalons qu’on trouve également des exemples d’insertion d’autres énoncés
comme ceux tirés de la presse régionale. Une des dernières sections du roman de
Rouaud s’ouvre explicitement sur une citation : « l’hiver 1929 fut parmi les plus
terribles recensés. Le 2 février, un ivrogne fut retrouvé gelé debout contre un arbre
(Le Courrier de l’estuaire) »; quelques lignes plus bas, l’auteur renvoie à un autre
titre de presse, La presqu’île de l’Ouest (p.163). On pourrait élargir encore l’espace
intertextuel à des expressions enfantines à l’allure de comptine (« de Pampelune
derrière la lune », p.10) ou au domaine de la chanson poétique et populaire (ici
Trenet) : « Qu’y a-t-il à l’intérieur d’une noix? L’imagination s’emballe: La caverne
d’Ali Baba? Le bois de la vraie Croix?... (p.136). Du point de vue de l’énonciation,
les intertextes ainsi repérés fonctionnent à un premier niveau sur le modèle de la
citation-culture. « Signes de connivence (…), selon la formulation de Jakobson, on
pourrait dire que le ‘fonction phatique’ y prédomine » (Maingueneau, 1983 : 127).
A un second niveau, on peut dire également que ces intertextes permettent à la
fois de centrer le texte dans l’espace de la littérature tout autant que de le décentrer
en le déportant dans ses marges, produisant ainsi des effets de distanciation. Ils
permettent de construire et déconstruire le texte signé par un auteur qui se présente
comme « un postulant » intimidé par la liste des « grands auteurs, comme autant
de bornes imposantes » (La fiancée juive : 57). Les intertextes venus des marges
ouvrent l’espace littéraire et éloignent le risque de tomber dans « une approche
très guindée de l’écriture » (ibid.). Ces intertextes convoqués directement dans le
travail de production énonciatif ont donc une seconde fonction, plus opératoire et
comme libératrice.
Avec la consécration obtenue grâce au roman Les Champs d’honneur, une étape a
été franchie par Rouaud, un espace littéraire s’est ouvert mais un nouveau défi
s’est rapidement présenté à lui en tant qu’auteur: « Je craignais, comme certains
le pensaient alors, d’être réduit à l’homme d’un seul livre »6 . D’où la nécessité
« de diversifier mes domaines d’expression. Et j’ai presque tout fait » (ibid.) : des
chansons, des documentaires, des pièces de théâtre, des scénarios; on y retrouve la
6 Mohammed Aissaoui, « Jean Rouaud, le touche à tout littéraire », Le Figaro, 1 janvier 2009.
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figure d’un écrivain polygraphe. Soucieux de ne pas être l’homme d’un seul livre,
le travail énonciatif passe parfois par des ré-écritures exercées sur des énoncés
déjà stabilisés par Rouaud. Ainsi, le roman Les Champs d’honneur est réécrit en
bande dessinée7 par l’auteur à partir de vignettes réalisées par Denis Deprez.
La paralittérature impose alors tout un travail de transposition sémiotique qui
oblige l’auteur à fragmenter son texte et à le mettre en espace. Ainsi, pour
l’épisode consacré à l’arrivée de l’ypérite, il procède à deux opérations qui modifient l’organisation du récit proposé: une opération de sélection et une opération d’insertion. L’opération de sélection concerne six segments qui donnent
l’impression d’être repris à l’identique; ces segments sont proposés isolés du
dessin (à l’aquarelle) par un fond blanc. La phrase du roman, « quand enfin la
nappe est dépassée – ô fraîche transparence de l’air – les vieilles recettes de la
guerre par un bombardement intensif fauchent les rescapés » (p. 149) devient
plus prosaïquement : « Et à peine au-dehors de la tranchée, les vieilles recettes
de la guerre fauchent à l’artillerie lourde les rescapés » (2005 : 53). Cette formulation recentre l’énoncé sur les acteurs mais en effaçant la représentation
des soldats qui cherchant à « s’extraire de ce grouillement de vers humains »
entraînent « la réapparition par morceaux de cadavres de l’automne sommairement enterrés dans le parapet ». Quant à l’opération d’insertion de paroles dans
les vignettes, ainsi que de quelques onomatopées empruntées manifestement
au code de la BD (« Arrrkkh »), elle correspond à une pression exercée par des
contraintes formelles propres à ce genre narratif paralittéraire, contraintes que
l’auteur atténue en filant une métaphore relativement simple: « Qu’est-ce que
c’est que cette purée de pois? / On dirait du brouillard à la moutarde / Drôle
de salade. On se demande à quelle sauce on va être mangés ». Ce travail de
transformations replace l’énonciation sur des registres plus proches du discours
ordinaire. Le même titre Les Champs d’honneur désigne donc à la fois un texte
littéraire et un intertexte qui le complète : une bande dessinée co-signée et
qui propose des variations tant sur le plan de l’expression que du contenu. Cet
intertexte se donne à lire comme une ré-écriture autorisée. Ainsi, la dernière
formulation identique (sur fond blanc selon le code adopté), à savoir:« un an
plus tard, à cette même Toussaint » (p.176, pour le roman et p.63, pour la BD) ,
délivre comme formule finale : « Il remonte l’allée centrale en compagnie de
cette petite force têtue – oh, arrêtez tout» (p.178) alors qu’elle débouche sur une
parole consolatrice insérée dans l’avant dernière vignette: «Si on ne veut pas
qu’on les oublie, il nous faut vivre» ( comme si le roman s’était plutôt terminé
sur l’avant dernière phrase : « Il veut bien essayer encore » (ibid.). L’intertexte
BD consigne une signification différente tout en pointant un changement de
voix narrative, moins ambiguë.
7 Dans cet article, nous nous référons à la BD : Rouaud J., Deprez D. (2005), Les Champs d’honneur.
Bruxelles : Editions Casterman
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2.2- Les intertextes en tant qu’archive
L’étude des intertextes permet aussi d’aborder la question du traitement du réel.
Rouaud s’est affronté à son évacuation au profit d’une intertextualité généralisée qui ouvrant les textes aux textes, les fermait à toute extériorité. Certains critiques ont d’ailleurs caractérisé la littérature moderne comme étant une littérature
« sans référents » (Bessière : 2006). D’autres ont insisté sur l’émergence d’une
littérature postmoderne qui, elle, « fait préexister ‘l’objet matériel effectif’, à l’écriture» en accordant une place à des «preuves de véracité qui dépassent l’autonomie
du texte » (Hillen, 2007 : 24). Rouaud est de ceux qui, avec Pierre Michon ou
Gérard Macé, ont assumé ce passage de la littérature moderne sans référents à la
littérature postmoderne où prévaudrait l’objet matériel. Dans le travail énonciatif
lié à l’archive, la question est en fait celle des formes de médiation qui rendent
possible une intertextualité ouverte sur (par?) une certaine extériorité. Rouaud
est l’un des auteurs qui ont posé la question non pas tant des « référents » que
celle d’un lien entre des énoncés littéraires et d’autres énoncés, notamment ceux
qui portent des informations et proposent « un contrat global d’authenticité »
(Chareaudeau, 1983 : 100) non pas sur la scène du réel mais dans le travail de
production littéraire lui-même.
Un première remarque : il y a toujours chez Rouaud, comme une difficulté à évoquer des faits, des objets, sans faire au moins allusion à la littérature et (ou) à une
« histoire ». Ainsi, s’interrogeant sur un malaise de la petite tante Marie, Rouaud
écrit : « Nous étions là tous les sept … à tenter de déceler une émanation funeste …
à soulever à tour de rôle le couvercle du poêle pour un complément d’information.
Mais rien de bien probant (d’ailleurs, l’oxyde de carbone est inodore). Et une telle
sortie à la Zola – un auteur à l’index – ne cadrait pas du tout avec notre petite tante »
(p.110). Tout se passe comme si le réel devait être rehaussé, ne serait-ce qu’en faisant
un trait d’humour, par l’établissement d’un rapport avec l’espace (ou la culture)
littéraire. Constamment, Rouaud se montre attentif à marquer des interférences
entre le réel objectif et l’usage des mots choisis pour désigner et qui se trouvent
chargés d’enjeux. Par exemple, les étymologies permettent d’en révéler quelquesuns. Evoquant la « trouvaille ypérite » - rattachée à pasteurisation (de Pasteur),
à gallium (du nom latinisé de son inventeur, Lecoq) et finalement à germanium
(inventé « en représailles »), Rouaud ironise sur « cette propension à annexer les
noms de lieux, cet über alles, (dont) on aurait dû se méfier » (p.146). Autrement
dit, les possibilités de détours par les mots, par la langue, sont nombreuses et dès
qu’il s’en présente une, Rouaud la saisit. Les références qui semblent relever d’une
extériorité finissent toujours par passer au moins par des interférences lexicales. Le
travail de production littéraire reste de l’ordre d’une poétique, qui, chez Rouaud, a
ses figures d’expression privilégiées comme l’ironie. C’est ainsi qu’il note à propos
de l’avancée des gaz vers les tranchées: « L’officier ordonna d’ouvrir le feu (…) C’était
sans doute la première fois qu’on cherchait à tuer le vent » (p.148).
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De manière générale, Rouaud reconnaît qu’il éprouve une difficulté à écrire
sans détours et, pour lui, devenir romancier, c’est se contraindre à « appeler
un chat, un chat » (La fiancée juive : 56). Rouaud précise : « Ce qui n’a l’air de
rien, qui paraît même l’évidence, mais quand on a des prétentions poétiques,
une propension lyrique à tourner autour du pot, c’est une violence » (ibid.). Cette
violence, Rouaud se doit de l’affronter car elle fait partie de son projet littéraire.
Il le fait en intégrant dans son texte des « archives » qui, prélevées sur la scène
du réel, sont intégrées à un travail énonciatif auquel elles se prêtent.
Sylvie Ducas signale que « le récit prend appui sur une multitude d’objets
ou de documents à valeur d’archive » (2006 : 82). Suit alors une longue liste
d’exemples: cahiers, photographies, cartes postales … constituants du récit avec
lesquels le lecteur se familiarise peu à peu et qui trouvent toute leur intensité
vers la fin du roman, où il s’agit de « percer le secret, accumulant dans une
boite à chaussures les pièces à conviction: lettres, photos, cartes de front et ce
manuscrit de voyage à Commercy, cette longue confidence... » (p.176). Ces
« traces fossiles » (ibid.) se présentent rarement avec l’ «innocence des objets »
(Barthes, 1985 : 228), un état de présentation qui serait « asocial » (op.cit, : 253).
Certes, on trouve « une accumulation d’objets en soi (nous soulignons) réapparus sans légende » dans le grenier: « cette pipette en fer blanc, cet obus conique
en laiton, cette espèce de chapeau chinois percée de petits trous... (p.134) » et
qui constituent (au moins) des « déchets de civilisation » (p.133). Mais, dans
le cas des archives, ce sont toujours des objets et des textes ; ces archives qui
comportent une légende, sont nombreuses à l’instar du livre de prières de la
tante Marie qui y « ajoutait un poème de son cru » de sorte que « les filles
de Random passées dans sa classe ont toutes appris par coeur (…) ignorant
son auteur, l’attribuant sans doute à ce no man’s land de la création populaire
où le dicton sur le temps voisine avec un air de marelle » (p.68). Il y a bien
l’incongruité du dentier « déposé sur le buffet parmi les objets et les papiers
en attente de rangement » (p.88) mais il a été apporté par un fossoyeur « qui
avait été recruté sur une métaphore » (p.82), à savoir: « les pierres sont les os
de la terre » (p.83). On pourrait en dire autant des noix « déposées là comme
des objets décoratifs » (p.89) mais elles seront mentionnées ailleurs dans le
halo d’une chanson populaire comme nous l’avons déjà signalé. S’ils ne sont
pas des rabaissés au rang de déchets, ces objets, ces archives ont une histoire.
D’où cette conclusion: « le traitement que Jean Rouaud fait subir à l’archive
tient toujours d’une tentative de réappropriation » littéraire faisant « émerger
progressivement une vérité plus subjective qu’objective » (Ducas, 2006 : 85).
Il reste que dans son travail de production littéraire, Rouaud se montre soucieux
d’indiquer l’importance des archives en instituant sur les marges du texte, un
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TEXTE ET INTERTEXTES
petit intertexte que l’on trouve dans le site8 de l’auteur. L’album présenté donne
corps à une partie des archives utilisées: il s’agit d’une bonne quinzaine de
documents réunis sous le titre « album du roman » et complétés par un arbre
généalogique (souvent jugé nécessaire à la compréhension du texte car on le retrouve, y compris sur les pages de la couverture intérieure de la BD). Cet album
déborde le cadre du seul roman Les Champs d’honneur et s’ouvre sur tout le cycle
romanesque qui le prolonge. Un lien permet de mettre en parallèle l’archive
iconique et des extraits de textes. Ainsi, une photo du monument aux morts est
mise en correspondance avec le passage où Rouaud évoque, en le regrettant, le
classement des soldats morts pour la France, selon les années, classement qui
« semble affaiblir en un simple cousinage » (p.157) les noms des deux frères.
Dans l’album, l’ajout de deux points rouges corrige ce défaut.
Toutefois, cet intertexte - en tant qu’archive, ne va pas sans ambiguïtés. Rouaud
introduit des nuances sur le statut des archives comme on le voit avec une
banale carte de géographie qui termine cet album. Dans La fiancée juive, l’auteur
revient sur la question de cette carte (« une moitié de département » p.62) et de
son extériorité. D’un côté, il arrive au romancier de buter sur cette « carte au
trésor de même qu’on se casse les dents sur une fève » et qu’il lui faille recracher « le morceau de pâte en dépliant le micro-parchemin » (op. cit. : 73). D’un
autre côté, « en fait, de lieu, il n’y en a qu’un, c’est celui de l’enfance, l’enfance
en soi, l’enfance est ce lieu, et non pas les quelques kilomètres carrés où il y
a plus ou moins longtemps, elle affecta de se passer » (op. cit. :70). Dit encore
autrement, la carte donnée à voir dans l’album est dans sa banalité une carte de
« nulle part » (op. cit. :76), et Rouaud finit par placer son projet littéraire entre
deux lieux d’écriture, « celui que peut représenter en surface la superficie d’un
baiser » (op. cit. :71) - et c’est Proust qui montre la voie, et celui enregistré « sans
fard, à la manière d’une plaque de verre au fond d’une chambre noire » (op. cit. :
68) et c’est alors vers « l’adolescent de Charleville » découvrant l’Erythrée, que
Rouaud dit se tourner. Du coup, l’assurance promise par l’intertexte « album du
roman » s’estompe, et ce, d’autant plus que Sylvie Ducas prévient : « Rouaud luimême avoue avoir inventé 80% des archives utilisées dans ses livres, y compris
l’image patriotique décrite dans Les Champs d’honneur, qu’on jurerait pourtant
avoir vue tellement la description en est précise » (2006 : 82). Or, cette image
scrupuleusement décrite (p.155) est bien « présente » dans l’album. Elle le sera
également ailleurs comme dans une vidéo dont il sera question plus loin.
8 « le contenu de la page perso http://jacquart.club.fr n’existe plus » depuis avril 2010, mais le site est
désormais hébergé par Club-internet. Ce site « officiel » présente toujours les mêmes onglets : « accueil,
actualités, bibliographie, textes, analyses, entretiens, articles de presse, réponses, courrier ». L’entrée
« entretiens » ouvre sur les éditeurs (Gallimard, Casterman) puis sur les médias (soit par ordre : télévi­
sion, radio, presse). Certains liens sont inactifs ou ne conduisent que vers des sites « à panier », comme
celui de la revue pédagogique Textes et Documents pour la Classe pour le n° 884, « L’écriture de soi »,
15 novembre 2004.
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Pris dans le modelage lié au travail énonciatif du palimpseste ou de l’archive,
l’intertexte BD aussi bien que l’intertexte Album du roman / généalogie concourent
finalement à la circulation de l’intertextualité et font avec un roman comme Les
Champs d’honneur, œuvre commune.
3. Intertextes et transmission
Pierre Macherey avait insisté sur la nécessité pour l’écrivain non pas seulement
de donner à lire mais surtout de faire lire. C’est pourquoi il faut, pour que l’œuvre
(…) commence à prendre une signification », qu’elle soit « arrachée aux fausses
limites de sa présence empirique » (1970 : 110). Pour autant, un livre, c’est aussi
un objet éditorial et en tant que tel, sans vouloir effacer la dimension proprement
littéraire – ce qui serait contreproductif, il s’agit d’un objet mis fortement sous
contraintes. La question de travail énonciatif n’élude pas celle de la transmission
à des lecteurs, voire celle de la diffusion vers des acheteurs. C’est ce qui fait, à
titre d’exemple, que Les Champs d’honneur ont été édités « en gros caractères pour
les mal-voyants » (Ed. Feryane), « en braille » (Ed. CTEB) . Mais, plus important
selon nous, il existe aussi une version audio (Ed. Livraphone, cassettes ou CD).
Une telle version ré-introduit la question de la médiatisation à travers une oralisation « secondaire » au sens de Walter J. Ong (2002). Signalons simplement que
pour ce critique, qui l’inscrit dans un contexte de culture technologisée, elle ne
doit pas être renvoyée à une « tradition orale » ; elle offre plutôt une opportunité
de repenser, par les différenciations qu’elle opère, la littérature écrite et imprimée.
De notre point de vue, il s’agirait de savoir ce qu’une telle oralisation secondaire
donne à comprendre de la textualité. Comment accueillir par exemple des objets
au statut problématique comme un CD inséré dans un recueil (livre papier) sous
le même titre : La Fiancée juive ? Convient-il d’accorder à cette « chanson La
fiancée juive (…) enregistrée au studio Art Sonor à Paris le 31 octobre 2007 en
une seule prise » (p.131), ou à la version audio de Les Champs d’honneur un statut
d’intertexte ? Lequel ?
3.1 Intertextes et interventions publiques
Quoi qu’il en soit, on voit bien que la question de la transmission est celle des
conditions favorisant la rencontre avec une œuvre. Les voies de cette mise en rapport sont nombreuses. Quelques-unes viennent d’être évoquées. Il y en a d’autres
qui passent elles aussi par des formes d’oralisation ou par le recours à des technologies ; elles permettent de faire porter l’interrogation sur des intertextes particuliers, entre transmission et diffusion.
Lorsqu’une association comme Textes et Voix propose des « soirées consacrées
à la lecture par des acteurs de théâtre et de cinéma, de textes issus de l’actualité
éditoriale, le but est de « provoquer la rencontre entre un texte, un auteur, un ac-
78
LES CHAMPS D’HONNEUR,
TEXTE ET INTERTEXTES
teur » dans une librairie ou d’autres lieux mais c’est avec des « partenaires » qui
« souhaitent valoriser et diversifier leur action »9 . De telles perspectives moins strictement culturelles ouvrent sur des contraintes venues du secteur éditorial et
de la diffusion. On se trouve au centre de ce que la sociologie identifie comme des
zones d’activités intermédiaires, comme des « activités paralittéraires » (Lahire,
2006 : 133) renvoyant à un métier d’écrivain: rédaction de préfaces mais aussi
rencontres-débats, lectures publiques, interventions dans des établissements
d’enseignement ou des bibliothèques, des musées10 … Ces « temps de socialisation
littéraires » sont autant de « temps de construction et d’affirmation » (op cit. :
202). Même s’il y surmonte une sorte de timidité à se montrer, il faut constater
que Rouaud n’ignore pas ces temps qui sont souvent pour lui d’ailleurs des temps
de rencontre réussie11 .
L’une des conséquences, c’est que ces activités, engendrent une profusion d’intertextes dont la valeur est a minima documentaire ou explicative, métatextuelle.
Cette profusion est bien entendu un indicateur de la diffusion de l’œuvre de
Rouaud et de sa notoriété. Elle rend compte également de la conscience qu’a
l’écrivain d’être sur un marché, un « marché sursaturé, n’absorbant qu’un infime
pourcentage de la production dont l’essentiel part au pilon » et dans lequel il
est difficile « de (se) faire une place » comme il l’indique lui-même (La fiancée
juive : 53). Mais, l’essentiel au regard de la question des intertextes, c’est que cette
profusion de textes produits par Rouaud lui-même ou par d’autres, intéressés
par son œuvre et son parcours, a conduit à la mise en place d’un site dédié, apte
à contenir, voire maîtriser, cette profusion. Le site de l’auteur auquel il est prêté
une vocation pédagogique (d’aide aux étudiants notamment, ce qui renvoie au
moins indirectement à une manière de chercher à conforter sa reconnaissance
dans le monde universitaire) se présente en effet comme un répertoire mis à jour
régulièrement. La fonction est nettement affichée : dans ce « site très complet
et très à jour sur l’oeuvre du romancier Jean Rouaud [on] trouve des dizaines de
textes (préfaces, articles divers), des articles de presse, des entretiens, et même
des exposés de lycéens sur cette oeuvre. Le site est également riche sur le plan
international : citations, traductions dans toutes les langues... Tout, absolument
9 Par exemple, le 8 avril 2010, « pour saluer les Editions des Busclats, rencontre littéraire en présence
des éditrices Marie-Claude Char et Michèle Gazier et des auteurs des deux premiers titres : L’Evangile
(selon moi), de Jean Rouaud, et la Grande Encyclopédie du presque rien, de Pascal Ory. Lecture par
Aurore Clément et Didier Flamand. Piano (Schumann, Liszt, Nietzsche): Alain Kremski ». Manifes­
tation organisée dans le cadre de l’édition 2010 du Festival de Lectures de Textes et Voix, à Paris.
10 Cf. le 20 novembre 2008, lecture de Préhistoires (Ed. Gallimard) dans le cadre de l’exposition
Traces humaines. La Loire Atlantique de la Préhistoire aux Vikings, au Musée Dobrée, à Nantes
11 Selon un commentateur, « on a frôlé la standing ovation » lors de l’intervention de Jean Rouaud …
au séminaire d’Antoine Compagnon (Collège de France, séance du 17 mars 2009). http://compaproust.
canalblog.com/archives/2009/03/index.html
79
LITTÉRATURE & COMMUNICATION MEI 33
tout, paraît être ici recensé »12 . En plus de ce corpus accrédité d’intertextes documentaires ou explicatifs, les sites d’éditeurs13 , les archives en ligne de la presse
écrite, de stations de radio, fournissent d’autres intertextes légitimes permettant
d’apprécier l’image de l’écrivain et de mesurer sa notoriété ou encore sa brillance
dans les médias. Ils jouent toujours comme des incitations à la lecture, mais c’est
peut-être au risque d’en épaissir l’exercice, notamment en la formatant à travers
une sorte de doxa plus ou moins contrôlée par Rouaud lui-même. Ils provoquent
un sentiment de surabondance et de dispersion, voire d’affadissement.
Ils montrent surtout qu’il est difficile de penser qu’il y ait des actes totalement
séparés, même dans une société « hautement différenciée » pour reprendre les
mots de Bernard Lahire (2006 : 10). Dans la mesure où « les individus ne sont
jamais réductibles à leur action sur une seule et même scène mais circulent
d’un contexte d’action à l’autre » (ibid.), des passages s’opèrent entre diffusion et
transmission. Certaines manifestations au premier rang desquelles les rencontres
littéraires, offrent à un écrivain comme Rouaud l’occasion d’augmenter son capital symbolique, d’assurer sa reconnaissance et d’amorcer une connaissance de
son travail littéraire. On peut y voir un exemple « d’atouts cumulés » et le site
dédié à la saisie de la profusion de discours engendrés par la pluralité des scènes
d’intervention, lieux de rencontre et formes de médiatisation, finit par constituer une sorte d’intertexte. Il correspond à cette situation de l’écrivain en prise
avec l’espace social, ou à sa position qui fait que « publier un roman intitulé Les
Champs d’honneur » change « la donne. Vous avez des lecteurs, on vous étudie,
on vous demande », et finalement que « vous n’êtes plus tout à fait seul » (La
fiancée juive : 58). Le site serait une façon de composer avec.
En fait, ce qui est également intéressant, c’est que pour faire face à cet éparpillement induit par un grand nombre d’activités communicationnelles, Rouaud
s’efforce de réunir les conditions d’un travail de retour sur (vers) le littéraire. Les
multiples prestations (entretiens, conférences, lectures…) qui donnent lieu à des
intertextes, démultiplient sa capacité à reprendre possession de ses textes. En
prenant la parole à propos de ses textes, il les réinstalle dans une trajectoire biographique, existentielle et personnelle qu’il prend toujours soin de rapporter à une
histoire critique de la littérature générale. De documentaires ou explicatifs, ces
intertextes deviennent ainsi opératoires. On peut approcher cette stratégie à travers quelques exemples où s’opère un mouvement de ré-accréditation du littéraire
et d’affinement de la place que Rouaud entend lui-même jouer sur cette scène.
Cette trajectoire de ré-accréditation qui pointe comme origine paradoxale l’âge du
Nouveau Roman remonte ensuite via la littérature réaliste jusqu’à la littérature
12 Cf. http://web1.radio-france.fr/chaines/france-culture2/emissions/choix_livres/fiche.php?diffusion_
id=50504
13 Cf. la « Revue de presse » comprenant cinq chroniques substantielles (F. Giroud, G. Noiret, J-C.
Bologne, P. Kéchichian, J-L. Ezine) rédigées lors de la parution des Champs d’honneur, consultable à
l’adresse: http://www.leseditionsdeminuit.eu/f/index.php?sp=liv&livre_id=1816
80
LES CHAMPS D’HONNEUR,
TEXTE ET INTERTEXTES
courtoise (La femme promise, 2009). Elle passe par des littératures dégradées l’auto-biographie, le roman provincial, plus récemment, la littérature sentimentale
qui sont l’occasion d’une reconstruction du personnage de l’auteur mis à mal par
la modernité critique. Passer par ces paralittératures ou multiplier les intertextes
qui aident le lecteur à situer ses textes en les « portant », c‘est, pour Rouaud, se
donner les moyens de déjouer la littérature « formelle » ou « blanche ». Pour
l’écrivain Rouaud, l’essentiel est de manifester sa présence, de se mettre au centre
afin d’ancrer la littérature sur son existence et non plus sur le seul jeu de la textualité. L’écrivain via ces intertextes est celui par qui s’opère une mise en relation
généralisée. C’est aussi ce qui explique son goût pour les lectures, les mises en
voix, les apparitions sur diverses scènes… parfois proches de celle d’un théâtre et
qui sont autant d’interpétations. A cet égard, la vidéo en deux parties qui montre
Jean Rouaud chantant son blues La fiancée juive (Avignon, juillet 2008)14 montre
le croisement de plusieurs scènes, et jusqu’à leur confusion, avec au centre, « la
scène (qui) se passe dans un pays voisin / Une foire au livre-roi » et où « Elle
s’est avancée timide » pour solliciter « une préface / à des poèmes de guerre »
parce qu’il a écrit « quelques pages sur les gaz / Rien de très hilarant » mais qui
a fait qu’il est « sorti de sa tranchée » et qu’il a « couru vers le ciel » (La fiancée
juive : 122.). Dans l’entrelacs des scènes évoquées, on voit, mis en texte et donné
à voir, un passage de la rencontre avec une lectrice à une rencontre amoureuse,
nécessitant, justifiant et renouvelant la médiation de l’écriture et le plaisir d’écrire,
un plaisir il est vrai complexe15 .
3.2 Intertextes et identité littéraire
Cette production de textes seconds mais nombreux n’affaiblit pas la production
proprement littéraire de Rouaud. Face à l’éparpillement induit par un grand
nombre d’activités liées aux processus de transmission et même de diffusion
dans une société que l’on a dit conquise par la communication, Rouaud s’efforce
de réunir les conditions d’un retour sur (vers) le littéraire qui passe par une
instance particulière, celle de l’écrivain. En fait, cette profusion renforce la production littéraire et permet de déployer d’autres facettes du travail énonciatif
qui court-circuitent une conception de l’intertextualité qui la rattacherait trop
strictement, d’un point de vue narratif, à un comportement délocutif. C’est
cette réélaboration qui, à notre sens, justifie un élargissement de la notion
d’intertexte si l’on veut pouvoir tenir compte de certains objets ou ensembles
textuels dans l’appréciation de son travail qui passe par l’affirmation d’une
identité littéraire.
14 Consultable et téléchargeable sur www.youtube.com/watch?v=TBUcvyRc--Q
15 Dans La Fiancée juive, les mots « plaisir » et « larmes » sont associés chez Rouaud ; si « les larmes
vous montent de plaisir », (p.113), il souhaite aussi « que les larmes qui (le) rongent soient des larmes
de plaisir » (p.130).
81
LITTÉRATURE & COMMUNICATION MEI 33
Daniel Oster (1997 : 4) a introduit l’idée qu’il faut considérer l’écrivain « moins
comme un référent que comme un effet » et s’attacher, « moins à sa situation
qu’à sa représentation et à son statut imaginaire dans l’imaginaire commun »
de sorte que « le mouvement de communication de l’écrivain au lecteur relève
d’un ensemble de discours dont l’écrivain n’est pas la seule origine ». Appliquée
à Rouaud, cette idée est cristallisée par une vidéo qui fait circuler dans l’espace
social une représentation de l’écrivain et fonde son identité littéraire.
En 1990, ce qui fait événement, c’est bien la parution du premier roman d’un
jeune auteur, Jean Rouaud, immédiatement et constamment, présenté à la fois
comme un auteur et comme un marchand de journaux, un « simple employé
kiosquier » (p.185)16. Pour comprendre pourquoi cette association a si bien fonctionné, au point de devenir une sorte d’entrée en matière obligatoire pour présenter ce romancier, on peut reprendre une idée défendue par Bernard Lahire
(2006) parlant de l’écrivain moderne. Ce sociologue a montré que « dans l’ordre
ordinaire des choses, les écrivains ont le plus souvent pris acte de la difficulté
de vivre de l’écriture et se sont davantage résolus à faire de leur art une activité
seconde - bien que souvent vécue comme principale, en prenant (...) un second
métier » (p.10); un métier qui, très souvent, les fait entrer dans la sphère des
professionnels de la communication17. Cette analyse est pleinement applicable à
Rouaud qui a d’abord été montré sous un double visage, celui de l’écrivain et celui
du kiosquier ; le clivage relativement socialisé c’est-à-dire acceptable socialement,
est posé entre la littérature (et ses exigences qui prédominent) et le monde des
activités secondes, ici celui d’un petit employé dans le monde de la presse, Rouaud
ayant aussi été « journaliste » par exemple18. Des reportages diffusés lors de
l’attribution du Goncourt, construisent cette double figure de l’auteur du roman
Les Champs d’honneur et on peut en retrouver un sur le site de l’Ina. Une vidéo19
en particulier installe tous les composants de l’identité littéraire de l’auteur ; elle
est bâtie selon un script affiché : « Portrait de l’écrivain Jean ROUAUD, candidat
au Goncourt avec son premier livre : « «Les champs d’honneur», paru aux éditions de Minuit. - PE d’un kiosque à journaux. PM du vendeur, Jean ROUAUD
servant un client. - PM ROUAUD tapant à la machine. - Pages d’un livre feuilletées par ROUAUD représentant d’anciennes photos de la l’époque de la guerre
14-18, stèles. - PM ROUAUD : «J’ai aussi écrit ce livre sur la résurrection». - Il
feuillète le livre : photos N&B de paysages. - BT anciennes cartes postales N&B du
16 Notamment dans un article de Michel Castaing, paru dans Le Monde et repris en postface de la
seconde édition et titré : « Jean Rouaud, le kiosquier sans convoitises. » (p.185).
17 On notera pour mémoire que le principal concurrent de Rouaud pour l’obtention du Goncourt était
Philippe Labro, directeur connu d’une station de radio. David l’a emporté.
18 Voir le chapitre « Régional et drôle » dans La fiancée juive, 2008 qui évoque le « temps où (il)
découpait et triait les dépêches d’agences de presse pour le compte de quotidiens jumeaux de la région
nantaise » (p.61).
19 Video Ina- Prix Goncourt : portrait de Jean Rouaud, JA2 20heures -14/11/1990- 02min14sec,
333vues, journaliste Monique Atlan.
82
LES CHAMPS D’HONNEUR,
TEXTE ET INTERTEXTES
début du siècle. - PM ROUAUD qui cite NABOKOV et déclare : «Je suis myope,
j’écris pour voir. Quand je décris, je reconstitue. J’ai besoin de parler pour voir.
Quand un paysage existe, c’est que je l’ai écrit.» BT article sur ROUAUD. - PE du
livre «Les champs d’honneur» ». Voilà l’image.
Rouaud a fini par s’en sentir prisonnier et il a cherché à la déconstruire ou, du
moins, à la fuir. De là, l’embarras de certains journalistes ou critiques. Ainsi,
dans une chronique, publiée en 1996, André Clavel 20 reprend comme une figure
obligée : « Non, personne ne l’avait vu venir, ce vendeur de journaux du XIXe
arrondissement. A 38 ans, en novembre 1990, il grimpa sur le podium avec un
Goncourt miraculeux qui couronnait son premier roman, Les Champs d’honneur.
Lequel allait faire le tour du monde, frôler le million d’exemplaires et permettre à
son auteur de vivre de sa plume. Il quitta donc son kiosque de la rue de Flandre »
avant de poser la question « Que s’est-il passé depuis le Goncourt? ». Rouaud
lui-même y revient souvent comme dans le chapitre consacré aux sœurs Calvaire,
dont il reprend le « flambeau … dans cette crèche à journaux posés sur le trottoir,
précisément au 110 rue de Flandre, dans le XIXè arrondissement » (La fiancée
juive : 44). Ou encore, dans Sur la scène comme au ciel (1999), où, tout en jouant
plaisamment sur des références empruntées à la culture des médias (la maison
prise en viager par le notaire de Jeanne Calment, le canard « toujours vivant »
de Robert Lamoureux), Rouaud ressaisit comme auteur sa propre image d’écrivain-kiosquier en imaginant « parmi les spectateurs de l’an deux mille cent (…)
une émule de notre doyenne affirmant se souvenir parfaitement d’avoir acheté Le
journal de Mickey à l’auteur de ce texte du temps où celui-ci vendait les journaux
dans un kiosque, à Paris, au 110 rue de Flandre, dans le XIXè arrondissement »
(p.13). Constamment en tant qu’auteur, il retravaille l’articulation du littéraire et
du communicationnel et la complexité des opérations de greffe, de renvoi s’explique par une complicité de l’auteur et de l’écrivain de sorte que la question est
celle des « mythes légitimants » (Oster, 1997 : 137), des conditions de recevabilité
d’une œuvre. Ces conditions, examinées du côté des questions de transmission,
passent par des intertextes qui en fixent certaines modalités, comme c’est le cas,
nous semble-t-il, pour la vidéo mentionnée ci-dessus
Conclusion : spécificité, limites et ambivalence des intertextes chez Rouaud
Bien évidemment, Rouaud n’est pas le seul auteur à participer à l’adaptation d’une
de ses oeuvres, ni le seul écrivain assurer une présence sur les salons littéraires,
ou encore à proposer un site dédié… mais on retrouve rarement cette épaisseur,
c’est-à-dire la complémentarité et la cohérence, qui caractérise l’agencement de
ses textes avec certains intertextes. Cette solidarité se trouve justifiée dans une
20 André Clavel, « Jean Rouaud refait Mai 68 », L’Express, 02/05/1996
83
LITTÉRATURE & COMMUNICATION MEI 33
vidéo qui garde trace d’un Café littéraire21 pendant lequel l’auteur invariablement
renvoyé à son premier roman Les Champs d’honneur, se prête, devant un public
attentif, au jeu des questions sur le sens de son travail. Il y insiste sur « un jeu
de construction en miroir » (nous soulignons) dont sa présence sur ce plateau
d’écrivains en vue, constitue un des aff leurements nécessaires. S’y inscrit une
poétique qui est une poétique d’intertextes. Ces intertextes de consécration de
l’écrivain sont nécessaires sur la scène sociologique puisque, comme Rouaud le
déclare, « par un jeu littéraire d’un autre temps », il se trouve qu’ «on ne le soupçonne pas d’avoir créé ces personnages-là », ceux des romans mais également
celui de l’auteur lui-même comme personnage de roman. Rouaud attend de cette
posture la possibilité d’échapper à L’ère du soupçon dont parlait Nathalie Sarraute
et plus généralement pour l’écrivain, de redevenir un raconteur d’histoires, « car
des histoires, on en raconte depuis la nuit des temps. Et toujours les mêmes :
des gens qui s’aiment, se battent, meurent » (La fiancée juive : 57). Le travail de
production littéraire spécifique et la production d’objets qualifiés ici d’intertextes,
correspondent à la tension ré-installée entre deux versants des énoncés romanesques identifiés par Julia Kristeva à propos de Jehan de Saintré (1969) c’est-àdire entre : «1. un énoncé référentiel, la narration – une parole assumée par celui
qui s’écrit comme acteur-auteur ; 2. des prémisses textuelles, la citation- une
parole attribuée » (rééd. 1978 : 63), reprise et restituée selon certaines modalités.
Dans leur diversité, les intertextes : intertextes subalternes, servant à la consécration de l’écrivain lors d’interventions sur des scènes diverses comme le montre
une vidéo de Rouaud en bluesman, intertextes attestant d’une identité littéraire
avec laquelle il faut composer comme l’enregistre une vidéo conservée à l’Ina,
intertextes d’accompagnement, documentaire ou explicatif réunis sur un site
dédié régulièrement tenu à jour, ou encore intertextes supports d’intermédiation
avec le réel comme l’ Album du roman, intertextes produits par un travail de réécriture comme la BD co-signée avec Denis Deprez, ces intertextes s’inscrivent
sur ces deux versants, celui de la citation – c’est une intertextualité formelle qui
est alors à prendre en compte, mais aussi celui où s’affirme la capacité de fonder
une narration qui présuppose un traitement du référentiel et une prise de position du sujet.
Ces autres intertextes communicationnels invitent d’abord à interroger ce que le
philosophe Philippe Sabot (2001 : 33-34) désigne comme une « anthropoétique ».
Simplement, chez Rouaud, cette anthropoétique n’a pas vocation comme dans le
projet surréaliste à engager « la totalité des facultés de l’homme dans une transformation radicale du monde objectif » à partir « d’une connaissance totale de
l’homme et de ses désirs ». L’ambition de Rouaud propose, plus modestement,
non de libérer l’imagination poétique mais de permettre encore à la littérature
21 Cf. La rencontre avec Jean Rouaud, Patrick Chamoiseau, Björn Larsson, Bernard Giraudeau sous
l’intitulé Fables, publiée le 05/ 06/2009 ; consultable sur http://www.etonnants-voyageurs.com/spip.
php?article4510
84
LES CHAMPS D’HONNEUR,
TEXTE ET INTERTEXTES
d’exister par une défense et illustration de la présence au monde de l’écrivain, y
compris « en utilisant de vieilles recettes » (La fiancée juive : 57).
Un second point est à souligner : aussi grande que soit la diversité repérée des
intertextes chez Rouaud, elle a ses limites. Rouaud récuse explicitement tout
aussi bien le cinéma que les téléfilms ou les vidéo-clips au motif que ces médias
seraient incapables d’accueillir le déroulé de sa langue digressive. Il ajoute surtout
que ce ne sera pas non plus Internet qui va devenir le plus grand éditeur à compte
gratuit d’auteur (Littérature, futur antérieur, 2005)22 . Il en résulte un chassé croisé :
survalorisation de la littérature préservée comme à l’ancienne, y compris sous des
formes réévaluées – en l’occurrence, le roman régionaliste, le roman familial et
autobiographique, le roman sentimental et dévalorisation symétrique d’autres
écritures plus contemporaines, éventuellement expérimentales que Rouaud disqualifie sous le nom de « narrations virtuelles », et au nombre desquelles il faut
mettre les écritures en ligne. L’important est que ces écritures postulent des
formes nouvelles et inacceptables d’évacuation du réel comme de l’auteur, ce dont
précisément les multiples intertextes qu’il dispose autour de ses textes et que nous
avons cherché à repérer, ont pour fonction essentielle d’éviter.
On notera encore un dernier point. Certes on peut penser que la production
d’intertextes communicationnels reflète en dernière analyse la force des processus
d’éditorialisation en plaçant le travail énonciatif sous des exigences de recevabilité et de renouvellement, éventuellement sous la forme d’une déclinaison. En
exergue à tous les intertextes, on pourrait faire figurer le titre mis à la place de
Loire-Inférieure, Les Champs d’honneur qui est un titre d’éditeur23 , ou la couverture
de l’édition de poche qui présente la photo en noir et blanc d’un Poilu qui fait
penser à une archive. Mais elle correspond et ne correspond pas à cette « photo
de Pierre au front, en bandes molletières et costume bleu horizon » (p176) évoquée dans le roman. Il en va de même pour le titre qui crée un horizon d’attentes
que le texte ne satisfait que partiellement et qui n’épuise pas son sens. Dit autrement, l’inscription d’un paratexte de ce type, et plus généralement les détours
par la paralittérature ne constituent pas de véritables déplacements, juste des
écarts temporaires. Ces intertextes font moins circuler le texte pris dans d’autres
contextes qu’ils ne postulent sans cesse un retour vers le texte littéraire ; mieux :
le primat du texte sur les intertextes est le signe de l’antériorité de l’acte de production littéraire sur tout autre acte et notamment les actes communicationnels
de transmission et de diffusion.
22 Témoignage publié dans le n°1, novembre 2005 de la revue L’Arsenal dont la ligne éditoriale affirme
que « La littérature ne souffre pas de son isolement du monde mais de son intégration dans la moder­
nité » et que « L’Arsenal choisit de ne publier que des œuvres littéraires, défendant le point de vue que
les auteurs sont en général servis au mieux par leurs textes. C’est donc un propos délibéré que d’écarter
la critique, pour s’intéresser à la seule matière brute ».
23 Barthes écrit que dans de tels cas, le titre joue comme un « opérateur de marque » qui fixe non
seulement le début du texte mais « a pour fonction de le constituer en marchandise » (1985 : 334) ; il
« annonce qu’un morceau de littérature va suivre » (ibid.)
85
LITTÉRATURE & COMMUNICATION MEI 33
Toutefois, il y a une dimension paradoxale dans cette logique. Si Rouaud cherche
si fortement à ré-investir la Littérature, c’est qu’il redoute toutes les formes de sa
dépréciation. En ce sens, Rouaud ne s’attaque pas seulement à la dissolution d’une
« certaine idée de la France » et de son rayonnement comme l’écrit Dominique
Viart 24 , il s’attaque aussi à la question de la fin de la littérature, comme à celle de
la fin de l’écrivain. Il convient bien entendu de se montrer prudent avec de telles
notions. Mais les remarquer comme étant au cœur du projet de Rouaud, souligne
le paradoxe de son rapport aux intertextes communicationnels, auxquels il se
prête avec réserve. Car, dans le même temps, Rouaud ne peut faire que ces intertextes produisent malgré tout des déplacements du texte porté par de nouveaux
supports. La vidéo de l’Ina relève d’une écriture au second degré (filmique) du
roman tel que Rouaud le donne à lire, en devenant l’acteur de sa posture d’écrivain
et d’auteur. La BD illustre un déplacement des genres vers une hybridation, celle
des « romans dessinés »25 . Le site dédié, www. jean rouaud.com, laisse entrevoir
des formes d’hypertextualité26 . La lecture du roman pour les Editions Livraphone
se présente comme une première théâtralisation … Et Rouaud qui dit avoir trouvé
« sa voix », n’exclut pas l’idée d’un disque, en germe dans le CD et la vidéo reprenant La fiancée juive.
Au croisement de la production littéraire et de la communication, les intertextes
chez Rouaud visent en premier à servir un texte comme Les Champs d’honneur
sans l’altérer et en le resituant dans sa clôture. Mais parallèlement, l’écrivain ne
peut ignorer certaines échappées vers des formes d’altérité attachées à des objets
sémiotiques différents et mis en circulation dans des espaces culturels élargis.
24 Dominique Viart, «Résistances de la Littérature contemporaine», LHT [En ligne], N° 6, LHT,
Entretien, mis à jour le : 01/06/2009, URL : http://www.fabula.org/lht/6/entretien/130-viart
25 Cf. Yves-Marie Labé, « Vive les romans dessinés », Le Monde, 25 novembre 2005.
26 Voir sur le site de l’auteur, en cliquant sur : Actualité : textes récents/A lire/ site des éditions Des
Femmes, la préface au livre de Guillemette Andreu (2009): Tableau d’honneur (nous soulignons) A
croiser avec sa préface pour un ouvrage qui déclinait déjà le titre de son roman: Roze, A., Foley, J.
(1998). Les champs de la mémoire, Paris : Editions du Chêne (nous soulignons). La déclinaison séman­
tique et éditoriale peut évidemment se prolonger.
86
LES CHAMPS D’HONNEUR,
TEXTE ET INTERTEXTES
RÉFÉRENCES
Barthes, R. (1971). Réflexions sur un manuel. In
Doubrovski, S., Todorov T. (Dir.) L’enseignement
de la littérature. Paris : Librairie Plon
Barthes, R. (1985). L’aventure sémiologique.
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Bessière, J. (2006). Qu’est-il arrivé aux écrivains
français ? D’Alain Robbe-Grillet à Jonathan Littel.
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Bourdieu, P. (1996 (1994)). Raisons pratiques.
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Ducas, S. (2006). Les Champs d’honneur (1990).
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Ducas, S. (2009). Ethos et fable auctoriale dans
les autofictions contemporaines ou comment
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Hillen, S. (2007). Ecarts de la modernité. Le
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Kristeva, J. (1978 (1969)). Semiotike,
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Lahire, B. (2006). La condition littéraire : la
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Textes à l’appui
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