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2.1- Les intertextes en tant que palimpseste
Le texte qui constitue un roman comme Les Champs d’honneur s’ouvre sur d’autres
textes dont la critique littéraire a déjà commencé à faire le recensement. Confor-
mément au projet littéraire de l’auteur, le premier espace intertextuel, presque im-
médiatement repérable, inscrit une relation forte avec «le récit autobiographique
(A la Recherche du Temps perdu, pour situer)», (La fiancée juive: 57). Toutefois, la
critique littéraire a aussi montré que l’intertextualité ne fonctionne pas de manière
homogène et unique mais qu’elle convoque aussi d’autres espaces. S’attachant à ce
récit considéré sous l’angle d’un palimpseste, Sylvie Ducas repère d’autres strates
qu’elle fait fonctionner comme des «références culturelles implicites» (2006: 58),
largement partagées, comme la Bande Dessinée ou le cinéma burlesque, de Chaplin
à Tati. Signalons qu’on trouve également des exemples d’insertion d’autres énoncés
comme ceux tirés de la presse régionale. Une des dernières sections du roman de
Rouaud s’ouvre explicitement sur une citation: «l’hiver 1929 fut parmi les plus
terribles recensés. Le 2 février, un ivrogne fut retrouvé gelé debout contre un arbre
(Le Courrier de l’estuaire)»; quelques lignes plus bas, l’auteur renvoie à un autre
titre de presse, La presqu’île de l’Ouest (p.163). On pourrait élargir encore l’espace
intertextuel à des expressions enfantines à l’allure de comptine («de Pampelune
derrière la lune», p.10) ou au domaine de la chanson poétique et populaire (ici
Trenet) :«Qu’y a-t-il à l’intérieur d’une noix? L’imagination s’emballe: La caverne
d’Ali Baba? Le bois de la vraie Croix?... (p.136). Du point de vue de l’énonciation,
les intertextes ainsi repérés fonctionnent à un premier niveau sur le modèle de la
citation-culture. « Signes de connivence (…), selon la formulation de Jakobson, on
pourrait dire que le ‘fonction phatique’ y prédomine» (Maingueneau, 1983: 127).
A un second niveau, on peut dire également que ces intertextes permettent à la
fois de centrer le texte dans l’espace de la littérature tout autant que de le décentrer
en le déportant dans ses marges, produisant ainsi des effets de distanciation. Ils
permettent de construire et déconstruire le texte signé par un auteur qui se présente
comme «un postulant» intimidé par la liste des «grands auteurs, comme autant
de bornes imposantes» (La fiancée juive: 57). Les intertextes venus des marges
ouvrent l’espace littéraire et éloignent le risque de tomber dans«une approche
très guindée de l’écriture» (ibid.). Ces intertextes convoqués directement dans le
travail de production énonciatif ont donc une seconde fonction, plus opératoire et
comme libératrice.
Avec la consécration obtenue grâce au roman Les Champs d’honneur, une étape a
été franchie par Rouaud, un espace littéraire s’est ouvert mais un nouveau défi
s’est rapidement présenté à lui en tant qu’auteur: «Je craignais, comme certains
le pensaient alors, d’être réduit à l’homme d’un seul livre»6. D’où la nécessité
«de diversifier mes domaines d’expression. Et j’ai presque tout fait» (ibid.): des
chansons, des documentaires, des pièces de théâtre, des scénarios; on y retrouve la
6 Mohammed Aissaoui, «Jean Rouaud, le touche à tout littéraire», Le Figaro, 1 janvier 2009.
LES CHAMPS D’HONNEUR,
TEXTE ET INTERTEXTES