Unité nationale et fraternité

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Bulletin mensuel de l’Institut musulman de la Grande Mosquée de Paris - Février 2017
Unité nationale et fraternité
L’heure est à la campagne présidentielle. Les
musulmans de France suivent très attentivement
les déclarations et promesses des candidats,
avec parfois une certaine appréhension pour leur
avenir. Jamais une telle élection n’a eu de
champ aussi ouvert, tout est possible sinon
probable.
La France devra réussir à s’élever au-dessus de la
mêlée pour proposer, en mai prochain, un modèle
de société viable et surtout tenable pour
l’ensemble de sa population. Elle devra résister
aux pressions, à la division, à la tentation des
extrêmes qui grimpent dangereusement dans les
sondages…
L’unité de notre pays a toujours été notre
Quelques candidats fédèrent un nombre considérable force. C’est ce qui nous a permis de nous relever
de soutiens, d’autres en revanche suscitent la méfiance, après les attentats de 2015 et de 2016. Nous
voire l’insuffisance dans la haute fonction qu’il brigue. osons espérer que le résultat du scrutin portera ces
valeurs d’unité, d’égalité, de fraternité pour tous
Des termes ont été prononcés touchant à l’histoire quelles que soient leurs origines ou leurs
de la France et de l’Algérie, des accusations envers religions. Tous, citoyens de France, nous
les forces de l’ordre mais aussi à l’encontre de militerons pour le respect de droits acquis au fil
magistrats et hauts fonctionnaires nommément des siècles, notamment dans le libre exercice du
cités ont été portées par certains candidats. Ceci culte dans le respect du bien commun stipulé par
traduit un sentiment d’inquiétude ainsi qu’une la loi de 1905. Nous ne saurons tolérer en effet
grande perte de sérénité au sein du corps politique plus avant que les exactions commises sur notre
et donc, par extension, sur la société tout entière. sol au nom d’une idéologie mortifère (qui n’a rien
de commun avec notre culte) entachent notre
Les musulmans resserrent les rangs et s’interrogent. Ils pratique libre et éclairée de notre religion au
questionnent
les
différentes
propositions sein de notre société française républicaine et
concernant l’existence de leur culte dans une laïque.
société laïque, le sens de leur présence citoyenne
dans la vision sociétale de la France actuelle où ils La Mosquée de Paris, quant à elle, restera fidèle à sa
représentent 10% du corps électoral. On ne peut mission fixée par le rapport Herriot en 1922 lors de
que constater l’accélération d’événements qui sa création que nous citons ici dans les termes où il
chaque jour fragilisent les certitudes de la veille. a été présenté et validé par le Parlement : « Les Notre société est assurément en pleine mutation, millions de musulmans de notre Afrique sont une elle se cherche et cela ne se fait pas sans heurts. partie vivante de la France […]. À tous ces Le contexte international apporte davantage de musulmans, quelle que soit leur origine, s’ils troubles que de calme. Le Brexit de la Grande-Bretagne évoquent le nom de la France et demandent son il y a quelques mois questionne la constitution et le aide spirituelle, son hospitalité, Paris offrira devenir même de l’Europe, les lois anti-immigration l’accueil de l’Institut musulman, l’ombre de Donald Trump renvoient bouleversent pieuse de sa mosquée, le délassement des l’identité même de la nation américaine et lectures dans la bibliothèque arabe, ne laissent que peu de place à l’espoir d’un l’enseignement des conférences et enfin la joie apaisement…
d’un foyer libre »
Recteur Dalil Boubakeur
Actualités de la Mosquée
MERCREDI 1er FEVRIER
Déjeuner avec M. Jean-Pierre Chevènement, Président de la Fondation, et Maître
Chemseddine Hafiz
SAMEDI 18 FEVRIER
Conférence sur le « Don d’organes » à la
Grande Mosquée de Paris.
Le texte et la vidéo de l’intervention de
Monsieur le Recteur est consultable sur notre
site : www.grandemosqueedeparis.fr
LUNDI 20 FEVRIER
Déjeuner avec le Père Christian Delorme de Lyon
MARDI 21 FEVRIER
Réunion avec les membres du bureau national de la Fédération
suivie d’un déjeuner afin d’aborder la Fondation de l’Islam de
France. La rencontre a été suivie d’une conférence de presse à
la Grande Mosquée de Paris durant laquelle Monsieur le recteur
a exprimé le souhait de sa fédération de ne pas participer à la
Fondation de l'Islam de France..
MERCREDI 22 FEVRIER
Déjeuner avec M. Thomas Guénolé, politologue et auteur du livre Islamopsychose
paru chez Fayard.
MERCREDI 22 FEVRIER AU SOIR : Participation du recteur au diner annuel
à l'invitation de son nouveau président, Francis Khalifat.
Actualités de la Mosquée
Communiqué diffusé à la presse
Paris, mardi 21 février 2017
Après concertation et débats entre ses membres, la Fédération Nationale de la Grande
Mosquée de Paris (FNGMP), réunie ce jour en bureau national en son siège à la Grande
Mosquée de Paris, réitère sa décision de ne pas participer aux travaux de la Fondation dite de
l’Islam de France et de son Conseil d’orientation.
La FNGMP dénonce de nouveau toute forme d’ingérence directive dans la gestion du culte
musulman et de sa représentation. Elle regrette que le montage hétéroclite de cette fondation
n’ait pas fait l’objet d’une concertation avec les Musulmans de France.
Si le Recteur Dalil Boubakeur a bien été pressenti l’an dernier pour la présidence du conseil
d’orientation de cette fondation, la FNGMP relève qu’il a été totalement marginalisé dans
l’élaboration et la composition déséquilibrée de celui-ci malgré l’accueil favorable fait à M.
Jean-Pierre Chevènement par la Grande Mosquée de Paris et sa Fédération.
La FNGMP entend souligner que la Mosquée de Paris (« foyer libre ») a été créée en 1922
par une loi d’État qui lui conférait et lui confère toujours le devoir de veiller à la dignité et au
respect du culte musulman en France, notamment dans le cadre de la laïcité républicaine et
de l’égalité entre les cultes, sans aucune forme d’ingérence.
Recteur Dalil Boubakeur
Président de la FNGMP
Actualités de la Mosquée
Conférence
À l’invitation du Docteur Dalil BOUBAKEUR, Recteur de la Mosquée de Paris, Thomas
GUÉNOLÉ politologue, enseignant (Sciences Po et Université Paris-Est Créteil), chroniqueur
et essayiste, viendra en sa présence présenter son livre paru récemment chez Fayard :
Samedi 18 mars 2017 à 14h00
Salle de Conférence
_______________
Inscription (nombre de places limitées) : [email protected]
_______________
Texte ci-après de la quatrième de couverture du livre de Thomas Guénolé
« Entre haine et paranoïa, la société française se fait de sa
minorité musulmane et de l’islam français une représentation
collective délirante, c’est-à-dire déconnectée de la réalité.
C’est ce que Thomas Guénolé appelle l’islamopsychose.
Il s’attelle, dans ce livre, à pointer les erreurs et à
déconstruire les préjugés assénés sur ces sujets par Manuel
Valls, Gilles Kepel, Éric Zemmour et bien d’autres.
La France a toujours oscillé envers ses minorités entre
l’acceptation, la diabolisation et la persécution. À l’égard
de sa minorité musulmane, le pays a aujourd’hui atteint un
dangereux point de bascule entre diabolisation et persécution.
Terrorisme jihadiste, peur du déclin, héritage
médiéval, guerre d’Algérie, conflit israélo-palestinien,
identitarisme : Thomas Guénolé examine sans tabou les causes profondes de
l’islamopsychose et propose des pistes concrètes de réconciliation républicaine. »
Conférence de la Mosquée
Evolution de la loi Caillavet, don d'organes et Islam
conférence du 18 février 2017
Le premier rein transplanté date de 1958 par le
Professeur Hamburger de l’hôpital Necker. Quant à la
première greffe de cœur elle a lieu en 1967 par le
Professeur Barnard à l’hôpital du Cap. Les malades greffés
ne survécurent pas à cause des rejets de greffon. C’est le
professeur Jean Dausset qui découvre en 1978 la
ciclosporine qui permit à ces immunosuppresseurs d’éviter
les rejets d’organes greffés. Les principaux organes et tissus
greffés sont les suivants, selon des chiffres de 2009 : cœur (8
% des greffes), foie (23 %), poumons (5 %), moelle osseuse,
reins (62 %), pancréas (2 %), fragment d’intestin grêle (1 %),
duo cœur-poumon (1 %), organes lymphoïdes, os, cartilages,
cellules visuelles de la rétine, cornée. De nombreux types de
dons sont donc techniquement et humainement possibles grâce
aux donneurs d’organes volontairement disposés à offrir
un rein, un cœur, à un enfant, une femme, un homme
souvent inconnu.
C’est un acte gratuit par définition, impliquant
l’accord du donneur ou de ses ayants-droit.
Seule l’urgence vitale justifie un don. Le délai entre le
prélèvement et l’implantation sur le receveur est très court, ce
qui nécessite des moyens logistiques importants si le
donneur et le receveur ne se trouvent pas dans le même lieu
géographique. La transplantation arrive souvent après une
longue période d’attente de greffon compatible et sonne
comme un réel soulagement pour les patients concernés.
Depuis plus de 50 ans, la greffe d’organe fait des progrès
considérables et ne cesse d’innover pour venir en aide
aux malades. Elle offre de véritables chances de survie et
représente un espoir de voir certaines maladies ou
malformations être traitées dans les années à venir.
La loi Caillavet de bio éthique et l’évolution de 2017
Rappel de la loi:
Premièrement, nous allons revenir sur la loi Caillavet qui
encadre les pratiques de prélèvement et de don d’organe
en France. Votée en 1976, elle précise les conditions dans
lesquelles le don doit être effectué, aussi bien en amont de
la greffe qu’en aval. Elle autorise le prélèvement d’organe
si le donneur n’a pas signifié son opposition et depuis
janvier 2017, prévoit que chaque personne est donneur
si elle n’a pas consigné son refus par écrit sur le registre
national du refus de l’agence de bio médecine ou via un
document confié à un proche. Nous reviendrons sur ce
point un peu plus tard au cours de cette présentation, mais
nous tenons à rappeler les principes fondamentaux garantis
par la loi Caillavet :
1Le consentement du donneur est toujours nécessaire,
qu’il soit décédé ou vivant.
2Les proches doivent être informés des lois de
bioéthique.
3La mort du donneur. La réalité du décès doit être
évalué dans les conditions de respect du donneur, de la
réalité de son décès qui recoupent trois critères : l’eeg plat,
arrêt cardiaque dès lors que les machines sont débranchées
et arrêt pulmonaire. La mort ne peut être constatée et attestée
à la seule condition que ses trois conditions soient remplies.
4En cas de donneur vivant (5 % des cas), il faut
s’assurer que le prélèvement de l’organe n’empêche
pas au donneur de poursuivre sa vie normalement.
Il est nécessaire également d’être sûr que l’organe
Aujourd’hui, la loi Caillavet qui encadre le don transplanté est en bonne santé et que le pronostic
d’organe en France a évolué, notamment concernant le est largement positif pour le patient receveur.
statut du donneur et les modalités de son refus. Car si la
transplantation est pratiquée depuis longtemps, de
nombreuses questions éthiques sont régulièrement Pour maximiser les chances de greffe réussie, on
soulevées. La question du respect du donneur défunt et de sa privilégiera un donneur issu de la même famille (parent
volonté se pose toujours alors que le besoin de greffon est direct, frère ou sœur, cousin) que le receveur afin
en perpétuelle augmentation. Nous allons tenter d’éviter les rejets de greffon et de limiter le recours aux
aujourd’hui d’apporter quelques éléments de réponses immunosuppresseurs. Je précise pour les non-médecins
aux nouvelles problématiques que soulève l’amendement que les immunosuppresseurs sont des traitements qui,
d’août 2016, mis en application en 2017, concernant la en limitant l’action du système immunitaire du donneur,
loi Caillavet et d’apporter une réponse théologique et minimisent le risque de rejet. Le rejet total se produit
en cas d’incompatibilité immunitaire entre donneur et
éthique à la question du don d’organe en Islam.
Conférence de la Mosquée
receveur, c’est ce qu’on appelle l’histocompatibilité HLA
(human leucocyte antigens) ou antigène leucocytaire
humain où le système du receveur secrète des antigènes de
rejet comme les lymphocytes T qui détruisent le greffon.
Il existe plusieurs types de greffes qui appellent des procédés
thérapeutiques différents et soulèvent des questions
éthiques variées en fonction de l’un ou l’autre cas :
Dans l’auto greffe, le greffon est prélevé sur le
malade lui-même. Cette greffe concerne notamment la
moelle osseuse, les tissus osseux, la peau, les tendons,
les vaisseaux, les segments de nerfs. En cas de brûlure
à plus de 60 % du corps, on peut avoir, par exemple,
recours à la greffe de peau pour réparer les zones lesées.
Le greffon provenant du patient lui-même, il n’y a alors
pas de risque de rejet. Notons le cas remarquable de ce
patient soigné au CHU de Lyon qui, après avoir été
amputé des deux pieds et des deux mains, a vu ses mains
lui être re-greffées par l’équipe du professeur Badet.
Aujourd’hui, le patient affirme retrouver des sensations
perdues, preuve de l’extraordinaire avancée thérapeutique
que représente cette auto greffe hors du commun.
Pour l’allo greffe, la pratique est différente. Le
greffon est prélevé sur une autre personne, en état de
mort cérébrale le plus souvent. On y a recours pour les
organes vitaux comme le cœur ou les poumons. Dans
ce cas, le système immunitaire du patient peut rejeter le
greffon, comme nous venons de l’évoquer. Les progrès
en matière de thérapie par immunosuppresseur sont très
encourageants et permettent aujourd’hui un bon nombre
de greffes réussies. Un seul cas ne permet pas encore
d’éviter les rejets, il s’agit des xénogreffes. Les greffons
ici sont d’origine animale et sont quasi systématiquement
rejetés par le corps du receveur en raison d’incompatibilité
génique et d’un agent pathogène qu’on ne parvient
pas encore à maîtriser : le prion. On note toutefois une
exception concernant les valvules mitrales qui à l’heure
actuelle peuvent être remplacées par des valves porcines.
Dans tous les cas, le respect du corps et de la volonté
du donneur, la gratuité du don, l’absolue nécessité
thérapeutique et le pronostic le plus positif possible quant
au succès de la transplantation sont donc les condition
sine qua none auxquelles toute greffe doit souscrire pour
satisfaire aux conditions fixées par la loi. Toutefois, les
lois sont amenées à évoluer en fonction du contexte et des
besoins de la société. Aujourd’hui, la loi de 1976 ne suffit
à répondre aux nombres croissants de demandes de greffe
et doit suivre les progrès en matière d’avancée médicale.
L’amendement de janvier 2017 et ses conséquences :
« Tous donneurs par défaut »
L’allogreffe est principalement concernée par l’évolution
de la loi Caillavet.
Le besoin en organe a doublé depuis dix ans et l’offre est
largement inférieure à la demande toujours plus urgente.
21 646 patients étaient en attente de greffe en 2015, et ce
chiffre augmente chaque année. En 2014, on constate que
5 000 personnes ont été greffées alors que 20 000 étaient
toujours en attente. Le taux de prélèvement en France est
d’environ 23,2 % par habitants alors qu’il plafonne à 35 %
en Espagne et en Europe, ce qui témoigne d’une certaine
stagnation de la France par rapport à ses voisins européens.
La réelle problématique de santé publique que représente la
pénurie d’organes a amené les autorités de santé à modifier
la loi Caillavet dans les termes que nous avons évoqués, qui
stipulent que, je vous le rappelle, depuis janvier 2017, nous
sommes tous donneurs par défaut sauf refus notifié par écrit.
On ne peut blâmer les pouvoirs politiques et les
instances médicales d’avoir voulu pallier au problème
toujours plus préoccupant de la pénurie de greffons.
Toutefois, cet amendement bouleverse grandement le
rapport aux familles ainsi que les conditions d’exercice
des soignants et soulève la question du consentement.
Du côté des soignants, il faut notifier que la première
mouture de la loi a suscité une réelle levée de boucliers
et que, sous la pression du corps médical, le décret
a pu être modifié. Le décret initial rédigé par JeanLouis Touraine, prévoyait que « le prélèvement peut
être pratiqué sur une personne majeure dès lors
qu’elle n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus
d’un tel prélèvement, principalement par l’inscription
sur un registre national automatisé prévu à cet effet.
Ce refus est révocable à tout moment.».
C’est la version « dure » de la loi ; si le refus n’avait pas été
notifié sur le registre national, il ne pouvait être pris en compte.
Les soignants n’ont pas accepté cette première version
qui allait considérablement dégrader le rapport aux
familles et malmener des proches en pleine épreuve de
deuil. Le corps médical a obtenu de Benoit Vallet,
directeur de la santé, une table ronde regroupant les
Conférence de la Mosquée
soignants (médecin, coordonnateurs de prélèvement,
etc), les associations de greffés ainsi que les
représentants des cultes pour aboutir au décret actuel.
Aujourd’hui, le patient peut refuser expressément et
à titre principal son refus via le site de l’agence de
bio médecine ou via un document écrit et signé de sa
main, confié à un notaire ou à un proche. Dans le cas
d’impossibilité de s’exprimer, d’écrire ou de signer, un
document sera établi par le corps médical devant deux
témoins qui attesteront que ledit document est l’expression
de la volonté libre et éclairée du patient. Enfin, le refus
de prélèvement exprimé par les proches sera pris en
compte et l’équipe soignante s’occupera de le notifier
par écrit afin de le joindre au dossier médical du patient.
Cette modification exigée par les soignants est
primordiale pour le bon déroulement de leur activité
d’accompagnement des familles. La seule chose qui
change désormais est la production d’un document écrit
notifiant le refus. On estime à environ 32 % le taux de
refus, 4 cas sur 10 par opposition directe de la part
du défunt, 6 cas sur 10 par opposition de la famille.
Il ne faut pas oublier que dans le cas du don d’organe, le
travail des équipes médicales va autant dans le sens des
familles du défunt, que dans celui du futur receveur. Il
s’agit de ne pas brusquer les proches après un décès parfois
brutal. Un véritable accompagnement est nécessaire
et aucune loi ne saurait faire l’impasse sur ce suivi.
Le déroulement d’un processus de don doit suivre
plusieurs étapes, garanties par les règles de bonnes
pratiques sur l’abord des proches fixées par l’agence de
biomédecine. L’entretien se fait en trois temps : annonce
de la gravité, annonce de la mort encéphalique et abord
du don. La mort encéphalique est un sujet difficile
puisque le patient n’a pas « l’apparence de la mort ».
Le cœur bat grâce aux machines, la peau est chaude…
Religieux ou non, les proches peuvent rencontrer une
certaine difficulté à accepter que cet état est définitif.
Il appartient aux soignants d’expliquer ce dont il s’agit, de
s’appuyer sur des examens médicaux (scanner, EEG) pour
illustrer aux familles que le cerveau n’est plus vascularisé,
donc plus actif, et qu’une fois les machines débranchées, le
cœur et les poumons cesseront de fonctionner.Aborder le sujet
du don ne doit se faire qu’après la certitude que les critères
de mort encéphalique ont bien été respectés, constatés et
qu’ils sont accompagnés de l’arrêt cardiaque et pulmonaire.
Toutefois, certains organes comme le cœur nécessitent
des délais très courts entre le prélèvement et la
greffe. Il faut savoir tout d’abord que la greffe de
cet organe en particulier a grandement bouleversé le
corps médical lors des premiers essais thérapeutiques
rendant
une
telle
transplantation
possible.
On sait que le cœur est entouré d’un imagine collectif
riche et du point de vue des religions, c’est dans le cœur
que se trouve la vie offerte par Dieu. Lors des premières
greffes, on ne disposait pas encore de tous les outils qui
permettent d’attester d’une mort encéphalique et prélever
un cœur revenait à « tuer » le donneur, même si il était
en état de mort cérébrale. Aujourd’hui, la greffe du cœur
nécessite une organisation particulière. En effet, c’est un
muscle qui consomme énormément d’oxygène. Une fois
que le cerveau cesse de fonctionner, le cœur ne dispose
que de 5 voire 6 minutes d’oxygène avant de se détériorer.
Il faut donc agir extrêmement vite, autant au niveau du
donneur à prélever que du receveur à greffer qui doit être
prêt à être opéré au moment de la réception de l’organe
sur le lieu de la transplantation. De plus, le cœur est un
« bloc », on ne greffe pas uniquement l’organe en luimême mais on doit également transplanter la veine cave
inférieure, l’oreillette droite et la veine pulmonaire du
ventricule gauche afin qu’une fois transplanté, le cœur
puisse être alimenté en oxygène et la circulation rétablie.
Pour en revenir au consentement ou non de prélèvement
de la part des familles, quand la cause religieuse est
abordée, les soignants évoquent le positionnement des
différentes religions, en collaboration, si besoin, avec un
aumônier. Sur ce point, la collaboration entre le personnel
religieux et médical est primordiale pour les proches et
souvent décisive dans le choix qui sera le leur. Il est donc
essentiel que les représentants religieux soient formés
aux questions de bioéthique et travaillent en bonne
intelligence avec les praticiens dans une dynamique de
soin aux familles. Cette attention portée aux proches
est nécessaire puisque, de ce dialogue, peut aboutir un
accord de don qui sauvera la vie d’un autre être humain.
Que dit l’Islam ?
Islam et bioéthique
Le Fiqh défini par Al Farabi (870-950) se définit
comme l’art de la jurisprudence et peut conduire à
Conférence de la Mosquée
corriger une législation non encore définie à propos de
la multitude de cas d’espèces non précisées par la loi.
Il existe quatre écoles jurisprudentielles en Islam : le
shafeisme, le malikisme, le hanafisme et hanbalisme.
Chacune de ces écoles place le curseur entre deux
attitudes, l’attitude religieuse stricte et l’attitude
philosophique. Il semble nécessaire que ces deux
versants de la pensée travaillent en bonne intelligence
pour aboutir à une jurisprudence la plus juste possible.
Pour y parvenir, notre religion encourage vivement
le consensus (Ijma), l’effort spéculatif (l’Ijtihad), le
Qiyas (analogie) et l’opinion personnelle (le ray).
Les progrès et la recherche en matière de médecine en font
partie. On ne saurait rejeter le fruit de la science, de l’effort
et de la raison, tant encouragés par l’Islam. Je rappelle ici
le verset 9 de la sourate Al-Hijr : « Nous en avons fait un
Coran arabe afin que vous raisonniez »(43-3) ou encore
ce Hadith qui stipule que « celui qui accomplit un effort de
réflexion et le réussit aura droit à deux récompenses, s’il
échoue il aura droit à une seule »rapporté par Elboukhari
Moslim. Ces enseignements sont d’autant plus encouragés
si ceux-ci sont appliqués à la préservation de la vie humaine.
Toutes ses sources sont mobilisées pour établir les
règles de jurisprudence islamique et être conforme
à la volonté d’Allah énoncée dans la sourate alBaqara, verset 143 : « Nous avons fait de vous une
communauté de juste milieu afin que vous soyez témoins
des Hommes, et que l’Envoyé soit témoin de vous »
Si l’Islam encourage le don en tant qu’hassana, nous
notons toutefois quelques réserves quant à son application.
Je rappelle que les sources de la jurisprudence sont le Coran,
la Sunna (l’exemple prophétique). L’histoire nous apprend
qu’un des compagnons du Prophète (SAWS) reçut une
flèche en pleine figure, lui arrachant littéralement un œil.
Celui-ci qui s’appelait Qutâda, ramassa son œil et courut
voir le Prophète. Ce dernier se saisit de l’organe blessé le
mit dans son orbite et prononça les formules suivantes :
« Au nom de Dieu qui guérit Au nom de Dieu qui suffit Au
nom de Dieu qui préserve Au nom de Dieu contre le nom
duquel rien ne peut nuire, ni sur la terre, ni dans le ciel. L’œil
blessé reprit son état normal et vit plus clair que l’œil sain. »
D’autres exemples de médecines prophétiques existent.
Bien sûr, ces guérisons n’ont été possibles uniquement
parce qu’elles ont été effectuées par le Prophète luimême, mais elles rappellent les principes de l’Islam selon
lesquels le corps doit être soigné quoiqu’il en coûte.
Si nous appliquons cet exemple à nos problématiques
actuelles, nous devons considérer que l’enseignement du
Prophète nous encourage à une perpétuelle adaptation
en fonction des besoins et évolutions de notre temps
ainsi qu’à une constante recherche pour améliorer les
conditions d’existence de l’être humain. Amélioration
personnelle via la perpétuelle recherche de perfectibilité
qu’encouragent le Coran et la Sunna, et une amélioration
globale qui va dans le sens de notre humanité.
Les limites du don d’organe du point de vue de l’Islam
Premièrement, la rémunération ou la tarification du corps
est impensable. Lutter contre la marchandisation des
organes, notamment dans le tiers monde, est fondamental.
Plusieurs instances comme le Groupe de Réflexion
Ethique de Transplantation (GRET) mettent en garde
l’Europe et l’Onu envers les trafics internationaux, qui
sont autant d’entreprises condamnables et indignes de
la vie humaine. Elles sont également dangereuses pour
le receveur qui prend le risque de recevoir un organe
prélevé sur un donneur dénutri, malade ou non vacciné.
Toute greffe, tout transfert d’organe d’un patient à un
autre, doit constituer un acte gratuit et désintéressé,
exécuté dans les mesures d’hygiène et de sécurité qui
garantiront la dignité du défunt et la sécurité du malade.
Deuxièmement, il est impensable de prélever un organe
vital qui endommagerait la survie du donneur. Nous l’avons
vu, la préservation de la vie est centrale dans l’Islam. Elle
fait partie des cinq objectifs supérieurs établis par les
savants musulmans, avec la foi, la filiation et la raison.
Le corps humain appartient à Dieu. Pour cette raison, le
croyant est tenu à l’obligation de soin, d’entretenir son
corps dans un état de santé. Il doit renoncer aux substances
nocives ou dysleptique (comme par exemple le recours
aux psylocides ou autres substances hallucinogène qui
empêche de voir le monde avec clairvoyance), respecter
les règles d’hygiène dont les ablutions font partie, et est
dans l’obligation de se soigner quand il tombe malade,
car « toute maladie vient de Dieu et seul Dieu enverra
le remède aux Hommes » rapporté par Ahmed et « Pour
chaque communauté, il y a un terme, quand leur terme
Conférence de la Mosquée
vient ils ne peuvent le retarder d’une heure et ils ne
peuvent le hâter non plus »(s7- verset 34). Retirer un
organe à un patient « bien portant » quitte à le
rendre malade pour le transférer à un autre patient
n’est pas autorisé, ni par l’Islam ni par les lois de
bio éthique.
«
Les
corps
parleront,
témoins
des
âmes
»
Dans le cas du don d’organe, certains opposeront
qu’on ne peut donner un organe, car les corps
témoigneront devant Dieu au moment de la mort. En
effet, il est dit, au moment de la Résurrection : « Les
corps parleront, témoins des âmes ». ou encore : « Leur
ouïe, leurs yeux et leurs peaux témoigneront contre
eux. Ils diront à leurs peaux : «Pourquoi avez-vous
témoigné contre nous ?» Elles diront : « C’est Allah
qui nous a fait parler, Lui qui fait parler toute chose.
C’est Lui qui vous a créés une première fois et c’est vers
Lui que vous serez retournés» (41-21).
L’Islam considère qu’on ne peut mutiler ou altérer son
corps. Toutefois, il faut garder à l’esprit qu’après la mort,
le croyant et Dieu auront tous deux une « discussion »
sur l’absence ou le remplacement de tel ou tel organe. Le
croyant pourra alors exprimer à Dieu qu’il a donné son
rein droit pour sauver sa fille, son fils, son père ou sa
mère d’une mort certaine ou qu’il a reçu un morceau
de foie sans lequel il aurait péri. Si le don d’organe est
largement conditionné par l’extrême nécessité de
sauver une vie humaine, la sienne ou celle d’autrui,
l’acte ne saurait être blâmé, car « Quiconque est
contraint sans toutefois abuser ni transgresser, ton
Seigneur est certes Pardonneur et Miséricordieux ».
(Coran VI-145 [al An’am])
Entre Islam et bio éthique, la prévalence du bien et
de la morale
La morale est au centre de la problématique du don
d’organe, aussi bien du côté du patient, comme nous venons de
le voir, que du côté de la bio éthique en elle-même.
La morale est un ensemble de principes de jugement,
de règles de conduite relatives au bien et au mal,
de devoirs, de valeurs, parfois érigés en doctrine,
qu’une société se donne et qui s’imposent autant à la
conscience individuelle qu’à la conscience collective.
Appliquée à la bio éthique, elle assure le non-acharnement
thérapeutique ni le maintien en vie d’un patient
cliniquement mort (eeg plat, arrêt cardiaque et
respiratoire.) ou encore la non-transplantation d’un
organe si les chances de voir la greffe réussir sont jugées
minimes ou le risque encouru par le patient trop grand,
et, enfin, le non-prélèvement d’organes vitaux sur un
patient vivant au profit d’un autre.
L’académie du Eigh en 1986 reconnaît le bien-fondé du
don d’organe si aucune autre thérapie ne peut sauver la
vie du receveur, si la mort du donneur est attestée selon
les trois critères que nous avons évoqués plus haut et
si l’accord est donné par le mourant ou ayant droit.
Nous retrouvons ces principaux critères que sont le
respect du défunt, l’absolue nécessité, l’accord du
donneur et/ou de ses proches, la non-tarification du corps
humain, le non-prélèvement sur donneur vivant en cas
d’organes vitaux, aussi bien dans les lois de bioéthique que
dans les principes de la foi. Il ressort donc que le don
d’organe est un acte bienfaisant.
Le don d’organe, dans le cadre des règles fixées par
la loi, la bioéthique et la foi est dont encouragé, car il
représente une « hassana », une bonne action religieuse
désintéressée qui atteste de notre fraternité commune
et universelle. C’est également un acte de foi, car «
Quiconque lui fait don de vie, c’est comme s’il faisait
don de la vie à tous les hommes.» (Coran, 5-32)
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