DIXIÈME
PARTIE
LE
SECOND
EMPIRE,
2
DÉCEMBRE
1851-
4
SEPTEMBRE
1870
LE
RÉGIME
PLÉBISCITAIRE
: DU
GOUVERNEMENT
PERSONNEL
ET
AUTORITAIRE
AU
GOUVERNEMENT
PARLEMENTAIRE
La
caractéristique du Gouvernement, qui prit possession le
2
décembre 1851 du pouvoir par un coup de
force
et qui finit par un
désastre militaire le 2 septembre 1870, fut qu'il évolua dans le sens
du libéralisme à l'inverse du Consulat auquel il se rattachait et
comme
n'avait fait aucun de nos régimes antérieurs.
Il
commença par une dictature absolue, suivie d'un régime de
Gouvernement personnel et autoritaire, qui conférait au
chef
de l'Etat
à
peu près toute l'autorité, les autres corps de l'Etat étant dans une
situation tout à fait subordonnée vis-à-vis de lui, et qui étouffait dans
les
Assemblées et dans le pays toute vie politique réelle. Il finit par un
parlementarisme à peu près intégralement reconstitué. Comprendre
cette
évolution est du point de vue de la
science
politique des plus
intéressants,
d'autant
plus qu'elle se fit en plusieurs étapes, graduel-
lement, et qu'elle ne fut pas le fait d'événements révolutionnaires
brusques, mais
d'une
sorte de mouvement progressif, qui permet
mieux
de suivre les forces internes qui la déterminaient.
Ce
personnalisme absolutiste du début et cette transformation
progressive se comprennent d'ailleurs aisément.
Le
régime de
1851-1852
s'explique et par la réaction dont il est
le
produit
contre celui qui l'avait précédé, régime dans lequel le
heurt
de principes contradictoires, principe révolutionnaire,
prin-
cipe
parlementaire et principe plébiscitaire qui s'opposaient, créait
l'antagonisme et l'anarchie des pouvoirs et par la tradition napoléo-
nienne, que Louis-Napoléon incarnait, qui faisait sa
force
et qui le
dirigeait.
L'évolution du régime s'explique lui aussi par deux causes qui
la
provoquèrent: par le jeu du principe plébiscitaire et par le jeu des
événements eux-mêmes. L'Empereur reconnaissait la souveraineté
du peuple, son pouvoir venait exclusivement du plébiscite qui l'avait
consacré,
et il avait comme conséquence rétabli le suffrage universel
intégral, par suite les manifestations électorales devenaient des sortes
de plébiscites qui devaient orienter sa politique et les tendances
libé-
rales qu'elles allaient manifester ne pouvaient pas ne pas retentir
sur sa conduite. Les événements devaient de même orienter l'évolu-
tion du régime, car un régime autoritaire qui prive un pays de la
liberté,
n'est, on l'a vu, au sujet du premier Empire, supportable et
supporté
que s'il assure au pays des compensations : la fortune, le
prestige, la gloire. Or après la prospérité et des succès le régime con-
nut le ralentissement et la gêne des affaires en même temps que de
désastreuses entreprises et de graves revers diplomatiques. Il dut alors
payer en liberté son déficit de prospérité et de gloire.
L'évolution, qu'il s'agira donc de retracer, comporte à peu près
trois phases. Dans la première, qui va jusqu'en 1860, l'autoritarisme
du début demeure entier, le souvenir des misères de la seconde-
publique est présent aux esprits, la tradition napoléonienne est agis-
sante, la fortune sourit au Souverain et au pays. Dans la seconde
période qui va de 1860 à 1859, les manifestations électorales sont
moins favorables, on assiste au réveil et aux progrès de l'opposition,
la
politique étrangère est malheureuse, les affaires sont
difficiles.
Par de petites concessions successives l'Empire fait
fléchir
son auto-
ritarisme. La troisième période s'ouvre en 1869, c'est le retour au
parlementarisme, le retour à l'équilibre et à la collaboration des
pouvoirs. On pourrait se croire à l'avènement
d'une
ère de stabilité.
Mais
ce parlementarisme inexpérimenté et les manœuvres de ses
adversaires lancent la France
dans
une
folle
aventure et le régime
s'abîme
dans
les revers lamentables de la guerre franco-allemande.
C'est donc un régime non pas
fixe,
immobile
dans
son absolu-
tisme,
mais mouvant
dans
sa vie très agitée et qui laisse bien voir
les
ressorts des institutions aux prises avec les vicissitudes
d'une
Na-
tion, qu'il s'agit de décrire
pour
clore le
cycle
de l'histoire de nos
Constitutions.
CHAPITRE
PREMIER
LA
DICTATURE
ET LA
CONSTITUTION
DE 1852
I
LA
DICTATURE
Le
coup d'Etat avait instauré en France une dictature de fait que
le
plébiscite transforma, en une certaine mesure, en une dictature de
droit. Louis-Napoléon, tous les pouvoirs étant dissous, concentrait
en sa personne tous les attributs de la souveraineté. Il prit en consé-
quence les mesures les plus graves non seulement de l'ordre gouver-
nemental, mais de l'ordre
législatif
et de l'ordre judiciaire. Bonaparte
lui-même, après le 18 Brumaire, n'avait pas été investi
d'une
pareille
autorité.
Ses
tâches étaient écrasantes. Il y avait à liquider le coup d'Etat
en donnant les suites qu'elles comportaient aux innombrables arres-
tations qui avaient eu lieu. Il y avait à assurer le régime et l'ordre
contre les retours offensifs possibles d'adversaires pour l'instant
abattus, mais qui devaient reprendre courage, s'organiser et agir, il
fallait
armer contre eux le pouvoir. Il y avait à donner le plus vite
possible
une Constitution à la France pour que des pouvoirs réguliers
collaborassent
avec le Président et partageassent ses responsabilités.
Or
les collaborateurs du Président dont la pensée, dont la volonté
étaient souveraines, étaient extrêmement peu nombreux et leur expé-
rience
des affaires était courte, si bien qu'on peut s'étonner qu'ils
aient pu faire
face
aux nécessités
d'une
situation si
difficile,
quelque
jugement que l'on porte d'ailleurs sur les mesures qu'ils prirent.
Liquidation
du
coup
d'Etat. Il fallait statuer au plus vite
sur le sort des individus arrêtés le 2 décembre ou par la suite. La
force
et l'arbitraire soulèvent les consciences quand leur règne se
prolonge après les événements qui ont pu paraître les justifier.
Les
deux cent dix-huit députés arrêtés à la mairie du Xe arron-
dissement, furent en principe libérés de suite. Certains refusèrent
leur élargissement pour faire éclater l'arbitraire de leur détention, et
on dut user de la force pour leur rendre la liberté. Pour certains, on
l'a
vu, le chemin de Mazas avait été le chemin de Damas, celui du
ralliement,
et sortis de prison ils se précipitèrent à
l'Elysée.
Mais
la liberté ne fut pas le sort de tous. Se transformant en
haut justicier le Président prit contre certains des détenus, à lui
seul,
arbitrairement, des mesures rigoureuses. Cinq d'entre eux,
considérés
comme ayant fait acte d'insurrection, furent soumis à la
transportation à Cayenne, transformée pour quatre d'entre eux en
exil
et pour le cinquième en déportation en Algérie. Soixante-dix-
putés de la Montagne, dont
Victor
Hugo, Schoelcher, Charras, qua-
lifiés
chefs du parti socialiste, furent
exilés,
d'autres
« qui s'étaient
fait
remarquer par leur hostilité violente », étaient « éloignés », tels
les
généraux d'Afrique : Le Flô, Bedeau, Changarnier, Lamoricière,
et
des hommes politiques comme Thiers, de Rémusat, Edgard Qui-
net, de Girardin 1. C'étaient 90 personnes dont la liberté était grave-
ment atteinte, qui subissaient pour la
plupart
la
dure
peine de
l'exil,
et
cela
sans jugement, par la décision tout arbitraire du
chef
de
l'Etat.
Restaient
les
26.000
détenus. A Paris ils étaient
4.000.
Les com-
missaires
de police et les juges d'instruction en élargirent un très
grand nombre. Ceux qui étaient prévenus de délits ou de crimes
véritables
furent déférés aux tribunaux ou aux conseils de guerre.
Ceux
que l'on considérait comme des révolutionnaires dangereux,
en vertu du décret du 8 décembre furent acheminés par bandes la-
mentables vers les ports pour être transportés. Beaucoup d'entre eux
furent exilés ou transportés en Algérie et échappèrent à Cayenne.
Pour les
22.000
incarcérés de province l'embarras était grand.
La
circulaire des ministres de la
Justice,
de la Guerre et de l'Inté-
rieur, créant les « commissions départementales mixtes pour le
prompt jugement des individus arrêtés à la suite des événements de
décembre
1851 2 », recommandait de statuer sur leur sort « dans le
1
Décret du 9 janvier
1852.
Taxile
DELORD,
Histoire
du
Second
Empire,
t. I,
P.
390,
noms
des bannis et des
«
éloignés
».
2
Circulaire des Ministres de la
Justice,
de la Guerre et de l'Intérieur relative à la
créa-
plus
bref
délai ». Le Gouvernement avait déjà donné l'ordre aux
préfets de faire relâcher les « égarés ». Pour juger les autres cette
simple circulaire constituait « une sorte de tribunal mixte composé
de fonctionnaires de divers ordres, assez rapprochés des lieux où les
faits
se sont passés
pour
en apprécier le véritable caractère, assez
haut
placés
dans
la hiérarchie
pour
comprendre l'importance
d'une
pareille mission, en accepter résolument la responsabilité et offrir à
la
société comme aux particuliers toute garantie d'intelligence et
d'impartialité ». Ce furent les fameuses « commissions mixtes » for-
mées du commandant de la division militaire, du préfet, du procu-
reur général ou du procureur de la République.
Elles
siégeaient à
l'hôtel de la Préfecture, « compulsaient tous documents » mis à leur
disposition et « aprèsr examen » statuaient de suite ou prescri-
vaient un supplément d'information, confié à « tout agent judiciaire,
administratif
ou militaire ».
Elles
pouvaient ou renvoyer devant un
conseil
de guerre ou condamner soit à la transportation à Cayenne
ou en Algérie, soit à l'expulsion, soit à l'éloignement momentanée
du territoire, soit à l'internement, soit au renvoi en police correction-
nelle,
soit à la mise en surveillance. Le pouvoir des commissions
était donc considérable et les garanties de compétence,
d'impar-
tialité,
d'étude
des affaires des
plus
minimes.
Elles
constituaient de
redoutables juridictions devant lesquelles les règles les
plus
élémen-
taires de la procédure criminelle étaient supprimées. L'accord entre
les
autorités et la célérité
dans
les jugements étaient le mot
d'ordre
donné. Il était prescrit de terminer « tout le travail » « au
plus
tard
à
la fin du mois de février ». C'était la parodie de la justice. L'excuse,
en effet, c'était de ne pas prolonger des internements faits en masse,
à
l'aveugle. L'arbitraire
dans
l'arrestation commandait l'arbitraire
dans
le jugement.
L'indulgence
dans
cette incertitude des vraies responsabilités
s'imposait. Or le bilan du « travail » des commissions fut celui-ci :
2.804
condamnations à l'internement, 1.545 condamnations à l'ex-
pulsion, à l'éloignement du territoire,
9.530
déportations en Algérie,
239
transportations à Cayenne; sur
22.000
inculpés
cela
faisait
14.000
condamnés
dont
près de
10.000
transportés. Il était difficile de voir
dans
ces mesures des actes de justice, c'étaient des mesures politi-
ques destinées à supprimer des adversaires politiques, à supprimer
bon
des
commissions
départementales
mixtes
pour le prompt jugement des individus arrêtés
à
la suite des événements de décembre
1851.
Monit.
univ.,
4
février,
p.
189.
Lois
an-
notées,
DEVILLENEUVE et CANETTE, 1852, p. 43.
DESLANDRES.
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