SPÉCIAL 8 MAI PAR OLIVIER WEBER 22 avril 1944 uand il s’élance pour reconquérir l’Afrique, en 1940, Leclerc est bien seul. Il ressemble à Albert Londres devant la cathédrale de Reims bombardée par les Allemands, durant l’autre guerre, celle de 1914 : « Nous étions deux, moi et ma cigarette… » La cigarette de Leclerc, en l’occurrence, c’est sa canne. Pas encore le légendaire bois qu’il arborera à tout crin, mais un plant de caféier offert par un volontaire de la France libre. Il la perd au Cameroun et fonce aussitôt dans une boutique de Douala pour s’acheter une vraie canne. Ce bout de bois est un signal de ralliement, un indice de la volonté du colonel Leclerc de libérer la France. Le fétiche aussi de son incroyable épopée, des sables du Sahara au nid d’aigle de Hitler. Avec son stick, svelte, débordant d’énergie, rayonnant, Leclerc, un ancien de Saint-Cyr issu d’une vieille famille aristocratique, de son vrai nom Philippe de Hauteclocque, va rassembler les Français d’Afrique. Envoyé sur le continent noir par le général de Gaulle pour rallier les colonies de l’Empire français, il a déjà mis dans sa besace le Cameroun et le Gabon. Les Français d’Afrique le respectent pour son charisme et, déjà, ses faits d’armes. Blessé à la tête pendant la campagne de 1940, il a réussi à s’enfuir alors que les Allemands encerclent l’hospice où il est soigné. A Londres, où il apprend sa condamnation à mort par contumace par le gouvernement de Vichy, le capitaine Philippe de Hauteclocque se met au service de la France libre. Pour ne pas mettre en péril sa femme et ses six enfants, restés en France, il adopte le pseudonyme de Leclerc. Swansea Q Koufra, coûte que coûte. De Gaulle n’hésite pas un seul instant devant ce brillant officier de cavalerie et l’expédie en Afrique. Un voyage mouvementé l’attend : l’hydravion de Leclerc, le « Clyde », heurte le mât d’un bateau de pêche à l’escale de Lisbonne. Leclerc s’en sort, arrive au Nigeria, passe au Cameroun, libère Douala. Entre-temps, sur l’une des trois pirogues de sa petite armée de 23 partisans, il est nommé colonel par le capitaine Hettier de Boislambert… qui arrache deux galons d’argent de sa manche pour les apposer sur celle de son supérieur ! Leclerc s’excusera de cette autopromotion auprès du général de Gaulle. « Seuls les résultats comptaient », écrit-il au Général. Le Cameroun se rallie à la France libre. Première victoire. De Gaulle n’en attendait pas moins. La voie est libre pour faire basculer l’Afrique. Une fabuleuse aventure commence alors, faite de sang, de bluff, d’audace. Leclerc a pour tâche, ni plus ni moins, de livrer bataille dans le désert et de foncer vers la Libye, occupée par les Italiens et les Allemands. Sur la carte, le trajet ressemble à un itinéraire de la croisière noire, cette aventure Hull EUROPE 25 août 1944 Utah Beach 1er août 1944 Strasbourg Berchtesgaden Paris 4 mai 1945 Évadés par 2e DIVISION l’Espagne 2e DIVISION BLINDÉE FRANÇAISE LIBRE (2e DB) (2e DFL) 8 mai 1943 Tunis 24 janvier 1943 Casablanca FORCE “L” Unités d’Afrique du Nord Tripoli Colonne volante Ghadamès 8e Armée britannique Koufra AFRIQUE Zouar FayaLargeau COLONNE LECLERC Douala 0 500 1 000 km ART PRESSE 25 août 1940 Libreville des autochenilles Citroën dans les sables sahariens. En réalité, il s’agit d’une entreprise risquée. Des forts défendus par les Italiens, alliés des Allemands, sont disséminés çà et là. Et Leclerc a si peu de moyens… Pendant plusieurs semaines, il s’attelle à rassembler une force composite qui se baptise la « colonne saharienne », puis plus tard la « colonne Leclerc ». Six mille hommes, pour la plupart africains, et 500 Européens. Sur la carte, une oasis tracasse Leclerc : Koufra. En plein désert libyen, la citadelle italienne menace ses plans. Il lui faut la prendre. Même si ses principaux collaborateurs, tel le capitaine Massu – qui deviendra le général de la guerre d’Algérie –, trouvent l’expédition insensée. Même si des officiers méharistes disent haut et fort que le raid est pure folie ! Cent Européens seulement sont de la partie, assistés par 250 tirailleurs sénégalais du Tchad. La ruse du canon. Leclerc n’en démord pas. Quand il donne l’ordre de départ, tout est prêt. « Pour utiliser 100 litres d’essence, il fallait en faire venir du Gabon dix fois plus ! » explique le colonel Maurice Courdesses, ancien volontaire de la division Leclerc. Arrivé aux abords de la citadelle du désert, Leclerc ruse comme il peut. Il n’a qu’un seul canon, un 75 de montagne. « On a tiré comme des fous, en déplaçant chaque fois la pièce, raconte Daniel Pevot, l’un des trois survivants de Koufra, aujourd’hui âgé de 85 ans. Ils ont cru qu’on avait plusieurs batteries ! Les 300 Italiens et Allemands du fort se sont rendus sans coup férir. » La victoire auréole la France libre. Même la BBC – c’est tout Les « people » de la 2e DB Le capitaine Alain de Boissieu, commandant l’escadron de protection à l’état-major de la division. Epousera Elisabeth, fille du général de Gaulle, en 1946. Général d’armée depuis 1971 et chef d’état-major de l’armée de terre. L’adjudant-chef Legrand, dit Jean Nohain, dit Jaboune. Grièvement blessé devant Strasbourg, le 23 novembre 1944. Deviendra présentateur vedette de télévision, animant « Reine d’un jour » et « Trentesix chandelles ». Son frère, le capitaine Claude Legrand, dit Claude Dauphin. Chargé des liaisons avec les autorités américaines à l’état-major de la division. Il mènera une carrière de comédien. Le second maître Jean Alexis Moncorgé, dit Jean Gabin, du 2e escadron du régiment blindé des fusiliers marins. Il a déjà tourné plus de 30 films quand il s’engage en 1943 dans les FFL. Le capitaine Robert Galley, commandant le 501e régiment de chars de combat (RCC). Il épousera Jeanne, fille de Leclerc, en 1960. Il deviendra maire de Troyes, député et ministre de VGE (lui-même ancien de la 1re armée de De Lattre). L’aspirant Yves Guéna, du 4e escadron du régiment de marche de spahis marocains (RMSM). Sera maire de Périgueux, ministre de Pompidou et de Giscard. Président de l’Institut du monde arabe. Le Point 1703 | 5 mai 2005 | 31 SPÉCIAL 8 MAI 1945 34 | 5 mai 2005 | Le Point 1703 Zones contrôlées par l’armée allemande le 7 mai 1945 Principaux camps de concentration Front ouest : Front est : Mi-décembre 1944 Mi-décembre 1944 Mi-avril 1945 Mi-avril 1945 7 mai 1945 7 mai 1945 IRLANDE ROYAUME-UNI LONDRES B S PARIS FRANCE OCÉAN ATLANTIQUE Les poches allemandes MANCHE Avranches St-Malo Morlaix Brest St-Brieuc Crozon Audierne Quimper Rennes Pontivy Caudan Hennebont Lorient Étel Vannes Redon Île de Groix La Roche-Bernard 10 mai Quiberon Bouvron Le Palais La Baule Belle-Île St-Nazaire Nantes 11 maiESPAGNE Pornic Île de Noirmoutier LOIRE FRANCE Île d’Yeu OCÉAN ATLANTIQUE La Rochesur-Yon Les Sables-d’Olonne Île de Ré St-Martin-de-Ré 7 mai 1er mai St-Pierre-d’Oléron Île d’Oléron Poche allemande 7 mai Date de libération 18 avril Le Verdon-sur-Mer 0 25 50 km 20 avril La Rochelle Rochefort Marennes Royan NDE GIRO Le champagne du Führer. Le voilà reparti. Le guerrier infatigable veut gagner Berlin, mais, depuis Yalta, il sait que les Soviétiques arriveront avant les Alliés. Alors il force la main des Américains et met le cap sur Berchtesgaden. « C’était devenu son obsession, et nous on courait derrière ! » en sourit le père Cordier. Résultat de ce dernier baroud : la 2e DB, cette armée hétéroclite de 16 000 hommes et 4 500 véhicules où l’on parle une vingtaine de langues, arrive dans le nid d’aigle de Hitler… avant les Américains. « Ils étaient paumés ! plaisante Robert Galley. Nous, on suivait Leclerc qui fonçait comme un sauvage ! » Les spahis et la 9e compagnie du Tchad s’en donnent à cœur joie et délogent des montagnes les derniers SS. Incroyable fin de campagne où des Africains ferraillent dans le dernier refuge des nazis, sous des cimes de 2 700 mètres… Dans le nid d’aigle de Hitler, les hommes éreintés de la 2e DB peuvent fêter leur victoire, la revanche et la promesse tenue. On sable le champagne avec les bouteilles de Pommery et Lanson dégotées dans les caves du Führer que l’on boit dans des verres de cristal marqués AH. C’est la dernière charge, tout aussi symbolique. Koufra, Strasbourg, Berchtesgaden, même combat ! Et l’épopée de la 2e DB s’achève par un ultime baroud. Leclerc a rempli sa mission. Jusque sur le théâtre de l’Allemagne vaincue, la France a voix au chapitre face aux Alliés et aux Soviétiques. Leclerc fait hisser les couleurs tricolores sur le nid d’aigle. « Voilà qui est fait, lance-t-il au capitaine Touyeras. La route a été longue et dure, mais on a bien terminé, qu’en dites-vous ? » Leclerc est heureux . La preuve, il a posé sa canne. Momentanément… Camps d’extermination E EIN LE 23 NOVEMBRE 1944, LECLERC ENTRE DANS STRASBOURG. HOMME DE PAROLE, IL LANCE À SES COMPAGNONS D’ARMES : « LE SERMENT DE KOUFRA EST TENU. » que l’attaque était lancée, il montait en première ligne pour nous dire : “Foncez !” » Strasbourg, enfin… Sur la ligne bleue des Vosges, Leclerc y pense comme à sa première canne. Déjà, le colonel Rouvillois charge sous la pluie. Leclerc est radieux. Au loin on aperçoit la flèche de la cathédrale de Strasbourg. Il y entre en libérateur, le 23 novembre 1944. Koufra est loin, mais son rêve s’est réalisé. Homme de parole, dans tous les sens du terme, comme pour son éternelle fidélité envers de Gaulle. A ses hommes, la larme à l’œil, la canne à portée de main, il lance : « Le serment de Koufra est tenu. » Il lui en faut un autre. Que le drapeau français soit présent quand l’Allemagne capitulera. « Il demeurait inaccessible au découragement et nous laissait beaucoup d’initiative pour aller de l’avant », juge le colonel Courdesses. Quant à de Lattre de Tassigny, vainqueur de la bataille du Rhin, accusé de manœuvres inutiles, il essuie de belles invectives du commandant de la déjà mythique 2e DB. « Leclerc ne lui a jamais pardonné d’avoir cautionné au début de la guerre la condamnation à mort de De Gaulle », dit le père Maurice Cordier, évadé de France et ancien de la division. Limites du Reich après annexions Lesparre-Médoc FINLANDE FINLANDE SPÉCIAL 8 MAI HELSINKI HELSINKI OSLO OSLO NORVÈGE NORVÈGE STOCKHOLM STOCKHOLM RigaRiga Lituanie Lituanie SUÈDE SUÈDE DANEMARK DANEMARK COPENHAGUE COPENHAGUE BALTIQUE MERMER BALTIQUE Königsberg Königsberg (Kaliningrad) (Kaliningrad) DU NORD MERMER DU NORD Flensburg Flensburg Bergen-Belsen Bergen-Belsen Hanovre Hanovre Buchenwald Buchenwald nlobsusregnburg losseFFlossenburg FFlossenburg Nuremberg Pilsen Nuremberg Pilsen StruthofStruthof8 Natzwiller Natzwiller IN IN Stuttgart Stuttgart btroausrbgourg trasSStrasbourg SStrasbourg Dachau Dachau UL VIS T UL BohêmeBohêmeMoravie Moravie Mauthausen Mauthausen LinzLinz Bavière Bavière Milan Milan Trieste Trieste MERMER 10 MÉDITERRANÉE MÉDITERRANÉE Vienne Vienne 10 11 11 MERMER ADRIATIQUE ADRIATIQUE Japon Italie France Royaume-Uni Etats-Unis Chine PERTES MILITAIRES PERTES CIVILES R 1. Dont 3 millions de juifs. Chisinau Chisinau 17 17 ZAGREB ZAGREB ROUMANIE ROUMANIE SERBIE SERBIE BELGRADE BELGRADE BUCAREST BUCAREST PARTISANS PARTISANS YOUGOSLAVES YOUGOSLAVES Pays ou zones sous SOFIA influence soviétique FINLANDE M MONTÉNÉGRO NORVÈGE PORTUGAL ESPAGNE Source : « Bilan de la Seconde Guerre mondiale », de Marc Nouschi (Seuil, 1996). SUÈDE 0 100 100 200 km200 km Yalta ou le partage du monde BULGARIE E Du 4 au 11 février 1945, Franklin Roosevelt, Joseph Staline et TURQUIE TURQUIE Moscou Winston Churchill se réunissent à Yalta, dans un ancien palais PAYSd’été du tsar Nicolas II, au bord Ligne Oder-Neisse BAS Berlin ALBANIE de la mer Noire. Il y est question POLOGNE RDA BELGIQUE de la création de l’Onu (la Charte LUXEMBOURG RFA TCHECOSLOVAQUIE sera signée par 50 pays le 26 juin AUTRICHE HONGRIE FRANCE SUISSE 1945) , des frontières de la Pologne GRÈCE ROUMANIE et de la restructuration de l’Europe. YOUGOSLAVIE Churchill avouera en 1946 que BULGARIE ITALIE ALBANIE la Conférence a surtout établi TURQUIE THÈNES ATHÈNES GRÈCE 0 200 400 km un partage de l’Europe. DANEMARK IRLANDE MERMER NOIRE NOIRE 0 Pays faisant partie de l’Otan en 1949 PERTES TOTALES 13 600 000 7 500 000 21 100 000 120 000 5 300 000 5 420 000 1 300 000 1 200 000 1 500 000 4 000 000 3 000 000 7 000 000 2 700 000 300 000 3 000 000 300 000 100 000 400 000 250 000 350 000 600 000 326 000 62 000 388 000 300 000 – 300 000 Entre 6 000 000 et 20 000 000 HONGRIE HONGRIE BUDAPEST BUDAPEST Le bilan humain de la guerre Allemagne EP SLOVAQUIE SLOVAQUIE 16 16 CROATIE CROATIE ITALIE ITALIE Yougoslavie NI BRATISLAVA BRATISLAVA Autriche Autriche LIECHTENSTEIN LIECHTENSTEIN Pologne R W USITCZH-WITZ- C USCHAAUSCHWITZAAUSCHWITZCracovie Cracovie orvaiceovie racC NIARUKENAU IRKEBBIRKENAU BBIRKENAU Berchtesgaden Berchtesgaden Innsbruck Innsbruck BERNE BERNE SUISSE SUISSE URSS EP 15 15 Prague Prague Sigmaringen Munich Sigmaringen Munich PAYS NI BELZECBELZEC DANUBE 9 KievKiev MAJDANEK MAJDANEK 14 14 RH SarrebruckSarrebruckBremm Neue Neue Bremm Gross-GrossRosenRosenBreslau Breslau Dresde Dresde Francfort Francfort RH 7 8 9 Ruhr Ruhr uhr uhrR R 6 6 7 4 SOBIBOR SOBIBOR D BELGIQUE BELGIQUE 5 5 HarzHarz D BRUXELLES BRUXELLES 4 Torgau Torgau URSS ROYAUME-UNI 22 septembre 2005 | 35 MAROC ALGÉRIE TUNISIE RT PRESSE 3 3 URSS URSS 13 13 CHELMNO (KULMHOF) CHELMNO (KULMHOF) ELBE ELBE Dora-Nordhausen Dora-Nordhausen TREBLINKA TREBLINKA Varsovie PologneVarsovie Pologne ODER BERLIN BERLIN 2 2 Anvers Anvers 12 12 ernabnuiregn-bSuarcgh-sSeanchhasuesnehnausen raniOOranienburg-Sachsenhausen OOranienburg-Sachsenhausen ODER 1 Orientale Orientale E DANUBE AMSTERDAM AMSTERDAM E VIS T PAYS-BAS PAYS-BAS 1 Dantzig Dantzig Stutthof (Gdansk) Stutthof (Gdansk) PrussePrusse- Wismar Wismar Neuengamme Neuengamme Hambourg Hambourg sabvreuncskbruck avenRRavensbruck RRavensbruck