Université de Lyon Université lumière Lyon 2 Institut d'Études Politiques de Lyon La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne Bouchet Thomas La Russie et ses relations avec l'UE Sous la direction de : M. Pascal Marchand Date de soutenance : mardi 4 juin 2013 M. Laurent Guihéry Table des matières Dédicace . . Introduction . . 1. Construire l'Europe autour de l'axe Paris-Bonn : le réalisme mitterrandien . . 1.1 La formidable implication du président français dans la construction européenne .. 1.1.1 L'idée européenne française ou l'idée européenne mitterrandienne ? . . 1.1.2. Le couple franco-allemand comme moteur de la construction européenne . . 1.1.3. Mitterrand, la culture et l'histoire au service de l'Europe . . 1.1.4. Une diplomatie personnelle ? . . 1.2. Le couple Mitterrand-Kohl ou comment l'idée européenne ne peut se faire sans l'assentiment allemand . . 1.2.1. L'Allemagne, un pays trop puissant pour être occulté . . 1.2.2. L'alliance de deux hommes aux desseins différents . . 1.2.3. La France, Mitterrand et la réunification allemande . . 1.3. Les dissensions franco-allemandes : les premiers accrochages entre les différentes idées européennes . . 1.3.1. Retourner vers l'intégration ou poursuivre l'élargissement ? . . 1.3.2 La guerre des Balkans : un besoin nécessaire d'accélérer l'intégration . . 2. Construire une Europe à douze : Mitterrand et la France comme les chantres de l'intégration . . 2.1. Le Projet de Confédération Européenne : mise en lumière de l'idée européenne .. 2.1.1 Un projet français . . 2.1.2. La « bataille » pour l'Europe des pays de l'Est. . . 2.1.3. Une situation économique incompatible avec la situation de la CEE. . . 2.1.4. Comment interpréter ce projet ? . . 2.1.5. Un projet tourné vers l'Allemagne ? . . 2.2. L'intégration économique et monétaire : une question clé qui ferme l'ouverture à l'Est . . 2.2.1 Le rôle des institutions européennes pour rattraper l'échec du projet français dans le rapprochement manqué avec l'Est . . 5 6 11 11 11 12 12 15 18 18 19 21 26 26 27 30 30 30 32 33 36 37 41 2.2.2 Jacques Delors et les institutions européennes : non à l'élargissement ! . . 41 43 2.2.3 La faiblesse de la France dans la question de l'Union Economique et Monétaire . . 45 2.2.4 Le « gouvernement économique » : resserrer l'union politique face à l'union économique . . 47 2.2.5. La difficile négociation avec la Grande-Bretagne : l'art français du compromis .. 2.3. La recherche permanente de l'équilibre mondial . . 2.3.1 La France et les USA : consensus sur la construction européenne ? . . 2.3.2. La recherche permanente d'un équilibre Washington-Moscou . . 2.3.3. La France et la Russie: une position délicate . . Conclusion . . Liste de sigles . . 50 55 55 57 58 61 65 Bibliographie . . Ouvrages . . Articles . . Sources annexes . . Site et rapports des institutions européennes . . Annexes . . Discours de M. Gorbatchev devant le Conseil de l'Europe (Strasbourg, 6 juillet 1989) .. SecInterview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à l'agence télégraphique hongroise ainsi qu'à "Nepszabadsag", quotidien du parti socialiste hongrois, le 17 janvier 1990, notamment sur le projet de confédération européenne, l'aide économique aux pays de l'Est et les relations franco-hongroises.onde annexe . . Postface . . 66 66 67 68 69 70 70 72 74 Dédicace Dédicace Mes remerciements iront en premier lieu à mon maître de mémoire, M. Pascal Marchand, pour toute son aide et ses conseils au cours de l'élaboration de ce mémoire. Egalement à : M. Michel Rocard, Premier ministre de 1988 à 1991 qui a accepté de me recevoir et de répondre à mes questions lors d'un entretien le 8 février 2013. Ces réponses ont permis de m'éclairer sur certains points essentiels tout au long de ce mémoire. M. Jean-Bernard Raimond, ministre des Affaires Etrangères de 1986 à 1988, qui a accepté lui aussi de me recevoir. Malheureusement, il fut convalescent le jour prévu pour l'entretien. BOUCHET Thomas - 2013 5 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne Introduction 1 « Quand la France rencontre une grande idée, elles font ensemble le tour du Monde » . Le président français François Mitterrand avait lui aussi l'objectif de faire ensemble avec son idée européenne le tour du monde. Il est indéniable que ses propos et ses projets pour l'organisation européenne eurent un retentissement puissant, sans pour autant aboutir à la mise en place pratique de cette idéologie française. Jusqu'à peu avant le deuxième mandat au pouvoir de F. Mitterrand en 1981, la Communauté Economique Européenne avait fait le choix de l'élargissement, notamment sous la présidence de G. Pompidou et V. Giscard D'Estaing. De six Etats-membres en 1957, l'organisation comptait désormais douze Etats en 1986. Avant F. Mitterrand, les présidents français avait déjà fait le choix d'une coopération étroite avec l'Allemagne au sein d'une Europe ouverte. Les couples De Gaulle/Adenauer ou Giscard D'Estaing/Schmidt sont passés à la postérité, car ils sont la marque d'un rapprochement entre les deux grandes puissances européennes d'alors. Ils avaient compris que la France ne pouvait imposer son idée de ce que devait être l'Europe sans se concerter avec ses principaux partenaires. L'Europe était alors déjà un sujet important pour la France ces vingt dernières années, mais la particularité de la politique européenne de Mitterrand est de reprendre ce sujet sur un plan beaucoup plus personnel. La problématique de l'intégration devient alors sous son mandat une question fondamentale pour lui, d'autant plus qu'elle se légitime après une très longue période d'élargissement continue sans réelle rapprochement entre les anciens et les nouveaux membres. Ainsi, lorsque F. Mitterrand arrive au pouvoir en 1981, il doit reprendre le flambeau de la coopération franco-allemande et de la question de l'élargissement. F. Mitterrand dirige la France, l'aiguille vers l'Europe, incarne ses passions : 2 F. Mitterrand est la France. « En Europe, Mitterrand n'a pas d'équivalent » ; il fut l'un des rares dirigeants de gauche à porter aussi fermement le projet européen vers sa prochaine étape, Maastricht. C'est vers cette idée d'une collusion entre l'idée européenne d'un homme de culture, ayant traversé la fin de la Troisième République, Vichy, la Quatrième République et ayant critiqué ouvertement les présidents précédents, et l'idée européenne des élites françaises au pouvoir qu'il faut se diriger ici. L' implication aussi forte d'un chef de l'exécutif dans un projet de si grande ampleur est assez remarquable pour faire l'objet d'études approfondies. Il demeure difficile d'imaginer comment la route vers Maastricht aurait été tracée sans la présence de F. Mitterrand, tant il fut au centre des négociations avec les principales puissances mondiales au cœur des débats. L'Allemagne, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis ou l'URSS furent tous des partenaires privilégiés de la France sur la question européenne, que ce soit pour s'assurer leur soutien au projet ou par pur intérêt, la France ayant alors parfois plus cherché à s'assurer d'un équilibre des puissances avec l'Allemagne dans la nouvelle Europe. Cependant, là où F. Mitterrand se distingue de ses prédécesseurs est qu'il doit évoluer dans un contexte de fin de l'ordre bipolaire, qui régnait depuis plus de cinquante ans. En 1989 et depuis la chute du Mur de Berlin plus précisément, la question européenne est primordiale: faut-il élargir la Communauté aux pays de l'Est ou faut-il pousser l'intégration à un stade supérieur, après avoir déjà fait rentrer six autres pays depuis 1957 ? C'est à cette question que le projet français, le Projet de Confédération Européenne, cherche à répondre entre les années 1989 et 1991. Ce projet révèle tous les aspects de 1 2 6 F. Mitterrand, Ici et maintenant, François Mitterrand, Guy Claisse, Fayard, 1980, p. 55. Interview de Le Monde, David S. Bell, numéro du 6 mai 2011, p.1. BOUCHET Thomas - 2013 Introduction l'idée européenne selon la France en 1989, car il met en lumière l'inquiétude française quant à la question de l'élargissement à l'Est ainsi que la nature des liens entre la France et l'Allemagne, les Etats-Unis et l'URSS. Quelles ont été les sources utilisées pour tenter une approche de l'idée européenne en 1989 ? Pour ce faire, plusieurs sources ont dû être abordées. Des sources contemporaines, des sources plus récentes comme les mémoires d'hommes politiques ayant participé à l'élaboration de cette idée européenne, ainsi que des sources étrangères sont ainsi utilisées. Elles permettent de recroiser chaque point de vue et de se nuancer entre elles sur certains aspects mis en exergue dans chaque type de source. Les premières d'entre elles furent les mémoires des personnalités ayant pris part aux débats ou à l'évaluation de la question européenne en 1989 (mémoires écrits par des officiels français dans ce cas, exception faite de Brzezinski). Quatre écrits de première main sont alors primordiaux : les mémoires de R. 3 4 5 6 Dumas , H. Védrine , J. Attali et de Z. Brzezinski . Ces documents permettent d'avoir un point de vue français (sauf Brzezinski) interne pour mieux cerner comment la France voulait influencer la construction européenne alors. On a alors l'occasion d'avoir le témoignage de ceux qui ont porté le projet européen au nom de la France et qui ont pu connaître, plus ou moins bien, comment se définissait celui du président français. Il est très difficile de travailler en histoire sans documents de première main, car sinon, le champ est libre aux spéculations et aux hypothèses farfelues. Ces documents m'ont donc été cruciaux pour analyser et comprendre en détail quels étaient les piliers de l'idée européenne française. Néanmoins, le document Verbatim de J. Attali fut très critiqué par des historiens comme T. Schabert ou F. Bozo, au contraire de l'ouvrage de H. Védrine qui est beaucoup plus encensé. Ils sont donc lus avec précaution et trouvèrent leur utilité principalement pour la description précise de la position française qui était donnée. De plus, je remercie encore le M. M. Rocard , Premier ministre de 1988 à 1991, qui a aimablement accepté de me donner son témoignage sur ce sujet et qui m'a fourni un document de première main remarquable pour croiser mes sources. Ensuite, des rapports de la commission européenne, du conseil européen ou d'autres institutions sont intégrés. Ils permettent surtout de pouvoir chiffrer convenablement des réalités, notamment dans les pays de l'Est au début des années 90. Ces chiffres sont difficilement accessibles autrement et rarement présents dans les types de document cités plus haut. Ces rapports présentent aussi l'avantage d'être beaucoup moins politisés ou orientés dans leur ensemble. Ils n'ont que rarement une finalité normative, plutôt descriptive. De plus, ils ne cherchent pas à défendre la position de la France en Europe, contrairement aux mémoires qui, lus entre les lignes, tentent de justifier l'action menée par la France et 7 son président dans le cadre du projet européen . Ils présentent donc un aspect extérieur à la France, ce qui permet de croiser les informations données par chaque point de vue. Des archives furent de même utilisées pour mieux comprendre l'atmosphère politique de ces années-là. En regardant comment les gros titres des articles de journaux européens traitent d'un sujet, ou n'en traitent pas du tout, on peut saisir le sentiment général envers diverses propositions. De même, certaines archives ouvertes très récemment, pour la plupart vingt 3 4 5 6 Roland Dumas, « Un projet mort-né, la Confédération européenne », Politique Etrangère, n°3-2001-66e. H.Védrine, Les mondes de F rançois M itterrand, Fayard, Paris, 1996. J.Attali, Verbatim, Fayard, Paris, 1995. Pour Z. Brzezinski, ce ne sont pas vraiment des mémoires mais il présente dans son ouvrage Le Grand Echiquier une présentation remarquable de la politique américaine en Europe menée par l'administration dont il faisait partie. Je le considère ici dans cette catégorie à cette motivation. 7 Le point commun à ces mémoires demeure sur le Projet de Communauté Européenne : leurs auteurs défendent tous ce projet qui était très bon et intelligent selon eux. BOUCHET Thomas - 2013 7 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne ans après les faits comme en Grande-Bretagne, dévoilent des propos et des prises de position inédits qui peuvent nuancer ou appuyer un point d'analyse ; la plupart des mémoires et autres articles, ouvrages sur le sujet étant antérieurs à 2009, ne prennent pas en compte ces archives. Cependant, là encore, il faut se méfier des archives qui peuvent être ouvertes pour défendre la position d'un pays sur un sujet actuel en montrant une certaine facette de sa position antérieure. Ainsi, les archives britanniques sont à manier avec beaucoup de précaution car elles révélèrent des informations allant en totale contradiction avec ce trouvé jusque-là. Enfin, les ouvrages ou articles de chercheurs sur le sujet sont très importants pour apprécier l'aspect technique du sujet, et pour pouvoir démêler la multitude de connexions politiques, économiques, diplomatiques au cœur du sujet. De nombreux historiens ont écrit sur la question de la réunification allemande, sur la position des différents pays européens sur le sujet de l'unité allemande, sur les relations entretenues entre ces pays-là et les Etats-Unis ou l'URSS. Ils fournissent donc d'intéressantes analyses pour comprendre la position spécifique de la France sur ces sujets-là. Ces ouvrages sont aussi fondamentaux pour croiser les sources avec les mémoires, rapports et les archives : ils vont parfois à l'encontre des propos rapportés, comme ceux de J. Attali, ou poussent plus loin ceux tenus par d'autres comme H. Védrine, en y ajoutant une dimension plus grande que le simple cadre de la France. De plus, ils présentent l'avantage de ne pas être que d'origine française : de nombreux étrangers ont aussi travaillé sur la question de l'idée mitterrandienne sur l'Europe. A ce sujet, on note une légère distinction entre les auteurs français dont le domaine est plutôt politique, tel le questionnement sur la France et la réunification allemande, alors que des auteurs étrangers comme Dyson Kenneth se sont plus penchés sur la question 8 économique . Cependant, très peu d'entre eux se posent la question selon deux aspects : se positionner d'un point de vue subjectif à la France, comment ses élites perçoivent la construction européenne et, secondement, adopter un point de vue englobant les questions économiques et politiques, qui sont fortement imbriquées, pour mieux comprendre l'idée européenne globale de la France à cette époque. Ce mémoire s'intéresse à ces deux aspects-là. Comment la France, à travers F. Mitterrand a t-elle cherché à imposer sa vision de la construction européenne en 1989 ? De plus, comment cette idée européenne française va t-elle se dévoiler dans la gestion de la question de l'élargissement à l'Est ? Tout au long de ce travail, le curseur est pointé sur la France et sur la façon dont elle porte son idée européenne face aux autres puissances. Il est difficile voire impossible de définir clairement ce qu'elle était alors, mais on tente de la modéliser pour être le plus juste possible. Cette modélisation passe par le choix de plusieurs sujets centraux qui permettent de donner une idée globale du projet mitterrandien pour l'Europe. Ces événements ou débats sont d'abord analysés séparément pour pouvoir comprendre la position singulière de la France sur ce sujet précis. Cependant, si on s'arrêtait là, on ne pourrait pas comprendre toute la complexité des relations internationales et certains choix français, comme par exemple celui d'effectuer des compromis sur un domaine pour être gagnant sur un autre sujet, ou se retirer sur un projet qui rencontre le désaccord de grandes puissances comme les Etats-Unis. Il faut donc aussi restituer toutes les informations à disposition des dirigeants français pour qu'on puisse éviter les 9 confusions ou les prises de partis absurdes quant aux choix décidés alors . Ainsi, la question des inquiétudes françaises face à la réunification allemande, celle de la façon dont doit être effectuée l'Union Economique et Monétaire ou encore celle de la gestion 8 Dyson Kenneth, « La France, l'Union Economique et monétaire et la construction européenne : renforcer l'exécutif, transformer l'Etat », Politiques et management public, vol.15, n°3, 1997. 9 8 Référence ici notamment aux écrits de Cl. Imbert qui condamnent l'attitude de F. Mitterrand au moment de la chute du Mur. BOUCHET Thomas - 2013 Introduction du projet de Communauté Européenne permettent de mettre en lumière les enjeux de l'époque et la manière dont F. Mitterrand et ses proches conseillers se sont opposés aux grandes puissances européennes et mondiales. Enfin, l'objectif demeure la remise en contexte de ces différentes prises de position dans le cadre de la dichotomie élargissement ou approfondissement. Ces années-là sont profondément marquées par les négociations difficiles concernant la façon dont la route vers Maastricht doit se construire. Certains Etats pourraient alors en effet profiter d'une redirection vers le choix de l'élargissement. On peut ainsi s'interroger sur la façon dont la France a tenté plus ou moins habilement d'écarter cette hypothèse qui ne correspond ni à son idée européenne, ni à son intérêt. On comprend aussi dans ce cadre que très souvent, idée européenne et intérêts français en Europe se rejoignent, sans pour autant se fondre en une seule et même motivation. Bien souvent, les fins sont les mêmes sans que les causes soient identiques. Quant aux bornes qu'on se fixera ici, les dates de 1986 et 1992 peuvent être retenues, même si elles comportent tout de même certains inconvénients . L'année 1986 a l'avantage d'être un moment où les relations franco-allemandes s'intensifient et où l'Acte Unique Européen est signé. L'année 1992 est la date où prennent fin les négociations sur Maastricht, et donc à partir de laquelle il devient impossible de revenir sur un sujet précis puisqu'il est désormais inscrit dans les traités. Après 1992, l'intensité des négociations sur les sujets majeurs diminuera sans pour 10 autant disparaître des discussions. Ainsi, le sujet principal ici demeure la France, et plus particulièrement, son président. Comprendre comment la France a profité de son statut de puissance forte en Europe pour asseoir son idée européenne est fondamental. Néanmoins, la présence d'une autre puissance montante en Europe, l'Allemagne (qui ne peut véritablement être nommée ainsi qu'en octobre 1990), pousse la France à négocier avec cet acteur aux intérêts et idéaux parfois très différents. Composer avec la RFA, puis l'Allemagne, est une obligation en 1990, cependant, F. Mitterrand s'est déjà occupé dès 1983 de consolider la coopération franco-allemande. Lorsque la France présente plus ou moins publiquement son projet pour l'Europe, elle avait déjà préparé le terrain depuis plus de cinq ou six ans : ce long travail est aussi à analyser en amont car il est essentiel pour comprendre pourquoi la France a une position ambiguë face à la puissance allemande. De plus, ce sujet écarte d'emblée l'aspect social de la construction européenne : il n'est pas question ici de savoir si les Français de toutes les couches sociales se prononçaient en faveur de l'Europe ou non. Seules les élites au pouvoir sont au cœur du sujet, car ce sont elles qui portent un certain projet devant les autres pays, et non les citoyens ou même les partis d'opposition. L'idée européenne ici exposée est donc celle de F. Mitterrand et de son équipe ministérielle. Enfin, le Projet de Confédération Européenne est pris comme exemple en fil rouge. Ce projet synthétise remarquablement l'idée européenne à la française autour des thèmes de l'intégration, de l'élargissement, des craintes envers le regain de puissance allemande et sur les dissensions entre France et Etats-Unis et Grande-Bretagne. Il a donc le mérite de présenter tous ses aspects en un ensemble, même s'il n'associe l'aspect économique de la communauté européenne que de loin. Ainsi, ce travail portera principalement sur ce questionnement : en quoi la vision française ou mitterrandienne de la construction européenne, bâtie autour du couple-franco-allemand, s'est-elle heurtée de plein fouet aux réticences américanoanglaises d'une part, et à celles des nouvelles républiques d'autre part comme le projet de Confédération Européenne le démontre ? 10 Les débats sur les critères de Maastricht durent encore jusqu'à aujourd'hui, notamment sur le seuil des 3% de déficit imposé à des Etats faibles. BOUCHET Thomas - 2013 9 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne Pour ce faire, deux axes principaux se dégagent: l'importance de l'axe Paris-Bonn dans l'idée européenne française et l'analyse du Projet de Confédération Européen. Ce premier axe souligne le rôle prédominant de F. Mitterrand dans le poids donné au projet européen, tant son implication au niveau national que son importance sur la scène internationale, ainsi que le type de relations entretenues entre la France et l'Allemagne. Les questions de la position adoptée par la France sur la chute du Mur et sur l'hypothèse de la réunification sont alors abordées . Le second axe met plus l'accent sur la dialectique élargissement/intégration et sur la façon dont la France a cherché à tout prix à éviter que ne se pose la question d'une possible ouverture à l'Est. De plus, la question de l'union économique doit être aussi posée : il s'agit de voir en quoi la France, en position de faiblesse face à l'Allemagne sur le plan économique, a dû composer avec elle pour atteindre à moindre coût diplomatique ses objectifs en matière de construction européenne. Enfin, il ne faut pas oublier que l'Europe en 1990 doit se faire avec l'assentiment américain et russe. La France doit alors convaincre ces deux partenaires, ou leur faire croire que son projet européen va dans le sens de leurs intérêts futurs sur le Vieux continent. 10 BOUCHET Thomas - 2013 1. Construire l'Europe autour de l'axe Paris-Bonn : le réalisme mitterrandien 1. Construire l'Europe autour de l'axe Paris-Bonn : le réalisme mitterrandien 1.1 La formidable implication du président français dans la construction européenne 1.1.1 L'idée européenne française ou l'idée européenne mitterrandienne ? En 1989, la construction européenne connaît une de ses étapes les plus importantes. 11 Alors que l'Acte Unique Européen du 28 février 1986 vient d'être adopté , les pays de la Communauté Economique Européenne d'alors (créée au Traité de Rome en 1957) se doivent de pousser encore plus loin l'intégration, travail mené en continu par les Etats moteurs que sont la France et l'Allemagne. Plus encore que les Etats, ce sont les chefs d'Etat (ou principaux chefs décisionnaires comme le chancelier de la RFA, Helmut Kohl) qui portent l'idée européenne et qui sont les principaux décisionnaires concernant les moyens et la fin que doit prendre la construction européenne.. Le premier travail auquel s'est attelé F. Mitterrand après sa première élection fut de réunir les Etats européens autour de l'Acte Unique Européen, qui confond désormais les trois Communautés préexistantes : la CECA, l'EURATOM, la CEE qui absorbe les deux précédentes. Il fut le principal contributeur de cet Acte Unique et il fut l'un des rares en France à construire son discours sur l'Europe, ligne idéologique que l'on retrouvera lors de ses discours de campagne pour Maastricht, 12 . déclarant que « La France est notre patrie, l'Europe est notre avenir » . Or, entre 1951, date d'instauration de la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier, et 1993, année de l'entrée en vigueur du Traité de Maastricht, l'Allemagne (RFA) et la France occupent la majeure partie de l'espace politique européen. Grâce à leurs statuts de membres fondateurs de la CEE et à leur position de premier et deuxième PIB européen (néanmoins le PNB 13 allemand ne représentait que 24,97% du RNB des Etats-Unis et celui de la France 17,45% ce qui relativise leur puissance mondiale), la France et l'Allemagne ont une légitimité pour prendre en charge le dossier de la construction. Ainsi, l'analyse des couples successifs des chefs d'Etat franco-allemands est décisive pour comprendre comment sont appréhendés les divers aspects de cette construction, car c'est à travers ces associations de personnalités, de caractères, d'implications personnelles, que l'on pourra comprendre dans quelle mesure elles ont participé à la construction européenne. 11 En vigueur le 1er janvier 1987. Créé sous l'impulsion de Jacques Delors, il est l'antichambre de Maastricht : libre circulation des marchandises, libre prestation bancaire, libre circulation des hommes et des capitaux. 12 13 Discours de 1987, Chatam House. Issu de la thèse présentée à Strasbourg en 2011 de D. Diop, p.378. BOUCHET Thomas - 2013 11 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne 1.1.2. Le couple franco-allemand comme moteur de la construction européenne Jusqu'en 1982, les couples franco-allemands ont beaucoup apporté à la construction européenne. Chaque couple a amené sa propre vision de l'Europe à un moment donné, le couple De Gaulle-Adenauer au moment où les USA connaissent de grandes difficultés à travers le monde, notamment à cause de la guerre du Vietnam. De même, le couple GiscardSchmidt s'est nourri d'une vision spécifique de l'Europe, très tournée vers les nouvelles technologies, le trilatéralisme, la finance. C'est ce en quoi diffèrent les visions du monde de Kohl et Mitterrand. Ces deux hommes, gouvernant respectivement en RFA et en France, qui ont pourtant succédé à V. Giscard d'Estaing et Schmidt, font référence à des valeurs 14 antérieures à eux, en ce qui concerne l'Europe et la forme que sa construction doit prendre . L'exemple des deux hommes se tenant la main durant la cérémonie de commémoration à Verdun le 22 septembre 1984 montre leur rapport spécifique au passé commun de la France et de l'Allemagne. L'Europe doit se construire contre ses erreurs du passé ; il est alors inconcevable de bâtir une Europe qui ne tiendrait pas compte de ce paramètre, et qui conduirait une politique qui n'intégrerait pas assez efficacement ses Etats membres. Pour François Mitterrand, cette définition du rapport au passé est cruciale dans le déroulement de la construction européenne et dans la position adoptée par la France dans les dossiers d'alors. 1.1.3. Mitterrand, la culture et l'histoire au service de l'Europe François Mitterrand, né en 1916, a connu plusieurs événements durant sa jeunesse qui ont forgé sa future politique. La participation d'un an à des mouvements nationalistes d'extrême droite, au sein des Croix-de-Feu du colonel de La Rocque en 1934, puis la participation active au sein de la résistance française (après avoir certes travaillé six mois 15 pour le régime de Vichy) ont créé chez F. Mitterrand un dégoût, voire une peur des relents 16 nationalistes . Ayant lui-même grandi dans une atmosphère de la fin des années 1930 où la montée des nationalismes était puissante à la fois en France et en Europe, il refuse une résurgence de ces tendances, qui comme le montrent les partis tels que le Front National en France (le 13 septembre, Jean-Marie Le Pen ayant défrayé la chronique avec 17 une déclaration relative aux chambres à gaz) et le parti néo-nazi allemand qui n'est pas 18 un microphénomène . Ce discours, F.Mitterrand le tiendra jusqu'à ses dernières heures, marque d'un anti-nationalisme farouche : « Il faut vaincre ses préjugés. Ce que je vous demande là est presque impossible, car il faut vaincre notre histoire. Et pourtant, si on ne le vainc pas, il faut savoir qu’une règle s’imposera. Mesdames et messieurs, le nationalisme, 14 Tiré de l'émission « Où, quand comment l'histoire » sur LCP du 3 janvier 2013, P. Grosser, « 1989, l'année où le monde a basculé », Ed. Perrin, Paris, 2009. 15 Je ne souhaite pas ici revenir sur la controverse concernant le degré de participation de F. Mitterrand au régime de Vichy ni sur sa « fausse » résistance car ce n'est pas le sujet. Dans tous les cas, F. Mitterrand a participé à la gestion du conflit, voilà le point concernant la suite. 16 17 Tiré du site internet de l'institut Francois Mitterrand. Déclaration du 13 septembre 1987 au Grand Jury RTL Le Monde « Je suis passionné par l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. Je me pose un certain nombre de questions. Je ne dis pas que les chambres à gaz n'ont pas existé. Je n'ai pas pu moi-même en voir. Je n'ai pas étudié spécialement la question, mais je crois que c'est un point de détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. » 18 12 F.Gresse, « Extrême droite et néo-nazisme en Allemagne », revue Aide-Mémoire, n°15, octobre-décembre 2000. BOUCHET Thomas - 2013 1. Construire l'Europe autour de l'axe Paris-Bonn : le réalisme mitterrandien c’est la guerre ! La guerre n’est pas seulement le passé, elle peut être notre avenir ; et c’est vous, mesdames et messieurs les députés, qui êtes désormais les garants de notre 19 paix, de notre sécurité et de notre avenir. » . On constate ici que F.Mitterrand sait à quel point les nationalismes peuvent détruire la construction européenne déjà bien avancée en 1989 et la faire revenir cinquante ans en arrière. En tant qu'homme préoccupé par le passé et se référant plus aux affres de la Première et Seconde Guerres mondiales qu'aux joies des Trente Glorieuses, François Mitterrand cherche plus à se prémunir des dangers qu'une Europe faiblement intégrée engendrerait qu'à promouvoir une Europe forte dans le monde. Cette préoccupation première de F.Mitterrand se traduit par une intransigeance dans sa vision de ce que doit être l'Europe. Il est donc impératif pour le chef d'Etat du pays-moteur de la construction européenne de s'investir totalement dans le projet européen. En effet, c'est le moyen le plus efficace pour faire en sorte que son idée de l'Europe soit celle qui prévaut. F. Mitterrand mène donc la construction européenne de la même manière qu'il mène sa campagne présidentielle en France de 1988. Il a enchaîné les voyages chez ses partenaires européens, transcaucasiens (juillet 1984 avec la double-confrontation à Paris puis Moscou de F. Mitterrand et M. Gorbatchev), ou transatlantiques (mars 1984) pour promouvoir sa perception de ce que devait être l'Europe. Sa complicité grandissante entre 1984 et 1989 avec H.Kohl s'est nourrie d'une série de voyages et de rencontres en Allemagne. Son engagement certain pour son projet est l'une des principales raisons de sa réussite. Peu de projets européens ont autant eu le soutien d'un des chefs d'Etats concernés, car c'était surtout là l'occasion d'être déstabilisé en interne face aux oppositions souverainistes, 20 extrémistes, voire modérées parfois . F. Mitterrand fut toujours clair quant à sa position sur l'ordre de Yalta. En effet, il a répété à de nombreuses reprises son envie d'en finir avec ce système : « Il faut en finir avec l'Europe 21 de Yalta. C'est important d'offrir une perspective européenne à la RFA » . Il estime que cet ordre est nocif pour la construction européenne, d'une part pour l'emprise américaine sur l'Europe que Yalta a engendré, d'autre part pour le blocage qu'elle a opéré sur le sentiment d'unité allemande pendant cinquante ans. Il répétait que « Tout Européen de l’ouest, patriote en son pays, ne peut avoir qu’une pensée : détruire Yalta. Beaucoup de signes l’annoncent. 22 Mais on ne sortira pas de Yalta sans crise. Nous y sommes » En effet, Yalta a cristallisé la situation allemande autour des deux Etats et de la partition et il est nécessaire d'en finir avec cet ordre pour permettre la réunification. La dissolution de Yalta est un préalable impératif à la réunification, car tant que l'URSS et les USA occupent une place trop importante dans une Europe qui doit se faire par les Européens selon F. Mitterrand, l'Allemagne ne peut 23 participer comme entité unie à la construction européenne . De même, il veut en finir avec un ordre qui ne doit être qu'une transition et en aucun cas une finalité. En effet, il considère que cet ordre qui a vu le rapprochement de la France et de l'Allemagne, à travers une série de traités (le Traité de l'Elysée en 1963), et ses couples (De Gaulle-Adenauer entre autres), doit finir pour laisser place à un nouvel ordre où les deux pays seront effectivement réunis dans une Europe nouvelle. Ainsi, « c'est parce que F. Mitterrand conserve la mémoire du 19 Discours prononcé devant le Parlement Européen le 17 janvier 1995. 20 Tel le parti des Verts en France qui, via la participation deDominique Voynet, s'est ouvertement opposé à la ratification du traité de Maastricht, « Il faut négocier un correctif à Maastricht » ; les Echos, n°17394, 13 mai 1997, p.49 21 22 23 Extrait de la rencontre entre F.Mitterrand et F.Gonzalez à Latché le 25 août 1987. F. Mitterrand, G. Claisse, Ici et Maintenant, Fayard, Paris, 1980, p.241. J.Attali, Verbatim, Fayard, Paris, 1995, 518p. BOUCHET Thomas - 2013 13 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne 24 voisinage allemand des siècles passés qu'il entend travailler pour 2010, pour 2020 » : Yalta entérine ce rapprochement limité, qui ne peut s'achever entre les deux pays. Toujours dans cet objectif de refuser les démons du passé européen, François Mitterrand souhaite accélérer l'intégration pour en terminer avec Yalta et assurer dès 1989 une réunification qui se fasse dans de bonnes conditions. En finir avec Yalta est aussi un moyen de redéfinir les relations avec l'OTAN. C'est d'ailleurs la source d'inquiétudes des Américains sur la construction européenne, car en finir avec Yalta permettrait de délégitimer à court terme la présence américaine sur le sol européen et leur immixtion permanente dans la politique européenne, notamment depuis le projet des missiles d'Initiative de Défense Stratégique, surnommé projet Star Wars en 1983 qui a divisé Allemands et Français et a mis en évidence 25 les divergences entre les deux pays sur la question de l'OTAN . Néanmoins, quelques polémiques ont émergé concernant la position personnelle de F. Mitterrand sur Yalta (ce qui est différent de la position ou des intérêts français en la matière). En effet, son absence à la porte de Brandebourg lors de la chute du Mur le 9 novembre 1989 ou les jours successifs, son voyage à Berlin-Est le 20 décembre 1989 ou la rencontre de Kiev avec M. Gorbatchev le 6 décembre 1989 sont autant d'éléments qui ont soulevé des questions. Pourquoi F. Mitterrand a t-il mis à l'ordre du jour des rencontres avec des autorités soviétiques ou sous autorité soviétique, alors même que la chute du Mur un mois auparavant a complètement bouleversé la géopolitique en Europe et les opportunités ? Cette question est légitime dans le sens où un agenda programmé sur des rencontres avec H. Kohl, George Bush serait plus pertinent. On voit ici la volonté de F. Mitterrand de s'intéresser à l'ensemble de ses partenaires européens, en essayant de ne pas sous-estimer l'un par rapport à l'autre (ou du moins en ne le montrant pas, ce que se décommander aurait signifié trop ouvertement). On peut alors comprendre que F. Mitterrand ait accepté notamment cette rencontre à Kiev, car il a toujours insisté sur le besoin de dialoguer avec chaque pays afin d'obtenir le consensus 26 le plus large autour de la question européenne . C'est à travers le dialogue permanent que doit se forger la nouvelle Europe, en opposition à l'Europe des années 1930, puis à celle de la Guerre Froide, qui était encore objet des relations internationales et non sujet à part entière. On constate alors que l'idée européenne de la France entre 1984 et 1992 est plus ou moins équivalente à l'idée européenne de F. Mitterrand. Ce dernier ménage à première vue une marge de manœuvre publique limitée à ses conseillers, ministres, premiers ministres 27 successifs . La voix de la France est portée principalement par François Mitterrand qui laisse le soin à ses équipes ministérielles de travailler en sous-main à ce projet lors des différentes conférences, des entretiens interministériels ou Assises. L'Europe telle qu'elle est en 1989 ne correspond pas à l'idée européenne de F. Mitterrand. En effet, il écrivait « Ce que nous nommons Europe aujourd'hui est une Europe d'occasion qui ne représente pas à elle seule l'histoire, la géographie et la culture européenne. Deux fois, on a taillé à coup de hache dans notre continent : 1919, 1945. Ce qu'il en reste est pantelant. A regarder l'Europe des Neuf, on se demande pourquoi l'Irlande et pas l'Autriche, pourquoi le Danemark et non la Pologne ? Bien entendu, je connais la réponse : la guerre, encore la guerre. Des vainqueurs, des vaincus. Yalta, le Mur. Deux Empires. En foi de quoi Rome n'est plus dans 24 25 26 H.Védrine, Les mondes de F rançois M itterrand, Fayard, Paris, 1996, p.454. . Cf infra « la France et les USA : consensus sur la construction européenne ? » Mitterrand fut l'un des premiers de son époque à rencontrer Gorbatchev à Moscou et à faire une tournée dans les pays de l'espace soviétique. 27 14 Jacques Chirac entre 1986 et 1988, puis Michel Rocard (1988-1991), puis Edith Cresson (1992) BOUCHET Thomas - 2013 1. Construire l'Europe autour de l'axe Paris-Bonn : le réalisme mitterrandien 28 Rome » . L'Europe qui lui est contemporaine a des limites bien inférieures à l'Europe qu'il souhaiterait, notamment parce que des pays en proie à des troubles internes nécessiteraient le cadre de stabilité que fournit la Communauté. En effet, cela se comprend par son désir d'une part de faire intégrer le maximum de pays, qui une fois sous le contrôle des institutions européennes, pourront se développer au même rythme que les pays occidentaux, et donc combler leur retard économique. D'autre part, la normalité engendrée par une adhésion à l'Europe, que ce soit à travers sa culture, les échanges qu'elle entraîne, permettrait de rendre nulle ou discréditer les courants nationalistes ou extrémistes (tant de droite que de gauche). Il n'estimait pas qu'au contraire, une adhésion à l'Europe serait synonyme d'exacerbation nationaliste. L'appartenance à la culture européenne est la seule façon viable pour Mitterrand de contrer les tendances bellicistes en Europe, menant à la destruction d'une grande partie de sa puissance face à l'URSS et aux USA, et c'est à travers l'adoption de grandes valeurs humanistes, répétées lors des révolutions successives à l'Est, que les anciens pays sous le joug soviétique pourraient participer à la construction d'une grande Europe culturelle, pacifique et pacifiste. Cette question d'une Europe élargie jusqu'aux frontières de la Russie se pose en 1989 pour F. Mitterrand d'autant plus que les agitations à l'Est le troublent. Il sait les conséquences possibles de telles agitations, bien qu'elles soient empreintes du désir de liberté, car les sursauts nationalistes dans les années 1930, les exemples algériens ou indochinois, 29 sont gravés dans sa mémoire. Il s'agit en cette fin d'année 1989 de s'assurer que ces révolutions peuvent être orientées vers un futur démocratique, en accord avec les valeurs ouest-européennes en vigueur. Il faut alors faire en sorte que cette vision mitterrandienne de l'Europe soit la seule à prévaloir face à une tentation des nouvelles autorités tchèques de se tourner vers les Etats-Unis ou l'OTAN par exemple. 1.1.4. Une diplomatie personnelle ? La gestion individuelle de la diplomatie française par F. Mitterrand est flagrante au moment de l'annonce du Projet de Confédération Européenne le 31 décembre 1989, lors de la cérémonie des vœux à la France. Ce projet n'a donné lieu à aucune concertation entre F. Mitterrand et ses proches, il est le fruit de sa simple perception des dangers qu'entraînerait 30 un abandon des pays de l'Est par l'Europe . Roland Dumas, alors son plus proche 31 conseiller, écrit : « pour nous tous qui l'écoutions, la surprise était de taille. » . On peut alors avancer l'idée d'une « diplomatie personnelle » de F. Mitterrand dans toute la campagne qu'il a menée pour la construction européenne. Ce type de diplomatie, classable dans 32 la Track I Diplomacy , est un novatrice en la matière. Très peu de chefs d'Etats se sont autant impliqués personnellement dans un projet aussi vaste à cette époque, car un tel engagement nécessite un effort constant et immense. En effet, s'occuper de la construction européenne implique la rencontre de tous les chefs d'Etats concernés de près 28 29 I ci et maintenant, Fayard, Paris, 1980, p.253, op.cit. La révolution de Velours se déroule en République Tchèque du 16 novembre au 29 décembre 1989 ; l'annonce du Projet de Confédération Européenne intervient alors deux jours après sa fin. 30 Cf. infra « Le Projet de Confédération Européenne : mise en lumière de l'idée européenne » sur ce projet qui détermine la position française quant aux revendications d'entrée dans la CEE faites par les PECO. 31 32 R. Dumas, «Un projet mort-né : laConfédérationEuropéenne » , P olitique Etrangère , 2001, volume 66, n°3, p. 691. Cf. Susan Allen Nan, « What is Track-One Diplomacy ? », 2003. BOUCHET Thomas - 2013 15 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne (le chancelier allemand, le Premier Ministre britannique, le dirigeant soviétique) ou de plus loin (les nouveaux dirigeants des pays de l'Est, le président américain), la gestion d'une opposition interne croissante sur le dossier de Maastricht (l'opposition du RPR menée par Charles Pasqua ou les communistes, de plus en plus remuants malgré leur alliance au sein du gouvernement), la prise en compte de tous les aspects de la construction, c'est-à-dire l'union monétaire, le degré d'intégration et la définition des limites de la nouvelle Europe. Or, François Mitterrand a pendant cinq années (1988-1992) discuté de tous ces sujets à travers une série de rencontres avec l'ensemble des acteurs concernés. Il est allé souvent aux Etats-Unis s'entretenir des inquiétudes américaines concernant la place nouvelle de l'OTAN dans ce nouvel espace européen. De même, il a rencontré Gorbatchev plusieurs fois, la première dès 1984 lors de sa visite à Moscou, pour s'entretenir sur la possible redéfinition des relations entre la future Union Européenne et la Russie, progressivement isolée sur la scène internationale. On peut récapituler ici la fréquence des voyages effectués par F. Mitterrand dans le cadre d'une diplomatie personnelle : 16 BOUCHET Thomas - 2013 1. Construire l'Europe autour de l'axe Paris-Bonn : le réalisme mitterrandien le processus de construction européenne. Voyages de présidents français à destination de : Etats-Unis Allemagne PECO Russie V. Giscard d'Estaing entre 1974-1981 4 12 3 3 33 F. Mitterrand entre 1988-1990 5 9 9 5 Cette carte rend bien compte du degré d'implication de F. Mitterrand dans le dossier. En moins de deux ans, il a rencontré vingt-neuf fois ses partenaires européens (le voyage en Grande-Bretagne n'est pas représenté ici), transcaucasiens et transatlantiques. Ce chiffre élevé est significatif d'une part, démontrant que le président français s'implique énormément pour l'Europe de 1992, soit l'Europe « selon Mitterrand », et d'autre part, que le travail fourni par la France dans l'élaboration de Maastricht est considérable. En effet, le fort degré de participation de F. Mitterrand ne doit pas occulter tout le travail en sous-main de ses conseillers et de son gouvernement. Ses ministres des Affaires Etrangères successifs, Jean-Bernard Raimond entre 1986 et 1988, puis ses Premiers Ministres Jacques Chirac (1986-1988) et Michel Rocard (1988-1991), appuyés d'une part par des personnalités comme Elisabeth Guigou, Secrétaire Générale à la Coordination Internationale des Affaires Européennes, ou Hubert Védrine, conseiller proche de F. Mitterrand, et d'autre part par des personnalités occupant des postes stratégiques tels Jacques Delors, président de la Commission Européenne, ont effectué tout le travail d'élaboration du traité 4+2 en juillet 1990 ou des grandes lignes du traité de Maastricht, entré en vigueur le 1er janvier 1993. Les nombres récapitulés ici ne sont qu'une toute partie du total de rencontres entre officiels français et étrangers des pays-ci contre, car ces voyages présidentiels ne sont que la partie émergée de l'iceberg sur le travail de construction européenne. La position de la diplomatie française est particulière dans l'association qui fut faite entre tout le travail de communication et « d'export » de l'idée européenne à la française, effectué par le président, et la mise en pratique de ses idées par son équipe diplomatique dans les négociations avec l'Allemagne particulièrement. Cet aspect d'une diplomatie française sur tous les tableaux est essentiel pour comprendre dans quelles conditions se sont produites la réunification de l'Allemagne et la construction européenne jusqu'en 1992. Néanmoins, le caractère personnel de cette diplomatie est à nuancer. Il ne faut pas occulter le fait que F. Mitterrand s'appuie sur l'article 5 de la Constitution de la Cinquième République, décrétant que le président est « est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités. ». F. Mitterrand applique donc à la lettre cet article en incarnant au maximum ce rôle de représentant de la diplomatie à l'étranger. L'adjectif « personnel » serait abusif car il ne s'empare pas d'une prérogative appartenant spécifiquement à un autre organe mais il utilise au maximum cet article 5, montrant certes une implication très forte, mais s'accordant avec ce que doit être sa fonction. A partir du moment où F. Mitterrand est réélu en 1988, il s'estime encore plus légitime d'assumer ce rôle spécifique du président de la République française. Depuis le Président De Gaulle, et de façon continue avec ses successeurs, G. Pompidou et V. Giscard d'Estaing, le Premier 33 Carte et tableau fait par T.Bouchet à Lyon en 2013 à partir de l'ouvrage de S. Berstein Les années Giscard: Valéry Giscard d'Estaing et l'Europe 1974 -1981, Armand Colin, Paris, 2006. BOUCHET Thomas - 2013 17 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne 34 Ministre est constamment exclu du domaine des Affaires Etrangères qui sont l'apanage du Président. Ainsi, F. Mitterrand a poussé jusqu'au bout son rôle de chef de la diplomatie, tout en se réservant ce droit face à ces conseillers. Par exemple, lorsque son Premier Ministre M. Rocard lui demande le droit de s'occuper des services de renseignement français, déficients à ses yeux, ce qui représente une dérogation à ses prérogatives actuelles, le Président 35 lui répond « Si ca vous amuse » , mot d'esprit révélateur du mépris adressé à quiconque voulant s'attaquer aux prérogatives présidentielles. On constate aussi le net regain d'intérêt de F. Mitterrand pour les pays du bloc soviétique. Le nombre de voyages personnels a doublé en ce qui concerne la Russie et triplé pour les PECO. Cette évolution radicale reflète clairement le changement de regard qui s'est opéré avec l'alternance en 1981. F. Mitterrand, toujours soucieux d'une très forte unité européenne, sait que celle-ci ne peut reposer que sur le repli sur soi de l'Ouest dans un cocon protecteur que serait Maastricht. Il est essentiel pour lui de s'assurer de bonnes relations avec le voisinage de l'Europe pour qu'il ne remette pas en cause cette intégration, comme la volonté pressante des futures nouvelles démocraties de l'Est a pu le faire en 1989. C'est par le dialogue continu avec les PECO d'une part, la Russie de l'autre que F. Mitterrand espère calmer les revendications de ces Etats sur une éventuelle ouverture à l'Europe. Néanmoins, force est de constater que cette implication personnelle à l'Est ne diminue pas l'effort de dialogue soutenu et intime avec la RFA : l'un n'empêche pas l'autre, et plus encore, le dialogue avec la RFA sur l'intégration monétaire et les conditions de la réunification implique le dialogue avec la Russie et les PECO sur la gestion des relations entre une Europe s'arrêtant à la frontière polonaise et la nouvelle zone européenne à l'Est nécessitant l'Ouest pour effectuer sa transition. Il s'agit maintenant de comprendre en quoi l'amélioration des relations francoallemandes, à travers notamment le rapprochement des deux chefs d'Etat, a permis d'organiser la réunification allemande dans des conditions particulières, qui ont créé un climat spécifique et indispensable à une construction européenne assurée. 1.2. Le couple Mitterrand-Kohl ou comment l'idée européenne ne peut se faire sans l'assentiment allemand 1.2.1. L'Allemagne, un pays trop puissant pour être occulté Difficile d'imaginer l'Europe sans ce qui constitue son moteur, le couple franco-allemand. A travers ce couple, c'est la construction européenne tout entière qui se dessine. En effet, la France est en 1989 le référent politique en Europe, avec la Grande-Bretagne, d'une part par sa place de membre permanent au Conseil de Sécurité de l'ONU et d'autre part par sa volonté toujours affichée, à l'inverse de la Grande-Bretagne, de construire une Europe qui échapperait à l'emprise américaine. Concernant l'Allemagne, c'est la première 34 Entretien avec M. Rocard du 8 Février 2013. Ce dernier n'échappe pas à cette règle ; néanmoins, il a touché de près à quelques points de questions extérieures, notamment lors d'entretiens personnels avec M. Gorbatchev ou de participations à des sessions du Conseil de l'Europe. 35 18 M. Rocard, Si Ca vous amuse, Paris, Flammarion, 2010. BOUCHET Thomas - 2013 1. Construire l'Europe autour de l'axe Paris-Bonn : le réalisme mitterrandien puissance économique européenne et un immense territoire au cœur de l'Europe, barrage historique entre l'URSS et le bloc occidental, la frontière de l'Europe des 12 en 1989. De plus, l'histoire commune franco-allemande, débutant dès 1951 avec la création de la 36 Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier , a poussé ces deux pays à être érigés à la fois comme modèles d'intégration européenne et comme ses principaux acteurs. Il apparaîtrait donc comme légitime à première vue que ce soient la France et l'Allemagne qui soient les principaux protagonistes de la préparation du Traité de Maastricht de 1992. Les expériences passées, du Traité de l'Elysée de 1963 au récent Acte Unique Européen de 1986 ont démontré le talent de ce couple dans la création de structures d'échange et d'intégration solides. Néanmoins, Maastricht présente un défi complètement différent par le contexte dans lequel il est discuté. Dès 1988, les troubles agitant la Russie sont perceptibles aussi bien dans les faits, tel le choix de mettre fin à la guerre en Afghanistan, coûteuse autant financièrement qu'en image de marque (le monde découvre la « faiblesse » de l'Armée Rouge » que dans les discours, comme ceux prononcés au sujet de la Maison 37 38 Commune Européenne en mars 1988 à Prague ou juillet 1989 à Strasbourg . Cependant, aucun dignitaire français ne s'attendait à une fin aussi rapide de l'URSS : en 1989, le 39 soviétisme était encore présent pour au moins cinquante ans selon la diplomatie française . Deux problèmes majeurs se posent alors à propos de la situation inquiétante en URSS : la pression des pays de l'Est sous domination soviétique aspirant à rejoindre l'Union 40 Européenne et la « question allemande » . Il sera traité ici de ce deuxième aspect qui est fondamental à la fois pour la construction européenne, et pour la réalisation du projet français d'une Europe intégrée encadrant l'Allemagne. 1.2.2. L'alliance de deux hommes aux desseins différents Tout d'abord, c'est encore une fois l'alliance de deux personnalités qui va largement favoriser le chemin d'une part vers la réunification, d'autre part vers la consolidation de Maastricht. F. Mitterrand et H. Kohl se rencontrent de très nombreuses fois, neuf entre 1988 et 1990, au moment de la chute du Mur. Or, il serait faux de s'arrêter à ces seules dates, car ils laissent à penser que l'intérêt porté à l'Allemagne par la France serait très récent, au moment même où la question allemande serait de nouveau d'actualité. En effet, les deux hommes entretiennent des relations fortes depuis 1983, soit un an après l'accession au pouvoir de H. Kohl. Dès le 20 janvier 1983, François Mitterrand vient personnellement au Bundestag pour réaffirmer son soutien à H. Kohl au sujet de la crise des euromissiles, crise qui a suscité un très grand débat en Allemagne. Cet événement, très fortement apprécié par les Allemands de l'Ouest, symbolise le début du couple Mitterrand-Kohl En effet, les Allemands considéraient alors que la présence de ces missiles les menaçait plus que celle même de l'URSS à leur frontière comme le dit Dominique Moïsi : « L'Amérique apparaît trop forte 36 A l'origine, la France souhaitait travailler avec l'Angleterre pour une Europe intégrée, mais après le refus de cette dernière lors du Congrès de la Haye, du 7 au 10 mai 1948, pour cause d'une souveraineté étatique qui serait trop limitée, la France s'est tournée vers son partenaire allemand avec le succès que l'on connaît, la CECA. 37 Marie-Pierre Rey, « Gorbatchev et la Maison Commune Européenne :une opportunité manquée ? », Institut François-Mitterrand, 2007. 38 39 40 Cf infra. « La France et la Russie: une position délicate ». Entretiens avec Michel Rocard du 8 Février 2013. M. Mertes, « Les questions allemandes au XXe siècle : identité, démocratie, équilibre européen», Politique Etrangère, volume 65, n°3-4, 2000, p.799-813 BOUCHET Thomas - 2013 19 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne pour ce qu'elle a de faible et vice-versa. Les Allemands (..) apparaissent moins stables 41 dans leur attachement à l'OTAN » . F. Mitterrand soutient alors H. Kohl contre les multiples organisations pacifistes défilant en RFA lors de son discours du 20 janvier 1983, preuve d'une amitié consolidée entre les deux pays, naissante entre les deux hommes. De même, une ligne de télex sécurisée est mise en place entre les deux pays pour faciliter encore le dialogue et en augmenter sa fréquence, à l'image du téléphone rouge installé en 1963 entre les Etats-Unis et l'URSS. F. Mitterrand ne s'y trompe d'ailleurs pas lorsqu'il écrit, dès 1986, donc bien avant la chute du Mur et le projet de réunification que l'Allemagne «e s'amarrera 42 pas à l'Europe occidentale si c'est contre l'unité allemande n » . De même, selon H. Védrine, « l'avènement d'une Allemagne renforcée s'inscrit dans une coopération franco-allemande 43 plus étroite et une Europe plus puissante » . La coopération franco-allemande est sans nul doute le cheval de bataille du président français qui sait qu'il ne peut faire l'Europe sans la première puissance économique. D'une part, il serait impossible économiquement de se passer de l'Allemagne et d'autre part la pression américaine serait trop grande, les Américains étant toujours soucieux de ne pas laisser l'Allemagne impuissante face à la France et l'Angleterre. Il est alors impératif pour la France de mêler la question allemande à la question européenne pour le simple fait qu'elles sont indissociables. Les lettres et 44 télégrammes françaises ne comportent plus désormais la mention de « sol de la RFA » mais dès 1986 de « sol allemand », distinction importante aux yeux des officiels allemands qui voient là une nouvelle étape de la considération de l'Allemagne dans les relations internationales. L'accélération de la coopération franco-allemande, entamée depuis 1951, est effective ainsi dès 1982 et elle se caractérise par une solidarité croissante sur des sujets pourtant très délicats, de la crise des euromissiles à la gestion de la réunification. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que cette amitié entre F. Mitterrand et H. Kohl est incluse dans un cadre beaucoup plus large, comme vu précédemment, et que malgré le lien spécifique unissant les deux pays en 1989, cette relation n'est pas unique dans les relations internationales d'alors. Il ne faut pas considérer l'exceptionnelle amitié comme un refuge pour la France comme pour l'Allemagne. Chacun de ces deux pays s'est aussi efforcé de renforcer ses relations avec les autres acteurs européens ou les USA sans que cela remette en cause leurs liens 45 au contraire . Il faut donc considérer la relation franco-allemande comme une « special relationship » qui s'inscrit dans un cadre très précis, celui de la construction européenne, car tout le dialogue entre ces pays s'est construit autour de cette question depuis 1945, contrairement au dialogue franco-américain par exemple, qui s'est bâti sur d'autres sujets aussi divers que l'OTAN, le cinéma ou le nucléaire. Cette coopération franco-allemande fut aussi permise grâce aux travaux des nombreux conseillers germanophiles de F. Mitterrand telle Elisabeth Guigou, chargée des Affaires Européennes dès 1990. Il est important de mettre aussi en lumière ces acteurs qui se situent entre les opinions populaires, que nous n'étudions pas ici, et l'effort personnel du président 41 42 43 44 D.Moïsi, « L'Amérique dans les relations franco-allemandes », Agir pour l'Europe dans l'après-guerre froide, Masson, Paris, 1995. F. Mitterrand, « Réflexion sur la politique extérieure de la France », Fayard, Paris, H. Védrine, p.406, op.cit. « Dans les limites qu'impose l'extrême rapidité de telles décisions, le Président de la République se déclare disposé à consulter le Chancelier de la RFA sur l'emploi éventuel de l'arme préstratégique française sur le sol allemand. » Lettre écrite par F. Mitterrand à H. Kohl en 1988. 45 Dominique Moïsi parle des « Etats-Unis comme marieur » à travers l'OTAN notamment, « L'Amérique dans les relations franco-allemandes » op.cit. 20 BOUCHET Thomas - 2013 1. Construire l'Europe autour de l'axe Paris-Bonn : le réalisme mitterrandien de la République, qui repose essentiellement sur la bonne mise en œuvre de ses idées à l'échelle des forums et rencontres inter-ministérielles. La question allemande est donc primordiale dans la question européenne. L'Allemagne ne peut retarder plus longtemps sa réunification si l'occasion se présente mais l'Europe ne peut faire sans l'Allemagne, pour les raisons citées plus haut, ou faire sans une partie de l'Allemagne, ici la RDA. C'est donc cette double-problématique intégration vers Maastricht/ réunification qui est véritablement au cœur des débats en 1989. Jean-Pierre Chevénement 46 déclarait le jour de la chute du Mur, le 9 novembre 1989 « Le Mur est tombé. Un mort. Jacques Delors ». Il voulait signifier par là le danger que posait la réunification à l'aventure européenne. En effet, le Mur était le symbole du « rideau de fer » comme l'appelait Churchill, cette séparation est-ouest, au-delà de laquelle l'Europe n'est pas destinée à aller. Or, avec cette chute, non seulement s'ouvrait la possibilité pour les pays se trouvant au-delà de pouvoir justifier une demande d'admission dans la Communauté Economique Européenne, mais la question de la réunification pouvait retarder voire complètement modifier le processus d'intégration en cours. En effet, il faut désormais prendre en compte un espace beaucoup plus grand, ce qui a pour principale conséquence de potentiellement repousser les limites de l'Europe aux PECO. De plus, l'Allemagne deviendrait une puissance encore plus puissante politiquement et pourrait réussir aux yeux des officiels français à enfin 47 convertir le pouvoir économique en pouvoir politique , vieux rêve allemand depuis 1870 dont la seule réalisation eut les effets les plus négatifs jamais obtenus. 1.2.3. La France, Mitterrand et la réunification allemande Sur ce sujet, la position des élites françaises et le comportement de François Mitterrand fait débat. En effet, certains journalistes et écrivains ont remis en cause la position du président français à l'égard de la nouvelle du 9 novembre. S'appuyant sur des déclarations du président comme celles faites le jour même à Copenhague, ou il refusa d'aller à Berlin sous prétexte que c'était « une fête allemande, pas française » ou que « si j’étais allemand, je serais pour la réunification, c’est du patriotisme. Etant français, je n’y mets pas la même 48 passion » . Claude Imbert, par exemple, écrit qu'il « a toujours cru qu'un De Gaulle, aussi prompt et décisif sur l'événement que Mitterrand est lent et sinueux, eût salué avec éclat et solennité la réunification allemande pour la constituer en « grande affaire » de l'Europe. Au 49 lieu de quoi, la France se donna les airs piteux du cocu mécontent, et qui regimbe » . Quel crédit donner à de telles réactions ? Ces auteurs, comme Imbert ou Giesbert, ont isolé cet événement pour critiquer l'attitude de F. Mitterrand dans la coopération franco-allemande. Ils ne prennent pas en compte tout le travail liminaire évoqué plus haut, du discours au Bundestag jusqu'à l'Acte Unique Européen. Ils profitent ainsi d'un moment de flou pour asseoir leur théorie d'une France toujours frileuse historiquement face à l'Allemagne et pour mettre en lumière la bonne gestion du sujet par les Etats-Unis, qui signent dès janvier 1990 un acte permettant la réunification selon le principe d'autodétermination cher aux EtatsUnis. Ces réactions rejoignent celles exprimées par les élites britanniques, et notamment 46 47 Alain Houziaux, Le citoyen, les pouvoirs et Dieu, Paris, Olivetan, 1998, p.166 De Gaulle parlait d'une « géant économique » doublé d'un « nain politique » au sujet de l'Allemagne. Cette double qualification, valable dans les années 60, n'aurait plus aucun sens concernant une Allemagne unifiée qui retrouverait son poids sur la scène internationale, du moins selon les prévisions des élites françaises, entre craintes et fantasmes. 48 49 Phrase prononcée par F. Mitterrand devant H. Kohl le 4 janvier 1990 à Latché. Cl. Imbert, Par bonheur, Grasset, Paris, 1994, 294p. BOUCHET Thomas - 2013 21 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne 50 M. Thatcher, qui craignent une Allemagne qui « serait trop forte dans une Europe fédérale 50 pour n'être qu'un partenaire comme les autres » . La différence tient dans le fait que les Britanniques sont idéologiquement opposés à l'intégration européenne là où ces journalistes sont opposés à au président français. Néanmoins, des hommes ayant participé activement au dialogue franco-allemand comme Jacques Attali, qui n'est donc pas un journaliste, ont fait part de leur déception au sujet de la réunification, déclarant que « de même, la réunification a été payée non par les Allemands, mais par leurs partenaires, en raison de la parité choisie entre les deux marks, qui a conduit à un énorme transfert de richesses des autres pays européens vers la nouvelle Allemagne. Enfin, l'euro n'est pas le produit de la réunification ; 51 il est le dernier héritage de la dynamique européenne précédente. » . Cette controverse est due à une déception, conséquence directe des émotions françaises en 1989 sur ce qui reste de l'ennemi héréditaire allemand et elle perdure du fait que les historiens ayant restauré l'image de F. Mitterrand n'ont pu commencer leurs travaux qu'avec l'ouverture des 52 archives de l'Elysée . En effet, des auteurs comme Frédéric Bozo, s'opposant notablement à Claude Imbert, ou Tilo Schabert ont pu ainsi réhabiliter la position mitterrandienne à cet égard, notamment grâce à l'ouverture des archives de l'Elysée. Ce dernier déclare que cette « légende est fausse », arguant notamment que ce flou, en plus d'être généralisé en Europe, n'est dû qu'à son obsession gaullienne d'« éviter que la destruction de l'ordre de Yalta ,et débouche sur un nouveau désordre européen. Un retour à l'Europe des guerres condamnerait le Vieux Continent à rester un simple enjeu de la compétition entre les 53 Grands » . Il s'agit donc de montrer que la réaction de Mitterrand n'a rien à voir avec une déception face à cet événement de 1989, ou une crainte. Il s'agit d'une réaction traduisant non pas une prise de position mais une humeur passagère qui n'altére pas tout le travail fourni précédemment. En effet, il est illogique de penser que F. Mitterrand refuserait la réunification allemande après avoir fait de l'Allemagne la seconde moitié du moteur européen. En ayant traité Helmut Kohl comme son partenaire européen privilégié, au dépit de Margaret Tatcher, François Mitterrand n'aurait pas pu soutenir l'idée d'une Allemagne désunie encore en 1990. F. Mitterrand a donné de très nombreuses fois des déclarations laissant entendre son « accord », bien que celui-ci ne soit que facultatif dans une question qui relève de la volonté du peuple allemand, et ce, bien avant la chute du Mur. Il déclare le 20 54 mai 1989 à Kennebunk Port « Si les Allemands la veulent, nous nous y opposerons pas » , c'est-à-dire un avant avant la conférence 4+2 réglant les modalités sur la réunification. F. Mitterrand déclare simplement qu'il ne pense pas que cette réunification soit possible à cause de la position soviétique, et non à cause de la position française !En effet, la France est prête pour la réunification allemande mais F. Mitterrand craint constamment que celle-ci ait des conséquences très dommageables pour M. Gorbatchev. La réunification ne doit pas se faire contre l'URSS et ne doit pas être la cause d'une déstabilisation de l'actuel dirigeant soviétique. Dans le même entretien, il déclare quelques lignes plus tard : « Non, je ne crois pas avant dix ans. J'ai toujours pensé que l'empire soviétique se disloquera avant la fin du siècle. Le problème allemand est central pour eux. Jusqu'au but, ils s'opposeront par la Propos de M. Thatcher. Ur. N'Sondé, Les réactions à la réunification allemande : en France, en Grande-Bretagne et aux Etats- unis, L'Harmattan, Paris, 2006, p.121. 51 52 Jacques Attali, « La question allemande », L'Express, 30 juillet 2009. Stephen Martens, l'unification allemande et ses conséquences pour l'Europe, 20 ans après, Presse Universitaire du Septentrion, Villeneuve-d'Ascq, 2011. 53 Fr. Schlosser, Essai de la Semaine sur T. Schabert, Mitterrand et la réunification allemande, Une histoire secrète (1981-1995), traduit de l'allemand par Olivier Mannoni Grasset, Paris, 598p. 54 22 Verbatim, op.cit BOUCHET Thomas - 2013 1. Construire l'Europe autour de l'axe Paris-Bonn : le réalisme mitterrandien force ». C'est donc à mon sens la réinterprétation de cette phrase-là qui a permis aux tenants de la thèse portant atteinte à Mitterrand de fonder leur argumentaire. D'ailleurs, la position officielle française, dictée par le Ministère des Affaires Etrangères et le président était de 55 se féliciter « sans réserve de la libre autodétermination de la population est-allemande » . En réalité, F. Mitterrand ne s'opposait pas à cette réunification, mais il la jugeait trop rapide. En homme de culture et averse à toute forme d'excès, il sait qu'une entreprise d'une telle ampleur doit prendre du temps pour se faire dans les meilleures conditions. Il récuse toute réunification trop rapide qui précipiterait à sa perte la construction européenne. D'où les multiples pressions sur H. Kohl pour retarder le plus possible cet événement, notamment à travers les assurances sur les frontières à l'Est et le rôle de la nouvelle Allemagne dans l'OTAN. Mais il n'y a pas incompatibilité entre les déclarations faites par le président français et sa position réelle, même si ce décalage est source de controverse. Son voyage en RDA en décembre 1989 provoque la colère de H. Kohl et met très fortement à mal la relation de confiance nouée jusque-là. La majorité des voisins européens condamnent aussi fortement cette attitude qu'ils jugent néfaste au moment où l'Allemagne a besoin plus que jamais du 56 soutien européen . On retrouve cette attitude lors de la prise du pouvoir dans la Fédération de Russie de B. Eltsine, où F. Mitterrand adopte une posture neutre, reconnaissant le nouveau gouvernement et déclarant attendre en premier lieu quelles sont les intentions des « nouveaux dirigeants » russes. Cependant, malgré toutes les réhabilitations successives entreprises par les historiens sur le sujet, les anti-réunification trouvent eux aussi de nouveaux arguments dans les 57 archives, comme la publication des archives britanniques du 11 septembre 2009 . On y retrouve des conversations tenues entre F. Mitterrand et M. Thatcher où le conseiller de M.Thatcher fait dire à F. Mitterrand que la « perspective de la réunification a provoqué » un choc mental chez les Allemands » et que celui-ci a eu pour effet de les faire redevenir ces « mauvais Allemands qu'ils étaient », allant jusqu'à comparer la future Allemagne à celle d'Hitler. Il en va de même pour les travaux des journalistes cités précédemment : quel crédit donner à ces propos ? Hubert Védrine a déclaré lors de leur parution, qu'il n'a jamais entendu de tels discours, alors même qu'il était présent ce jour-là. A mon sens, on peut y voir une tentative de dédouanement des services britanniques de l'époque sur la question, car les Britanniques eux-mêmes étaient très farouchement opposés à une réunification allemande en Europe. En effet, «ce serait une grave erreur de penser que Mitterrand et Thatcher partageaient la même position. La réunification inquiétait réellement Thatcher. Pas Mitterrand. Il voulait s'assurer qu'elle soit bien gérée, démocratique, qu'elle ferait avancer l'intégration européenne et qu'elle ne précipiterait pas la chute de Gorbatchev. Thatcher ne pouvait pas accepter davantage d'intégration européenne», selon Hubert Védrine, qui réagissant à la publication de ces archives, conteste la véracité de ces propos. Associer la réaction prétendument négative de F. Mitterrand à celle vérifiée de Thatcher serait un moyen pour l'administration de cette dernière de redonner de la force à une position difficilement tenable avec le recul de vingt années en 2009. Ainsi, cette réaction négative britannique peut être relativisée aujourd'hui du point de vue anglais si les Français ont eux-mêmes réagi de la sorte. En tout cas, cela montre bien que cette controverse est encore et toujours d'actualité car elle touche un sujet crucial en Europe, le retour en puissance de l'Allemagne, et de ce que seront les craintes franco-anglaises après la Seconde Guerre mondiale. 55 56 Rapport d'Aurelia Bouchez, 27 mars 1990, du Ministère des Affaires Etrangères, n°812/EU. Entretien avec M. Rocard du 8 Février 2013. 57 Article de Juan Goytisolo, « Le machiavélisme aveugle de F. Mitterrand », El Pais, Courrier International, 5 novembre 2009. BOUCHET Thomas - 2013 23 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne Concernant la réunification en elle-même, la question des conditions de sa réalisation et de ses conséquences se posent. En effet, doit-on considérer la réunification comme une conséquence directe ou comme préalable à la construction européenne ? D'une part, la réunification peut s'interpréter comme le résultat direct de tout le travail préparatoire de Maastricht, et de l'Acte Unique Européen. L'idée est que l'intégration européenne accrue depuis 1986 a poussé l'Europe à se replier sur elle-même pour créer une véritable zone d'espace économique d'abord, politique ensuite. Elle a donc amené l'Allemagne à faire partie intégrante de l'Europe occidentale en tant que première puissance économique et grande puissance mondiale. Or, lors de la chute du Mur le 9 novembre 1989, comment ne pas accepter l'idée de réunification, idée chère aux Allemands privés pendant quarante ans d'unité nationale ? La réunification est donc plus qu'un aboutissement de la construction européenne, c'est une étape en chemin qui semble tomber sous le sens. On ne peut pas accorder un rôle central à la RFA jusqu'en 1989 et ensuite lui refuser son unité nationale sous prétexte de fantasmes ou de peurs occidentales. Par exemple, on peut s'intéresser au travail du Parlement Européen pour l'étude de l'impact de la réunification. Le Parlement Européen est une institution européenne, résultat de l'intégration européenne, qui fut la première à analyser les possibles conséquences de la réunification. Celle-ci s'est donc déroulée dans le cadre de l'Europe et fut permise par l'intégration, voulue par la RFA et la France depuis le Traité de Rome de 1957. Le Parlement créa ainsi une Commission temporaire pour mesurer les répercussions de l'unification sur l'Europe, et cela montre que la construction européenne a permis la mise en place de la réunification dans de bonnes conditions. Difficile d'imaginer une réunification possible si l'Allemagne n'était pas membre de la CEE, car c'est à travers l'organisation européenne qu'elle a acquis ce statut spécial de pilier en Europe. Elle a pu donc faire valoir son rôle de puissance intégrée pour organiser la réunification. Cependant, la réunification n'est pas pour autant l'achèvement de la construction européenne, puisque Maastricht succède à la réunification. D'autre part, la construction européenne, telle qu'elle fut conçue en 1992 à Maastricht n'aurait vraisemblablement pu se faire sans la réunification. On peut analyser celle-ci comme un préalable à Maastricht et l'intégration européenne. Cette idée était déjà portée par Mazzini et son mouvement Jeune Europe en 1834, considérant qu'une Europe politique était impossible sans l'unification allemande. On peut se poser la question de savoir si la réunification allemande aurait bloqué ou accéléré le processus d'intégration. En effet, la réunification a pu éclipser la question européenne et la reléguer au second plan derrière une question d'ordre interne qui semble bien plus importante. L'opinion ouest-allemande est très favorable à la réunification alors que l'entourage du chancelier allemand est plutôt 58 europhile, europhilie qui lui a coûté cher aux élections de 1990 . Il s'agit donc de mettre de côté l'Europe au profit de la réunification, car ces deux questions semblent être antinomiques aux yeux des citoyens allemands. La RFA a donc beaucoup moins intérêt à faire de l'Europe une priorité plutôt que la réunification et cette priorité est clairement donnée : « on espérait que la construction européenne progresserait au même rythme que la réunification. Il n'en 59 sera rien. Bonn n'aura d'yeux que pour la RDA. La communauté devra attendre » On ne peut réaliser la réunification si on accélère l'Europe, car on creuserait alors le fossé 60 entre citoyens Ouest-Allemands et Est-Allemands , ce qui fait dire à A. Dauvergne que « la décision sera entièrement entre les mains du chancelier fédéral allemand et c'est donc lui 58 59 60 24 Aux élections du 2 décembre 1990, H. Kohl n'obtient que 43,8% des votes devant le SPD, 33,5%. Marie-Noëlle Brand Crémieux, Les Français face à la réunification allemande, Harmattan, Paris, 2004, p.209 Marie-Noëlle Brand Crémieux, op.cit, p.208. BOUCHET Thomas - 2013 1. Construire l'Europe autour de l'axe Paris-Bonn : le réalisme mitterrandien 61 qui tranchera (...) du sort de la Communauté des Douze. » . En effet, la RFA semble être, plus que la France encore, l'acteur principal du choix de la construction européenne. De même, l'Allemagne a joué sur la dichotomie droit interne/droit international pour mener à bout la réunification, le chancelier allemand parlant d'articles de la Constitution allemande pour que les Länder de l'Est se rattachent à l'Allemagne de l'Est. Ces articles ne peuvent être remis en question par le droit international, et donc, sur lesquels la France n'aucune prise. Maastricht ne peut se réaliser si la RFA reste bloquée sur la question allemande. L'exemple du refus de la RFA de ratifier les accords de Schengen pour la simple et bonne raison que la RDA n'y a pas accès prouve l'intérêt supérieur porté par la RFA à cette question. Les officiels de la RFA cherchent à lier questions européennes et allemandes, à l'inverse de la population allemande beaucoup moins europhiles, pour pouvoir accéder le plus rapidement à l'unification en échange d'une promesse d'intégration européenne. En mettant sur la table des discussions le fait que la réunification devient la préoccupation première de l'Allemagne après la chute du Mur, Kohl est certain d'obtenir ce qu'il veut des Français, soucieux du bon déroulement du processus de Maastricht. En effet, la France réclame que les frontières polonaises soient respectées et que «les Allemands s'engagent tout à fait dans la CEE, afin de progresser rapidement sur la voie de l'unité politique mais aussi économique et monétaire. A l'accélération de l'unification allemande doit correspondre une accélération du 62 processus européen. » .La conférence de la CSCE se fait aussi dans le cadre de l'Europe. Faite fin d'année 1990, elle a pour but de permettre d'intégrer le processus de réunification 63 dans le cadre d'intégration européenne. La position française est donc simple face à la réunification : l'accepter, car la refuser serait se décrédibiliser aux yeux des citoyens et mettre en danger l'intégration, mais tenter de la conditionner par la construction européenne qui est la préoccupation principale française. Les Français lient donc explicitement les deux questions, ce qui arrange les Allemands dans le sens où ils ont eux lié ces deux sujets implicitement pour satisfaire toutes leurs conditions. L'union monétaire réalisée entre les 64 deux Allemagne double « sans complexe l'Union européenne » , et elle prouve encore que les questions internes allemandes sont résolues beaucoup plus aisément que les mêmes questions posées à l'échelle européenne. Ainsi, en 1991, l'Allemagne est réunifiée, a récupéré sa puissance politique en Europe et aux yeux des Etats-Unis, et se remet en route vers Maastricht. On constate alors que la stratégie politique allemande consistait à jouer avec les inquiétudes et préoccupations françaises pour atteindre leurs buts. Il est aussi important de souligner que la réunification, opérée dans le cadre de la conférence 2+4 avec les quatre grandes puissances occupant l'Allemagne en 1945 et les deux Allemagne, a posé comme condition la reconnaissance par la nouvelle Allemagne de la frontière Oder-Neisse avec la Pologne. On retrouve ici encore le travail de F. Mitterrand qui, en grand homme féru d'histoire, souhaite évacuer les démons de l'histoire. La question des frontières à l'est ne fut en effet pas traitée après la Première Guerre mondiale ; seules 65 celles de l'Ouest entre la France et l'Allemagne furent réglées. Cela permit notamment à Adolf Hitler de revendiquer librement l'expansion allemande vers la Pologne en 1939. F. Mitterrand a alors voulu fixer une fois pour toutes cette question des frontières lors de la conférence 4+2 du 12 septembre 1990 en imposant, avec ses partenaires, la signature 61 62 63 64 65 Alain Dauvergne, « Le plébiscite tricolore », Le Point, 4 décembre 1989. Rapport d'A.Bouchez, op.cit. Rapport d'Aurelia Bouchez, op.cit. M.L.C, « L'Union monétaire européenne doublée par l'union monétaire allemande », Libération, 1er février 1990. Lors de la conférence de Locarno le 16 octobre 1925, L'Harmattan, Paris, 2004. BOUCHET Thomas - 2013 25 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne de la reconnaissance des frontières en échange de l'accord de réunification. On retrouve alors la volonté de même fermer la porte à toute idée possible d'expansionnisme territorial allemand. Cela ne change cependant rien à l'expansionnisme économique, qui lui pourra se réaliser au-delà des frontières avec facilité. Ainsi, la réunification fut une étape décisive dans la construction européenne, car elle s'inscrit à la fois comme une conséquence et un préalable de la construction européenne. La position française à ce sujet est claire ; elle doit se faire dans le cadre européen d'une part à cause de la douloureuse expérience de 1919, et d'autre part, car elle est fondamentale pour le bon déroulement de Maastricht. Or, la question de la réunification ouvre la voie directement à celle de l'élargissement à l'Est. Comment arrêter l'Europe aux frontières germano-polonaises en octobre 1990, alors que les pays de l'Est représentent un vaste territoire convoité autant politiquement qu'économiquement par l'Allemagne ? La question du dualisme élargissement/approfondissement est au cœur des divergences franco-allemandes en 1990, car elle oppose deux conceptions fondamentales de l'Europe entre les deux principaux pays créateurs. 1.3. Les dissensions franco-allemandes : les premiers accrochages entre les différentes idées européennes 1.3.1. Retourner vers l'intégration ou poursuivre l'élargissement ? Le couple franco-allemand, ciment de l'Europe, n'est néanmoins pas à l'abri de tout problème. En effet, la question fondamentale de l'intégration ou de l'élargissement est au cœur des débats en 1989. L'intégration vise à « mettre en commun des ressources nationales «et faire en sorte que les Etats « prennent de nombreuses décisions 66 ensemble » . Au contraire, l'élargissement vise à donner les mêmes droits obtenus par les pays déjà membres à d'autres pays européens. Ici, en 1990, ces pays se trouvent être les pays satellites de l'URSS, tels que la Pologne, la Hongrie ou la République Tchèque. Sur ce point, Français et Allemands ont une attitude différente. 66 26 Les Allemands sont pour un élargissement rapide à l'Est, comme le montre le « plan d'aide européen à l'Est » proposé par le ministre allemand des Affaires Etrangères, Hans Dietrich Genscher en octobre 1989. Ce plan vise avant tout à permettre la reconstruction rapide des Etats de l'Est pour qu'ils effectuent la transition de leur économie vers l'économie de marché sur le modèle occidental. L'objectif est double : recréer une zone de paix en Europe de l'Est à travers l'élargissement à l'Europe qui a prouvé la stabilité de sa structure et la réussite de son objectif principal, la paix. En second lieu, la création d'un vaste Hinterland allemand, l'Europe de l'Est étant la zone de prédilection de débouché du marché allemand en Europe. Les Allemands ont donc tout intérêt à faire rentrer ces pays dans la Communauté Economique et Européenne pour supprimer les barrières douanières et écouler leur marchandise en toute liberté. Cependant, cette proposition allemande tient peu compte de la conjonction actuelle et des objectifs de l'Europe. La France cherche depuis 1986 à obtenir une unité politique en Europe qui accompagnera l'unité économique. Or, comment obtenir la première si des pays encore liés au Pacte de Varsovie à l'époque entrent dans la CEE ? Ils n'adhéreraient que très peu au mode de fonctionnement européen Définition de la Commission Européenne. Tiré du site Europa, Eurojargon. BOUCHET Thomas - 2013 1. Construire l'Europe autour de l'axe Paris-Bonn : le réalisme mitterrandien et seraient très peu accoutumés à l'acculturation propre aux institutions européennes, où chaque pays a appris à connaître son interlocuteur grâce à des structures de dialogue. Au 67 mieux, ces « nouveaux » pays seraient « neutres » . Au moment où l'Europe connaît donc un nouveau tournant dans sa construction avec la chute d'un Mur qui créait sa frontière physique et psychologique à l'Est, l'Allemagne pose déjà sur la table des négociations la question de l'élargissement. Cette euphorie est révélatrice de l'engouement qui a suivi la chute du Mur en Allemagne, où tout semblait permis dès lors. Helmut Kohl sème lui aussi le doute en annonçant que « La Communauté européenne doit rester ouverte à une RDA démocratique et à d'autres Etats démocratiques d 'Europe du Centre et du Sud-Est. La CEE 68 ne doit pas s'arrêter à l'Elbe, mais doit maintenir don ouverture vers l'Est. » La France récuse fortement cette idée allemande d'élargissement, car elle est du côté des pro-intégration. Michel Rocard déclarait que « seule une Communauté Européenne forte, cohérente, donc pour le moment limitée à ses membres actuels pourra être la clé 69 de voûte de la future architecture européenne » . Il reflète ici la position de la France en la matière, qui n'accepte pas un élargissement aussi rapide à des pays où la présence 70 de soldats russes est encore avérée . La France demeure dans une ligne diplomatique de patience et de mesure : malgré l'effervescence du moment, la France refuse de céder à cet engouement qui mettrait en danger la construction européenne, et le consensus est fait en France, seul l'ancien président Valery Giscard d'Estaing se prononçant pour une « communauté de destin » avec les pays de l'Est. La position française a fait assez rapidement fléchir celle de l'Allemagne, H. Kohl rassurant son partenaire quand il se prononce de nouveau en faveur du renforcement institutionnel le 28 novembre puis le 16 février au Forum Economique de Davos où il affirme que la RFA reste engagée dans la réalisation d'une Union Politique et elle continuait de souhaiter un approfondissement de la 71 Communauté . C'est d'ailleurs à cette occasion qu'il reprend la phrase de F. Mitterrand en la détournant, « L'Allemagne est notre patrie, l'Europe est notre avenir ». Ce renversement de la position allemande démontre l'incapacité pour ces deux acteurs européens, la France et l'Allemagne, de se trouver sur une ligne divergente, car de leur accord dépend la construction européenne. Le recul allemand est aussi dû au fait que la France a appuyé la réunification, à travers l'élaboration du traité 2+4 et à travers son accord rapide pour que celle-ci se fasse. En retour, le chancelier Kohl a tempéré les tentations allemandes vers l'Est qui formaient une menace pour l'Union Politique Européenne. 1.3.2 La guerre des Balkans : un besoin nécessaire d'accélérer l'intégration Intégrer ces pays n'aurait que très peu de sens : en grand retard économiquement, cela n'apporterait rien sur ce plan à une Europe qui est déjà une très grande puissance économique et commerciale mondiale. Il ne ferait que modérer cette puissance et à diluer les richesses en Europe. De même, ces pays de l'Est n'ont pas leur place dans la logique d'intégration de Maastricht, où les Etats membres, la France en tête, cherchent à créer des 67 68 69 70 71 F. Schlosser, « Quand l'Allemagne s'éveillera », Le Nouvel Observateur, 2 novembre 1990. Fritsch-Bournazel, Renata, L'Allemagne unie dans la nouvelle Europe, Complexe, Bruxelles, 1991, p 29. « Les défis du socialisme démocratique », motion présentée par michel Rocard, Le Point et la Rose, janvier 1990, p.69. Il reste quatre cents mille soldats soviétiques en 1989 en Europe. H. Védrine, op.cit. H.Kohl, « Europe. Every German future », Europan Affairs, 1er trimestre 1990. BOUCHET Thomas - 2013 27 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne seuils en matière d'économie pour adopter une politique économique commune, seuils que ces pays ne peuvent en aucun respecter à ce moment-là de leur transition. Cette intégration n'aurait en revanche qu'une signification purement politique : l'Europe serait là pour secourir des pays qu'on ne peut laisser au bord de la route et dont il faut par conséquent s'occuper pour ne pas laisser encourager des tentations nationalistes. L'exemple yougoslave est flagrant en la matière. Les prémisses de ce conflit sont visibles pour la diplomatie française 72 dès 1989 et ils inquiètent au plus haut point F. Mitterrand qui voit là une résurgence du passé des guerres balkaniques, une des origines de la Première Guerre mondiale. Ce « malaise yougoslave » va très vite se traduire par un accord franco-allemand sur l'intégration. Ce qui se passe dans les Balkans crée la conscience commune d'un besoin urgent d'accélérer l'intégration. Avec la victoire du parti nationaliste mené par Tudjam en 73 Croatie et de Milosevic en Serbie, l'Europe est poussée à encourager l'approfondissement. La question des nationalités se fait encore plus pressante aux portes mêmes de l'Europe, et c'est afin d'éviter la contagion aux régions voisines, géographiquement dans la CEE, que l'approfondissement est jugé unanimement comme nécessaire. La question yougoslave a joué le rôle de catalyseur vers Maastricht, mais elle a aussi joué a posteriori comme élément de division majeur. En effet, la France fut accusée d'avoir permis l'éclosion d'une « Grande Serbie » qui contiendrait les intentions économiques et commerciales allemandes vers l'Est. L'objectif serait de soutenir une puissance n'appartenant pas à la CEE, et qui donc n'aurait pas droit de parole dans l'organisation, qui ferait barrage à l'Allemagne réunifiée et la restreindrait à l'Europe. Juan Goytisolo accuse F. Mitterrand d'avoir notamment prolongé indéfiniment le siège de Sarajevo, tout en n'exprimant aucune compassion à l'égard du génocide de cent vingt mille Musulmans dans la ville. « Pour Mitterrand, (comme pour John Major), les nouvelles républiques slovène et croate, par leur passé austro-hongrois et leur situation géographique, étaient fatalement vouées à tomberdanslasphère d’influence de l’Allemagne.Seuleune Serbie forte pourrait freinerl’expansionnisme allemand tant redouté. Il fallait donc soutenir Milosevic et son projet de Grande Serbie, au prix du sacrifice 74 de la Bosnie. » . Cette approche ne correspond pas du tout à la vision d'un président souhaitant en finir avec les génocides et les guerres civiles, ethniques et religieuses en Europe. Néanmoins, que le raisonnement soit juste ou faux, elle souligne la peur française d'une nouvelle Allemagne qui s’accaparerait les richesses de l'Est aux dépens de la France, reléguant cette dernière au deuxième rang en Europe. D'ailleurs, les Serbes ne s'y trompent pas : « Pour les Serbes, la France est le pays qui, au sein de la CEE, saura tempérer ses partenaires qui penchent pour le principe d'autodétermination. Et pour l'instant, Paris, 75 disent-ils, ne les a pas déçus » . Ce conflit met en lumière l'absence de politique extérieure commune. Alors que l'Allemagne veut reconnaître très rapidement l'indépendance de la Slovénie et la Croatie, la France le refuse, toujours par souci de prendre du temps pour réfléchir. Hans Dietricht Genscher déclare en décembre 1991 « refuser de reconnaître ces républiques conduira à une nouvelle escalade de l'usage de la force par l'armée fédérale (yougoslave) qui 76 interprétait cela comme une approbation de la politique de conquête » . La France, par 72 73 Entretiens avec Michel Rocard. Respectivement élus le 6 mai 1990 et en janvier 1990. 74 75 76 28 Article de Juan Goytisolo, El Pais, 5 novembre 2009, op.cit. Jean-Claude Guillebaud, « On pouvait arrêter les Serbes », Le Monde, 6-7 octobre 1991. Yves-Brossard, Jonathan Vidal, L'éclatement de la Yougoslavie de Tito, Presse Université Laval, 2011. BOUCHET Thomas - 2013 1. Construire l'Europe autour de l'axe Paris-Bonn : le réalisme mitterrandien la voix de F. Mitterrand, refuse une reconnaissance rapide, dans la même mesure qu'elle était réticente à une réunification allemande rapide, car elle estime que l'examen du droit international et des frontières prime sur la déclaration de reconnaissance. Cependant, la France n'est pas seule pour autant face à l'Allemagne dans la gestion de la crise yougoslave. La position délicate des Etats-Unis ou de la Russie par exemple démontre la difficulté que les puissances ont pour se ranger dans un camp. Cette différence fondamentale dans l'ordre des priorités démontre le caractère prudent de la diplomatie française, qui cherche à prévenir tout problème futur face à la vélocité allemande qui veut accélérer sans cesse la prise de décision. Cette crise traduit les limites actuelles de l'intégration, la politique étrangère commune européenne étant inefficace. La France, la Grande-Bretagne, l'Irlande, l'Espagne et le Luxembourg veulent lors de Maastricht un sursis de décision jusqu'au 15 janvier 1992, le temps que la Commission d'arbitrage émettent son avis sur la question de l''indépendance. Face à eux, l'Allemagne, le Danemark et la Belgique sont pour une reconnaissance rapide. Cette opposition entre deux blocs, qui transcendent la simple opposition franco-allemande, fait preuve d'une profonde division européenne quant à ce que doivent être l'intégration européenne et ses limites. Plus loin encore que le problème yougoslave, la question des pays de l'Est frappant à la porte de la CEE va réactiver très rapidement ce dilemme entre intégration et élargissement, notamment pour la diplomatie française. C'est la France, par l'intermédiaire de François Mitterrand, qui va porter le Projet de Communauté Européenne, le 31 décembre 1989, pour tenter de résoudre de problème. La cohérence de ce projet dans la logique européenne précédente révèle quelle est la position de la France quant à ce que doit être l'intégration européenne, ses domaines de compétences, et quant au nouveau rôle qu'elle attribue à l'URSS et aux pays de l'Est. BOUCHET Thomas - 2013 29 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne 2. Construire une Europe à douze : Mitterrand et la France comme les chantres de l'intégration 2.1. Le Projet de Confédération Européenne : mise en lumière de l'idée européenne 2.1.1 Un projet français En 1989, la chute du Mur eut un retentissement gigantesque dans le monde soviétique. Cet événement eut non seulement un impact sur l'Allemagne, dont la route vers la réunification était désormais ouverte, mais aussi pour les pays de l'Europe de l'Est dont l'horizon se dessinait déjà comme européen et non plus soviétique. Ces pays, la Pologne, la République Tchèque et la Hongrie en tête prennent alors cette occasion pour aspirer à être membre de la Communauté Economique Européenne, y voyant là l'organisation idéale par ses valeurs et sa puissance actuelle pour effectuer leurs transitions démocratiques et économiques. Ces « bonnes » intentions sont donc directement liées à la question européenne de l'élargissement : doit-on accorder les mêmes droits et devoirs à ces pays dont les systèmes économiques et politiques sont très différents de ceux de l'Europe de l'Ouest et que cinquante années de communisme et de rideau de fer ont complètement coupés de leurs voisins occidentaux ? Ici se pose le premier problème de leur adhésion à l'Europe, celui de l'attitude générale de l'Europe face à ces nouveaux arrivants. Le second problème réside dans la position des différents Etats, la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne particulièrement face à ces prétentions. La France, au centre de mon sujet, a adopté un comportement très particulier, motivé d'une part par sa crainte du ralentissement du processus d'intégration et d'autre part par la peur d'offrir un nouvel atout à l'Allemagne via cet élargissement. Les pays de l'Est ont très vite revendiqué leur appartenance à l'Europe et à ses valeurs. L'aspiration à la démocratie, à l'Etat de droit et à une ouverture des marchés via une économie de marché et non plus planifiée, c'est-à-dire ce qu'incarnait à leurs yeux le mieux la CEE, faisait partie de leurs revendications. Que ce soient les élites ou les populations, l'intégration à la CEE était une nécessité. Par exemple, 90% des Tchécoslovaques se disaient favorables à l'intégration à l'organisation à partir de sondages faits dès l'automne 1989. 30 BOUCHET Thomas - 2013 2. Construire une Europe à douze : Mitterrand et la France comme les chantres de l'intégration Table/Tableau 10 : CZECHOSLOVAKIA SURVEY - JOIYIWG THE EC / Enquête Tchécoslovaquie - (in X / en X ) QUESTION : If Czechoslovakia were to join the European Community in the future, would you feel strongly in favour, somewhat in favour, somewhat opposed or strongly opposed ? / Si la Tchécoslovaquie devait adhérer à la Communauté européenne, y 77 seriez-vous très favorable, assez favorable, plutôt opposé ou très opposé ? 78 Havel parle d'un « retour à l'Europe » dès la chute du Mur, signifiant par là l'adhésion à la CEE et non la création d'un nouvel espace européen qui existerait en parallèle à la CEE. Ici réside la question principale pour ces nouveaux peuples, ce que ne manque pas de souligner le dirigeant tchèque dans chacun de ses discours comme devant le Sénat polonais en janvier 1990 ou devant l'Assemblée de Strasbourg en mai 1990. Les pays de l'Est souhaitent adopter les valeurs occidentales tout en apportant les leurs, une acculturation qui ne peut fonctionner que s'ils sont complètement intégrés en Europe. Il n'est pas question pour eux d'être mis de côté, car après la chute du Mur et l'éclatement de l'URSS déjà perceptible, ils sont en quête de repères nécessaires à leurs transitions. Tadeusz Mazowiecki, premier ministre polonais déclarait le 30 janvier 1990 à propos de sa 79 patrie qu'elle a été « arrachée de sa souche il y a près d'un demi-siècle » L'adhésion à la CEE est vue comme une condition sine qua non de la restauration d'une certaine prospérité économique. La participation à la construction européenne est vue comme un gage du tournant irréversible qu'ils souhaitent commencer. D'ailleurs, ils reprennent les mots de R. Schuman dans leurs revendications, disant que « Nous devons faire l’Europe non seulement dans l’intérêt des peuples libres, mais pour pouvoir y recueillir les peuples de l’Est qui, délivrés des sujétions qu’ils ont subies jusqu’à présent, nous demanderaient leur 80 adhésion et notre appui moral » . Ils réutilisent à leur compte une déclaration du fondateur même de l'Europe, y voyant un moyen pour eux de légitimer leurs demandes. Alors que cette « sujétion » est sur le point de se terminer, quand bien même l'URSS demeure en cette fin d'année 1989, ces Etats de l'Est veulent être « recueillis ». 77 78 79 Rapport de la Commission Européenne Eurobaromètre n°33, « L'opinion publique dans la Communauté Européenne », p. 31. V. Havel, L'angoisse de la liberté, Editions de l'Aube, Paris, 1998,p.111. Denis Huber, Decade which made History : The council of Europe 1989-1999, Editions du Conseil de l'Europe, Strasbourg, 1999, p.34. 80 Citation de Robert Schuman du début des années 50 publiée dans France-Forum, novembre 1963, n°52. BOUCHET Thomas - 2013 31 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne 2.1.2. La « bataille » pour l'Europe des pays de l'Est. C'est donc un « cri du coeur » lancé par ces pays qui vont engager une « bataille » pour l'Europe, expression utilisée par Havel lui-même. Or, si ces pays sont très prompts à vouloir intégrer la CEE, les pays membres de l'organisation ne partagent pas le même enthousiasme. Les membres de la CEE sont très prudents quant aux pays qui étaient d'anciens satellites de l'Union Soviétique, des membres du bloc opposé. Havel écrivait : les pays occidentaux « avaient peur. Ils avaient l'impression qu'ils ne nous avaient pas encore assez bien perçus. Ils ne comprenaient pas comment il se pouvait que des peuples entiers souhaitent le contraire, leur-semblait-il de ce qu'ils souhaitaient il y a peu de temps 81 encore. » La position de la France et de François Mitterrand en particulier est révélatrice de la logique et de l'idée européennes d'alors. Il s'agit pour la France de ne pas remettre en cause le nouvel essor de l'intégration européenne lancée dès 1985 avec la signature de 82 la convention de Schengen , instaurant une libre circulation des hommes dans les pays membres, et continuée avec l'Acte Unique Européen un an plus tard. Les revendications de ces pays de l'Est menacent les avancées faites dès lors car un élargissement aussi rapide remettrait totalement en cause d'une part le budget européen, sujet jusque-là à de très nombreuses controverses, et d'autre part les institutions européennes non adaptées à une entrée massive de pays. C'est dans cette logique que François Mitterrand lance son projet le 31 décembre 1989 de Confédération Européenne. Ce projet est à la fois simple et complexe dans le sens où il offre une solution alternative aux pays de l'Est tout en incluant des paramètres difficilement acceptables pour de nombreux pays, les Etats-Unis en tête. En effet, ce projet, mitterrandien avant d'être Français tant ses conseillers proches n'étaient même pas au courant de sa 83 divulgation le soir du 31 décembre , prévoyait de créer un nouvel espace économique européen adjacent à la CEE et dans lequel se retrouveraient les pays de l'Est encore sous domination soviétique et Fédération de Russie, et, élément crucial, sans les Etats-Unis qui étaient jusqu'alors, les garants de la sécurité de l'Europe dans la région. De plus, cette création d'un nouvel espace européen s'accompagnerait d'un soutien financier de la CEE vers ces pays en reconversion, soutien assuré par la Banque Européenne de Recherche et Développement, qui est aussi un projet proposé par François Mitterrand devant le Conseil de l'Europe le 25 octobre 1989. Ce projet est nécessaire pour le renforcement de l'Europe. Il s'agit alors selon la France de refuser l'intégration de ces pays à l'Europe tout en se proposant de les aider dans leurs transitions à travers ce « souci d'encadrer les événements 84 pour mieux les gérer » . Il n'y a donc ni rejet total de cette demande, ni réalisation pour autant des vœux des dirigeants de l'Est. Il s'agit de créer une situation transitoire dans cette région pour mener à bien l'intégration à l'Ouest et le traité de Maastricht tout en améliorant les conditions de vie et le niveau démocratique de ces pays pour les « préparer » à une éventuelle adhésion future. 81 82 V. Havel, A vrai dire, Editions de l'Aube, Paris, 2007, p. 371. Signée le 14 juin 1985. 83 « Il est juste dans le cas de la Confédération européenne, de parler de projet mitterrandien: c'est seul que le chef de l'Etat a mûri cette idée ; c'est seul qu'il a pris la décision de l'annoncer. A ma connaissance, il n'avait, à l'époque, consulté aucun de ses proches collaborateurs, pas plus que son ministre des Affaires Etrangères » Roland Dumas, « Un projet mort-né, la Confédération européenne », Politique Etrangère, n°3-2001-66e année p.689. 84 32 H. Védrine, op.cit, p 446. BOUCHET Thomas - 2013 2. Construire une Europe à douze : Mitterrand et la France comme les chantres de l'intégration Ce projet s'inscrit donc dans la logique mitterrandienne de refuser tout changement brutal qui serait trop vite concrétisé. On observe ici le même phénomène déjà vu lors de la chute du Mur de Berlin où F. Mitterrand ne voulait pas parler si tôt d'une idée de réunification alors que le Mur était à peine tombé. Ce qui était considéré pour du mépris ou du refus d'évolution n'était qu'une méfiance pour les changements radicaux et brusques, pouvant mettre à mal le projet européen. Il en va de même ici pour la question de l'élargissement à l'Est où les pays effectuant leurs révolutions (le projet de Confédération Européenne est proposé au moment où les révolutions à l'Est battent son plein) réclament un élargissement alors que l'URSS subsiste encore. Pourtant, on ne peut accuser F. Mitterrand de rejet ou de méconnaissance de ces pays, le nombre élevé de ses visites en ces lieux démontre l'intérêt porté par le président français à leur égard. Plusieurs éléments poussent F. Mitterrand et les élites politique françaises à refuser ces adhésions et à proposer cette alternative que constitue la Confédération. Tout d'abord, le problème financier. Il paraît inconcevable pour la France que des économies aussi faibles que celles de la Hongrie ou de la Roumanie puissent être intégrées aux côtés de celle de la France. Le différentiel entre les deux puissances économiques est non seulement trop 85 important , mais ces deux économies sont construites très différemment. La France est une grande puissance agricole là où la Roumanie ne l'est plus, affaiblie par cinq années de politique communiste insistant sur l'industrie lourde aux détriment de l'agriculture. Si l'élargissement se faisait immédiatement et dans la précipitation, c'est un grand danger que l'on ferait courir à l'unité politique européenne. En effet, on aurait crée une Europe à deux vitesses sans perspectives politiques tant les problèmes économiques auraient été persistants. Or, la France est contre une « Europe à deux vitesses », nuisible à l'idée d'unité et d'harmonie qu'elle se fait de l'Europe. Effectuer cet élargissement aurait alors conduit à un déficit de projet politique en Europe, ce que refuse totalement la France et qui est en accord avec les attentes anglaises. Roland Dumas disait « qu' il ne s'agissait pas d'échanger une tranquillité insupportable-celle de la domination communiste- contre une dangereuse 86 incertitude, celle d'une Europe sans projet. » En effet, faire la promesse d'un élargissement à l'Est aurait crée cette « dangereuse incertitude » d'une Europe dénuée de projet politique et contrainte de vivre sur ces deux vitesses, le moteur franco-allemand à l'Ouest et la lente reconversion à l'Est. La situation économique de ces pays est donc trop radicalement différente pour pouvoir les intégrer. Peu de temps avant, les pays de la CEE ont mis en place le Système Monétaire Européen en 1979, où chaque Etat doit obligatoirement faire fluctuer sa monnaie nationale autour d'une valeur stable, l'European Currency Unit (ECU) et ne pas dépasser un seuil de 2,25% quant à la parité bilatérale avec une autre monnaie. Ces conditions strictes, créées dans le cadre futur d'une convergence monétaire, sont au cœur de l'intégration et sont donc à remplir pour vouloir faire partie de l'Europe. 2.1.3. Une situation économique incompatible avec la situation de la CEE. Or, au vu de la situation économique des pays de l'Est, il est impensable qu'ils puissent les vérifier. En effet, l'inévitable crise de reconversion suivant un changement aussi radical d'économie entraîne une très puissante inflation qui modifie largement le cours des monnaies. D'ailleurs, François Mitterrand ne s'y trompe pas le jour de son allocution 85 86 Le PIB de la Roumanie en 1989 est de 57 milliards de dollars alors que celui de la France atteint 1007 milliards de dollars. Roland Dumas, op.cit, p.693. BOUCHET Thomas - 2013 33 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne en annonçant que c'est une confédération « dans laquelle se côtoieraient, à égalité de droits et devoirs, les membres de la Communauté Européenne et tous les pays d'Europe centrale et orientale qui aspirent à y entrer, qui y ont droit en tant que nouvelles démocraties européennes, mais qui ne seront pas en mesure de concrétiser ce droit avant des années 87 pour d'évidentes raisons économiques et financières » . Certes, l'élargissement apporterait beaucoup pour ces pays, notamment parce que « l 'augmentation rapide du volume des échanges commerciaux est synonyme d'opportunités importantes pour les sociétés en terme d'investissements, d'emplois et de 88 croissance pour l'Europe de l'Est. » . C'est donc une opportunité unique pour ces pays de relancer leur économie. Or, il n'en va pas de même pour l'Europe qui y voit plutôt un danger, le rapport de la Commission indiquant qu'« un élargissement mal géré aurait des conséquences presque tout aussi dramatique. Si l'UE n'avance pas dans son plan de réforme et ne propose pas davantage de nouvelles mesures appropriées visant à répondre aux exigences de l'élargissement, elle risque de rater, peut-être pour toujours, sa chance de créer une l'Europe plus forte et plus sûre, dans l'intérêt de ses citoyens, de ses voisins 89 et du monde.» . Le tableau suivant résume la situation des pays de l'Est en 1990 : Tableau sur le taux de croissance annuel du PIB des pays de l'Est Bulgarie Rép. tchèque EstonieHongrie Lettonie -9,1 -1,2 -7,1 -3,5 -1,2 -8,4 -11,6 -8 -11,9 -10,4 -7,3 -0,5 -21,2 -3,1 -34,9 -12,1 0,1 -8,2 -0,6 -14,9 1990 1991 1992 1993 Lituanie 9,5 -5,7 -21,3 -16,2 90 Pologne Roumanie SlovaquieSlovénie -4,9 -5,7 -2,7 -8,9 -5,5 -12,9 -14,6 -5,4 3,1 -8,8 -6,7 2,8 4,3 1,5 -3,7 5,3 On constate assez largement la très grave crise économique que traversent tous ces pays de l'Est. Elle est due premièrement à la reconversion massive d'industries lourdes vers l'agriculture, ou vers les services, ce qui cause une chute de la productivité. Ces chutes massives de PIB arrivent au moment même où les demandes d'adhésion se font. Il paraît alors inconcevable pour le pays de V. Havel qui perd 11 points de PIB en 1991 (par rapport à 1990) de vouloir s'inscrire dans la dynamique européenne. De même, la Hongrie qui dépose sa demande le 16 janvier 1991 perd 12 points de PIB. Des initiatives peuvent être prises en faveur d'un rapprochement vers l'Ouest, comme la volonté d'adhésion à l'Agence Européenne pour l'Environnement, organisme créé en 1990, ce qui montre un engouement pour les valeurs occidentales (l'environnement en faisant partie au même titre que l'Etat de droit). L'exemple de l'environnement est pertinent dans le sens où aucune norme européenne n'était respectée au-delà de l'Allemagne que ce soient les normes alimentaires ou celles concernant la pollution de l'air et de l'eau. Il est donc impératif de répondre à toutes ces questions pour espérer pouvoir intégrer l'Europe, ce qui sera fait lors 91 de leur ratification du protocole de Kyoto en 1995 . 87 Discours des vœux aux Français du 31 décembre 1989 de François Mitterrand. 88 89 90 91 Elargissement de l'Europe : Résultats et défis. Rapport de Wim Kok à la Commission Européenne, p.9 Rapport de Wim Kok, op.cit, p.11. Source Banque Mondiale FMI. Les anciens gros groupes industriels soviétiques ne se souciaient que peu des normes européennes. Rapport Wim Kok op.cit. p.59. 34 BOUCHET Thomas - 2013 2. Construire une Europe à douze : Mitterrand et la France comme les chantres de l'intégration De plus, l'arrivée de ces pays alourdirait considérablement le budget européen et nuirait à des politiques communautaires comme la Politique Agricole Commune. Des pays comme la Roumanie à l'agriculture ravagée par le communisme seraient incapables d'apporter une contribution nette au budget tout en ayant besoin d'une forte subvention. Des pays comme la France, bénéficiaires de cette politique, auraient alors leurs subventions réduites. De plus, la question de l'environnement précédemment abordée et la remise aux normes auraient 92 un coût estimé entre 80 et 110 milliards d'euros pour l'ensemble des Etats membres . C'est donc un coût très lourd à supporter pour la Communauté Européenne Economique, d'autant plus que des pays comme la Grande-Bretagne, déjà exemptés du paiement de la PAC grâce à leur rabais obtenu en 1980, refuseraient de payer. Comment procéder à un élargissement à des pays dont la production industrielle a chuté de 25 à 50% pour les pays baltes, de 13 à 25% pour les pays d'Europe centrale ? Les gains économiques pour la CEE seraient très limités à court terme et pas assurés à long terme. C'est pourquoi F. Mitterrand disait le 9 avril 1991 à Lech Walesa que l'entrée 93 de son pays ne pouvait se faire avant « des dizaines et des dizaines d'années » , car l'économie de ce pays ne lui permettait pas cette prétention. Le PIB moyen des pays d'Europe centrale étant en moyenne de 50% inférieur à ceux des membres de la CEE, il aurait été beaucoup trop dangereux aux yeux de la France et de F. Mitterrand d'accorder cet élargissement, ou du moins, de lancer les négociations. Le choix de la Confédération Européenne permettait de ne pas forcer les pays de l'Ouest déjà membres à être ralentis par la faiblesse des économies des pays de l'Est, et ainsi, les pays de l'Est pourraient surmonter plus sereinement leur crise de reconversion. Pour que ce projet soit effectif, la France a accepté le lancement du projet PHARE (Pologne Hongrie Aide à la Reconstruction Economique), adopté le 18 décembre 1989, soit treize jours avant l'annonce du projet de Confédération Européenne. C'est donc un préalable nécessaire pour F. Mitterrand à la cohésion et la logique du projet qu'il présente, car il est inconcevable d'annoncer un projet d'espace économique (mais non pas uniquement) à des pays livrés à eux-mêmes et bien faibles économiquement. D'autre part, elle a mis en place la BERD qui permet le financement de la reconversion des économies et administrations à l'Est. Le mandat de la BERD se limite aux pays « qui s’engagent à respecter et mettent en pratique les principes de la démocratie pluraliste, du pluralisme et de l’économie de marché, à favoriser la transition de leurs économies vers des économies de marché, et d’y 94 promouvoir l’initiative privée et l’esprit d’entreprise » , c'est-à-dire qu'elle oblige en quelque sorte les pays bénéficiaires à effectuer leurs transitions vers le modèle occidental. C'est à la fois un moyen d'aider ces pays et de les diriger vers la norme occidentale de façon plus ou moins forcée. Ainsi, le coût de l'élargissement serait beaucoup trop élevé pour ces pays de l'Est qui ne pourraient supporter le choc. F. Mitterrand déclarait que l'élargissement serait la « ruine immédiate» pour ces pays, leur économie n'étant pas capable de résister « aux disciplines sévères qui régissent la Communauté » ou « la dissolution de la Communauté 95 dans une vaste zone de libre-échange, sans force ni idéal » . Or, c'est précisément ce que souhaitaient éviter F. Mitterrand à travers ce projet, la création d'un simple espace économique qui n'aurait pas cette puissance culturelle toujours exigée par le président français. L'Europe, quand bien même serait-elle définie dans deux espaces différents, se 92 93 94 95 Rapport Wim Kok op.cit, p 59. 9 avril 1991, rencontres entre François Mitterrand et Lech Walesa à Paris. Site officiel de la European Bank for Research and Development. Entretien accordé par F. Mitterrand, « Toujours plus d'Europe », L'Expansion, 17/30 ; octobre 1991, n°414, p.24 BOUCHET Thomas - 2013 35 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne devait d'être toujours inscrite dans le cadre culturel. « Homme de littérature et d'histoire, François Mitterrand voyait dans l'Europe une culture. Une culture, finalement une idée, et 96 non un simple espace économique » . Il faut toujours intégrer cette dimension culturelle dans l'idée européenne de la France à l'époque, car la construction européenne est un mélange d'intégration politique, économique mais aussi culturelle. 2.1.4. Comment interpréter ce projet ? Il faut appréhender alors ce projet non pas comme un refus mais comme une mise en attente. F. Mitterrand espérait que ces pays réapprennent à vivre ensemble, à reconstruire des liens régionaux et à redévelopper leurs économies autour d'un pôle stable à l'Est, avec 97 le soutien de la Russie. Il ne fermait pas la porte à une intégration future mais il l'a laissé entrouverte. Ce « purgatoire » était nécessaire à son sens pour le bon développement de l'intégration européenne, quand bien même il entendait l'appel venu de l'Est. D'ailleurs, F. Mitterrand inverse totalement le raisonnement courant. Pour lui, c'est grâce à une Europe plus forte, plus intégrée que les pays de l'Est pourront plus facilement se relever et se développer, contrairement à l'idée commune voulant que c'est à travers l'attachement préalable de ces pays à la CEE que l'organisation se renforcera. Il inverse ainsi le lien logique. Il résume ceci dans un célèbre discours : « C'est l'accélération, c'est le renforcement de la construction communautaire de l'Europe qui contribuera de façon éminente à une évolution positive de l'Est. Non seulement nous nous doterons de moyens supérieurs, notre Communauté passera d'un stade à un stade supérieur, mais encore elle 98 exercera une attraction plus forte sur le reste de l'Europe » . C'est donc logiquement que le choix de l'intégration s'est effectué face à celui de l'élargissement selon la France, car le premier est le préalable de l'autre, et non l'inverse, toutes choses égales par ailleurs. C'est pourquoi cette question de l'élargissement à l'Est à accélérer encore plus le processus d'intégration, conclu en 1992 à Maastricht. Il s'agissait de mettre devant le fait accompli ces pays de l'Est pour leur signifier l'irréversibilité de la situation où l'Ouest se trouvait, et donc l'impossibilité démontrée d'un élargissement à l'Est. Pour F. Mitterrand, il était évident que ce projet ne devait que temporiser l'entrée ces pays et devait favoriser la convergence monétaire et politique des pays de l'Ouest, rassuré par le règlement rapide de la question orientale. Il est aussi important de souligner que c'est la France qui, du côté occidental, a lancé les propositions quant à un règlement de cette question. Ni l'Allemagne, trop préoccupée par la question de la réunification, ni l'Angleterre, trop heureuse de voir l'Europe confrontée à un dilemme politique de taille avec à la fois la chute du Mur et la potentielle ouverture à l'Est, ne se sont portées volontaires pour trouver une solution. La France a donc supporté ce devoir « par défaut » mais aussi par la conviction de son président que c'était du rôle d'une part du membre fondateur, d'autre part du pays qui brillait encore comme étant celui des droits de l'Homme pour l'Est, de trouver un compromis. Il ne faudrait pas y voir ici une forme de mise en avant de la part de la France, qui souhaiterait prendre le devant de la scène face à son nouveau rival allemand. Ce projet n'est pas dû à un pur calcul politique mais il est le fruit des inquiétudes et des ambitions françaises quant à la région d'Europe centrale. Il est certes question pour la France de se replacer dans ce nouveau contexte 96 97 Ce qui sera d'ailleurs déjà en discussion en 1993 lors du sommet de Copenhague. 98 36 R. Dumas, op.cit, p.690. Discours de F. Mitterrand devant le Parlement Européen le 25 octobre 1989. BOUCHET Thomas - 2013 2. Construire une Europe à douze : Mitterrand et la France comme les chantres de l'intégration mondial qu'est l'après-Yalta et le fait de porter à bout de bras ce projet est un bon moyen de se profiler comme un nouveau pôle de décision en Europe face à la nouvelle Allemagne 99 ou la Grande-Bretagne . Or, ce projet n'a pas fait preuve d'une médiatisation nécessaire pour s'inscrire comme tel et il n'a été en aucun cas porteur d'une idéologie qui indiquerait de quelque manière que ce soit que la France cherche à s'affirmer sur la scène internationale à travers ce projet. Il rejoint simplement la logique française menée depuis 1981, c'està-dire celle d'un nouvel idéal européen. Jean Musitelli qualifie ce projet de voie médiane entre un rejet de l'élargissement à l'Est dû à une intégration trop poussé et une réponse à 100 un désir démocratique de ces pays . D'ailleurs, un projet porteur de cet idéal de culture européenne et de paix est aussi nécessaire à François Mitterrand dans la politique intérieure 101 où les Français sont désenchantés du tournant libéral opéré en 1983 par le gouvernement Mauroy, qui n' à opéré le changement attendu. Ce projet est donc à l'image d'un nouvel idéal européen, un second souffle que la gauche en France espère donner à son image de parti progressiste et ouvert. Cependant, il existe aussi d'autres raisons plus implicites pour que ce projet ait été lancé aussi rapidement par la France, en décembre 1990, après la chute du Mur. 2.1.5. Un projet tourné vers l'Allemagne ? En effet, ce projet avait plus ou moins l'Allemagne en ligne de mire. Cette nouvelle et immense entité en Europe effrayait les élites politiques et les milieux intellectuels français et britanniques, et il semblait nécessaire de ne pas servir sur un plateau les nouveaux pays de l'Est à l'Allemagne. La nouvelle Allemagne profiterait en effet beaucoup de cet élargissement tant sur le plan économique que politique, ou même de cette libération de ces nouveaux pays de leur tutelle soviétique. En effet, le concept de MittelEuropa, connoté plutôt négativement aujourd'hui parce que ce concept inclut aussi l'idée de conquête, refait surface lorsqu'il s'agit des craintes françaises quant à la gestion de ce nouvel espace. Alors même que l'Allemagne est sur le point en 1991 de redevenir une entité politique unie et forte, les pays de l'Est, historiquement tournés vers l'Allemagne et qui sont la « chasse gardée » de cette dernière, cherche un nouveau protecteur et un nouvel interlocuteur en matière d'économie et de commerce. Quoi de plus normal alors pour eux de se tourner vers le pilier, et le voisin, économique d'alors en Europe, l'Allemagne ? Si cela venait à se réaliser, l'envolée économique de l'Allemagne serait fulgurante tant ces nouveaux pays en 102 quête de libéralisme sont ouverts . L'objectif du Projet de Confédération Européenne est donc de créer en filigrane une zone exclusive à l'Europe de l'Est qui restreindrait l'accès à l'Allemagne, ou du 99 Ce qui rejoint la notion d'un monde apolaire, Bertrand Badie : "Si les sociétés ne jouent par leur rôle de relais face aux institutions ankylosées, l'Europe risque de s'affadir", Le Monde, 15 octobre 2010. 100 Jean Musitelli, « François Mitterrand, architecte de la grande Europe : le projet de confédération européenne (1990-1991), Revue Stratégique et internationale, Armand Colin, 2011/2, n°82, p. 21 101 La désinflation compétitive. 47% des Français se disent déçus de Mitterrand en 1984 et 43% pensent qu'il ne mène pas une politique de gauche. Archives Larousse : journal de l'Edition 1985, section Sondage, p.1. 102 Pourtant, la France est arrivée au même niveau que l'Allemagne entre 1990 et 2002 quant à leur niveau d'Investissement Direct à l'Etranger dans les PECO. En 2000, elle est même passée première en totalisant 21% des flux totaux. Même si l'Allemagne a beaucoup gagné à l'Est, la France n'est pas en reste. Source : Rapport de Sébastien Dupuch, « Les investissements directs étrangers dans les nouveaux pays adhérents à l'Union Européenne ». BOUCHET Thomas - 2013 37 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne moins, permettrait de limiter considérablement son essor. Avec la création à la fois de cette zone annexe et avec la présence de la Russie, prête à s'écrouler, la France cherchait à obliger l'Allemagne à se tourner vers l'intégration européenne et Maastricht. Si l'Allemagne commençait à se tourner vers l'Est, cela mettrait en péril l'intégration européenne, la prospérité du marché commun et un accord sur la monnaie unique. Ce projet de Confédération Européenne répond à cette préoccupation. Les craintes françaises se portent sur la capacité allemande à redéployer son appareil productif dans ce nouvel espace européen à l'Est et ainsi, réduire ses coûts du travail et profiter de la globalisation pour prendre des parts de marché aux entreprises françaises notamment. Les Allemands ont pu tirer parti des liens culturels et historiques liant les deux zones, et même si la Seconde Guerre mondiale a eu des conséquences désastreuses pour l'image allemande, pour tout le travail de reconstruction de cette image effectué notamment à travers l'Ostpolitik de Willy Brandt ou les discours toujours plus ouverts à l'Est de Kohl, les pays de l'Est ont accepté cette entrée allemande. De plus, avec un niveau de vie aussi faible à l'Est de l'Europe, et surtout en comparaison avec celui de l'Allemagne, les entreprises allemandes peuvent faire considérablement baisser leur coût du travail. Ce phénomène couplé au besoin immédiat d'investissement demandé par ces pays font que l'Allemagne a pu se reconstituer un véritable hinterland économique. La privatisation d'anciennes entreprises alors étatisées sous l'époque communiste et leur prix bradés sont autant de 103 « cadeaux » offerts à l'Allemagne pour le renouveau économique de ces pays . Une intensification des investissements verticaux allemands dans ces PECO a entraîné une hausse massive des gains de productivité et par conséquent, une répercussion en terme de prix dans les produits d'exportation allemand. De plus, historiquement les économies esteuropéennes et allemandes sont complémentaires, les premières fournissant les matières brutes nécessaires à la production de biens finis dans laquelle la seconde est spécialisée. C'est donc une facilitation accrue pour les entreprises allemandes d'acquérir à bas coût des produits nécessaires à leur production. Entre 1990, les Allemands importaient pour un milliard d'euros de biens intermédiaires en provenance des PECO. C'est près de 12 milliards 104 d'euros en 2000 . Tous ces chiffres et ces démonstrations économiques relatifs à la période succédant directement l'annonce du Projet de Communauté Européenne reflètent les craintes réelles au sujet de l'Allemagne en 1990. C'était justement pour éviter ce scénario là que F. Mitterrand a voulu cadenasser l'entrée de ces pays en Europe, ce qui aurait encore plus facilité et légitimé le commerce exclusif entre ces deux pays. Ce n'est pas par germanophobie que F. Mitterrand redoutait ce commerce, mais par crainte qu'une Allemagne s'installant dans cette zone ait une économie beaucoup trop puissante face à celle de la France et par conséquent, qu'elle ait la tentation de la convertir en puissance politique. De même, avec une telle implantation allemande à l'Est, la France n'aurait plus de poids dans les négociations dans cette zone, alors même qu'elle assume un grand rôle de régulateur face à l'URSS. Kohl connaissait le bénéfice qu'il pouvait tirer de l'intégration à l'Est. C'est pourquoi il ne remettait pas en cause l'idée d'élargissement alors même que F. Mitterrand proposait un projet allant dans l'autre sens. Il concédait le caractère difficile qu'elle comportait mais il refusait en même temps à demi-mot ce projet de Confédération. Ce n'était pas ce que l'Allemagne souhaitait, au vu de ses préoccupations et intérêts premiers. Le renforcement 103 Maxime Weigert, Hassan Benabderrazik, « L'industrie allemande dans les PECO : une intégration fondée sur la proximité, la complémentarité et la solidarité », IPEMED n°2 mars 2011, p.5. 104 38 Même rapport de M. Weigert et H. Benabderrazik., p.7. BOUCHET Thomas - 2013 2. Construire une Europe à douze : Mitterrand et la France comme les chantres de l'intégration de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération Européenne était prioritaire face à la question de l'élargissement, même si cette idée ne le révulsait pas forcément. Ce projet fut « mort-né » selon R. Dumas ; il a été « victime d'une trop grande 105 précocité » . En effet, les Assises de Prague du 13 juin 1991 mirent un terme à l'aventure mitterrandienne en la matière. Le refus massif des pays de l'Est de se retrouver cantonnés dans un « purgatoire » qui serait une nouvelle prison en Europe a détruit le peu de fondations qui soutenaient ce projet. Vaclav Havel déclarait à ce moment que « Ces Assises ne prétendaient pas à des attributions quelconques » et qu'il « pouvait difficilement imaginer ce projet sans le concours des Etats-Unis et du Canada ». La dimension européano-centrée de ce projet, nécessaire à une libération de ce pays selon F. Mitterrand, a considérablement 106 nui à son exécution, car il a soulevé très rapidement le refus américain de son application . Associer ces pays à la Russie, récent « tortionnaire », et leur refuser la protection directe des Etats-Unis en était trop pour qu'ils puissent l'accepter. C'est pourquoi Védrine parle d'un projet « lancé trop tôt ». La présence soviétique était encore très récente et le leader mondial, les Etats-Unis, qui étaient prêts à se porter garant de la sécurité et l'indépendance de ces pays à travers l'OTAN, était exclu. Cependant, il paraîtrait encore inimaginable qu'un projet d'une telle substance soit proposé aujourd'hui au vu des relations entre la Russie et ses anciens satellites. C'est pourquoi ce projet « rejoignit le cimetière des grandes initiatives 107 sans lendemain » . Malgré tout, il eut des effets négatifs sur l'idée que l'Europe de l'Est se faisait désormais de la France. Ces pays considéraient alors la France comme un adversaire à l'élargissement, à juste titre, en 1990, et ne pouvaient que se retourner vers le voisin allemand qui ne s'est pas ouvertement opposé sur le sujet. La phrase prononcée par F. Mitterrand concernant leur entrée dans la CEE, qui ne se ferait pas avant « des dizaines 108 et des dizaines d'années » , eut un impact très négatif sur le modèle français à l'Est. Le pays des Lumières et des Droits de l'Homme fut assimilé à une barrière à l'exportation des valeurs humanistes face à l'oppression. En juillet 1998, le ministre polonais des Affaires Etrangères était méfiant quant à la demande française de réformes politiques préalables 109 à l'élargissement, disant qu'il ne voulait plus d'un « pilotage politique » . L'Allemagne a, elle, récupéré les bénéfices d'une telle « déception », et notamment sur le plan économique. Un exemple concret est celui de l'implantation des usines occidentales en Europe de l'Est au moment où les marchés s'ouvraient complètement. Des entreprises comme Renault se sont retrouvées incapables de concurrencer les entreprises allemandes dans ces pays notamment par le simple fait qu'elles étaient françaises et par la connotation négative qu'elle transportait selon les élites politiques locales. Lorsqu'il s'agit de reprendre l'entreprise Skoda en Tchécoslovaquie, Renault fut dans une position défavorable face aux Allemands et le 16 avril 1991, Volkswagen remporte le marché face à Renault. Il en va de même lorsque 110 F. Mitterrand a déclaré que ces pays étaient « dans un état de délabrement inquiétant » , déclaration qui ne peut en rien favoriser les entreprises françaises à décider d'investir sur place et les gouvernements locaux à accepter les propositions françaises de rachat. C'est pourquoi ces nouveaux Etats ont cédé en grande partie les nouvelles entreprises privatisées aux Allemands en priorité, pour des raisons de communication, de proximité 105 106 107 108 109 110 R. Dumas, op.cit, p.687. Cf infra : La France et les USA : consensus sur la construction européenne ?. R. Dumas, op.cit, p.702. Rencontre du 9 avril entre F. Mitterrand et Lech Walesa. Propos tenu par Bronislaw Geremek en visite à Paris. Le Monde, 14-06-1991. BOUCHET Thomas - 2013 39 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne 111 et de compétitivité . C'est donc tout l'inverse de ce que souhaitaient les élites politiques françaises qui est arrivé : les Allemands ont pu bénéficier de ce nouveau et vaste marché à l'Est et ont encore creusé l'écart économique avec la France à travers une série de délocalisations, d'investissements verticaux et d'IDE que la France a difficilement pu faire. De plus, le deuxième retour de bâton possible de ce projet se calcule en terme d'alliances politiques futures. Dans une Europe amenée à s'élargir dans un horizon à moyenterme, il est important de s'assurer le soutien de ces nouveaux pays dans de nombreux projets phares comme la PAC, et de s'assurer leur vote au Parlement par exemple. Or, avec la démonstration de l'opposition française à leur entrée, et ce malgré avec l'évidence que ces pays ne peuvent rentrer dans l'organisation européenne, ces pays seraient beaucoup moins enclins à donner fidèlement leur voix. Quand bien même les intérêts personnels des 112 nouveaux Etats adhérents primeraient sur les « coalitions de soutien » , il est toujours nécessaire de rassembler un maximum de voix face aux autres grandes puissances britanniques et allemandes sur des sujets sensibles. C'était aussi l'un des objectifs de la Confédération : empêcher la dilution des pouvoirs en Europe et faire en sorte que la voix de la France ait relativement moins d'importance sur le plan comptable. En conservant cette Europe « réduite », le poids de la France demeure massif et ne risque pas de fondre face à celui de l'Allemagne et de ces nouveaux pays de l'Est. On peut en conclure que ce projet était sur le fond totalement cohérent avec la conduite déjà menée depuis 1986, prônant une intégration politique, économique et culturelle accrue et rejetant une idée courte-termiste d'élargissement, mais elle a souffert dans la forme. Les déclarations réalistes, trop réalistes peut-être de François Mitterrand, ont détérioré l'image de la France dans ces pays et les possibilités économiques que l'ouverture de leurs marchés permettaient. Cette conduite cavalière de la diplomatie par François Mitterrand, et le manque de concertation avec son équipe sur le sujet a réduit considérablement les chances de succès du projet. Les Etats-Unis, déjà opposés sur le fond du projet, ont pu profiter de cette faiblesse dans la présentation du projet pour le décrédibiliser. Le deuxième objectif de cette confédération était d'éviter un déchirement ethnique. L'exemple de 1914 résonne encore dans l'esprit des élites françaises comme un démon à exorciser. Or, après ce tel choc qu'est la fin du communisme d'Etat, il est probable que des violences ethniques et communautaires ressurgissent violemment en Europe centrale. Il s'agit alors pour la Confédération « d'être un cadre de négociations diplomatiques amicales à l'intérieur duquel la question des frontières ethniques trouverait une solution. Il s'agissait d'empêcher les antagonismes d'en bas de s'exprimer violemment, et de les régler par 113 le haut, dans des institutions de type fédéral, c'est-à-dire confédérales » . Il faut créer un cadre institutionnel fondé sur le modèle européen pour pouvoir encadrer la remise en marche des économies orientales et empêcher que les crises inévitables de 1990-1991 débouchent sur des conflits ethniques. F. Mitterrand est conscient de la poudrière que constitue cette région d'Europe, en raison de la multitude de minorités y vivant, mais aussi de la pluralité des religions. Le regroupement de minorités au sein de mêmes Etats comme en Yougoslavie a donné historiquement des résultats désastreux ; il s'agit alors de prévenir 111 Florence Deloche, « La France et l'élargissement à l'Est de l'Union Européenne », Les Etudes du CERI, n° 46, octobre 1998, p.8. 112 113 40 Florence Deloche, op.cit, p.7. R. Dumas, op.cit, p.693. BOUCHET Thomas - 2013 2. Construire une Europe à douze : Mitterrand et la France comme les chantres de l'intégration d'éventuels conflits par le cadre institutionnel et européen, car « le nationalisme, c'est la 114 guerre » . Quand bien même ce projet a échoué, il est fondamental pour comprendre l'idée européenne selon la France, et ici plus particulièrement, celle de F. Mitterrand. Il a eu le mérite de mettre en lumière la cohérence d'un projet qui se voulait très polémique, car abordant le sujet délicat du refus d'intégrer des Etats faibles. Même si la BERD a pu mobiliser 115 des fonds dans la zone , la portée symbolique de la mise à l'écart provisoire de ces pays hors d'Europe fut grande. Ce projet met parfaitement en lumière toute la logique de pensée française concernant la construction européenne, car il mêle à la fois le caractère personnelle de la diplomatie française menée par F. Mitterrand, la volonté puissante de mener à bien l'intégration à l'Ouest sans être dérangé par des événements pouvant mettre à mal cette construction, et le souci permanent de ne pas laisser de côté des pays « fragiles » qui pourraient basculer dans des guerres nationalistes. Néanmoins, c'était une nécessité pour F. Mitterrand de privilégier l'intégration monétaire et politique à cet élargissement, et cette nécessité s'est alors traduite par une initiative quant à la gestion du problème. Or, cet échec ne doit pas empêcher l'Europe de traiter du sujet de la politique du voisinage. L'utilisation notamment des institutions européennes permet de privilégier le rapprochement entre l'Europe Centrale et l'Europe des Douze. 2.2. L'intégration économique et monétaire : une question clé qui ferme l'ouverture à l'Est 2.2.1 Le rôle des institutions européennes pour rattraper l'échec du projet français dans le rapprochement manqué avec l'Est Les institutions européennes ont alors du prendre le relais français dans la tentative de conciliation avec les pays de l'Est. L'échec français concernant le Projet de Confédération Européenne est caractéristique de l'extrême difficulté pour un Etat de légitimer une politique d'aussi grande envergure, surtout lorsque l'Etat en question n'est pas les Etats-Unis. La France a souffert d'un manque de soutien dans ce projet et d'un manque de légitimité quant à l'annonce faite par F. Mitterrand. C'est pourquoi les institutions européennes, et en particulier le Conseil de l'Europe, ont tenté de reprendre à leur compte ce travail de conciliation avec l'Est. L'institution européenne a une légitimité supérieure aux yeux de ces pays car les projets qu'elle porte incarnent moins l'intérêt national d'un Etat que le projet français par exemple. Elle est donc moins soupçonnée de vouloir empêcher ces pays de rentrer à terme dans l'Union. Le Conseil de l'Europe, créé en 1949, est l'institution garante des valeurs européennes en matière de droit de l'homme, d'Etat de droit ou de l'esprit humaniste. En 1989, elle est 114 115 Discours de François Mitterrand devant le Parlement Européen le 17 janvier 1995. Les engagements de PHARE dans le secteur des PME en Europe centrale et orientale ont atteint quelque 12,0 milliards d'euros au cours de la période qui s'étend de 1990 à 1998. Source : BERD : aides et financements dans les PECO, Europolitique, 1999. BOUCHET Thomas - 2013 41 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne 116 alors légitime pour incarner « la liberté et le droit à l'échelle du continent » . Le Conseil de l'Europe se sent investi par le rôle de conciliateur lors de cette année zéro qu'est 1989. Il s'agit alors d'accomplir le « deuxième miracle » selon l'expression de P. Pfimlin, c'est à dire réconcilier l'Ouest et l'Est après quarante ans de rideau de fer. Cette institution se trouve légitime dans son rôle intégrateur, car c'est elle qui la première avait recueilli la Grèce (28 novembre 1974) puis le Portugal (22 septembre 1976) et enfin l'Espagne (24 novembre 1977° en son sein après que chacun de ces trois pays se soient débarrassés de leur régimes 117 autoritaires. Le Conseil de l'Europe se conçoit comme l' « antichambre de l'adhésion » , car elle accueille en son sein des pays de l'Est qui ne sont pas membres de la CEE. A travers une série de chartes et de conventions signées avec l'Est, comme par exemple laConvention Culturelle européenne, ouverte le 19 décembre 1954, et qui devient cinquante-cinq ans plus tard une porte d'entrée laissée ouverte aux pays de l'Est pour s'initier aux pratiques et aux valeurs occidentales. En partant du principe d'une « identité culturelle commune » en 118 Europe , le Conseil se fait le trait d'union entre ces deux parties d'Europe. Or, il ne s'arrête pas uniquement au cadre culturel. Le 26 novembre 1987, les « Directives sur les relations du Conseil de l'Europe avec des pays de l'Europe de l'Est » sont ouvertes par le Comité des Ministres. L'objectif est d'améliorer la coopération et le dialogue entre les pays de l'Est et ceux de l'Ouest sur une base beaucoup plus ouverte que le cadre culturel. Cependant, cette fonction dont s'est investie le Conseil de Ministres est bien nouvelle. Avant 1989, les liens qu'il avait tissé avec l'Est étaient fort minces. Seules la Yougoslavie, la Hongrie et la Pologne avaient noué quelques liens avec ce Conseil en mai 1984 lors d'une visite du vice-président du Parlement hongrois Janos Peter à Strasbourg et alors de la rencontre entre le Président polonais Jaruselski et le Secrétaire Général à Varsovie le 10 et 11 mars 1988. Il y a donc eu un choc avec la chute du Mur le 9 novembre 1989, car la barrière psychologique séparant les deux Europe s'est effondrée. D'ailleurs, le 6 octobre 1988, le Secrétaire Général se demande à propos du Conseil de l'Europe s'il « peut développer, sur la base d'une approche réaliste et sélective en des coopérations concrètes 119 avec les pays de l'Est, contribuant ainsi à la création d'un nouveau climat en Europe ? » . Les perspectives avant la chute du Mur de coopération avec l'Est étaient limitées au vu de la situation figée dans laquelle se trouvait l'Europe alors. La chute du l'URSS n'avait été anticipée par personne et il est difficile d'envisager une ouverture franche et concrète à l'Est à travers le Conseil de l'Europe. Cependant, la chute du Mur n'est pas l'élément qui a tout fait basculé comme on pourrait le croire. Dès 1988, les premières réflexions sur le refonte des relations avec l'Est s'effectuent. Ainsi, un débat sur la « Politique générale du Conseil de l'Europe-relations Est-Ouest » est ouvert le 6 octobre 1988 au Conseil. Le rapporteur de ce débat, Catherine Lalumière expose alors les nouveaux principes et méthodes qui fondent les relations avec l'Est. L'indépendance d'action de l'Assemblée parlemntaire est alors mise en avant, sous le prétexte que l'intergouvernementalité permet à l'Assemblée d être « plus libre de ses mouvements que ne le sont nos gouvernements respectifs. Ce qui lui permet des missions exploratoires fort utiles en particulier dans les périodes de mutation, lorsque 116 Denis Huber, Le conseil de l'Europe (1989-1999) : une décennie pou l'histoire, Revue belge de philosophie et d'histoire, 2001, volume 79, p.1. 117 118 119 42 Denis Huber, op.cit, p.8. Colloque « Culture européenne : Identité et diversité » », 8-9 septembre 2005. Denis Huber, op.cit, p.10. BOUCHET Thomas - 2013 2. Construire une Europe à douze : Mitterrand et la France comme les chantres de l'intégration 120 le terrain bouge et lorsque les partenaires changent. » . Cette indépendance, couplée à une « rigueur » consistant à engager des relations si de strictes conditions sont remplies, 121 fait du Conseil de l'Europe une « sorte d'avant-garde pour l'Europe de l'Est » . Le 15 mars 1989, le Conseil de l'Europe émet une liste de recommandations en rapport avec la façon de mener le dialogue à l'Est. On y retrouve l'absolue nécessité d'améliorer ce dialogue. Le Conseil se pose à travers ces recommandations comme la pierre angulaire des nouvelles relations avec l'Est. Par exemple, l'article 22 déclare que « l'Assemblée peut aussi apporter une contribution précieuse, en jouant un rôle pionnier parmi les organisations européennes dans ce domaine, à l'amélioration des relations avec les pays de l'Europe centrale et de l'Europe de l'Est, et que l'institution d'un statut spécial, à définir, pour ces pays contribuera à l'amélioration du climat de coopération en Europe et, enfin, que l'association de l'Assemblée 122 au processus de la CSCE apporterait la dimension démocratique indispensable » . L'objectif est donc d'assurer une relation permanente avec l'Est pour peu à peu effacer le décalage entre Est et Ouest. En effet, « l'Organisation constitue en outre un excellent cadre pour la coopération qui peut être très utile pour éviter l'apparition de décalages dans 123 certains domaines entre les pays de la Communauté et les autres. » . Le but du Conseil de l'Europe est donc d'être un moyen efficace de transition entre le système soviétique et le système occidental en matière économique, politique ou des droits de l'Homme. On rejoint ici un peu l'idée de F. Mitterrand de créer un purgatoire nécessaire à une adhésion future. Dans ce cas là, ce n'est pas une Confédération Européenne qui assurerait ce rôle mais une institution déjà présente en charge de normaliser les standards dans ces pays-là en fonction des normes occidentales. La question des droits de l'Homme, au cœur des préoccupations du Conseil, serait alors déjà plus ou moins réglée en vue d'une adhésion future. 2.2.2 Jacques Delors et les institutions européennes : non à l'élargissement ! Cependant, cette ligne de conduite favorable a un rapprochement avec l'Est n'est pas partagée par toutes les institutions européennes, et en particulier par la Commission 124 Européenne. Cette institution dirigée par le français Jacques Delors , refuse juste après la chute du Mur d'aider les pays de l'Est en faillite économique. Lors de son discours le 26 septembre 1989 devant l'Assemblée Parlementaire, Jacques Delors refuse un « plan Marshall bis » en direction de l'Est, car ce serait la voie vers un grand marché européen aux frontières élargies par rapport à celui déjà existant. Il déclare alors que « nous voulons construire une communauté, non pas un grand marché » ou une zone de libre-échange. Que cela soit bien compris par tous, y compris à l'intérieur de la Communauté ». C'est un avertissement lancé d'une part aux Etats favorables à un rapprochement à l'Est, notamment l'Allemagne de Kohl qui a des prétentions économiques dans la région, et la réaffirmation de la position française en matière d'approfondissement de la construction européenne. En aidant ces pays-là, le risque est de basculer peu à peu vers le ralentissement voire 120 Extrait oral du rapport de Catherine Lalumière devant le Conseil de l'Europe sur le thème « Politique générale du Conseil de l'Europe - relations Est-Ouest ». 121 122 123 124 Extrait rapporté du même rapport de C. Lalumière. Recommandations 1103 (1989) 15 mars, relatives au rôle futur du Conseil de l'Europe dans la construction européenne. Article 7 de ces mêmes recommandations. Nommé par F. Mitterrand, il n'est pas très apprécié de ce dernier, notamment par leur divergence d'opinion sur la construction européenne.. Il eut le mérite d'être très consensuel alors pour se faire élire. BOUCHET Thomas - 2013 43 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne l'abandon de la politique d'intégration menée jusque-là et de faire aboutir des dialogues futurs avec l'Est à une perspective d'élargissement économique, le caractère politique ayant été édulcoré. L'approfondissement est un préalable à l'élargissement, car ce dernier pourrait être fatal à l'Europe au vu de la situation économique des pays de l'Est. C'est pourquoi J-P. Chevènement avait prévenu que « Le Mur est tombé. Un mort. Jacques Delors ». Le dilemme élargissement-intégration est relancé alors, notamment par le Conseil de l'Europe, comme vu précédemment. Les multiples intérêts nationaux d'élargissement à l'Est et la volonté d'exporter les valeurs occidentales ont sérieusement remis en cause l'intégration. A partir du moment où le Mur tombe, il n'y a plus de frontières légitimes à l'Est et la question de l'élargissement est posée. Jacques Delors est fermement opposé à cet élargissement, lui qui appelle même à une réduction du nombre de membres de la CEE, quitte à créer des cercles de membres, le premier comportant les Douze pays actuels et un second comportant des pays « qui bénéficient avec nous des avantages d'un grand espace 125 économique commun à égalité de droits, certes, mais aussi à égalité de devoirs » . La limite maximale serait un dialogue élargi avec l'Est qui n'irait pas plus loin que des rencontres avec des chefs d'Etats comme Vaclav Havel et qui ne pourrait en aucun cas amener à des discussions autour d'un potentiel élargissement. D'ailleurs, lors de son discours devant le Conseil de l'Europe, il avertissait l'Europe à ce sujet : « Mais attention, je le répète : pas de méprise ni de malentendu ! Il ne faut pas croire que la construction d'une Communauté 126 européenne, à douze, puisse être affectée en quoi que ce soit par ce dialogue élargi » . Jacques Delors, à travers ses discours sur l'intégration, rejoint la pensée française en la matière. Les événements surgissant à l'Est doivent justement pousser l'Europe à accélérer le mouvement d'intégration et non à se demander si l'élargissement est préférable. Delors croit « profondément que la meilleure réponse de la Communauté doit être de renforcer sa propre dynamique d'intégration : marché intérieur, dimension sociale et humaine, union économique et monétaire, progrès vers une politique étrangère commune,tout cela sur la 127 voie de l'union politique » . L'élargissement à l'Est pose le danger d'une vaste zone de libre-échange dénuée de quelque dimension politique que ce soit. En intégrant ces pays de l'Est, l'Europe agrandirait ces frontières vers l'Est, redéfinirait la question des subventions, des quote-parts, sans pour autant créer une véritable union politique. Or, c'est là que résider d'une part la crainte de Jacques Delors, et d'autre part celle de F. Mitterrand. Une union purement économique et sans caractère politique n'a aucune valeur symbolique et ne peut s'inscrire convenablement dans le temps. De plus, elle ne répondrait pas aux défis de l'après-Yalta, notamment dans les Balkans où elle ne serait pas unie pour faire face à quelque conflit que ce soit. On retrouve ainsi à travers le discours de J. Delors l'idée que les événements à l'Est doivent jouer comme un catalyseur de l'intégration et en aucun cas comme celui de l'élargissement. Tout comme F. Mitterrand, il renverse la logique de 1989 au profit de l'intégration et l'élaboration du traité de Maastricht. Ce rôle nouveau des institutions en 1989 rend d'ailleurs encore plus difficile une hypothétique application du Projet de Confédération Européenne. Le regain d'activité de ces deux institutions, aux visions sensiblement opposées sur la question de la nature et du degré des rapports avec l'Est, auraient crée une superposition d'institutions avec celles que la Confédération auraient engendré. Si le projet de F. Mitterrand avait abouti, il aurait été difficilement imaginable de l'insérer au sein des autres institutions déjà présentes en 125 Dans ce second cercle se trouverait les pays de l'AELE (Association Européenne de Libre-Echange) qui se transformerait en EEE (Espace Economique Européen). 126 127 44 Discours du 26 septembre 1989, devant le Conseil de l'Europe de Jacques Delors p.8 Même discours, p.9. BOUCHET Thomas - 2013 2. Construire une Europe à douze : Mitterrand et la France comme les chantres de l'intégration 1990. Ces institutions se faisaient déjà, l'une le chantre, l'autre le régulateur, des nouvelles relations avec les pays de l'Est et la création d'une Confédération Européenne aurait fortement nui à ces dialogues. En effet, la Confédération aurait réduit la portée du discours novateur du Conseil, car il aurait réduit celui-ci à un discours humaniste alors même que la Confédération insiste sur la nécessaire reconstruction économique préalable à une future adhésion. De plus, les pays de l'Est aurait eu un besoin bien moindre d'intégrer le Conseil de l'Europe ou d'y participer en tant que membre observateur par exemple si un organe tel que la Confédération aurait pu se substituer à ce rôle. Il y a donc collusion entre les nouvelles pratiques du Conseil Européen et ce qu'aurait du être la Confédération Européenne, raison supplémentaire de l'échec du projet mitterrandien. Les pays de l'Est se sont en effet tournés vers ces anciennes institutions plus légitimes qu'une confédération émanant de l'esprit et l'intérêt d'un seul. 2.2.3 La faiblesse de la France dans la question de l'Union Economique et Monétaire Cette approche par les institutions démontre que la question de l'élargissement à l'Est n'est pas une simple préoccupation de la France. Elle intéresse aussi bien les pays que les institutions qui y voient là un moyen d'augmenter leur influence personnelle et leurs prérogatives par rapport aux autres institutions. Elle démontre aussi à quel point sont liées les questions d'intégration économique et d'intégration politique. En effet, les deux questions sont très étroitement liées entre 1986 et 1992. Il est question de faire de la future Union Européenne une organisation soudée politiquement et économiquement pour qu'aucune marche en arrière soit possible. On retrouve la tactique des petits pas, dite spin over, chère à J. Monnet. Dans ce cadre là, c'est à travers une intégration économique accrue que l'intégration européenne aura fait un grand pas. A partir du moment où les monnaies européennes seront harmonisées autour d'une monnaie unique, telles l'écu ou l'euro, que l'élargissement à l'Est serait impossible dans l'immédiat au vu des situations économiques de ces pays. L'idée de F. Mitterrand et de J. Delors est de donner un grand coup d'accélérateur très rapidement à l'intégration économique pour définitivement fermer la porte à l'Est et en terminer avec les supputations sur l'élargissement. C'est dans ce cadre que la question de l'intégration monétaire et ses résistances se pose. F. Mitterrand souhaitait dès 1988 relancer trois grands projets : « la monnaie unique, 128 l'harmonisation sociale et l'harmonisation fiscale » . L'ambitieux projet de F. Mitterrand, aidé en cela par J. Delors qui y voit le moyen d'avoir une fois pour toute le degré d'intégration requis en Europe pour ne plus pouvoir revenir en arrière, s'est heurté à de très nombreuses réticences allemandes et britanniques avant tout. Mais c'est par la somme de travail fourni par la France qu'il se distingue tout particulièrement. Il eut fallu pas moins de deux CIG (Conférence Intergouvernementale), l'une en novembre 1990 ? l'autre en décembre 1990, pour présenter des projets convenant à l'Europe entière. Pourquoi la création d'une Union monétaire et économique posa autant de problèmes ? Avant tout, c'est le partenaire allemand qui s'opposa à cette création. En effet, 129 l'Allemagne était alors doté d'un Deutschmark très fort 128 Elisabeth Guigou, « Le Traité de Maastricht : la dernière grande œuvre européenne de F. Mitterrand », Institut François Mitterrand, 2004, p.1. 129 Deutschmark= 3,35 francs alors. Source : convertisseur de devises dans le passé utilisant des cours officiels. BOUCHET Thomas - 2013 45 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne La perspective d'une monnaie unique allant à l'encontre de la monnaie allemande très appréciée est dérangeante pour les dirigeants allemands qui y voient là une façon de perdre leur leadership européen en la matière. C'est pourquoi l'Union Monétaire, si elle devait se réaliser, devait se faire dans des conditions très strictes. La monnaie unique serait réalisée que si la stabilité des prix serait assurée et si la nouvelle Banque Centrale Européenne serait indépendante, conditions indiscutables du point de vue allemand. Pour les Français, l'Europe représentait alors le cadre spécifique propice à contrôler le nouvel essor allemand en 1990 et à protéger les intérêts français. Il ne faut pas y voir ici uniquement du cynisme quant aux fins de l'intégration européenne, qui n'est pas uniquement destinée à supprimer toute revendication de puissance allemande, mais dans le cas de François Mitterrand et de la France en 1990, l'intégration européenne combine une idée européenne à une possibilité de museler en effet l'impact de la réunification allemande. Cette phobie française d'une Allemagne trop puissante économiquement s'est déjà vérifiée lors de la création du Système Monétaire Européen : en 1979 qui était une façon pour la France de contrôler les ajustements des politiques économiques françaises et allemandes. Avec les crises monétaires des années 70 et 80, particulièrement entre 1981 et 1983 avec l'échec de la relance Mauroy, la France cherche alors un échappatoire en Europe et veut redéfinir un cadre nouveau à ses politiques économiques : ainsi Kenneth Dyson déclare que « La politique française sous Mitterrand fit deux expériences dramatiques des implications de la dépendance croissante pour la capacité de négociation française (...) elles ont déclenché un processus d'apprentissage sur le besoin de reconsidérer tout le cadre de référence dans lequel la politique française s'était développée. Ce nouveau cadre de référence entraînait l'européanisation des politiques économiques, financières, et 130 monétaires. » . La France souffrait alors d'un Deutschmark trop puissant qui accordait à l'Allemagne un véritable poids dans les négociations face à la France. L'exemple de la réunification obtenue très rapidement, à peine un an après la chute du Mur est probant. En 1989, la France est dominée économiquement par l'Allemagne. Malgré la politique française, entamée en 1983, visant à stabiliser le franc au sein du SME et a le réévaluer à travers la politique économique de « désinflation compétitive », la France reste en retard. Si l'Union Economique et Monétaire doit se faire, elle se fera sous la prédominance allemande et avec les conditions allemandes. François Mitterrand ne peut réaliser ce projet sans faire de concessions. C'est pourquoi il est obligé de céder sur le point qu'est l'indépendance de la Banque Centrale Européenne, doit le siège est alors décidé à Frankfurt. Plus qu'une soumission à l'Allemagne, cette acceptation d'une part de cette indépendance de la Banque Centrale et d'autre part l'assentiment pour que les marchés financiers soient arbitres des 131 politiques économiques et monétaires françaises sont autant de signes lancés par la 132 France pour montrer qu'elle est prête à l'Union Economique et Monétaire . On constate tout de même à quel point la relation franco-allemande est au centre de la construction , 133 ici monétaire, européenne , car la France doit se plier aux exigences allemandes avant tout pour réaliser l'Union monétaire. En premier lieu, la domination économique allemande lui permet d'obtenir des garanties futures que la France ne souhaitaient pas forcément. 130 Dyson Kenneth, « La France, l'Union Economique et monétaire et la construction européenne : renforcer l'exécutif, transformer l'Etat », Politiques et management public, vol.15, n°3, 1997, p.60. 131 En juin 1988, la France signe l'accord sur la liberté de mouvements des capitaux dictée dans le Programme du Marché Unique. 132 133 Dyson Kenneth, op.cit, p.59. Bender, Der besondere Beitrag Deutschlands und Frankreichs zum Aufbau Europas : Eine historische, politische und militarische Sicht (Eurokorps und Europäische Eingung, Bonn, 1996, Zeitgeschicht, pp.213-241. 46 BOUCHET Thomas - 2013 2. Construire une Europe à douze : Mitterrand et la France comme les chantres de l'intégration Cependant, l'Allemagne n'était quand même pas prête à abandonner le Mark au profit d'une monnaie unique avantageant nettement la France. Cette position est clairement visible dans les discours adoptés par les dirigeants allemands, déclarant que des Institutions comme la Bundesbank refusait cette mesure et que donc l'opposition nationale rendait difficilement applicable l'union. Entre 1979 et 1988, l'opposition sur la question monétaire entre la France et l'Allemagne était claire : alors que la France refusait de sortir du SME et cherchait à tout prix à stabiliser sa monnaie autour d'une politique dite du « franc fort », politique devant renforcer la crédibilité internationale de la monnaie française en refusant les dévaluations, l'Allemagne s'affichait comme le modèle à suivre et de très nombreux pays 134 ont suivi la ligne directrice imposée par l'Allemagne dans les années 80 . Les propositions françaises concernant l'UEM étaient alors opposées à celles de l'Allemagne, qui craignaient 135 en premier lieu une hausse de l'inflation et une attaque sur sa monnaie . Jacques Delors fut un des plus ardents défenseurs des positions françaises sur la monnaie. Il s'opposait 136 alors au directeur de la Banque Centrale allemande, Karl-Otto Pöhl, un Ordo-libéral , qui lui opposait alors une stricte revendication d'une inflation maîtrisée, vieille rengaine allemande issue du traumatisme de la crise de 1929 et ses conséquences. Néanmoins, cette opposition a donné lieu à un renforcement des liens franco-allemands dans le cadre de la construction européenne. La tension due à ce sujet délicat a permis de renforcer encore plus le dialogue et la coopération entre les deux pays, en témoigne la lettre conjointe de F. Mitterrand et H. Kohl à la présidence irlandaise pour organiser une deuxième conférence 137 intergouvernementale sur l'Union Politique parallèle à la première sur l'UEM . Visant à relancer la dynamique d'intégration européenne, dans la foulée de l'Acte Unique Européen, cette route vers Maastricht a marqué à la fois les oppositions entre les deux pays et le renouveau de leurs relations. 2.2.4 Le « gouvernement économique » : resserrer l'union politique face à l'union économique La position française est celle d'un « gouvernement économique » : un dirigisme peut faire contrepoids à l'indépendance de la Banque Centrale allemande. La France préfère alors mettre en œuvre un vaste programme politique, à l'inverse des revendications allemandes sur l'établissement de règles économiques claires et précises qui doivent être appliquées à la lettre. L'idée est d'établir une relation entre les « banques centrales en charge de la politique monétaire qui dialoguent avec les gouvernements en charge du reste de la 138 politique économique » . L'objectif est donc de museler la Banque Centrale Allemande en diminuant sa marge de manœuvre et en aménageant une pour les hommes politiques, ce qui favoriserait la France. Or, Bérégovoy tente de rassurer l'Allemagne en annonçant officiellement que ce n'est pas le cas (interview dans Le Monde) alors même que c'est 134 135 Frédéric Depétris, L'Euro : une perspective politique. Dossier spécial , Paris, L'Harmattan, 2003, p.19. La somme totale de la dette de chaque pays de la zone serait le facteur principal du taux d'intérêt de tous ces pays. Ainsi, des pays faiblement endettés devraient « payer » pour les plus endettés en vertu de cette mutualisation. 136 Kenneth H.F Dyson,European States and the Euro : Europeanization, Variation and Convergence, Oxford University Press, New York, 2002, p. 179. Les Ordos-Libéraux sont les économistes ou politiciens obsédés par l'inflation et l'incapacité à la contrôler. Toute politique doit alors viser à la juguler, ce que Maastricht a réussi à imposer aux Etats en 1992. 137 138 Thiel, Bonnefond Isabelle, « L'Allemagne, l'UEM et le pacte de stabilité », Politique Etrangère n°1, 2004, p.165. Issu du projet français du Traité de 1990. BOUCHET Thomas - 2013 47 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne exactement ce qui gêne le gouvernement français. Durant la campagne pour le « oui » à 139 Maastricht de 1992, cette question sur la gestion de l'inflation sera constamment éludée . Une gestion gouvernementale de l'inflation permettrait aussi de mieux coordonner les politiques économiques et monétaires pour effectuer des policy mix. Cette proposition de gouvernement économique ne remet pourtant pas en cause l'indépendance des banques centrales nationales et européennes, la France rendant la Banque Centrale de France indépendante dès 1993. Cette idée démontre que la France souhaite se placer aussi sur le plan économique comme le pays décisionnaire, au même titre que l'Allemagne, et non comme un pays se pliant aux exigences allemandes. La France voulait s'appuyer sur une « forme d'union monétaire européenne où la Banque Centrale serait placée sous la direction conjointe des pays-membres, au lieu d'avoir un SME dominé par la Bundesbank et par conséquent par des considérations et des intérêts financiers purement allemands : après tout, pourquoi les taux d'intérêts français seraient ils déterminés par la 140 Bundesbank ? » . C'est donc un moyen d'en finir avec le système du franc arrimé au mark, symbole d'une Allemagne remorquant la France sur le plan économique, ce qui finirait par se traduire sur le plan politique par une suprématie allemande, d'autant plus que la réunification allemande et les revendications à l'Est déplacent le centre de gravité européen. En proposant des idées fortes comme celle-ci, elle se porte publiquement comme une alternative aux revendications allemandes. Ce gouvernement économique aurait alors eu pour fonction d'être une autorité économique supranationale qui aurait permis le parallèle entre une nouvelle autorité monétaire supranationale (l'euro) et une autorité économique supranationale. Ses prérogatives voulues par la France auraient alors été la capacité de coordonner les politiques macroéconomiques européennes et d'établir une meilleure répartition géographique des développements en Europe. Or, l'Allemagne était inquiète de ce genre d'institution qui pourraient nuire à l'indépendance des Banques Centrales et pourraient donc influer sur les politiques nationales dans une trop forte mesure. Cette obsession de la lutte contre l'inflation est au cœur des exigences allemandes et a miné tout projet français. Tout projet a visée économique en Europe ne pouvait que se heurter au refus allemand en la matière : Maastricht est alors l'expression d'un échec français dans ce domaine, car aucune disposition pour une autorité supranationale économique apparaît alors que l'autorité supranationale monétaire y est décidée. C'est donc une UEM 141 « asymétrique » qui est faite à Maastricht. L'échec de l'idée économique européenne française est cuisant, car malgré les tentatives répétées de se poser contre le leadership allemand en Europe à travers une série de propositions, de discours, de réunions, la France n'a pas pu obtenir la moindre avancée sur la question. Cette asymétrie est d'ailleurs une des causes actuelles de la crise politique et économique européenne, une politique monétaire commune ne pouvant pas gérer dix-sept politiques budgétaires différentes. Les mises en garde de la France, disant qu'« ignorer le parallélisme entre les questions économiques et les questions monétaires pourrait conduire à un échec », montrent que la France souhaite une Europe se développant de façon équitable. Or, la façon de présenter ce projet et le flou régnant autour n'ont pas favorisé son exécution, de la même manière que le Projet de Confédération Européenne au niveau politique. En effet, le manque de précision sur les prérogatives réelles de ce gouvernement et ses conséquences sur l'indépendance de 139 D. Howart, « The French State in the Euro-Zone : Modernization and Legitimizing Dirigisme », European States and The Euro, Oxford Scholarship Online, p.168. 140 S.Hoffmann. Dilemmes et stratégies de la France dans la nouvelle Europe (1989-1991). In: Politique étrangère N°4, - 1992 - 57e année, 1992, p. 885. 141 48 Frédéric Deprétis, op.cit, p.9. BOUCHET Thomas - 2013 2. Construire une Europe à douze : Mitterrand et la France comme les chantres de l'intégration la Banque Centrale Européenne l'ont discrédité. De plus, la volonté française de mieux répartir géographiquement les coûts et dépenses européens implique que l'Allemagne devra payer une contribution plus élevée alors même qu'elle est déjà en 1990 le plus gros contributeur. C'est donc un prétexte (ou un argument?) supplémentaire pour refuser ce projet de gouvernement européen qui correspond beaucoup plus aux vues françaises qu'aux vues allemandes. Il est à signaler aussi le caractère une fois de plus central de F. Mitterrand dans les négociations sur l'UEM. Ici encore, il utilise le fait que l'UEM soit formellement un domaine réservé au président de la République pour s'en emparer entièrement et imposer ses vues dans la ligne menée par la France. De nombreux exemples étayent cette idée d'une prédominance de la vision mitterrandienne en la matière : l'acceptation de signer l'accord sur la liberté des mouvements de capitaux au sommet franco-allemand d'Evian de juin 1988 s'est faite contre l'avis du ministre des Finances. De même, il s'est opposé à Michel Rocard sur l'idée que l'indépendance de la Banque Centrale Européenne ne devait pas être considérée comme un relâchement de la position française mais bien comme une 142 « condition préalable acceptée avant les négociations » . De plus, c'est F. Mitterrand qui a donné les instructions aux négociateurs sur la question monétaire, Elizabeth Guigou en tête. Ils devaient réaliser l'UEM dans les plus brefs délais tout en cherchant à garder comme dernier atout la concession de l'indépendance de la Banque Centrale Européenne afin d'obtenir le plus de concessions allemandes. Enfin, le concept de gouvernement économique lancé en décembre 1990 émane de F. Mitterrand. Il souhaitait donner un caractère politique à cette évolution économique en accordant au Conseil Européen la capacité d'incarner ce gouvernement européen. On retrouve là le réalisme mitterrandien concernant la construction européenne, consistant à créer un contrepoids légitime à la puissance économique allemande à travers les institutions. L'opposition allemande citée plus haut a fait échouer cette volonté régulatrice. Mitterrand a usé de la stabilité du franc fort, politique menée dès 1983, pour renforcer les relations franco-allemandes et pérenniser la construction européenne. F. Mitterrand a de nombreuses fois souligné le caractère primordial d'une intégration monétaire mais aussi économique en Europe, déclarant ainsi que « l'Union Economique et 143 Monétaire est le passage obligé vers l'Europe politique » . C'est un objectif majeur pour la France, car les gains espérés en matière économique concordent avec l'idée européenne évoquée précédemment. Il n'y a pas d'intégration européenne sans l'aboutissement de ce processus entamé dès la formation du Marché Commun Européen. Le problème allemand fut l'un des principaux concernant la question monétaire, car F. Mitterrand et la France redoutaient que l'Allemagne ne cède pas sur cette question et refuse en bloc une Union qui irait contre ses intérêts. F. Mitterrand disait d'ailleurs : « Je ne suis plus sûr que les 144 Allemands veuillent de l'Union monétaire. Soyons, nous, irréprochables » . Cette peur du refus allemand a poussé la France à faire plusieurs concessions, sur la libéralisation des mouvements de capitaux, sur l'indépendance de la Banque Centrale Européenne, sur l'emplacement de son siège, sur l'absence de clause concernant une autorité supranationale économique lors de la signature du Traité de Maastricht en échange de l'accord sur une monnaie unique. Cette peur était réelle lorsque Pöhl, le président de la Banque Centrale Allemande, a proposé en juin 1990 que seuls le Benelux, la France et l'Allemagne puisse 142 Dyson Kenneth, La France, L'Union Economique et monétaire et la construction européenne : renforcer l'exécutif, transformer l'Etat, op.cit, p.65. 143 144 Interview dans le Nouvel Observateur, 27 juillet 1989. Hubert Védrine, op.cit. Discussion avec P. Bérégovoy, p.458. BOUCHET Thomas - 2013 49 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne 145 procéder à un passage plus rapide vers l'union Economique et Monétaire . C'est l'envers de l'idée européenne, c'est-à-dire une « Europe à deux vitesses ». F.Mitterrand s'est engagé pour une construction européenne homogène qui favorise un développement global et aplanisse les différences géographiques, condition nécessaire à la paix. On comprend alors bien mieux l'idée européenne de la France en matière économique : assurer une intégration homogène tout en limitant la puissance allemande. Pourtant, la controverse demeure autour de la question des réelles intentions allemandes sur l'UEM. Tout laisserait à penser que les Allemands ne souhaitaient pas d'une UEM et que c'est une concession faite à la France en échange du soutien français sur la question de la réunification. Or, plusieurs phrases prononcées par H. Kohl et son ministre des Affaires Etrangères dès 1987, s'ajoutant à l'accord allemand sur l'UEM, adopté par le Conseil Européen de Madrid en juin 1989, montrent que l'UEM fait bien partie du planning européen allemand dans les années 80. Il n'y a donc pas eu une volonté sortie ex nihilo de l'Allemagne en 1990 concernant la monnaie unique, bien que celle-ci aurait pu diminuer la domination économique allemande en Europe. L'UEM était un projet accepté par les Allemands, mais qui devait s'effectuer selon leur vision de l'Europe économique, et non selon celle de la France. Il faut désormais voir en quoi les relations entre la France et certains pays majeurs dans la construction européenne, ici la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et la Russie, mettent bien en lumière l'idée européenne française. 2.2.5. La difficile négociation avec la Grande-Bretagne : l'art français du compromis La Grande-Bretagne a elle aussi posé des problèmes de taille à la construction européenne, notamment sur l'union monétaire. En effet, elle refuse de rentrer dans le processus entamé par la France, l'Allemagne et les dix autres pays de la zone, car elle s'attache une fois de plus à sa tradition souverainiste qui lui impose de ne pas entrer dans la perspective incrémentaliste qu'est la construction européenne. En effet, après le rabais 146 obtenu sur le budget européen par Margaret Thatcher en 1984 , la Grande-Bretagne freine totalement l'union monétaire. Cette position s'explique par le refus de se trouver liée quant à sa politique monétaire. La théorie du « triangle d'incompatibilité » est au 147 fondement de ce refus britannique; cette théorie de Mundell explique qu'un pays qui souhaite contrôler à la fois la liberté de ses capitaux, son taux de change et sa politique monétaire devra obligatoirement se séparer de l'une de ces trois libertés. Or, avec l'UEM, la Grande-Bretagne se verrait lier quant à sa politique monétaire et n'aurait donc plus aucun contrôle ou possibilité pour pratiquer des dévaluations. Cette perte de marge de manoeuvre monétaire est à la source des préoccupations britanniques qui voient dans l'Euro 145 Archives du journal Le Soir du 13 juin 1990. « Karl-Otto Pöhl a suggéré une Europe monétaire à deux vitesses. Constatant le haut degré de convergence du DeutschMark, du florin néerlandais du franc belgo-luxembourgeois et du franc français, il s'est demandé pourquoi l'Allemagne, a France et le Benelux ne formeraient pas un « noyau dur » qui irait de l'avant dans l'union monétaire ». La France est fermement opposée à cette idée d'une Europe à deux vitesses qui va contre son idée d'homogénéisation de la convergence. C'est notamment Jacques Delors qui a mené la fronde contre cette idée. 146 Rabais concédé par F. Mitterrand lors du Conseil Européen de Fontainebleau. La Grande-Bretagne se place ainsi constamment en position de négociateur avec la France et l'Allemagne tout en ne souhaitant pas rater le coche de la construction européenne. Cette position ambigüe est au cœur des tensions franco-britanniques. 147 Robert Mundell, « The Monetary Dynamics of International Adjustement under Fixed and Flexible Exchange Rates », Oxford Journal, Quarterly Journal of Economics, vol 74, 1960. 50 BOUCHET Thomas - 2013 2. Construire une Europe à douze : Mitterrand et la France comme les chantres de l'intégration une hérésie. D'ailleurs, l'ensemble de la communauté néo-conservatrice anglo-saxonne considère l'union monétaire comme une régression totale, car privant les Etats d'un levier d'action et d'une souplesse supplémentaire pour ajuster ses équilibres. A partir du moment où le traité sur la libération des capitaux est signé le 1er juillet 1990, l'un des sommets du triangle de Mundell n'est plus un problème. L'autonomie en matière de politique monétaire est donc primordiale. Les Etats européens comme la France ou l'Allemagne se placent dans une perspective différente du fait de la puissance du dollar qui annihile complètement (du moins pour le franc) l'autonomie des politiques monétaires. C'est donc sur ce plan que la France, l'Allemagne et la Grande-Bretagne discute des conditions de l'Union monétaire. La Grande-Bretagne de M.Thatcher a aussi démontré dans quelle mesure elle s'opposait à une intégration poussée de la CEE. Par son refus constant de réformer les institutions, de créer des avancées irréversibles, elle s'est opposée à la France qui souhaitait aller dans ce sens. La France cherchait en effet à étendre les compétences des institutions européennes afin d'arriver à un seuil d'intégration suffisamment poussé pour, d'une part, mettre de côté la question de l'élargissement à l'Est et d'autre part, répondre aux défis 148 institutionnels que les derniers élargissements en date ont posé. Jacques Delors, partisan de l'approfondissement, fut l'un des premiers, avec son équipe d'experts, à travailler sur la question des réformes institutionnelles. C'est lui qui propose dans son rapport du 17 avril 1989 une Banque Centrale Européenne chargée de mettre en place et gérer la monnaie unique et de faire converger au plus vite toutes les politiques économiques européennes. Ainsi, dans un discours riche de sens devant le Conseil des Ministres au Luxembourg, J. Delors met en avant la position française qu'est celle du mécanisme communautaire. Le Conseil déciderait ce qu'un organe institutionnel proposerait et en cas de problème relevant de la « high politics », le Parlement serait amené à voter. Il va même jusqu'à proposer que la Cour Européenne de Justice règle des litiges entre institutions en cas de problème (ce qui sera de plus en plus le cas dans les années 1990). Dans son programme, il fait alors de la Commission, jusque-là sous-estimée, l'organe exécutif de l'Europe, ce qui constitue un élargissement de ses compétences. Cette position est en parfait accord avec ce que souhaitait la France en 1990, c'est-à-dire une intégration poussée à travers une réforme institutionnelle, ce qui permet de donner un sens plus politique à l'Europe. Or, lors du vote de cette proposition, la Grande-Bretagne et le Danemark qui a une politique européenne souvent rattachée à celle de la Grande-Bretagne sont contre, au principe qu'ils refusent un début de supranationalité dans la CEE. Tout ce qui s'apparente à une politique communautaire est alors refusé par la Grande-Bretagne, ce qui est donc contraire aux idées françaises et allemandes notamment. Un exemple frappant est celui de l'intégration judiciaire. Suite à un fait divers survenu en Israël, où un Français ayant tué trois Juifs et s'étant réfugié au Portugal, ne pouvait être extradé faute d'accords préalables entre ce pays et la France, les Etats européens se sont rendu compte du manque flagrant d'intégration dans un domaine pourtant crucial. Ce sujet fut remis sur la table par F. Mitterrand dès les années 1986-1987-1988 par la création de réunions de concertation européenne sur la question. Ces réunions, parallèles à celles organisées sur la convergence monétaire, aboutissent en 1992 à l'harmonisation sur la justice intérieure, Maastricht visant à « harmoniser les procédures judiciaires pour que les citoyens européens puissent bénéficier partout en Europe des mêmes protections et ne pâtissent des différences 149 de législations. ». 148 149 La Grande-Bretagne, le Danemark, l'Irlande en 1973, la Grèce en 1981, l'Espagne et le Portugal en 1986. Elisabeth Guigou, op.cit, p.1. BOUCHET Thomas - 2013 51 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne C'est notamment sur la question de la Charte Sociale Européenne que M. Thatcher s'est opposée à Maastricht, ce qui poussera en partie la Grande-Bretagne à ne pas ratifier le traité. Ratifiée par la Grande-Bretagne le 26 octobre 1962, elle ne doit pas être intégrée à Maastricht pour M. Thatcher : elle constituerait alors une obligation communautaire contraire aux traditions britanniques. L'introduction de la clause sur la « Charte des 150 droits fondamentaux des travailleurs » signée en 1989 poussait la Grande-Bretagne à demander un « opt-out » supplémentaire, c'est-à-dire le droit de ne pas souscrire à ce traité tout en continuant de faire partie de la CEE, ce qu'elle obtint de la France. Cette position antagoniste sur l'intégration sociale gêne considérablement l'intégration politique voulue par la France. A partir du moment où un Etat incontournable de la Communauté réclame sans cesse des dérogations, il est difficile d'obtenir une zone homogène conforme aux exigences françaises. F. Mitterrand, déjà en désaccord avec M. Thatcher sur l'intégration européenne et ses formes, se trouva dans un cas de figure différent avec J. Major, successeur de la Premier Ministre britannique. Là où M. Thatcher avait fait de Maastricht un monstre à abattre, coupable à long-terme de détruire l'indépendance britannique et d'imposer des clauses sociales anti-conservatrices, J. Major se veut être un « bon européen » et souhaite 151 « placer la Grande-Bretagne au centre de l'Europe » . En effet, la livre avait rejoint le SME aux côtés du franc et du mark pour commencer la convergence monétaire ; et, avec une politique monétaire favorable à la construction européenne, la Grande-Bretagne montrait que Maastricht ne semblait pas si difficile à accepter. La dérogation obtenue dans le volet social a d'ailleurs bien aidé les conservateurs à consentir aux négociations. Cependant, la Grande-Bretagne s'opposa à la vision française dans le sens où elle considérait chaque traité comme le dernier qu'elle pouvait soutenir :lorsque le traité de Rome fut signé, les Britanniques le pensait déjà comme le dernier qu'ils accepteraient, « Tout le Traité de 152 Rome, rien que le Traité de Rome » . En 1986 lors de la signature de l'Acte Unique, il en est allé de même. Maastricht, comme étape cruciale et de taille supplémentaire, pose donc un problème énorme à ce qu'est l'idée européenne britannique : faut-il accepter un projet qui se voulait politique selon la France et qui risquait de remettre en cause l'identité britannique ? Alors que le gouvernement Thatcher était clairement eurosceptique et hostile à toute ratification du projet, le gouvernement Major qui doit décider de la ratification au Parlement ne souhaite pas se trouver une fois de plus en retard face aux Etats européens le ratifiant. Il faut donc concilier les deux perspectives dans une vision minimaliste de la construction européenne, c'est-à-dire une avancée minime et faiblement irréversible, avec des dérogations majeures sur le plan social, et qui ne doit pas comporter d'idée fédéraliste de l'Europe, la référence à la « vocation fédérale de l'Union » étant supprimé à la demande britannique. La Grande-Bretagne connut d'autres difficultés concernant l'acceptation de Maastricht. C'est à travers l'absence de consensus national que la ratification du traité connut ses pires difficultés : de nombreux recours posés par les Travaillistes, et parfois 150 « Celle-ci avait pour but de coordonner les provisions nationales pour l’information et la consultation des salariés dans les entreprises ayant au moins mille employés dans l’Espace économique européen (dont 150 dans au moins deux pays). L’exemption d’application de la directive ne s’étendait cependant pas aux entreprises non-britanniques installées au Royaume-Uni et son effet en fut donc relativement limité. »,Claudia Louati, “Le Royaume-Uni, éternel adversaire de la politique sociale européenne ?”, Nouvelle Europe [en ligne], Lundi 5 décembre 2011, http://www.nouvelle-europe.eu/node/1333, consulté le 12 mars 2013. 151 152 52 F. De La Serre, « Comment être à la fois britannique et européen ? » , Politique étrangère N°1 - 1993 - 58e année p.56. F. De la Serre , op.cit, p.59. BOUCHET Thomas - 2013 2. Construire une Europe à douze : Mitterrand et la France comme les chantres de l'intégration 153 par les Conservateurs , empêchent une ratification rapide, signe de bon élève européen. Dans le texte final de Maastricht, on constate dans quelle mesure l'idée française a dû plier sous les craintes britanniques. L'un des trois piliers fondamentaux de Maastricht, celui de la politique étrangère de sécurité commune, et l'intégration judiciaire, réclamée par la France, ne sont pas des politiques communautaires et relève des politiques nationales : la Grande-Bretagne a fait prévaloir ses idéaux souverainistes et méfiants envers l'Europe, au dépit des idées françaises. Que ce soit sur le plan monétaire, social ou de sécurité 154 commune , la Grande-Bretagne a obtenu des dérogations qui font de Maastricht une coquille vide pour elle : la France a réussi à avoir l'accord britannique sur Maastricht en échange de concessions qui annulent ce que la France espérait. Dans ce cas, pourquoi la France a t-elle accepté que les négociations en restent à ce point mort ? La raison est que la Grande-Bretagne a toujours eu un retard par rapport aux autres pays signataires qu'elle a fini par combler plus tard. Les exemples du SME, du Traité de Rome et de l'intégration à la communauté en 1973 où de nombreuses difficultés sont apparues, sont symboliques de cas où ce retard fut récupéré par la suite. La France et l'Allemagne pensaient ainsi que la Grande-Bretagne se résoudrait tôt ou tard à ratifier les points manquants de Maastricht au vu des avantages que cela lui procurerait. La France a ainsi obtenu de la Grande-Bretagne qu'elle accepte l'Union Européenne mais dans une mesure moindre que ce qu'elle espérait. C'est pourquoi la Grande-Bretagne s'est opposée aux projets français d'intégration. Dans une Europe peu organisée, uniquement économique, les Etats-Unis pourront jouer le rôle de gendarme tandis que la CEE pourrait être considérée uniquement comme une vaste zone de libre-échange. De même, la Grande-Bretagne va s'opposer frontalement à la France sur la question de la libéralisation des capitaux. La France est favorable à une harmonisation fiscale qui serait au cœur de l'idée européenne. Cette harmonisation permettrait une intégration européenne saine qui serait propre à l'Europe et non inscrite dans un processus mondial, comme le dit Hervé Hannoun : « l'harmonisation fiscale est l'idée européenne alors que la libéralisation des capitaux est un processus d'intégration 155 financière mondiale, et non européenne » . C'est dans ce cadre que la Grande-Bretagne, aux côtés des Etats-Unis, a poussé les dirigeants des pays de l'Est à refuser le Projet de Communauté Européenne qui aurait fermé la porte à un élargissement très dommageable pour l'approfondissement de la construction européenne. En conseillant à Vaclav Havel de le refuser, M. Thatcher souhaitait ainsi que l'élargissement devienne une vraie priorité en Europe et que la question de l'intégration soit délaissée. De plus, la Grande-Bretagne adoptait une position ferme sur la question de la réunification : celle-ci était la possibilité offerte à l'Allemagne de se développer en Europe comme elle le fit en 1933. M. Thatcher avait peur d'une Allemagne redonnant la prévalence au continent européen face à l'île britannique : « il faut empêcher la réunification par le biais de la CSCE et des quatre 156 puissances. Il faut être sûrs que l'Allemagne ne dominera pas comme le Japon » . C'est donc l'inverse de la position française et de celle de Jacques Delors. L'Europe ne devrait être pour les Britanniques qu'un vaste free-market où l'AELE et les pays de l'Est se retrouveraient. Or, dans cette vision purement économique, qui dénie les interdépendances 153 Le Ministre des Affaires Etrangères Douglas Hurd voulait refuser la ratification notamment à cause du chapitre social. Cette position était partagée par de nombreux travaillistes et par les Conservateurs qui y voyaient là une alliance stratégique. "Grandes manoeuvres britanniques contre la ratification de Maastricht », Les Echos, n°16328, 12 février 1993, p.2. 154 La Grande-Bretagne ne refuse pas à terme une politique étrangère commune mais souhaite rattacher l'UEO à l'OTAN plutôt qu'à l'UE, ce qui démontre un mépris de l'intégration européenne. 155 156 H. Védrine, op.cit, p.401. Rencontre à Chequers entre Thatcher et Mitterrand le 1er septembre 1989. BOUCHET Thomas - 2013 53 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne économiques en Europe et les avancées de l'Acte Unique Européen, la Grande-Bretagne risque d'aboutir au point que la France cherchait justement à éviter, c'est-à-dire l'isolement. La construction européenne « maximise plus qu'elle ne réduit la capacité d'influence 157 internationale de puissances moyennes comme le Royaume-Uni » . La Grande-Bretagne se place donc dans une vision totalement opposée à celle de la France, notamment à cause de sa relation particulière avec les Etats-Unis qui lui donnent l'illusion de puissance malgré un isolement de plus en plus significatif en Europe. L'acceptation de conférences intergouvernementales successives est un leurre quant à l'enthousiasme britannique en la matière : elles sont acceptées à contre-coeur pour céder à des demandes françaises qui ne débouchent pas sur du concret. Pourtant, la France ne désespérait pas de voir entrer la Grande-Bretagne dans l'UEM. Alors que la Grande-Bretagne a refusé de s'engager sur le volet social de Maastricht, P. Bérégosvoy a proposé la création d'une monnaie parallèle forte qui aurait favorisé le consentement britannique pour l'entrée dans l'UEM. Néanmoins, une telle proposition aurait attiré les foudres de la Bundesbank qui y verrait là une atteinte directe au Mark. Cela montre dans quelle mesure la France cherchait une approbation britannique au projet, qui, sans elle, aurait une valeur moindre et donc une portée moins significative. Mitterrand voulait faire l'Europe avec les Britanniques autant qu'avec les Allemands, et les nombreux discours qu'il tint en sont le symbole : « Oui, mais à condition qu'ils (Britanniques) 158 ne puissent ni nous bloquer, ni retarder notre entente à Onze » .Il cherche ainsi à accélérer l'accord britannique en les menaçant de les éjecter d'une organisation qui les affaiblirait à long-terme. La position française face à la Grande-Bretagne, entre consentement sur l'abandon de clauses et refus de céder sur le package global, démontre aussi que la France se place entre l'Allemagne et la Grande-Bretagne : la France tentait de faire de chaque pays un contrepoids de l'autre grâce à l'union pour que ses profits personnels soient aussi assurés. Ainsi, l'Allemagne renonce à sa monnaie puissante pour une monnaie unique, ce 159 qui profite à l'économie française jusque-là très malmenée par les fluctuations du dollar . De même, l'Angleterre se résout à participer à Maastricht malgré une idée européenne contraire à celle de la France. Cette victoire « à la Pyrrhus » est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles Maastricht peut être qualifiée de « raté politique », tant le traité a été édulcoré de son contenu politique par les différents compromis qu'il a fallu passer avec les partenaires européens. D'ailleurs, Pierre Sellal, secrétaire général du Quai d'Orsay, déclarait que « Mitterrand n'a jamais sérieusement pensé qu'il renonçait à sa souveraineté. Il faut l'Euro pour arrimer les Allemands à l'Europe. Pas pour parachever le marché intérieur ou 160 franchir une étape décisive vers le fédéralisme » . Cette vision peut être remise en cause par l'appréciation déjà faite de F. Mitterrand en tant qu'homme de conviction et désireux d'une union politique, mais elle illustre quand même le fait que l'idée européenne a fait place à bien des moments aux intérêts français. L'Union politique de Maastricht est une vaste utopie que F. Mitterrand souhaitait au début mais qu'il ne pouvait réellement mettre en action à cause des réticences allemandes et britanniques. L'UEM représente alors les intérêts français face à la prédominance allemande et face aux craintes de voir s'échapper l'Allemagne réunifiée, et donc met en lumière dans quelle mesure l'idée européenne de la France entre en collusion avec des intérêts économiques évidents en 1992. Le politique 157 158 159 F. De la Serre, op.cit, p.61. H. Védrine, op.cit, discussion rapportée entre H. Kohl et F. Mitterrand, p 473. Lorsque le dollar s'appréciait, le franc s'appréciait dans une moindre mesure, ce qui créait des sorties de capitaux. De même, lorsque le dollar se dépréciait, le franc se dépréciait dans une moindre mesure, ce qui se traduisait par des produits moins compétitifs. 160 54 A. Leparmentier, Ces Français : fossoyeurs de l'Euro, Plon, Paris, 2013. BOUCHET Thomas - 2013 2. Construire une Europe à douze : Mitterrand et la France comme les chantres de l'intégration fait place nécessairement à l'économie au moment où F. Mitterrand espérait faire de l'Union Européenne un géant politique. 2.3. La recherche permanente de l'équilibre mondial 2.3.1 La France et les USA : consensus sur la construction européenne ? Il s'agit désormais de voir en quoi la diplomatie française sur la construction européenne a alterné entre Moscou et Washington. En effet, F. Mitterrand s'est souvent tourné vers les Américains quant aux conditions de la construction, car ces derniers ont acquis depuis 1945 une légitimité en Europe. Bien que remise en cause, notamment à travers des personnages comme De Gaulle ou la guerre du Vietnam, celle-ci est importante aux yeux des Allemands, Britanniques et des pays de l'Est notamment qui voient dans les USA un protecteur de poids. Je m'appuierai principalement sur l'ouvrage de Z. Brezinski, Le Grand Echiquier, pour traiter de cette partie, car c'est un ouvrage encensé pour la justesse de son analyse et sa faculté à ne rien cacher des ambitions américaines sur le continent eurasien. Il faut d'abord replacer les relations franco-américaines de 1990-1992 dans le contexte de la décennie précédente. François Mitterrand et Ronald Reagan ont entretenu de très bonnes relations depuis 1981 et ce, malgré la peur américaine de voir accéder au pouvoir un « socialiste ». Ces bonnes relations se comprennent à la fois par l'admiration que le président français voue aux Etats-Unis, lui qui s'y est déjà rendu six fois avant son 161 élection de 1981 , et par l'assurance américaine que Mitterrand sera un « allié sûr ». Cette 162 expression de « best ally in Europe », reprise dans les archives américaines , démontre que la position de Mitterrand et de la France est en accord avec les objectifs de la politique 163 américaine. L'épisode de l'opération « Farewell » en juillet 1981 illustre le début de la complicité entre les deux présidents. En effet, cette position mitterrandienne pourrait se définir par la volonté d'un équilibre des puissances entre les deux Grands d'alors, la Russie et les Etats-Unis. Cette politique rappelant celle pratiquée par la Grande-Bretagne du XIXe siècle se traduit par le discours au Bundestag de 1983 où Mitterrand ne cherche au final qu'à convaincre les Allemands d'apporter leur aide pour contrebalancer la puissance des missiles SS-20 soviétiques, devenus plus puissants que les Piercing américains. Ce fut la même politique menée cette fois en sens inverse lorsque Mitterrand s'opposa clairement à l'IDSmenée par les Américains, car celle-ci risquait de donner une position trop avantageuse aux Américains face à des Soviétiques ruinés. La recherche permanente d'un équilibre au cœur duquel la France pourrait évoluer est donc la clé de l'idée européenne face aux Etats164 Unis selon Mitterrand. Il cherche en effet à en finir avec la « libre-contrainte » imposée 161 162 M. Chaux, « François Mitterrand et les Etats-Unis », Institut François Mitterrand, 2008, p.1. V. Jauvert, « François Mitterrand vu de Washington », Affaires Etrangères, le blog de Vincent Jauvert, Le Nouvel Observateur, 22 août 2010. 163 Une taupe soviétique livrait alors des informations ultra-confidentielles à la DST françaises, comme la preuve que les Soviétiques avaient pu percer les codes de défense américain et étaient prêts à repousser une attaque de missiles. Mitterrand a ensuite livré ces informations et a pu rétablir l'équilibre entre USA et URSS. 164 Expression utilisée par M.Rocard à ce propos que j'ai retenue lors de notre entretien du 8 février. BOUCHET Thomas - 2013 55 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne aux Européens. Celle-ci s'était déjà exprimée par exemple lors de la création de l'OTAN en 165 1949 qui rendait obsolète le Traité de Bruxelles de 1948 ou lors de l'exigence américaine d'avoir des droits de douane préférentiels pour leurs exportations de bétails au moment des discussions d'une hausse des droits de douane de la CEE afin de protéger la Politique Agricole Commune et les produits agricoles européens. Il s'agit alors pour Mitterrand de se défaire de cette contrainte qui pèse constamment sur les épaules européennes, lui qui ne veut pas que « les États-Unis d’Amérique, finalement ne dominent (...) le Marché Commun 166 de l’Europe » , tout en se montrant un allié fidèle des USA pour qu'ils n'empêchent pas l'intégration européenne. Or, l'intégration européenne faite d'une certaine façon est justement ce que souhaitent les Américains. Une Europe intégrée mais qui comprendrait aussi tous les pays de l'Est voulant appartenir à la Communauté serait le meilleur scénario possible pour Reagan, puis pour Bush. D'une part, l'Europe doit être intégrée pour promouvoir la paix à l'Ouest, et par capillarité, la propager dans ces régions sujettes aux troubles. Cependant, une Europe trop intégrée serait une menace conséquente pour le monopole américain dans cette zone, car « la tâche la plus urgente consiste à veiller à ce qu'aucun Etat, ou regroupements d'Etats 167 n'ait les moyens de chasser d'Eurasie les Etats-Unis ou d'affaiblir leur rôle d'arbitre. » . En effet, l'Europe de l'Est est la principale source de préoccupations pour les Etats-Unis qui souhaitent y étendre l'OTAN et avoir ainsi dans les rangs de l'organisation des pays limitrophes en 1990 avec l'URSS. Dans cette région, l'Europe représente un pôle de stabilité moins puissant que les Etats-Unis, car elle ne possède pas tous les monopoles que la superpuissance américaine, elle, possède. C'est pourquoi une Europe élargie à l'Est mais peu ou moyennement intégrée constitue un idéal pour les Américains qui voient là une façon à la fois de concilier un élément de stabilité et de redémarrage économique et un adversaire peu dérangeant pour le contrôle de l'Eurasie. Brzezinski définit ainsi la position américaine : « l'élargissement de l'Europe et de l'OTAN serviront les objectifs aussi bien à court terme qu'à long terme de la politique américaine. Une Europe plus vaste permettrait d'accroître la portée de l'influence américaine-et multiplierait le nombre d'Etats pro-américains au sein des Conseils européens- sans pour autant créer simultanément une Europe assez intégrée 168 politiquement pour pouvoir concurrencer les Etats-Unis (...) » . Ainsi est définie la situation idyllique pour les Etats-Unis en 1990. D'ailleurs, Brzezinski ne s'y trompe pas en qualifiant les Etats de l'Est de pro-américains. Vaclav Havel a souvent rappelé son attachement à l'OTAN et à la protection des Etats-Unis, même après la chute de l'URSS et la fin du pacte de Varsovie. Lors des Assises de Prague du 13 juin 1991, statuant sur la suite à donner au Projet de Confédération Européenne, il rappela qu'il pouvait « difficilement imaginer ce 169 projet sans le concours des Etats-Unis et du Canada » . Les préoccupations des pays de l'Est et des Américains tournent principalement autour de l'OTAN et de la garantie que cette organisation perdurera avec l'élargissement ou pourra se superposer aux institutions européennes. On comprend mieux pourquoi ce projet lancé par F. Mitterrand se heurte donc aux Américains en 1990. C'est une menace directe aux politiques menées dans cette région. Il prône à la fois le refus de l'élargissement pour faire place à une Europe très intégrée, donc 165 166 167 168 169 56 L'article 4 de ce traité prévoyait une assistance militaire défensive, essentiellement tournée contre la Russie. M. Chaux, op.cit, p.1. Z. Brzezinski, Le grand Echiquier, Hachette, Evreux, 1997, p.255. Z. Brzezinski, Le Grand Echiquier op.cit, p. 255. R. Dumas, « Un projet mort-né : Le Projet de Confédération Européenne », p. 701. BOUCHET Thomas - 2013 2. Construire une Europe à douze : Mitterrand et la France comme les chantres de l'intégration dangereuse pour la suprématie américaine en Europe, et la création d'une organisation supra-régionale qui mettrait hors-circuit les Etats-Unis et renforcerait finalement le poids de la Russie sur place. Ce sont trois conditions qui sont toutes inacceptables prises chacune séparément selon les Etats-Unis. Il est inconcevable que la plus grande puissance de l'époque soit chassée politiquement du terrain de jeu le plus important d'alors pour les 170 Etats-Unis pour être remplacée par leur plus grand rival. C'est pourquoi la propagande américaine dirigée contre ce projet fut intensive entre 1990 et 1991. Il s'agissait de convaincre les principaux dirigeants de ces pays, Vaclav Havel en tête, que ce projet risquait d'aliéner la protection américaine qui leur était offerte au profit du diktat soviétique et que de toute manière, ce projet visait avant tout à ralentir considérablement l'entrée dans la communauté pour ces pays. Dans ce domaine, la phrase « des dizaines et des dizaines d'années » de Mitterrand a contribué à justifier les dires de la propagande américaine. F. Mitterrand ne voulait plus d'une Europe dont la politique serait dictée par les Américains ; pourquoi intégrer les Américains à la construction de l'Europe par les Européens ? Or, ce projet ne pouvait qu'échouer selon Dumas, car « aussi,dès le début de l'année 1991, la diplomatie américaine lança une campagne diplomatique mais aussi financière-les premiers dollars, et que pouvait la belle idée de Confédération face à la 171 très concrète réalité » de la puissance économique américaine ? » . La propagande est essentiellement tournée vers cette idée d'un rejet de ces pays hors de la CEE qu'implique le projet mitterrandien. Cet exemple est frappant de la puissance que peuvent déployer les Etats-Unis lorsque leurs intérêts sont directement menacés dans la région. Malgré l'entente cordiale entretenue jusqu'alors avec le président français, illustrée notamment autour des nombreuses rencontres et par les archives, les tensions sont vives lorsque le leadership américain est directement remis en cause en Eurasie. 2.3.2. La recherche permanente d'un équilibre Washington-Moscou Ce projet est à replacer dans l'idée européenne évoquée précédemment. Il s'agit toujours de créer un équilibre américano-soviétique. Cependant, il n'était pas originellement destiné contre les USA ou en faveur de la Russie. Il était motivé par les revendications des pays de l'Est, mais les clauses concernant l'absence des Etats-Unis et la présence de l'URSS sont ajoutées pour confirmer l'équilibre. En effet, lorsqu'il annonce son projet en décembre 1989, Mitterrand connaît la difficulté éprouvée par Gorbatchev pour maintenir à flot l'URSS. Même si rien n'indique que celle-ci va s'effondrer deux ans plus tard, les premiers signes des fissures provoquées par la perestroïka sont visibles. Inflation gigantesque, tensions politiques et l'échec afghan sont autant d'éléments qui démontrent l'incapacité soviétique à faire preuve de souplesse. D'ailleurs, M. Rocard, qui a rencontré M. Gorbatchev au cours 172 d'un dîner informel au printemps 1989 , me présentait M. Gorbatchev comme un mauvais économiste qui ne savait pas réellement ce qu'il faisait au moment de la perestroïka. M. Rocard posa alors la question au dirigeant soviétique de la libération des prix : pourquoi ne pas libérer les prix dans un pays à fort service public et à l'économie désorganisée ? L'incohérence de Gorbatchev, qui ne libère pas les prix tout en libéralisant le système est contenue dans sa réponse à la question : « C'est trop dangereux car il y a trop d'inflation, je vais libéraliser les prix dans quatre ou cinq ans ». Ce n'est pas l'aspect économique en 170 Les questions israélienne et irakienne prendront une importance plus grande plus tard dans la décennie, sous Bush, puis Clinton notamment. 171 172 R. Dumas, « Un projet mort-né : Le Projet de Confédération Européenne », p. 700. Entretiens avec Michel Rocard du 8 février 2013. BOUCHET Thomas - 2013 57 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne lui-même qui m'intéresse ici, mais plutôt ce que révèle cet entretien. L'URSS est dans une position très faible face aux USA en 1990 et le déséquilibre entre les deux puissances est patent. Les troubles économiques risquent d'affaiblir durablement le pays, surtout si le choix de l'économie de marché est de plus en plus effectué. C'est pourquoi le choix de Moscou contre Washington a été effectué par Mitterrand en 1989 : il n'est pas question d'avoir en Europe une URSS trop faible, car elle constitue le contrepoids indispensable au marteau européen pour enfermer le leadership américain et le réduire en Europe. Sans une URSS forte, ou du moins présente, les Etats-Unis risquent de devenir encore plus prépondérants dans cette zone appelée un jour à appartenir à l'organisation européenne. La configuration proposée par F. Mitterrand en décembre 1989 est donc tout à fait cohérente. Mitterrand fait le choix de Moscou contre Washington, même si ce projet ne remet absolument pas en cause le soutien français sur d'autres thèmes. D'ailleurs, la France a toujours rappelé son attachement à l'URSS : « La France est attachée au dialogue avec l'URSS qu'il soit bilatéral173 s'agissant de la question allemande-ou qu'il se déroule dans le Cadre des Six » . C'est notamment la chute du Mur de Berlin qui a motivé encore plus le choix du président français. Il n'est pas anodin que ce projet incluant l'URSS et renforçant son poids dans la région ait été annoncé un mois après la chute du Mur. Cette chute a eu pour conséquence principale l'affaiblissement notoire de la puissance soviétique en Europe et une baisse considérable de sa crédibilité, déséquilibrant par là-même la balance des puissances. F. Mitterrand ne souhaitait pas que la réunification qui s'ensuivait soit dirigée contre Moscou. On retrouve aussi une des raisons pour lesquelles F. Mitterrand pouvait sembler hostile à la réunification alors qu'il était simplement opposé à une exécution trop rapide de celle-ci. L'URSS a subi un choc très important et Mitterrand ne veut en aucun cas l'« achever ». Au contraire, il souhaite intégrer l'URSS dans la Confédération, ce qui lui faisait répondre « Naturellement, si » à l'assertion « Naturellement, l'Union soviétique 174 n'est pas comprise dans la confédération » . En homme de culture, F. Mitterrand connaît les désastres provoqués par le rejet du perdant ou de la puissance faible hors d'une organisation. Ce fut le cas en 1919 avec le Traité de Versailles punissant les Allemands et de la SDN qui n'a pas intégré l'Allemagne avant la décennie suivante : on connaît les conséquences de ce que les vaincus appelèrent le « diktat ». Il en va de même pour l'URSS qui devait être intégrée pour mieux se relever. 2.3.3. La France et la Russie: une position délicate A côté de cette idée européenne se superposent les intérêts français en Russie. La Russie est une puissance participant au Conseil de Sécurité de l'ONU, possédant donc le droit de veto, et reste une puissance nucléaire. Il est donc toujours intéressant pour la France de cultiver de bonnes relations avec l'URSS et de ne pas les mettre complètement à dos après une politique plutôt atlantiste entre 1981 et 1989. De même, Paris et Bonn sont en concurrence dans leurs relations avec Moscou. Là encore, les exemples historiques concernant les relations germano-soviétiques démontrent la complicité que peuvent 175 entretenir les deux pays, notamment à travers leurs économies complémentaires . L'Allemagne est garante du soutien économique à l'URSS, car elle est la première puissance 173 Rapport d'Aurélia Bouchez du Ministère des Affaires Etrangères du 27 mars 1990 sur le processus d'unification allemande et l'URSS, p.5. 174 175 R. Dumas, « Un projet mort-né : Le Projet de Confédération Européenne », p.698. Seulement cinq ans après la Première Guerre mondiale, Allemands et Russes signent le Traité économique de Rapallo qui marque le début du renouveau de leurs relations. 58 BOUCHET Thomas - 2013 2. Construire une Europe à douze : Mitterrand et la France comme les chantres de l'intégration économique européenne. La hantise française de voir les Balkans transformés en hinterland 176 allemand pourrait devenir réalité avec la Russie , car si l'URSS venait à tomber, la Russie se tournerait immédiatement vers l'Allemagne. Trois-quarts des engagements occidentaux en Russie se font depuis l'Europe de l'Ouest et 60% d'entre eux se font depuis l'Allemagne. C'est donc à travers la relation germano-soviétique que la France s'inquiète du renouveau de la puissance allemande, et américaine par là-même, les Allemands étant alors proaméricains et pro-OTAN. L'Allemagne se sert ainsi de ses bonnes relations avec les EtatsUnis pour jouer contre la France et s'assurer le soutien soviétique. C'est contre ce doublejeu d'intégration allemand que la France pose son idée européenne à travers le Projet de 1989. Andreï Kozyrev, ministre des Affaires Etrangères soviétique, déclare alors que l'axe Allemagne-Russie est une « locomotive des rapports de l'Union européenne et, plus 177 généralement, de l'Europe avec la Russie » . Enfin, le Projet de Confédération Européenne rejoint celui présenté par Gorbatchev de Maison Commune Européenne en juillet 1989 à Strasbourg. Dans celui-ci, Gorbatchev souhaite la participation de la Russie aux projets européens et aux valeurs occidentales. Des notions comme la fin de la lutte des classes, la vision « désidéologisée » des relations 178 internationales parcourent cette déclaration. Or, F. Mitterrand refuse à demi-mot ce projet qui est porté par la Russie et non par la France, et qui ne s'insère donc pas complètement dans l'idée européenne française. L'expression de ce refus réside dans la fusion du Projet mitterrandien et de la Maison Commune Européenne lors de la conférence de Rambouillet du 29 octobre 1990. Par ce parallèle, F. Mitterrand démontre son attachement aux relations franco-russes et cherche à minimiser l'impact de la chute du Mur d'une part, et réduire l'influence allemande à l'Est d'autre part. Cependant, on rappelle que le projet final échoua lors des Assises de Prague à cause de la mobilisation trop puissante des Américains à son encontre. Premièrement, on en conclut ainsi que la France a toujours veillé à ne jamais se mettre à dos une des superpuissances et a toujours recherché un équilibre entre les deux pour pouvoir plus tranquillement développer son idée européenne. Deuxièmement, l'idée européenne s'est souvent vu adjoindre les intérêts propres français dirigés notamment contre l'Allemagne, mais aussi contre les Etats-Unis qui « dérangent » politiquement. Choisir Moscou en 1989 révèle autant un choix idéologique de la part de Paris qu'un choix réaliste visant à limiter l'impact du développement des relations germano-soviétiques. Troisièmement, la politique américaine si bien décrite par Brzezinski devient source de tensions avec celle menée par la France à partir du moment où le facteur « élargissement » se déclenche à l'Est. Le Projet de Confédération Européenne met parfaitement en lumière la confrontation des intérêts et idéaux français et américains, malgré la très bonne entente 179 entre R. Reagan puis Bush et F. Mitterrand. Quatrièmement, enfin, l'alternance entre Moscou et Washington s'est révélée être un échec relatif pour Paris. Le projet français 180 a échoué, les pays de l'Est furent recueillis par les Etats-Unis à travers l'OTAN et l'Allemagne a pu facilement se tourner vers les pays orientaux et la Russie pour développer 176 Dominique David, « Paris-Bonn-Moscou, un triangle pour l'Europe », Agir pour l'Europe dans l'après-guerre froide, Masson, Paris, 1995. 177 X. De Villepin, « La Russie sur l'échiquier mondial : les moyens et les objectifs de la puissance russe aujourd'hui ?, Colloque organisé par l'Association des Historiens au Sénat, 2002. 178 179 180 Marie-Pierre Rey, « Gorbatchev et la « Maison Commune Européenne »,:une opportunité manquée », 2007, p.1. Considéré comme un des présidents américains les plus pro-européens. Hongrie, Pologne et République Tchèque intègre l'OTAN en 1999 malgré les promesses faites lors du traité de réunification allemande de ne pas les intégrer. BOUCHET Thomas - 2013 59 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne sa puissance économique et politique. Issue de l'idéal français, la structure d'équilibre s'est vite révélée incapable de faire le poids face aux puissances américaines et allemandes. 60 BOUCHET Thomas - 2013 Conclusion Conclusion Ainsi, le traité de Maastricht constitue-il un échec notoire pour l'engagement politique français en Europe ? Le traité en lui-même comporte beaucoup plus d'éléments à caractère économique que politique et il est rare d'y retrouver la trace des nombreux projets français. Quid du gouvernement économique ? Du Projet de Confédération Européenne ? D'une Europe homogénéisée ? L'opposition allemande, britannique et américaine sur tous ces sujets ont lourdement entravé le travail mené par le président français pour porter ses valeurs sur le terrain européen. François Mitterrand concevait la construction européenne selon différents aspects qui pouvaient paraître contradictoire à première vue, mais qui sont parfaitement logiques en fin de compte. En effet, il récusait toute précipitation en matière de construction européenne : il fut réticent à l'idée de réunifier rapidement l'Allemagne ; de même, il désapprouva fortement les propositions d'élargissement à l'Est au début des années 90. Or, il fit son maximum pour accélérer le processus d'intégration européenne, quitte à accepter des concessions d'ordre économique et social aux autres puissances européennes. Il n'y a aucune contradiction dans ce double discours. François Mitterrand et l'idée française refusaient tout changement qui apportaient à court-terme de l'instabilité. Ils voyaient loin et pour ce faire, il fallait passer par un rejet initial des demandes d'élargissement faites à l'Est. Ainsi, le président s'exprimait : « L’Europe existe plus qu’elle ne le sait elle-même. Je m’emploie à hâter le moment où ses différentes parties, telles des 181 arcs-boutants, se rejoindront pour soutenir la même voûte » . De même, il répondait à ceux qui trouvaient la construction européenne trop lente : « l'Europe, une idée qui va son chemin 182 gr^ce à mes efforts » . La France n'était pas contre l'idée d'un élargissement de l'Europe à l'Est à long-terme. Elle récusait simplement les moyens engagés alors pour l'effectuer et les revendications d'une vision plus à court-terme prônée par ces pays-là. Selon F. Mitterrand, il était crucial de rejeter ces demandes dans un premier temps pour ensuite les accepter, une fois l'approfondissement terminée à l'Ouest et la situation économique rétablie à l'Est. On comprend ainsi le refus total de la France d'une Europe à deux vitesses. Il est important d'homogénéiser l'intégration en Europe pour que tous les pays en profitent au même rythme, sous peine de créer des disparités trop élevées. François Mitterrand est conscient que le mot « disparité » est synonyme de « fragilité ». C'est pourquoi le principal pilier sur lequel repose l'idée européenne française est celui de l'approfondissement. Il y a un basculement total de l'idée première basée sur l'intuition, consistant à penser que l'élargissement précéderait l'approfondissement. Ici, c'est l'approfondissement qui permettrait à une Communauté Européenne (futur Union Européenne) plus intégrée de mieux accueillir en son sein des nouveaux pays. François Mitterrand redoutait que l'arrivée de nouveaux membres compliquent encore plus la tâche de l'approfondissement, qui ferait face à de nouveaux défis, de nouveaux adversaires, ce qui aurait donné encore plus de poids à l'argumentaire britannique. La construction européenne bâtie sur une modèle à deux vitesses, c'est-à-dire une Europe de l'Ouest fortement intégrée et une Europe de l'Est faible après la sortie du système communiste dans la même organisation, symbolise tout ce qu'il faut éviter pour les élites françaises au 181 182 Interview faite au journal Le Monde, 20 juin 1990. H. Védrine, op.cit, p.402-403. BOUCHET Thomas - 2013 61 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne pouvoir en 1990. François Mitterrand avait compris que chaque élargissement remettait nécessairement en cause l'intensité de l'intégration et qu'il fallait toujours solidifier les liens politiques européens : « D'un grain plus mou, la Communauté actuelle est plus friable que celle d'hier, et il n'est qu'un remède à ses maux : à Communauté plus large, institutions plus 183 fortes » . Cela démontre aussi la difficulté à rassembler d'un côté les valeurs humanistes de la communauté qui poussent les pays récemment libérés de l'oppression à faire acte de candidature à ce motif-là et d'un autre côté la mise en pratique de ces valeurs. F. Mitterrand a sans cesse rappeler qu'ils souhaitaient l'entrée de ces pays dans l'organisation, son projet de confédération européenne ne dit pas le contraire, mais la chute du Mur de Berlin est arrivé au mauvais moment. Cet événement a ouvert la boîte de Pandore en laissant aller à toutes les spéculations possibles sur l'avenir de l'Europe. A partir du moment où le rideau de fer éclate et où l'Allemagne envisage sérieusement de se réunifier à court-terme, pourquoi les pays de l'Est ne pourraient-ils pas intégrer eux aussi la communauté ? Néanmoins, certaines contradictions apparaissent après la signature de Maastricht. 184 Dès 1993, le Conseil Européen de Copenhague propose à nouveau de réexaminer la question de l'élargissement à l'Est. Et cette fois, la France, toujours emmenée par le président F. Mitterrand ne s'y oppose pas. Seulement deux ans ont coulé depuis la dernière opposition à ce projet. Faut-il en conclure que ce refus s'inscrivait dans la seule logique de faire approuver le texte de Maastricht aux Français, qui pouvaient refuser l'élargissement ? Ou bien ce refus faisait bel et bien partie intégrante de l'idéologie française quant à l'Europe ? Cette question reste en suspens car elle recoupe celle de savoir quelle est la part du discours français cherchant à protéger les intérêts (discours réaliste) et celle relevant purement de l'idéologie (discours idéaliste) ? Il ne fait nul doute que les deux occupent une place importante ; sur la question de l'Union Economique et Monétaire, la France étant en situation de faiblesse, elle avait besoin de cette harmonisation économique. Cependant, elle va aussi dans le sens de l'homogénéisation et de l'approfondissement européen souhaités par François Mitterrand. Il est ainsi difficile de distinguer ce qui relève de l'intérêt ou de l'utopie, même s'il serait faux de dire que l'intérêt occupe l'intégralité du discours français. L'idée européenne française s'est ainsi heurtée à de nombreuses oppositions venant de différents bords sur différents sujets. Les intérêts français sur le plan économique se sont heurtés face à ceux de l'Allemagne, en position de force alors en Europe à ce moment-là. Ainsi, l'idée française de « gouvernement économique », concept à tendance très politique, fut écartée. Idem pour le Projet de Confédération Européenne, contenant des aspects relevant de la protection des intérêts et d'autres plus utopiques, qui fut abandonné suite à la méfiance des pays de l'Est et plus implicitement des Etats-Unis. De même, une intégration très poussée fut rejetée lors de la rédaction du traité, notamment sur la question de l'harmonisation fiscale. C'est sur cette question que peuvent se rejoindre la période actuelle et la période du sujet. Alors que l'Union Européenne est en crise depuis cinq ans, les spéculations se multiplient quant aux scenarii éventuels sur le futur de l'Europe. De même, de nombreuses questions tournent autour des fautifs. Les marchés financiers qui ont fait gonfler la dette et fait rentrer les Etats dans une spirale infernale ? Les hommes politiques qui ont fait prévaloir l'intérêt privé sur celui du public ? Et pourquoi ne pas regarder vingt ans en arrière ? Est-ce que la crise politique touchant actuellement l'Union ne serait-elle pas due 185 aux « règles imbéciles » édictées à Maastricht en 1992 ? En effet, on assiste actuellement 183 184 185 H. Védrine, op.cit, p.395. Tenu le 21 et 22 juin 1993. Expression utilisée par le politologue J-P Fitoussi, La règle et le choix. De la souveraineté économique en Europe, Seuil, Paris, 2002. 62 BOUCHET Thomas - 2013 Conclusion 186 à une « somalisation de la planète » , un marché sans Etat de droit où l'harmonisation économique a pris le pas sur le politique. En 1992, la France échoua à faire valoir son idée forte d'une harmonisation fiscale en Europe. Selon Mitterrand, la fiscalisation de l'épargne était un préalable nécessaire à l'Union sous peine d'évasions fiscales ruinant le travail effectué jusque-là.Le président savait qu'une Union Européenne sans ce type d'harmonisation courait à de grands risques : « Il voulut relancer trois grands chantiers européens : la monnaie unique, l’harmonisation sociale et l’harmonisation fiscale. Il allait utiliser sa seconde Présidence de la Communauté durant le deuxième semestre 1989, pour impulser une dynamique qui conduisit au traité de Maastricht. Il allait réussir sur la monnaie unique et le protocole social. Mais l’harmonisation fiscale dut être ajournée, la France s’étant 187 retrouvée seule à la défendre » . Cette composante essentielle de l'approfondissement politique est aujourd'hui au cœur des controverses. L'existence de paradis fiscaux comme le Luxembourg, l'Autriche, membres de l'Union et de la zone Euro, ou d'exilés fiscaux toujours plus nombreux sont dus à ce refus britannique en particulier, mais aussi allemand d'intégrer ce paramètre dans le Traité de Maastricht. Se voulant être un traité refondateur en matière économique et politique, le Traité de Maastricht a consacré les principes néolibérales économiques, en se posant notamment comme objectif uniquement le maintien de l'inflation autour des 2% (et en ne comportant aucune ligne ayant pour objectif la croissance!). Une Union se voulant solide et soudée peut-elle demeurer sans harmonisation fiscale et en se comportant comme un vaste marché ? F. Mitterrand était opposée à cette harmonisation uniquement économique qui détruisait l'esprit de la construction européenne: «l'harmonisation fiscale (...) est l'idée européenne alors que la libéralisation des capitaux est 188 un processus d'intégration financière mondiale, et non européenne » . L'ironie veut que F. Mitterrand souhaitait faire de l'Europe une zone qui dépassait le cadre économique pour y incorporer les aspects politiques et culturels essentiels pour y implanter un sentiment de solidarité et d'appartenance fort. De même, il souhait créer en Europe de l'Est une nouvelle organisation qui serait plus une vaste zone de libre-échange qu'une Union politique. Or, l'Europe est devenue une vaste zone de libre-échange à son tour sans que la solution puisse venir de l'Est. Tout comme après la mort de Margaret Thatcher, il lui fut attribués l'origine de la crise actuelle à cause de sa libéralisation des marchés financiers, peut-on attribuer la crise de solidarité en Europe au « raté » de Maastricht ? Il ne fait nul doute que la France échoua à faire valoir ses idées européennes face à ses partenaires. En plus de l'harmonisation fiscale, la question de l'élargissement fait encore débat aujourd'hui. La France refusait un élargissement réalisé trop rapidement à l'Est, car il aurait fait intégré des pays beaucoup plus pauvres ou en retard que la moyenne alors. Or, aujourd'hui, la crise a frappé en premier lieu la Grèce, l'Espagne, le Portugal, soit les trois pays auxquels l'Europe a ouvert ses portes en 1981 et 1986. Dans le même temps, les pays de l'Est s'en sortent plutôt bien, à l'image de la Pologne. Cela semble montrer que ce n'est pas la question de l'élargissement en soi-même qui bloque, mais bien la façon dont elle fut aperçue par les différents Etats alors. En 1981, l'Europe était en plein essor : il fallait élargir 189 au Sud, à des pays récemment libérés de l'oppression . L'élargissement était considéré comme une condition nécessaire à la puissance européenne. Il en va différemment en 1990 où le bouleversement de l'ordre mondial modifie la façon de considérer l'élargissement et où 186 187 188 189 Expression employée par J. Attali lors de son intervention dans l'émission Ce soir (ou jamais) du 29 mars 2013. E. Guigou, « Le Traité de Maastricht », op.cit. Propos d'Hervé Hanoun, H. Védrine, op.cit, p.417. Le Portugal effectue la Révolution des Oeillets en 1974 et renverse ainsi la dictature de Marcelo Caetano ; a dictature des Colonels cesse en juillet 1974 en Grèce et le général Franco meurt en Espagne en 1975. BOUCHET Thomas - 2013 63 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne l'approfondissement est préférable. Cependant, la situation d'un pays comme la Grèce en 1981 n'était pas très reluisante : le pays vivait beaucoup sur les aides de fonds structurels européens et sur le tourisme, c'est-à-dire deux éléments qui sont indépendants de la bonne santé de l'économie grecque. De même, entre 1980 et 1990, la Grèce est régulièrement en récession et son système politique est basé sur un clientélisme et une forte bureaucratie 190 très coûteuse . Sa mauvaise santé économique est donc comparable à celle des pays de l'Est en 1989. C'est donc uniquement par pur intérêt que l'élargissement au pays du Sud fut adoptée ; leur position géopolitique était indispensable, contrairement à celle des pays de l'Est qui faisait planer l'ombre du géant américain. La crise actuelle est donc aussi en partie due à la mauvaise analyse faite des conséquences de l'élargissement en matière politique. La France échoua dans sa quête d'une Union politique ; les conséquences furent 191 l'achèvement d'un « Objet Politique Non Identifié » . La solution ne se trouve pas dans les programmes anti-européens actuellement en vogue : une intégration plus poussée est la solution que tout le monde refuse de prendre, faute de courage politique. En 1990, la ligne de fracture se faisait entre l'Ouest et l'Est. Aujourd'hui, elle se fait entre le Nord et le Sud de l'Europe. Peut-être la solution viendrait-elle d'une nouvelle idée européenne à l'allemande en 2012, et non plus à la française. 190 Il y a 300 000 fonctionnaires en 1974, 693 000 en 1989. Conférence de M. Georges Zavvos « La crise grecque : origines, remèdes et chances de redressement ». 191 64 Formule consacrée par J. Delors. BOUCHET Thomas - 2013 Liste de sigles Liste de sigles ∙ AUE : Acte Unique Européen ∙ AELE : Association Européenne de Libre-Echange ∙ BERD : Banque Européenne de Recherche et Développement ∙ CECA : Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier ∙ CEE : Communauté Economique Européenne ∙ CSCE : Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe ∙ ECU : European Currency Unit ∙ EURATOM ou CEEA : Communauté Européenne de l'Energie Atomique ∙ IDS : Initiative de Défense Stratégique ∙ OTAN : Organisation du Traité de l'Atlantique Nord ∙ PAC : Politique Agricole Commune ∙ PCE : Projet de Confédération Européenne ∙ PECO : Pays d'Europe Centrale et Orientale ∙ PNB : Produit National Brut ∙ RDA : République Démocratique d'Allemagne ∙ RFA : République Fédérale d'Allemagne ∙ SME : Système Monétaire Européen ∙ UEM : Union Economique et Monétaire ∙ URSS : Union des Républiques Socialistes Soviétiques BOUCHET Thomas - 2013 65 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne Bibliographie Ouvrages K.H. Bender, Der besondere Beitrag Deutschlands und Frankreichs zum Aufbau Europas : Eine historische, politische und militarische Sicht (Eurokorps und Europäische Eingung, Edition Zeitgesicht, Bonn, 1996. S. Berstein Les années Giscard: Valéry Giscard d'Estaing et l'Europe 1974 -1981, Armand Colin, Paris, 2006. Fr. Bozo, Mitterrand, la fin de la Guerre Froide et l'unification allemande : de Yalta à Maastricht, Odile Jacob, Paris, 1984. M-N. Brand Crémieux, Les Français face à la réunification allemande, Harmattan, Paris, 2004. Y. Brossard, J. Vidal, L'éclatement de la Yougoslavie de Tito, Presse Université Laval, Laval, 2011. Z. Brzezinski, Le grand Echiquier, Hachette, Evreux, 1997. D. David, « Paris-Bonn-Moscou, un triangle pour l'Europe », Agir pour l'Europe dans l'après-guerre froide, Masson, Paris, 1995. Fr.Depétris, L'Euro : une perspective politique. Dossier spécial , L'Harmattan, Paris 2003. Thèse de D. Diop , M.L.C, « PIB comparés des différents pays d'Europe occidentale depuis le traité de Rome » (1957-2007), Strasbourg, 2011. R. Dumas, « Un projet mort-né, la Confédération européenne », Politique Etrangère, n °3-2001-66e, 2001. J-P Fitoussi, La règle et le choix. De la souveraineté économique en Europe, Seuil, Paris, 2002. F. Gresse, « Extrême droite et néo-nazisme en Allemagne », revue Aide-Mémoire, n °15, octobre-décembre 2000. P. Grosser, « 1989, l'année où le monde a basculé », Ed. Perrin, Paris, 2009. V. Havel, A vrai dire, Editions de l'Aube, Paris, 2007. V. Havel, L'angoisse de la liberté, Editions de l'Aube, Paris, 1998. A. Houziaux, Le citoyen, les pouvoirs et Dieu, Olivetan, Paris, 1998. D. Huber, Decade which made History : The council of Europe 1989-1999, Editions du Conseil de l'Europe, Strasbourg, 1999. 66 BOUCHET Thomas - 2013 Bibliographie Cl. Imbert, Par bonheur, Grasset, Paris, 1994. St. Martens, L'unification allemande et ses conséquences pour l'Europe : 20 ans après, Presse Universitaire du Septentrion, Villeneuve-d'Ascq, 2011. D. Kenneth, European States and the Euro : Europeanization, Variation and Convergence, Oxford University Press, New York, 2002. A. Leparmentier, Ces Français : fossoyeurs de l'Euro, Plon, Paris, 2013. M. Mertes, « Les questions allemandes au XXe siècle : identité, démocratie, équilibre européen», Politique Etrangère, volume 65, n°3-4, 2000. F. Mitterrand, Ici et maintenant, François Mitterrand, Guy Claisse, Fayard, 1980. F. Mitterrand, « Réflexion sur la politique extérieure de la France », Fayard, Paris, 1986. D.Moïsi, « L'Amérique dans les relations franco-allemandes », Agir pour l'Europe dans l'après-guerre froide, Masson, Paris, 1995. Ur. N'Sondé, Les réactions à la réunification allemande : en France, en GrandeBretagne et aux Etats-unis, L'Harmattan, Paris, 2006. M. Rocard, Si Ca vous amuse, Paris, Flammarion, 2010. Fr. Schlosser, Essai de la Semaine sur T. Schabert, Mitterrand et la réunification allemande, Une histoire secrète (1981-1995), traduit de l'allemand par Olivier Mannoni Grasset, Paris , 2009. Fritsch-Bournazel, Renata, L'Allemagne unie dans la nouvelle Europe, Complexe, Bruxelles, 1991. H. Védrine, Les mondes de François Mitterrand, Fayard, Paris, 1996. Articles M. Chaux, « François Mitterrand et les Etats-Unis », Institut François Mitterrand, 2008. Article d' A. Dauvergne, « Le plébiscite tricolore », Le Point, 4 décembre 1989. Article de J. Goytisolo, « Le machiavélisme aveugle de F. Mitterrand », El Pais, Courrier International, 5 novembre 2009. Fl. Deloche, « La France et l'élargissement à l'Est de l'Union Européenne », Les Etudes du CERI, n° 46, octobre 1998. D. Kenneth, « La France, l'Union Economique et monétaire et la construction européenne : renforcer l'exécutif, transformer l'Etat », Politiques et management public, vol.15, n°3, 1997. El.Guigou, « Le Traité de Maastricht : la dernière grande œuvre européenne de F. Mitterrand », Institut François Mitterrand, 2004. S.Hoffmann. Dilemmes et stratégies de la France dans la nouvelle Europe (1989-1991). In: Politique étrangère N°4, - 1992 - 57e année, 1992. D.Howart, « The French State in the Euro-Zone : Modernization and Legitimizing Dirigisme », European States and The Euro, Oxford Scholarship Online. BOUCHET Thomas - 2013 67 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne D.Huber, Le conseil de l'Europe (1989-1999) : une décennie pour l'histoire, Revue belge de philosophie et d'histoire, 2001, volume 79. H.Kohl, « Europe. Every German future », Europan Affairs, 1er trimestre 1990. Cl.Louati, “Le Royaume-Uni, éternel adversaire de la politique sociale européenne ?”, Nouvelle Europe [en ligne], Lundi 5 décembre 2011, http://www.nouvelle-europe.eu/ node/1333, consulté le 12 mars 2013. R. Mundell, « The Monetary Dynamics of International Adjustement under Fixed and Flexible Exchange Rates », Oxford Journal, Quarterly Journal of Economics, vol 74, 1960. J. Musitelli, « François Mitterrand, architecte de la grande Europe : le projet de confédération européenne (1990-1991), Revue Stratégique et internationale, Armand Colin, 2011/2, n°82. M-P. Rey, « Gorbatchev et la Maison Commune Européenne :une opportunité manquée ? », Institut François-Mitterrand, 2007. F. Schlosser, « Quand l'Allemagne s'éveillera », Le Nouvel Observateur, 2 novembre 1990. F. De La Serre, « Comment être à la fois britannique et européen ? », Politique étrangère N°1 - 1993 - 58e année. E. Thiel, I. Bonnefond, « L'Allemagne, l'UEM et le pacte de stabilité », Politique Etrangère n°1, 2004. Sources annexes Article dans le journal Le Monde du 14 juin 1991. Archives du journal Le Soir du 13 juin 1990. Archives britanniques du 11 septembre 2009. X. De Villepin, « La Russie sur l'échiquier mondial : les moyens et les objectifs de la puissance russe aujourd'hui ?, Colloque organisé par l'Association des Historiens au Sénat, 2002. Colloque « Culture européenne : Identité et diversité » », 8-9 septembre 2005. Conférence de M. Georges Zavvos « La crise grecque : origines, remèdes et chances de redressement », 15 novembre 2011. Discours de F. Mitterrand devant le Parlement Européen le 25 octobre 1989. Entretien accordé par F. Mitterrand, « Toujours plus d'Europe », L'Expansion, 17/30 ; octobre 1991, n°414. Interview de Jacques Attali, « La question allemande », L'Express, 30 juillet 2009. Extraits de la rencontre entre F.Mitterrand et F.Gonzalez à Latché le 25 août 1987. 68 BOUCHET Thomas - 2013 Bibliographie M.L.C, « L'Union monétaire européenne doublée par l'union monétaire allemande », Libération, 1er février 1990. Interview de F. Mitterrand faite au journal Le Monde, 20 juin 1990. J-C. Guillebaud, « On pouvait arrêter les Serbes », Le Monde, 6-7 octobre 1991. Interview de Bertrand Badie dans Le Monde, 15 octobre 2010. Interview de Le Monde, David S. Bell, 6 mai 2011. V. Jauvert, « François Mitterrand vu de Washington », Affaires Etrangères, le blog de V. Jauvert, Le Nouvel Observateur, 22 août 2010. Déclaration du 13 septembre 1987 au Grand Jury RTL Le Monde. Emission Ce soir (ou jamais) du 29 mars 2013. Emission « Où, quand comment l'histoire » sur LCP du 3 janvier 2013. Entretien avec Michel Rocard du 8 Février 2013. Site et rapports des institutions européennes Discours du 26 septembre 1989, devant le Conseil de l'Europe de Jacques Delors. Rapport de Catherine Lalumière « Politique générale du Conseil de l'Europe - relations Est-Ouest », 6 octobre 1989. Rapport d'Aurélia Bouchez du Ministère des Affaires Etrangères sur le processus d'unification allemande et l'URSS, 27 mars 1990. Rapport de la Commission Européenne Eurobaromètre n°33, « L'opinion publique dans la Communauté Européenne, juin 1990. Rapport de Wim Kok à la Commission Européenne,« Elargissement de l'Europe : Résultats et défis », novembre 2004. Site officiel de la European Bank for Research and Development, http://fr.ebrd.com/ pages/homepage.shtml Site Europa, Eurojargon, http://europa.eu/abc/eurojargon/index_fr.htm . Site officiel du FMI, http://www.imf.org/external/french/ . Recommandations 1103 (1989) 15 mars, relatives au rôle futur du Conseil de l'Europe dans la construction européenne. BOUCHET Thomas - 2013 69 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne Annexes Discours de M. Gorbatchev devant le Conseil de l'Europe (Strasbourg, 6 juillet 1989) En ce qui concerne le contenu économique de la maison européenne commune nous considérons comme réelle, quoique éloignée, la perspective de la création d'un large espace économique s'étendant de l'Atlantique à l'Oural et caractérisé par une forte interdépendance de ces parties orientale et occidentale. La transition qui s'opère en Union soviétique vers une économie plus ouverte a, dans ce sens, une importance fondamentale, d'ailleurs, pas uniquement pour nous-mêmes, pour accroître l'efficacité de l'économie nationale et pour satisfaire aux demandes des consommateurs. Cela renforcera l'interdépendance des économies de l'Est et de l'Ouest et, par conséquent, aura une influence favorable sur l'ensemble des relations européennes. Des traits similaires du fonctionnement pratique des mécanismes économiques, la consolidation des liens et un plus grand intérêt économique, l'adaptation réciproque, la formation de spécialistes dans les domaines appropriés, autant de facteurs ayant une action à long terme dans la voie de la coopération, autant de gages de stabilité de l'ensemble du processus européen et international. Les contacts que j'ai eus avec les responsables du monde des affaires du RoyaumeUni, de la République Fédérale d'Allemagne, de la France, de l'Italie, des États-Unis au cours de mes visites à l'étranger et, plus d'une fois, à Moscou, témoignent d'un intérêt accru pour traiter avec nous dans les conditions de la perestroïka. Nombreux sont ceux qui ne dramatisent pas nos difficultés, qui tiennent compte des particularités du moment, où la réforme détruit les mécanismes obsolètes plus vite qu'elle n'en construit de nouveaux. J'ai remarqué également la ferme volonté des gens d'affaires expérimentés et possédant une mentalité politique ouverte d'accepter des risques justifiés, de faire preuve d'audace, d'agir en regardant l'avenir. Cela servira d’ailleurs, non seulement les intérêts du business mais aussi les intérêts du progrès et de la paix,de l'humanité toute entière. Il semble que l’on réalise davantage que limiter les relations avec nous à un profit commercial immédiat, signifie laisser échapper la chance d'une coopération économique d'envergure et à long terme - beaucoup plus avantageuse - en tant que composante du processus européen. J'estime que cette auguste Assemblée sera d'accord pour constater qu'il serait peu normal d'envisager à notre époque des relations économiques en dehors des liens scientifiques et techniques. Or, dans les relations Est-Ouest ces derniers sont dans une large mesure affaiblis par le COCOM. 70 BOUCHET Thomas - 2013 Annexes Et si, en pleine guerre froide une pareille pratique pouvait se justifier d'une manière ou d'une autre, aujourd'hui, plusieurs prohibitions n'ont pas l'air simplement dérisoires. Certes, chez nous aussi, il y a trop de choses qui passent pour être confidentielles. Mais nous avons déjà commencé à y remédier. Nous commençons à nous débarrasser de notre « COCOM intérieur » - le cloisonnement qui existe entre les industries militaire et civile. Alors, faudrait-il peut-être, que les spécialistes et les représentants des gouvernements appropriés se réunissent et déblaient cet encombrement créé par la guerre froide ? Faudrait-il établir des limites raisonnables, dictées vraiment par la sécurité, pour ce qui est secret et libérer le flot, dans les deux sens, du savoir scientifique et de l'art technologique ? L'Est comme l'Ouest de l'Europe porte le même intérêt pour des projets d'actualité tels que : la construction d'une ligne ferroviaire transeuropéenne à grande vitesse ; le programme européen concernant l'élaboration de nouvelles technologies et du nouvel équipement, l’utilisation de l’énergie solaire, l'élaboration des procédés de traitements et d'enterrement des déchets nucléaires et de l'accroissement de la sécurité des centrales atomiques ; l'ouverture des chaînes additionnelles de transmission de l'information avec l'utilisation des fibres optiques ; la mise sur pied du système européen de transmission par satellite. La mise au point du système de télévision à haute définition est extrêmement intéressante. Les recherches sont menées dans plusieurs pays et ce système a un grand avenir pour être installé dans la maison européenne. Naturellement, le modèle le plus perfectionné et le moins coûteux sera préférable. En 1985, nous avons avancé à Paris avec le Président Mitterrand, l'idée de création à titre expérimental d'un réacteur thermonucléaire international. Il sera une source intarissable d'énergie non polluante. Ce projet qui est le résultat de l'utilisation des potentiels scientifiques réunis de l'URSS, des pays de l'Europe occidentale, des États-Unis, du Japon, des autres États, a atteint actuellement sous l'égide de la Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) l'étape des recherches pratiques. Selon les prévisions des savants, la construction d'un tel réacteur peut être effectuée vers la fin du siècle. Il s'agit d'une réalisation grandiose de la pensée scientifique et de l'art technologique qui contribuera à l'avenir de l'Europe et du monde entier. Le modèle du rapprochement économique entre l'Europe de l'Est et de l'Ouest sera déterminé, non pas en dernier lieu, par des rapports entre les associations régionales occidentales: la Communauté européenne, l'AELE et le CAEM. Chacune d'elles possède sa propre dynamique dudéveloppement et ses propres problèmes. Nous ne doutons pas que les processus d'intégration en Europe occidentale ne prennent une qualité nouvelle. Nous n'avons pas, non plus, tendance à sous-estimer l'apparition, ces prochaines années, d'un marché européen unique. Le Conseil de l'assistance économique mutuelle s'est également orienté vers la construction d'un marché unifié, quoique là, nous sommes très en retard. La marche de la restructuration du CAEM déterminera pour beaucoup ce qui sera développé plus vite dans les années à venir - les rapports entre le CAEM et la Communauté européenne, en tant que groupements, ou bien les liens entre les pays socialistes isolés et la Communauté européenne. BOUCHET Thomas - 2013 71 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne Il est fort possible que l'une ou l'autre forme s'avance au premier plan aux différentes étapes. Il est important que toutes les deux s'inscrivent dans la logique de la construction de l'espace économique européen. Pour ce qui est de l'URSS, nous avons à l'ordre du jour l'accord commercial et économique entre notre pays et la Communauté européenne. Nous attribuons à cet acte une importance substantielle également du point de vue des intérêts européens. Naturellement, nous sommes loin d'opposer nos liens avec la Communauté européenne à ceux que nous avons avec d'autres associations ou États. Les pays membres de l'AELE sont nos bons partenaires de vieille date. Il serait peut-être raisonnable de parler du développement des relations entre le CAEM et l'AELE, d'utiliser cette direction de la coopération multilatérale dans l'édification d'une nouvelle Europe. La maison européenne doit être écologiquement propre. La vie a donné des leçons bien pénibles. Depuis longtemps, les grands problèmes écologiques en Europe ont débordé le cadre national. Il est donc urgent de créer un système régional de la sécurité écologique. Il est tout à fait possible que cela soit précisément dans cette direction prioritaire que le processus européen se développe le plus vite. SecInterview de M. François Mitterrand, Président de la République, accordée à l'agence télégraphique hongroise ainsi qu'à "Nepszabadsag", quotidien du parti socialiste hongrois, le 17 janvier 1990, notamment sur le projet de confédération européenne, l'aide économique aux pays de l'Est et les relations franco-hongroises.onde annexe Personnalité, fonction : MITTERRAND François. FRANCE. Président de la République Circonstances : Voyage officiel en Hongrie les 18 et 19 janvier 1990 « QUESTION.- Monsieur le Président, dans votre message de nouvel an, vous avez mentionné que la future Confédération européenne devrait créer un organisme commun et permanent en vue de garantir le commerce, la paix et la sécurité. Cet organisme serait-il un prolongement de l'Accord d'Helsinki, ou bien un autre cadre, ou encore une association à d'autres institutions ouest-européennes ? - LE PRESIDENT.- Les principes qui ont été inscrits, il y a de cela quinze ans, dans la déclaration finale de la Conférence d'Helsinki, doivent continuer à inspirer les relations politiques, économiques, culturelles des Etats de notre continent. La future Confédération européenne aura à s'y référer. Elle aura aussi à tenir compte de ce qui a déjà été fait en Europe pour rapprocher les pays, pour les faire collaborer, dans le domaine économique en particulier. Mais il est trop tôt encore pour figer ce qui en sera le cadre précis. Cette confédération aura une vocation très large : c'est pour cela que j'ai parlé à la fois de sécurité et d'échanges ce qui, vous en conviendrez, va au-delà des seules relations commerciales. Elle aura pour vocation de réunir pour quelques grandes tâches les 72 BOUCHET Thomas - 2013 Annexes Etats d'Europe qui cesseront ainsi d'être artificiellement séparés. Mais comme je l'ai dit le 31 décembre 89 cela suppose que soit parachevée la marche vers la démocratie. QUESTION.Sur la voie menant à la Conférence européenne, quel serait l'avenir des deux blocs militaires actuels, l'OTAN et le Pacte de Varsovie ? Subsisteraient-ils ? Se transformeraient-ils en organisations ? Cesseraient-ils d'exister ? - LE PRESIDENT.- Ne nous hâtons pas trop, même dans les anticipations. Les Alliances existent et ne sont pas près de se dissoudre. Ce qui me semble, à l'heure actuelle, essentiel dans le domaine de la sécurité est la poursuite de l'effort entrepris par chacun des pays européens pour parvenir à un nouvel équilibre des forces conventionnelles, à des niveaux considérablement réduits. Les événements actuels favorisent plus que jamais cette démarche dont je souhaite vivement qu'elle aboutisse, cette année, à un accord. QUESTION.- La majorité des pays d'Europe de l'Est sont exsangues sur le plan économique, et ont besoin d'un soutien international pour se remettre sur pied. N'ont-il pas cependant à craindre de devenir de ce fait le théâtre de luttes d'influence de grandes puissances, ou bien encore des influences de grandes puissances fortement unilatérales pourront renaître dans cette région ? - LE PRESIDENT.- Le risque que vous évoquez est réel, mais il ne doit pas être surestimé. Les besoins des pays d'Europe de l'Est dans l'ordre économique, financier, dans le secteur de la formation sont très importants. Il y a donc place pour tous ceux qui voudront contribuer à l'épanouissement démocratique et économique de cette zone. Mais il est vrai que nous devons éviter les luttes d'influence, génératrices de gaspillage, de mauvaise utilisation des ressources disponibles. Cette préoccupation d'assurer une meilleure coordination des concours a inspiré les Sept lorsqu'ils ont décidé au Sommet de l'Arche, que je présidais en juillet 1989, de confier à la Commission des Communautés européennes la responsabilité de coordonner les aides à la Hongrie et à la Pologne. Le mécanisme fonctionne - il regroupe 24 pays - et doit permettre d'éviter l'écueil que vous mentionnez. Par ailleurs, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, dont j'ai proposé en octobre la création et dont la mise en place est en cours, apportera le soutien nécessaire au redressement économique des pays d'Europe. QUESTION.- Dans vos voeux de nouvel an, vous avez dit : "Ou bien la tendance à l'émiettement se poursuit, et nous retrouvons l'Europe de 1919. On connaît la suite -, ou bien l'Europe se reconstruira". En ce qui nous concerne, le sort des Hongrois vivant au-delà de nos frontières ne nous est pas indifférent et nous ne pouvons imaginer l'Europe future qu'avec la garantie démocratique des droits humains et nationaux des minorités. Pouvonsnous compter sur le soutien et l'influence de la France dans le règlement de ces questions, dans un esprit d'amitié et de compréhension avec nos voisins ? - LE PRESIDENT.- La prise en compte des droits des minorités est déterminante si l'on veut éviter une remise en cause des frontières héritées du Traité de Versailles ou des accords conclus au lendemain de la seconde guerre mondiale. Même si ces traités et accords sont imparfaits. Tous les pays européens en sont convenus lors de la Conférence d'Helsinki. Bien entendu, là où elles se trouvent, les minorités doivent vivre dans la plénitude de leurs droits. Ne pas prêter attention à leurs demandes légitimes serait, alors, s'exposer à un révisionnisme territorial dangereux pour la stabilité et la paix. QUESTION.- Comment voyez-vous, monsieur le Président, les traits essentiels de la gauche, les objectifs du socialisme démocratique, dans l'Europe des années 90 ? - LE PRESIDENT.- Un rappel historique n'est pas inutile : c'est grâce aux luttes menées depuis un siècle par les socialistes que nos sociétés, en Europe de l'Ouest peuvent représenter un modèle enviable. La législation sociale, l'éducation, le niveau des rémunérations, une certaine qualité de vie apparaissent aujourd'hui comme des données évidentes, mais elles ont été arrachées par le combat d'hommes qui croyaient aux idéaux de justice et de solidarité. Au moment où dans les pays de l'Est s'opère un mouvement pour rejoindre le socialisme démocratique, le champ d'action est encore vaste, les chantiers nombreux. Il y a encore beaucoup à faire pour réduire les inégalités, pour BOUCHET Thomas - 2013 73 La France, Mitterrand et l'Europe : l'idée européenne face au défi de la construction européenne venir en aide aux déshérités, pour bâtir une société plus solidaire. Et comment oublier les milliards d'êtres humains qui continuent à être dominés et opprimés dans ce que l'on appelle les pays du Sud ? Il ne faut pas imaginer que les mécanismes naturels peuvent suffire à effacer ces injustices. Le socialisme démocratique a donc un rôle décisif à jouer pour construire cette société plus humaine. Entre le capitalisme sauvage, la jungle du marché et le communisme totalitaire, il existe une troisième voie : le socialisme démocratique, qui conjugue liberté et justice. QUESTION.- En tant que Président de la République c'est la deuxième fois que vous effectuez une visite en Hongrie. Quelle est votre appréciation sur l'évaluation de nos relations bilatérales depuis votre dernière visite et qu'attendez-vous de votre voyage actuel ? Dans l'optique des changements politiques et économiques qui se sont produits en Hongrie, quelles nouvelles possibilités voyez-vous pour le développement ultérieur de nos relations ? Peut-on attendre de ce voyage l'élargissement de la coopération économique réellement nécessaire à la Hongrie ? - LE PRESIDENT.- Nous avons avec la Hongrie, de longue date, des relations de très bonne qualité, dont attestent la fréquence et la régularité des visites entre responsables gouvernementaux entre l'un et l'autre Etat. La France a toujours été attentive aux positions originales adoptées par la Hongrie et a répondu positivement à l'accueil fait dans votre pays aux entreprises étrangères. Sur le plan du commerce et des projets communs, des résultats satisfaisants ont été atteints. - Compte-tenu des données nouvelles, des choix faits récemment par la Hongrie en matière politique et économique, nous pouvons, nous voulons faire davantage. La France s'y emploie en tant qu'Etat membre de la Communauté économique européenne : elle a soutenu notamment le principe de l'octroi à la Hongrie du crédit-relais d'un milliard de dollars qu'elle demandait. Mais les actions se mènent aussi bilatéralement. Le voyage que je m'apprête à faire à Budapest, accompagné d'une délégation de ministres exerçant des responsabilités économiques, d'hommes d'affaires, d'industriels va, je l'espère, ouvrir des champs nouveaux à notre coopération, dans les domaines économique, bien sûr, industriel, bancaire, culturel, mais aussi dans celui de la formation. » Postface Le 9 novembre 1989, le Mur de Berlin tombe. Plus qu'un simple mur, c'est le processus de construction européenne engagé depuis dix ans qui risque de s'effondrer. Alors que les nombreux pays de l'Est font un appel du pied de plus en plus pressant pour entrer dans la Communauté Européenne et Economique, devant devenir Union Européenne en 1992, la France et son président, François Mitterrand, sont à la pointe du combat en faveur de l'approfondissement. Entre discours porteurs d'espoirs quant à l'avenir de l'Europe et craintes à l'égard de la future puissance allemande, la France a cherché durant ces annéeslà à porter un idéal européen. Or, comment l'imposer face aux revendications allemandes, aux exigences britanniques et aux conditions américaines sur la construction européenne ? François Mitterrand voulait une Europe politique, où tous les pays iraient à la même vitesse. Le Projet de Confédération du 31 décembre 1989 est l'exemple parfait de cette idée européenne à la française. 74 BOUCHET Thomas - 2013