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LE GESTIONNAIRE D’UNE FIRME-RÉSEAU1
Patrick Dany Razakamananifidiny, DBA, Adm.A.
Chargé de cours en management
Conseiller en développement international
Université du Québec à Trois-Rivières
La firme-réseau apparaît comme une des nouvelles formes d’organisation adaptée au contexte
concurrentiel qui s’intensifie. Une telle organisation semble être soutenue par différents types de
gestionnaires.
Qui sont-ils et quels rôles jouent-ils? Telles sont les questions discutées dans cette étude. Ainsi, la
présente étude a pour objectif de chercher à comprendre les types de gestionnaires d’une firme-réseau
et les rôles qu’ils jouent dans la mise en marche de celle-ci. L’intérêt de cette étude est de compléter la
faible quantité de recherches traitant de la dimension « gestionnaire d’une firme-réseau » d’autant plus
que le succès d’une organisation-réseau dépend non seulement de la qualité des partenaires, mais aussi
de celle de ses gestionnaires. Cet état carentiel des connaissances nous amène principalement à inscrire
la présente étude dans un cadre exploratoire. Ainsi, cette étude cherche à comprendre les faits associés
à l’analyse de gestionnaire d’une firme-réseau. La stratégie d’investigation choisie pour ce faire est la
recherche de contenu pour décrire, en raison de son adéquation au cadre exploratoire en vue de
comprendre. La poursuite d’une telle méthodologie appliquée au cas de la firme-réseau Bombardier
Produits récréatifs a permis de noter qu’il peut y avoir deux types de gestionnaire d’une firme-réseau : le
pivot et l’intermédiaire. Le pivot agit comme gestionnaire principal d’une organisation-réseau et peut
être soutenu par un gestionnaire intermédiaire. Tous les deux peuvent, en complémentarité ou en
substitution, jouer les rôles de concepteur, de coordonnateur et de facilitateur. Ils peuvent favoriser
certains rôles. Mais, ils n’excluront en aucun cas l’exercice simultané d’autres rôles. Il s’avère important
que les gestionnaires de la firme-réseau maîtrisent l’ensemble des rôles et les adaptent selon la
situation.
1 Une version préliminaire a été présentée au Congrès 2005 de l’Association des sciences administratives
du Canada (ASAC).
1
Patrick Dany Razakamananifidiny, DBA, Adm.A.
Chargé de cours en management
Conseiller en développement international
Université du Québec à Trois-Rivières
LE GESTIONNAIRE D’UNE FIRME-RÉSEAU
La firme-réseau apparaît comme une des nouvelles formes d’organisation adaptée
au contexte de plus en plus concurrentiel. Une telle organisation semble être
soutenue par différents types de gestionnaires. Qui sont-ils et quels rôles jouent-ils?
Telles sont les questions discutées dans cette étude.
1 Introduction
À l’ère du troisième millénaire, bon nombre d’entreprises font face à un contexte d’affaires
dynamique qui semble être caractérisé par le passage d’une génération de clientèle passive
consommant des produits indifférenciés ou peu diversifiés, à une autre plus exigeante, ayant des
besoins évolutifs et demandant des produits complexes à fabriquer (Lauriol, 1994; Chevalier, 1997;
Miller, 2000; Prahalad &Ramaswany, 2000; Marchesnay, 2004, Lauzon, Marquis & Guay, 2012). Ce
contexte est, en effet, marqué par le passage du règne de l’offre à la suprématie de la demande, de la
simplicité à la complexité au niveau des technologies, de l’économie de marché à l’économie de savoir
(Vickery, 1999).
Cette dynamique tend à amener de nombreuses firmes à faire face à la nécessité de réaliser une
multiplicité d'objectifs, qui sont surtout l’amélioration continue de la qualité des produits et services
offerts au client, l’augmentation de la flexibilité organisationnelle, la recherche des coûts constamment
décroissants et celle d’une rentabilité durable (Chevalier, 1997; Deloitte Touche Tohmatsu International,
1994; Hamel, 2000; Hamel & Prahalad, 1995; Martel & Oral, 1995). Leur compétitivité apparaît ainsi
dépendante de leur capacité concurrentielle à se distinguer sur la totalité de ces objectifs. Dans ce
contexte, la concurrence s’intensifie et entraîne notamment deux nouveaux défis de gestion : 1) un
besoin d’innover constamment sur l’ensemble de la chaîne de valeur (Raymond, 2000) nécessitant une
synchronisation des activités entre le donneur d’ordre et les sous-traitants, et 2) un besoin de
développer des compétences pour innover par un apprentissage collectif (Ebers & Jarillo, 1998)
supposant ainsi la mise en commun des connaissances pour la résolution de problèmes partagés. Il
apparaît difficile pour une entreprise de les relever seule. La compétitivité d’une firme repose alors
autant sur sa propre efficacité que sur celle des sous-traitants travaillant avec elle (Julien, 1994).
Les firmes possèdent rarement seules la totalité des ressources dont elles ont besoin pour faire face
à ce contexte. Une des stratégies de plus en plus suggérées par les écrits scientifiques est la
transformation de liens de sous-traitance fondés sur le « faire faire » en de nouveaux rapports de sous-
traitance basés sur le « faire ensemble » dans le cadre d’une organisation-réseau (Butera, 1991; Caire,
2000; Grand & Leyronas, 1996). Le recours à une telle organisation traduit à la fois la nécessité d’accéder
à des ressources non possédées et non développées en interne afin d’augmenter les compétences
(Quélin, 1996) et l’intention stratégique de se mettre ensemble en vue de soutenir un avantage
compétitif durable (Assens, 2003). C’est dans ce sens que la théorie de ressources et de compétences
apparaît comme la théorie la plus englobante qui peut expliquer de manière satisfaisante le recours à
une firme-réseau (Foss, 1999; Marchesnay, 2002).
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La firme-réseau peut se définir comme une structure de regroupement d’entreprises indépendantes
articulées, à partir des objectifs partagés, autour d’une firme pivot soutenue ou non par un
intermédiaire, afin d’apprendre à co-développer des compétences pour innover en vue de rencontrer
ou créer le besoin du marc(Baudry, 1999; Fréry, 1995 : p. 57; Gianfaldoni et al., 1997 : p. 18; Julien,
1994 : p. 49; Paché, 1990 : p. 17 et 1996 : p. 33; Paché & Paraponaris, 1993 : p. 7; Poulin et al., : p. 18).
Les études antérieures traitant la problématique d’une firme-réseau peuvent être situées autour de
deux thématiques de recherche : la formation d’une firme-réseau et le management d’une firme-réseau.
La quantité des études sur la deuxième thématique demeure faible comparativement à des productions
plus abondantes dans la première thématique. Pour la première thématique, on peut citer, par exemple,
les productions suivantes : la dimension « concepts et typologies » (Assens, 2003; Baudry, 1999; Butera,
1991; Caire, 2000; Douard & Heitz, 2003; Ebers & Jarillo, 1998; Fréry, 1995; Grand & Leyronas, 1996;
Guilhon et Gianfaldoni, 1990; Heitz, 2000; Julien, 1994; Miles & Snow; Paché, 1996; Paché & Paraponaris,
1993; Poulin et al., 1994), la dimension « sélection des partenaires » (Brisoux et al., 1998; Gianfaldoni et
al., 1997 : p. 29-46; Poulin et al., 1994 : p. 271-303) et la dimension « motivation à s’organiser en réseau »
(Assens, 2003; Douard & Heitz, 2004; Ketata et al., 2000). Pour ce qui est de la deuxième thématique, les
travaux suivants peuvent être cités comme exemples : la dimension « gestion opérationnelle d’une
firme-réseau » (Gianfaldoni et al., 1997 : p. 47-65; Poulin et al., 1994 : p. 83-201), la dimension
« apprentissage partagé » (Coudert & Leyronas, 1996; Jacob et al., 1997), la dimension « concurrence-
coopération » (Assens & Bouchikhi, 1998; Bengtsson & Kock, 2000), la dimension « gouvernance »
(Mariotti, 2003), la dimension « performance » (Gianfaldoni et al., 1997 : p. 68-98; Grand & Leyronas,
1998; Heitz & Douard, 2001), la dimension « succès » (Julien, 1998; Lakhal et al., 1999). Un large champ
reste à explorer sur d’autres dimensions.
La dimension « gestionnaire d’une firme-réseau » apparaît comme une de ces dimensions. Bien
qu’un nombre croissant d’auteurs notent l’importance de celle-ci (Fréry, 1997a), on constate que très
peu d’efforts ont été fournis pour l’appréhender. La forte considération de certaines dimensions telles
que la sélection des partenaires comme « unique » facteur de succès semble principalement expliquer
le peu d’intérêt accordé à la dimension « gestionnaire d’une firme-réseau ». Or, on sait que le succès
d’une firme-réseau dépend non seulement de la qualité des partenaires, mais celle de ses gestionnaires
(Lecocq, 2000). Dans ces conditions et pour compléter les recherches existantes, il est légitime de
s’interroger sur les gestionnaires d’une firme-réseau.
Qui sont-ils et quels rôles jouent-ils? Telles sont les questions de recherche discutées dans cette
étude. Ces questions sous-tendent un objectif de recherche. Il s’agit de chercher à comprendre les
différents types de gestionnaires d’une firme-réseau et les rôles qu’ils jouent pour la mise en bonne
marche de celle-ci.
Après avoir cerné l’état de connaissances sur les gestionnaires d’une firme-réseau, un cadre de
référence a été élaboré. Ce cadre a été, par la suite, appliqué au cas de la firme-réseau Bombardier
Produits récréatifs. Des enseignements ont été tirés à la suite de cette application.
2 Le gestionnaire d’une firme-réseau : vers un cadre de référence
Une analyse des écrits scientifiques a permis de constater que la notion de gestionnaire d’une
organisation-réseau est souvent associée à celle de la firme pivot ou de la firme centrale (Butera, 1991;
Guilhon & Gianfaldoni, 1990; Paché, 1996; Paché & Paraponaris, 1993).
Une étude a tenté de donner des éclaircissements sur la notion de firme pivot (Lecocq, 2000) à partir
d’une comparaison des rôles joués par le courtier (Miles & Snow, 1986; Snow et al., 1992) et le noyau
(Fréry, 1995, 1997a) d’une firme-réseau.
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Le courtier est chargé de localiser et d’assembler les firmes qui feront partie du réseau. À ce titre, il
joue trois rôles essentiels : (1) l’architecte qui construit et initie le réseau et facilite son émergence par
un comportement entrepreneurial, (2) le coordonnateur des opérations qui connecte les firmes pour en
faire un réseau efficace et (3) le facilitateur qui entretient le réseau pour que celui-ci puisse opérer dans
le temps : il partage l’information entre les membres, favorise l’apprentissage du réseau, contrôle les
déviances (car sa position lui permet d’avoir accès à des informations sur l’ensemble des partenaires du
réseau), mais, il n’a pas un rôle de sanction.
Le noyau est un entremetteur d’entreprises qui régule les transactions au sein de la structure réseau.
À ce titre, il exerce trois rôles : (1) le concepteur de la chaîne de valeur qui sélectionne les membres et
choisit les orientations, (2) le coordonnateur de la chaîne de valeur qui optimise les liens opérationnels
entre les membres du réseau et (3) le contrôleur de la chaîne de valeur qui dissuade les comportements
opportunistes susceptibles de perturber l’efficience du réseau ; à ce niveau, il peut mettre en place des
techniques alternatives de contrôle passant par une intégration culturelle, médiatique et logistique.
Le courtier opère de manière transversale et agit davantage comme un intermédiaire que comme
un dirigeant alors que le noyau a une action verticale. De ce fait, les rôles du courtier peuvent être tenus
par trois gestionnaires différents alors que le noyau est assuré par un seul gestionnaire qui prend en
charge les trois fonctions.
Au niveau du contenu, le courtier et le noyau semblent partager les deux premiers rôles : (1)
architecte ou concepteur et (2) coordonnateur. Par contre, Snow et al. (1992) ne considèrent pas la
firme-réseau comme une structure quasi intégrée, ce qui empêche le courtier, qui joue le rôle
d’intermédiaire, d’user de modes de contrôle relevant de l’intégration comme le suggère Fréry (1997b).
De ce fait, le rôle de facilitateur joué par le courtier n’est pas superposable à celui de contrôle joué par le
noyau.
Par ailleurs, Lecocq (2000) a évoqué que le terme « courtier » avait un double sens : le pivot (en tant
qu’élément central de la firme-réseau) et l’intermédiaire. Le pivot est le gestionnaire leader agissant
pour son propre compte et sélectionnant des partenaires qui travaillent directement avec lui tout en
jouant les rôles de concepteur, de coordonnateur ou de facilitateur. L’intermédiaire est un gestionnaire
mandapar le pivot pour jouer le rôle de facilitateur. Cependant, il ne semble pas antinomique d’être à
la fois un intermédiaire et un pivot. Une organisation centrale peut alors jouer simultanément les rôles
du pivot et de l’intermédiaire de la firme-réseau. C’est le cas de Benetton dans la firme-réseau Benetton
(Fréry, 1995; Meschi, 1996). Dans d’autres cas, ces rôles peuvent être dissociés et assumés par deux
entis différentes. C’est, par exemple, le cas de Bimbo qui joue le rôle du pivot, et des consultants du
Programme des Nations Unies pour le Développement qui jouent celui d’intermédiaire dans
l’organisation-réseau Bimbo (Amezcua & Montero, 2004).
Le cadre de référence élaboré dans cette étude distingue deux types de gestionnaires d’une firme-
réseau : (1) le gestionnaire pivot et (2) le gestionnaire intermédiaire. Le gestionnaire pivot peut jouer les
rôles de concepteur, de coordonnateur et de facilitateur et partager, comme l’indique Van-Alstyne
(1997), avec les autres membres du réseau le contrôle. Le rôle de contrôle n’est pas discuté dans cette
étude du fait principalement que la firme-réseau privilégie davantage la collaboration que le contrôle.
Le rôle de concepteur sera défini comme celui de constructeur (dans le sens d’initiateur et
d’architecte) de l’organisation-réseau. Le rôle de coordonnateur sera défini comme celui de connecteur,
optimisateur des liens d’affaires interentreprises. Le rôle de facilitateur sera défini comme celui de
« maintenancier » stimulateur du réseau. Ce dernier rôle peut être confié par le pivot à un autre acteur
gestionnaire d’une firme-réseau. Il s’agit de l’intermédiaire (Julien et al., 2003 : p. 21-27). Il est nécessaire
que le gestionnaire intermédiaire soit neutre et autonome pour favoriser l’apprentissage du réseau. Le
tableau 1 récapitule le cadre de référence des gestionnaires d’une firme-réseau.
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Tableau 1: Le cadre de référence des gestionnaires d'une firme-réseau
Rôles
Gestionnaires d'une firme-réseau
Principaux auteurs
Pivot
Intermédiaire
Concepteur
Initiateur
Fréry (1995 et 1997)
Architecte/constructeur
Julien et al. (2003 : p. 21-
27)
Coordonnateur
Connecteur
Lecocq (2000)
Optimisateur
Miles & Snow (1986)
Facilitateur
Maintenancier
Maintenancier
Snow et al. (1992)
Stimulateur
Stimulateur
La fonction de gestionnaire d’une firme-réseau puise notamment sa racine dans les travaux de
Mintzberg (1990 et 1995) qui considèrent la profession de gestionnaire comme un ensemble intégré de
différents rôles indissociables. Ces rôles peuvent s’exercer sur trois niveaux : l’information, la relation et
l’action. Dans le premier niveau, on accumule l’information se rapportant à la conception de la firme-
réseau (concepteur). Dans le second niveau, on coordonne et optimise les relations entre les firmes
membres du réseau (coordonnateur). Dans le troisième niveau, on dirige l’action qui facilite
l’apprentissage au sein du réseau (facilitateur).
Après avoir élaboré ce cadre de référence, on passera à la description de la méthodologie proposée
pour répondre à la question de recherche initialement posée.
3 La méthodologie proposée
Comme on l’a dit, bien que l’étude de gestionnaire d’une firme-réseau présente un intérêt de
recherche, elle est relativement peu traitée dans les écrits scientifiques antérieurs. Cet état carentiel des
connaissances nous amène principalement à inscrire la présente étude dans un cadre exploratoire.
Ainsi, cette étude ne cherche pas à expliquer les faits, mais plutôt à comprendre ceux associés à
l’analyse des fonctions des gestionnaires d’une firme-réseau.
Le cadre de recherche exploratoire nécessite des stratégies d’investigation qualitative (Maxwell,
1997; Robson, 2002). Une des stratégies d’investigation qualitative est la recherche de contenu pour
décrire (Grenier & Josserand, 1999). Ce type de recherche a été choisi comme stratégie d’investigation
pour la présente étude du fait qu’il est principalement adapté au cadre exploratoire en vue de
comprendre. En poursuivant cette méthodologie, on tentera de discuter de l’application du concept de
gestionnaire d’une firme-réseau au cas de l’organisation-réseau Bombardier Produits récréatifs.
4 La discussion du cas de Bombardier Produits récréatifs 1994-2004
L’organisation-réseau Bombardier Produits récréatifs a é constituée d’un regroupement d’une
trentaine de sous-traitants de premier niveau gravitant autour de la firme pivot donneur d’ordre,
Bombardier Produits récréatifs (Julien et al., 2003). Elle œuvrait dans un programme de quasi-
intégration d’une chaîne de production dont le but était surtout de mettre à niveau de compétitivité de
« classe mondiale » les firmes sous-traitantes membres. Cette organisation-réseau a été soutenue par
une organisation intermédiaire composée de chercheurs universitaires. Deux acteurs, le pivot
Bombardier Produits récréatifs et l’intermédiaire chercheurs, agissaient ainsi comme gestionnaires de
celle-ci.
La firme Bombardier Produits récréatifs qui agissait comme gestionnaire pivot « parrainait »
l’organisation-réseau et amorçait les lignes d’actions (les orientations) à suivre à son sein. À ce titre, le
gestionnaire pivot jouait le rôle de constructeur de la firme-réseau. De plus, il contribuait au
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