SORTIR DE L’ECONOMIE
N°2 /
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« petit geste citoyen » pour la planète malade,
de sa petite contribution de « grain de sable »
en poussant la porte d’une « boutique
éthique », et ceci de l’étudiante à l’Essec qui
veut « donner du sens à sa carrière » en
développant une entreprise de « commerce
équitable », au petit-porteur de projet de
« développement local » en milieu rural, en
passant par ceux qui veulent « faire de l’argent
un outil au service de l’humain et non une
fin », comme dans les Cigales (« Clubs
d’investisseurs pour une gestion alternative et
locale de l’épargne »). Jamais le but n’est de
trouver comment faire cesser le désastre, mais
simplement de trouver rapidement comment
s’en prémunir en essayant de se donner une
moins mauvaise conscience. Une pléthore de
« plan B » et autres « projets alternatifs » au
désastre environnant a donc fleuri ou reverdi
(les projets libertaires plus anciens), depuis une
vingtaine d’années sous les titres les plus divers,
et ceci dans le même mouvement du vaste et
bienvenu effondrement des marxismes : la
« relocalisation de l’économie » prônée par les
écologistes, la revendication de la gratuité dans
le cadre d’un « droit à la consommation pour
tous », les « placements financiers éthiques »
et l’« économie sociale et solidaire », les
expériences des « Amap » (se reporter au texte
adressé à nos amis amapiens, « Sortir les Amap
de l’économie »), la pratique de l’échange sous
la forme du troc qui se pratique dans le
monde occidental pour des raisons pour
l’instant surtout idéologiques, avec les Systèmes
d’échanges locaux (voir dans le numéro le texte
« L’économisme des SEL » ), ou pour motifs
de survie comme lors du vaste écroulement
de l’économie en Argentine à partir de 2001
avec les « réseaux de troc » 3, les « banques de
temps », les coopératives ou regroupements
d’achat écolo et libertaires ; ou encore des
utopies qui se veulent plus radicales comme
le « distributisme » de la revue Prosper, la rev-
endication d’un « revenu garanti », la
« décroissance soutenable », ou encore des
projets de rupture comme le collectivisme de
la LCR, le « projet de société communiste et
libertaire » de plusieurs petits groupes
anarchistes, le « participalisme »
de Michael Albert, la
« désindustrialisation » partielle, le
« communisme des conseils » ou
l’auto-gestion ouvrière de
l’économie (on lira les quelques
notes de lecture sur le livre Sci-
ons travaillait autrement ? Ambiance
Bois, l’aventure d’une collectif autogéré
qui nous servira de premier débat sur
l’autogestion), etc. Bien-sûr, toutes ces alter-
natives ne sont pas à mettre sous la même
rubrique, et ce d’autant plus qu’elles ne
revendiquent pas toutes, par delà leurs
réalisations concrètes et à des degrés très
divers, une critique en acte de l’économie.
Néanmoins, trois critiques à chaque fois
bien distinctes peuvent probablement être
faites à ces « alternatives », sans pour autant
que l’on puisse toujours les cumuler pour
chacune d’entre elles : certaines versent
carrément dans le citoyennisme d’une action
par son porte-monnaie ou par son bulletin
de vote en appelant à « retourner à la politique
pour donner des règles à l’économie » et à
« rétablir la démocratie menacée par le
pouvoir des multinationales et des Bourses »
; d’autres présupposent un système technicien
et politique formidablement instrumental qui
pourrait nier la liberté, et n’ont aucune
réflexion critique sur le pouvoir ; on voit enfin
dans de nombreux projets « anticapitalistes »
et « écologistes » une sorte de summum de
l’esprit marchand tellement le marteau de
l’économisme est partout dans les têtes de
l’alternative.
L’éco-citoyennisme de la
« consomm’action ».
On connaissait déjà le contenu des dia-
logues entre les derniers des musiciens sur le
pont du Titanic économique, sur le mode
du « Comment allez-vous, madame
Economie ? Très bien, le prix de la con-
science est déjà fortement à la hausse » : la
marchandisation des pollutions par l’éco-
capitalisme cherchant à s’acheter une bonne
conscience en compensant les émissions
polluantes des pays du Nord par des
transferts technologiques en vue des futures
« non-émissions » des pays du Sud, se porte
en effet à merveille. On voit aussi apparaître
l’idée d’« un marché de crédits biodiversité »,
comme il existe un marché de crédits carbone
pour lutter contre le réchauffement 4. L’idée
3 Voir le travail collectif très intéressant mené par le réseau Echanges et mouvement, dans les pages sur
le « troc de survie » organisé par les classes moyennes laminées par la crise - et moins par les
piqueteros (les mouvements radicaux de chômeurs) -, dans la brochure L’Argentine de la paupérisation
à la révolte. Une avancée vers l’autonomie, 2002, notamment les pp. 38-42. Un supplément à cette
brochure vient d’être publié en 2007 par B. Astarian, Le mouvement des piqueteros. Argentine 1994-
2006. A commander à Echanges, BP 241, 75866 Paris, cedex 18, France (2,50 euros brochure n°1,
3 euros brochure n°2, disponible également sur le site http://www.mondialisme.org/).
4 L. Caramel, « La Caisse des dépôts et consignations veut compenser les atteintes à la biodiversité »,
Le Monde, 20 février 2008, p. 8.
L’économie
comme sphère
infiniment close sur
elle-même.
« Et maintenant
que la raison économique
a tout subjugué ; si rien
n’existe plus qu’en raison
de ses objectivités, de son
industrie et de ses
laboratoires ; si elle a fait
disparaître de la surface du
globe tout ce qui ne rentrait
pas au format dans ses
ordinateurs et si c’est elle
l’inventeur et le fabricateur
de tout ce qu’on voit ; si
tout ce qui existe, et même
les pensées au moyen de
quoi on s’efforcerait de la
concevoir, et même les
ouvrages avec l’explication
que cela finirait comme ça,
si tout lui est interne ; c’est
elle toute entière, en
conséquence, quoi qu’on
veuille en considérer, qu’il
faudrait élucider. Et c’est
pourquoi cela s’avère inex-
tricable presque sur-le-
champ à essayer de la
démonter sur la table pour
trouver logiquement ce qui
ne va pas : il n’y a rien par
où commencer ni finir ; le
règne universel de
l’économie est semblable
à une sphère infiniment
close sur elle-même : la
périphérie en est partout
et le centre nulle part, il
n’existe aucun dehors
d’où la considérer »
Baudouin de Bodinat,
La vie sur terre. Réflexions
sur le peu d’avenir que
contient le temps où nous
sommes, Encyclopédie des
nuisances, 1999, p. 33.