AZAD magazine n° 147 - 3e trimestre 2014
24
Histoire
Laugmentation Tout le monde sait comment la Pre-
mière Guerre mondiale a commencé par l’assas-
sinat, à Sarajevo, de François Ferdinand, archiduc
héritier d’Autriche. Mais peu de monde sait comment
l’Empire ottoman est devenu l’allié de l’Allemagne et de
l’Autriche-Hongrie.
La poudrière des Balkans
L’Autriche profite de l’arrivée au pouvoir des Jeunes Turcs
et de l’affaiblissement concomitant de l’Empire ottoman,
pour annexer la Bosnie et l’Herzégovine. La Serbie voit
s’effondrer son rêve d’une grande Serbie. La rivalité aus-
tro-russe est alors ravivée, car la Russie soutient une en-
tité slave forte dans les Balkans. Le renouveau du milita-
risme est le fait marquant de l’année 1912. L’Allemagne
renforce la « Triplice » (groupement entre l’Allemagne,
l’Autriche-Hongrie et l’Italie ; la Roumanie y est associée
secrètement). Pour y faire face, des alliances se confir-
ment entre la France et l’Angleterre (l’entente cordiale), et
entre l’Angleterre et la Russie, constituant ensemble les
pays de « l’Entente ». En France, des campagnes natio-
nalistes reprennent le thème de la « Revanche » depuis
la défaite de Napoléon III en 1870 et la perte de l’Alsace-
Lorraine.
L’Empire ottoman en 1914
Rappelons que l’Empire ottoman est démembré depuis
1878, forcé d’accorder la liberté à la Serbie et à la Rouma-
nie, l’autonomie à la Bulgarie, et d’attribuer les provinces
de Kars et d’Ardahan à la Russie. En outre, en 1912, la
Tripolitaine et les îles du Dodécanèse ont été conquises
par l’Italie. De plus, la Crête, la Macédoine et l’Épire ont
été rattachées à la Grèce en 1913. Devant les soubre-
sauts guerriers de juillet-août 1914, affaibli par les guerres
balkaniques de 1912-1913, l’Empire ottoman affiche une
neutralité. En mars 1914, Ahmed Djemal pacha, promu
général de division en décembre de l’année précédente,
est promu ministre de la Marine. Il le demeurera jusqu’en
octobre 1918, en compagnie de Talaat pacha, ministre de
l’Intérieur depuis juillet 1913, et d’Enver pacha, ministre
de la Guerre depuis janvier 1914. Ils forment tous trois le
triumvirat dictatorial à la tête de l’empire.
Le coup de force du Goeben et du Breslau
(août 1914)
Le 4 août 1914, l’amiral Souchon, de la marine impé-
riale allemande à la tête de la division de la Méditerranée
constituée par le croiseur léger Breslau et le croiseur de
bataille Goeben, reçoit dans la matinée un télégramme de
l’État-major allemand donnant ordre à ces deux bâtiments
de « gagner immédiatement Constantinople » dans la
perspective d’attaquer les ports russes de la mer Noire ;
une alliance de l’Allemagne avec la Turquie ayant été
conclue sous la forme d’un pacte secret, mis au point, peu
de temps auparavant, entre l’ambassadeur d’Allemagne
en Turquie, le baron de Wangenheim, et Enver pacha. Le
10 août, en fin d’après-midi, les navires allemands se pré-
sentent devant Tchanak, recevant un accueil amical des
Turcs.
Ainsi, malgré la possession de forces supérieures, les
Alliés n’ont pas pu s’opposer à l’entrée du Goeben et
du Breslau dans les eaux de Constantinople. Les consé-
quences politiques de ce coup de force de l’amiral
Souchon seront capitales, car cette action va décider la
Turquie à entrer en guerre aux côtés de l’Allemagne. C’est
l’amiral Souchon qui s’y emploie très habilement auprès
des germanophiles Enver pacha et Talaat pacha. Ainsi, le
16 août, les deux navires de guerre allemands hissent le
pavillon turc, car le gouvernement turc fait connaître qu’il
vient de les acheter à l’Allemagne, en remplacement des
deux cuirassés Osmaniech et Reshadieh en phase de
terminaison dans les chantiers anglais, réquisitionnés le
1er août par le gouvernement anglais. Les deux bâtiments
allemands, tout en conservant leurs équipages, vont
prendre des tenues turques : le Goeben prend alors le
nom de Sultan Selim et le Breslau celui de Medili.
.
Le croiseur de bataille Goeben baptisé Sultan Jawus.
Le croiseur léger Breslau baptisé Midili.
L’accord entre l’Empire ottoman et l’Allemagne se pré-
cise : la rénovation de l’armée turque sera confiée au
général allemand Otton Liman von Sanders.
Il y cent ans, l’Empire ottoman s’alliait avec
l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie
Copyright : Georges Kévorkian
Copyright : Georges Kévorkian
AZAD magazine n° 147 - 3e trimestre 2014 25
Histoire
Le général Liman von Sanders.
La mission militaire du général allemand
Liman von Sanders
C’est sur la demande, en juin 1913, du baron de Wangen-
heim, l’ambassadeur d’Allemagne, que l’État-major alle-
mand envoie en Turquie le général Liman von Sanders à la
tête d’une mission militaire allemande. Liman von Sanders
arrive à Constantinople le 14 décembre 1913 ; il est reçu
par Izzet pacha, alors ministre turc de la Guerre. À cette
époque, le grand vizir est Saïd Halim. Talaat pacha est mi-
nistre de l’Intérieur. Quant à Enver pacha, il n’est encore
que colonel et chef d’État-major d’un corps d’armée. Dès
son arrivée, Liman von Sanders prend le commandement
de la 1ère armée ottomane, ce qui irrite les ambassadeurs
de Grande-Bretagne, de Russie et de France. L’amiral
anglais Limpus, depuis deux ans, à la tête de la marine
turque, est alors remplacé à la mi-août 1914 par l’amiral
allemand Souchon, auréolé par son coup de force. Quant
au général français Baumann, depuis déjà deux ans, à la
tête de la gendarmerie turque, dépendant du ministère
de l’Intérieur, il doit également quitter son poste avant
l’entrée en guerre de la Turquie aux côtés des puissances
centrales. Liman von Sanders, peu après son arrivée, est
nommé maréchal ottoman et simultanément inspecteur
général de l’armée turque, alors qu’Izzet pacha, qui doit
démissionner, est remplacé par Enver pacha promu géné-
ral et chef d’État-major de l’armée ottomane.
Le témoignage de Liman von Sanders sur
l’extermination des Arméniens
Dans son témoignage écrit, Liman von Sanders s’attarde
sur le drame vécu par les Arméniens : « Il est hors de doute
que les expulsions furent accompagnées d’excès terribles
et vraiment condamnables. » Il en a recherché les causes.
Il pense que le mot d’ordre des nationalistes turcs « La
Turquie aux Turcs » a sans doute « échauffé les esprits et
obscurci les intelligences ». Il impute la responsabilité de
ces actes aux « agents subalternes qui, par haine person-
nelle ou par esprit de lucre, ont exagéré férocement les
ordres donnés et travesti les intentions. » Il rejette caté-
goriquement les accusations selon lesquelles des officiers
allemands auraient participé aux persécutions contre les
Arméniens. Commentaires : « Les écrits du général Liman
von Sanders ont été édités en 1923, à une époque où il
n’était pas encore question, tout au moins dans les milieux
allemands, de porter un éclairage sur ce « grand crime »
Medz Yeghern » en Arménien) commis par l’Empire ot-
toman. Bien que, dès 1916, les terribles événements qui
firent des centaines de milliers de morts parmi les popu-
lations arméniennes de cet empire, par des actes d’une
sauvagerie à peine concevables, étaient connus par les
autorités allemandes, même s’ils n’avaient pas été étalés
au grand jour. Le général allemand, en reportant toute la
responsabilité sur les « fonctionnaires subalternes » réa-
git en tant qu’officier général qui prend de la hauteur ; et
ne veut pas entendre que des Allemands, « parfaitement
civilisés » eux, aient pu avoir une part de responsabilité
dans ces actes d’une cruauté inqualifiable. »
Un « instructeur » allemand de l’armée turque, coiffé…
du fez.
Mais pouvait-il imaginer qu’un quart de siècle plus tard,
l’Allemagne nazie, appliquant les méthodes analogues à
celles de leurs amis, les Turcs, serait responsable d’un
deuxième génocide, le plus abominable que la terre aura
connu ? Et que dire de la phrase authentique (commu-
nément citée par les historiens) prononcée par Hitler, à
la veille de l’entrée en guerre de l’Allemagne en 1939 :
« Mais qui se souvient encore du massacre des Armé-
niens ? »
Georges Kévorkian, président de Menez Ararat
Georges Kévorkian, auteur de l’ouvrage La France chassée de l’Empire
ottoman – 1918/1923 – Une guerre oubliée (Éditions L’Harmattan).
Copyright : Librairie de l’université de l’Arizona
1 / 2 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !