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SIGLES ET GLOSSAIRE
Ayat : Verset coranique
B.I. : Banque Islamique
B.I.D. : Banque Islamique de Développement
Charria : Lois coraniques régissant la vie des musulmans
Coran : Le Livre Saint chez les musulmans
D.M.I. : Dar Al Maal Al Islami
Figh : Ensemble de la jurisprudence islamique
Gharar : Jeu de hasard
Hadith : Les paroles et les actes du Prophète Mohammad
(PSL)
Hiyal : Ruses
Idjma : L’unanimité de l’ensemble des docteurs musulmans
Ijtihad : Littéralement « le fait de se donner de la peine ». En
droit islamique le terme technique pour indiquer d’abord
l’usage du raisonnement individuel et ensuite, dans un sens
plus restreint l’utilisation de la méthode du raisonnement (via
Coran, Hadith, Idjma et intellect), pour déterminer les
qualifications légales (règles religieuses) en l’absence de
textes formels ou d’indices probants.
O.C.I. : Organisation de la Conférence Islamique
P.L.S.: Profit and Loss Sharing
P.P.P. : Partage du Profit et de la Perte
Riba : L’usure
Sourate : Chapitre coranique
Sunna : La tradition rapportant les actes ou les paroles du
Prophète, ou son approbation tacite de paroles prononcées ou
d’actes effectués en sa présence.
Ulemas : Savants
Umma : La nation ou la communauté musulmane
Zakat : Impôt islamique, (est analogue à certains égards à la
dîme catholique) qui signifie la purification.
7
INTRODUCTION
Dans ce livre, nous allons rappeler les grandes lignes du
développement de la théorie économique dans son attitude à
l’égard de l’intérêt pour montrer à la fois son imprécision et
le caractère non définitif du débat ouvert dès la plus haute
Antiquité, et qui reste encore ouvert à notre époque. Le taux
d’intérêt est aussi vieux que le monde. Il était utilisé par les
civilisations les plus reculées. Il l’est encore de nos jours. Il a
été combattu par les philosophes et les religieux, mais il a
existé. Ce n’est qu’à partir du XVIIème siècle que les
économistes se sont intéressés à expliquer, justifier et
élaborer les théories sur le taux d’intérêt « d’où que l’on
parte en effet, de la consommation et la production, des
revenus ou du capital, des phénomènes réels ou des
phénomènes monétaires, il est impossible de ne pas voir tous
les raisonnements, toutes les hypothèses, toutes les analyses
achoppées à ce phénomène complexe qu’est le taux
d’intérêt. »1
L’évolution de la question de l’intérêt dans l’Histoire :
Le phénomène de l'intérêt n'a cessé de soulever
d'innombrables controverses depuis les temps les plus
reculés, tant il mêle des principes d'éthique, des préceptes
politiques, des analyses scientifiques et économiques. Les
prescriptions à son sujet ont varié mais toutes les religions du
livre (judaïsme, christianisme et islam) l'ont condamné au
moins à certaines époques. En effet, depuis la très haute
Antiquité et jusqu’à nos jours, la question de l’usure a attiré
l’attention des plus grands auteurs : philosophes, historiens,
théologiens, moralistes, juristes et économistes, sans que l’on
ait, pour autant, abouti à une solution satisfaisante pour
l’ensemble des tendances et des familles de pensée. Voilà ce
que nous dit Allais sur l’importance et la difficulté de la
1
Cotta Alain, Taux d’intérêt, plus value et épargne en France, PUF, Paris, 1976,
P. 8.
11
théorie de l’intérêt du capital : « Les penseurs les plus
pénétrants et les plus subtils de la science économique, parmi
lesquels il faut placer au premier rang E. Von Böhm-Bawerk,
I. Fisher et J.M. Keynes, se sont efforcés depuis plus de deux
siècles de résoudre le problème de l’intérêt, mais malgré la
diversité des méthodes utilisées, on doit constater que le
trouble reste dans les esprits et qu’aucune théorie ne s’est
encore définitivement imposée. Les difficultés présentées par
le problème de l’intérêt n’ont cessé d’apparaître plus
grandes, à mesure que son analyse devenait plus
approfondie. »2
On peut cependant constater dans le développement de la
question de l’intérêt du capital, une certaine évolution en trois
grandes étapes :
D’abord une très longue période historique qui va de
l’Antiquité jusqu’au milieu du XIIème siècle. Au cours de
cette période, le principe du prêt à intérêt était prohibé et
critiqué, principalement par un grand nombre de philosophes
et théologiens.
La deuxième phase part du milieu du XIIème siècle
jusqu’au milieu du XVème siècle. Cette période était
caractérisée par la prospérité du commerce et l’accroissement
du pouvoir des hommes d’affaires par rapport au pouvoir
ecclésiastique, ce qui a entraîné des exceptions ainsi que des
entorses au principe de l’interdiction.
Puis, avec l’avènement du capitalisme et tout au long de
son développement, l’intérêt a trouvé chez la plupart des
théoriciens, des réformateurs et des économistes justification,
appui et parfois même apologie.
Pour que la synthèse que nous entendons tirer de ce travail
soit complète, on ne doit pas s’arrêter seulement à ce qui,
dans notre esprit, forme le but essentiel de notre recherche :
la question du prêt à intérêt et l’usure, confrontée à cet égard
au point de vue de l’Islam et celui de la chrétienté, il faut
2
Allais. M, Economie et intérêt, Tome I, Imprimerie Nationale, Paris 1947, P. 15.
12
aussi plonger dans les civilisations du passé, en particulier
celles dont nous avons hérité et qui ont laissé leur empreinte
sur nos corps de lois. C’est pourquoi nous traiterons aussi,
mais en passant, du prêt à intérêt et de l’usure à Rome, dans
la Grèce antique et, puisque aujourd’hui, grâce aux travaux
des archéologues et des savants, l’on est assez familiarisé
avec elle, dans la législation babylonienne.
Nous consacrerons d’abord un aperçu général aux
législations anciennes, puis nous étudierons la chrétienté
médiévale et judaïsme et l’évolution de l’usure vers l’intérêt,
ce qui nous amènera enfin à parler de la position ainsi que
des analyses des écoles libérales. Nous nous pencherons
davantage sur la conception de l’Islam en matière de l’usure
et l’intérêt. Celle-ci présente un intérêt particulier pour le
chercheur occidental car, ainsi que cela s’est produit dans le
moyen âge chrétien, le problème se trouve envisagé, de cette
façon, sous son aspect à la fois religieux et civil.
Religion et développement économique :
On affirme souvent que le développement économique et
social est lié à certaines croyances, à des mentalités
ambiantes et des attitudes de la culture face à la nature et aux
mécanismes économiques modernes. Cela mérite d’être
évoqué surtout après la relation wébérienne entre éthique
protestante et capitalisme ou celle entre culture technique et
discipline allemande. A propos de la question de l’intérêt du
capital, le thème principal de la réflexion, on a parfois pensé
que le développement économique et technique de l’occident
a été possible parce que les sociétés occidentales ont eu, à
l’égard de l’intérêt, une attitude mitigée à la fois permissive,
encourageante, tempérée, conciliante ou équivoque qui a
permis aux plus entreprenants et plus dynamiques de se
13
lancer dans les affaires économiques et l’innovation
technologique.3
C’est grâce à cette attitude permissive à l’égard du prêt à
intérêt que le système capitaliste et l’ère du machinisme ont
pu naître et donner naissance notamment aux grandes
entreprises industrielles et commerciales dont les bienfaits se
sont répandus sur toute la société. Le prêt à intérêt aurait en
particulier permis aux sociétés l’ayant adopté, de se lancer
dans des activités demandant un certain volume de capital (et
quelles sont celles qui ne le demandent pas aujourd’hui ?) et
ainsi de découvrir et de développer les avantages de la
recherche scientifique, de l’innovation technologique et de
l’investissement capitalistiques.
La tentative de détermination des comportements
économiques et sociaux par la conscience religieuse, question
soulevée au début du siècle par Weber, n’a pu prospérer à
l’image des questions profondes qui ne comportent pas
souvent de réponses simples et directes.
Ainsi, le capitalisme redevient l’esprit d’accumulation de
richesse à outrance sans éthique, opposé au concept
d’économie domestique et de simple satisfaction de besoin.
En ce qui nous concerne, cette théorie, prise pour argent
comptant, semble indiquer que si les sociétés musulmanes
sont aujourd’hui dans un état de sous – développement
technologique et économique, cet état de fait ne serait que la
résultante d’une somme de croyances à la fois religieuse et
culturelle qui ont toutes pour but de condamner le prêt à
intérêt sous quelque forme que ce soit. Il nous incombe donc
d’établir que cette interprétation peut être erroné et que
l’Islam contient en lui-même toutes les implications
nécessaires qui poussent à l’activité et, par suite, au
développement.
3
Il importe de noter que ce changement d’attitude a résulté d’autres changements
plus importants : la réforme du christianisme et les mouvements de la renaissance.
Ces changements profonds de la société occidentale ont permis le dynamisme
économique et l’innovation technologique.
14
Dans ce livre, nous étudierons, dans la première section
l’histoire et la théorie économique ancienne et contemporaine
en matière de prêt à intérêt et d'usure, ce qui nécessite de se
plonger dans les civilisations du passé. Dans la deuxième
section de la recherche, on traitera de la conception islamique
de l'intérêt, ses fondements philosophiques et théoriques, puis
de son fonctionnement.
15
Section 1 :
Théorie de l’usure et de l’intérêt
Dans la première section du ce livre, nous étudierons la
théorie de l’usure et de l’intérêt, dans une approche historique
en occident, de l’Antiquité à aujourd’hui. D’abord la notion
de l’intérêt et de l’usure au sens ancien sera traitée, puis on
étudiera les théories modernes de l’intérêt.
1 - L’INTERÊT ET L’USURE AU SENS ANCIEN
Avant d’entrer dans le détail, il est nécessaire de clarifier
la signification de l’usure. Comme le souligne LEBRAS,
c’est une tâche difficile : "la notion d'usure reste vague, la
justification rationnelle est encore sommaire, la distinction
des cas à peine ébauchée".4 La définition de l'usure a varié au
cours des temps sous l'influence de plusieurs facteurs tant
politiques qu'économiques. Ce terme provient du grec toxos
(enfant) et signifiait à l'origine tout surplus au sort du capital.
Le dictionnaire de Littré donne de l'usure une définition
analogue : "l'usure est proprement toute espèce d'intérêt que
produit l'argent".5 L’église en effet entend de l'usure toute
transaction comportant le paiement d'un intérêt.6 A ce propos
IBANES, dit: "En soi, la définition de l'usure est simple.
Reprenant l'expression figurant dans le décret de GRATIEN
(cause XIV, Q.3) Raymond de PENAFORT, entre autres,
déclare usuraire tout surplus fourni par l'emprunteur au
prêteur... tout ce qui vient s'ajouter au capital, quelle que
soit, du reste, la nature de cette superabundantia (argent, blé,
vin, huile, etc.)... il y a usure lorsqu'on demande en retour
plus qu'on a donné".7
Enfin, "Le simple "prêt à intérêt", écrit VITTRANT
prétend être un contrat qui aurait objet la remise à quelqu'un
4
LEBRAS.G, Dictionnaire de théologie catholique, Paris, 1950, col.2336.
LITTRE.E, Dictionnaire de la langue française, mot "usure", Tome II, 2éme Ed,
1869, p.2403.
6
LE GOFF.J, Marchands et banquiers du Moyen-âge, collection Que Sais-Je, n°
699, Paris p.72.
7
IBANES.J., La doctrine de l’Eglise et les réalités économiques du XIIIème
siècle, Ed P.U.F., Paris, p.16.
5
19
d'une somme d'argent ou de tout autre chose dont l'usage
suppose la consommation ou l'aliénation, avec l'obligation
pour l'emprunteur, -non seulement de rendre, à date fixe la
valeur de la somme ou de l'objet emprunté, - mais encore de
remettre au prêteur, à cette date ou à des époques
antérieures, une valeur nouvelle dite "intérêt" du capital
prêté".8
1.1.
L’ANTIQUITE
Les plus lointaines pratiques du prêt à intérêt remontent à
l'Antiquité et existaient dans les civilisations reconnaissant un
droit commercial : l'Orient Méditerranéen (Babylone), la
Grèce et Rome. Nous commençons notre étude dans ce
chapitre avec la législation babylonienne et en particulier
celle de HAMMURABI (1728-1686 avant J.C.) relative au
prêt à intérêt qui mérite particulièrement d’être étudiée. En
tenant compte des dispositions relatives au prêt dans le code
de HAMMURABI, en l’état actuel des connaissances, on
peut distinguer trois périodes correspondant à trois étapes
dans l’évolution du prêt :
1 - L’époque antérieure aux lois d’ESNUNNA (le code
antérieur d’environ 50 ans au code SUMERIEN).
2 - L’époque se situant entre les lois d’ESNUNNA et la
codification de HAMMURABI.
3 - L’époque HAMMURABIENNE, qui nous intéresse
particulièrement.
"Septième principe de la première dynastie de Babylone,
HAMMURABI est le souverain le plus prestigieux de la
Mésopotamie ancienne par l'ampleur de son oeuvre politique
et législative. Son règne de quarante-trois ans est considéré
comme l'âge d'or de la civilisation Babylonienne. La
découverte de son code par une mission française, en 1902,
sur l'acropole de SUSE, a renouvelé l'histoire de droit... .
Mais c'est surtout dans son code que se manifeste le génie
8
VITTRANT.J.B, Théologie morale Ed. Beauchesne, Paris, 1941, P.176.
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