LE PATRIOTE RÉSISTANT
N° 907 - avril 2016 77
les faits du mois
La table ronde dédiée à Frédéric Henri
Manhès le 19 mars dernier avait pour but
de rendre hommage à un homme oublié
dans l’historiographie de la Résistance, qui
appartint pourtant au cercle restreint des
intimes de Jean Moulin à partir de 1937 et
resta toujours dèle à sa mémoire.
Christine Levisse-Touzé, directrice des
musées Leclerc / Jean Moulin, et Jean-Marie
Guillon, professeur émérite de l’Universi-
té d’Aix-Marseille, ont rappelé les grandes
lignes de son itinéraire. Franc-maçon, mili-
taire de carrière qui obtint huit citations lors
de la Grande guerre, Henri Manhès exerce
entre les deux guerres diverses responsabilités
dans la presse et l’édition. En 1937 il entre au
cabinet de Jean-Pierre Cot, ministre de l’Air,
dont le chef de cabinet est Jean Moulin. Il y
rencontre des personnalités telles que Pierre
Meunier et Robert Chambeiron qu’il retrou-
vera dans la Résistance.
Dès les premiers mois de l’occupation, Henri
Manhès se consacre à l’organisation de la
Résistance en relation avec Jean Moulin. Il
part en zone sud où il obtient des faux papiers
pour Jean Moulin au nom de « Mercier ». Sous
le nom de « colonel Frédéric », il devient l’ad-
joint de ce dernier pour la zone non occupée
tout d’abord, puis en zone nord occupée. Dès
janvier 1941 il crée son propre réseau d’action
et de renseignement, le réseau Frédéric, et
assure des liens avec des mouvements divers,
y compris les réseaux maçonniques. Avec sa
femme Lucie, il accueille plusieurs fois Jean
Moulin à Bergamon (Var), dans la clandesti-
nité. Lucie Manhès y a acquis l’hôtel Bellevue
qui deviendra une planque pour tous ceux qui
ont besoin d’un refuge. Sur cette période des
activités de Moulin et Manhès, « notre docu-
mentation présente de nombreux creux », re-
grette Jean-Marie Guillon, ajoutant que le
littoral provençal et la région de Marseille
ont joué un rôle majeur lors des débuts de
la Résistance. Manhès quant à lui passe une
grande part de l’année 1942 en zone occupée.
En janvier 1943, il va à Londres où il
rend compte de l’activité des réseaux qu’il
anime ou avec lesquels il est en relation
(Lorraine, Ceux de la Libération, La Voix
du Nord, etc.). Il y rencontre le général de
Gaulle. Rentré en France le 15 février, il
est arrêté le 3 mars 1943 par les Brigades
spéciales du commissaire David puis li-
vré aux Allemands. Les interrogatoires
qui ont été conservés montrent l’extrême
dignité de Manhès et des camarades arrê-
tés en même temps que lui - dont Albert
Kirchmeyer (de Patriam recuperare, un
réseau maçonnique), Maurice Vannier et
Maurice Ripoche (Ceux de la Libération)
– souligne Jean-Marie Guillon. Ils ne nient
pas être « gaullistes », ils l’assument mais
sans donner davantage d’indications.
Frédéric Henri Manhès est interné au
Cherche-Midi puis à Fresnes et Compiègne.
Il est déporté à Buchenwald par le convoi du
18 janvier 1944. La période qui suit nous est
mieux connue. Oliver Lalieu, historien et
président de l’association Buchenwald-Dora
et Kommandos, rappelle que Manhès pour-
suit en déportation la tâche entreprise dans la
Résistance, essayant d’unier la communauté
des déportés français, très isolée par ailleurs.
Nouer des liens avec les communistes alle-
mands qui détiennent des postes clés dans
la hiérarchie des détenus, ne se concrétise-
ra qu’avec l’arrivée à Buchenwald de com-
munistes français, en particulier de Marcel
Paul. Avec ce dernier, Manhès crée non sans
dicultés le Comité des intérêts français,
constitué d’une trentaine d’organisations de
la Résistance d’inspirations diverses. Il di-
rige également la Brigade d’action libératrice.
Vladimir Trouplin, directeur du Musée
de l’Ordre de la Libération, fait remarquer
que si Frédéric Henri Manhès est l’un des
grands oubliés de l’historiographie, il ne l’a
pas été de la reconnaissance nationale : il est
Compagnon de la Libération, médaillé de la
Résistance et a été promu commandeur de
la Légion d’honneur au titre de la Seconde
Guerre mondiale. Lucie Manhès qui a été
son adjointe permanente n’a pas été oubliée
non plus dans ce domaine.
Le co-président de la FNDIRP
« Une sorte de guerrier du Moyen Age, un
Bayard, quelqu’un comme ça. Le geste superbe,
la crinière blanche qui commençait à repous-
ser, puis son prestige… Il avait le verbe haut. Il
était éloquent mais, attention, cassant aussi.
C’était un fonceur. Quand il dressait un habit
à un collabo, c’était formidable. Pas tendre.
Quel homme ! » Ainsi apparaît Frédéric Henri
Manhès aux yeux du Dr Louis Fichez, à l’heure
de la création de la FNDIRP. Serge Wolikow,
professeur émérite de l’Université de Dijon, a
évoqué le Manhès co-fondateur de la FNDIRP
avec Marcel Paul, en octobre 1945. Une gure
qu’il a rencontrée au cours de ses recherches
sur l’histoire de la Fédération pour l’ouvrage
Les Combats de la mémoire, la FNDIRP de
1945 à nos jours (Cherche Midi, 2006).
L’historien rappelle que le co-président de
la FNDIRP, dans les débats qui ont opposé
les déportés en 1945, était partisan de l’unité
au sein d’une seule fédération, dans la lignée
de son action dans la Résistance. Au sein de
la FNDIRP, il devint une personnalité em-
blématique, assumant un rôle important de
représentation tandis que Marcel Paul était
accaparé par ses fonctions ministérielles puis
à la Fédération CGT de l’Energie.
Après l’avènement de la « guerre froide »
et le tournant politique des années 1947-
1948, on perçoit un malaise chez lui face
à certaines positions de la FNDIRP, relève
Serge Wolikow. Il se consacre alors davan-
tage aux questions européennes et interna-
tionales, notamment au désarmement. Il
s’investit dans la Fédération internationale
des résistants pour reprendre une place plus
active à la Fédération dans les années 1954-
1955. A chaque fois qu’il y aura désaccord,
conclut Serge Wolikow, Manhès prendra de
la distance, mais sa volonté aura été de tou-
jours rester dèle et utile à la FNDIRP dans
le rassemblement, jusqu’à son décès en 1959.
Cette table ronde a permis de mieux cerner
certaines des facettes du riche itinéraire de
Frédéric Henri Manhès en espérant qu’elle
permettra de stimuler la recherche sur cette
personnalité extrêmement riche et dont le
rôle, notamment auprès de Jean Moulin,
reste si mal connu. I.M.
Frédéric Henri Manhès, une vie de combats
Le Musée du général Leclerc et de la Libération de Paris / Musée Jean Moulin a accueilli le 19 mars une table ronde consacrée à Frédéric Henri
Manhès, résistant, déporté, co-fondateur de la FNDIRP et de l’Amicale de Buchenwald. Compte rendu.
Portrait de F.H. Manhès,
par Auguste Favier, en
décembre 1944 à Buchenwald.
Femmes en résistance : une exposition et des albums de bande dessinée
Amy Johnson était une aviatrice britan-
nique qui participa à l’eort de guerre et
Sophie Scholl, une étudiante allemande
qui résista de l’intérieur au nazisme. Berty
Albrecht, militante féministe, joua un
rôle moteur dans le journal et le mou-
vement Combat, Mila Racine, d’origine
russe juive, convoya des enfants juifs
vers la Suisse… A chacune de ces résis-
tantes, les éditions Casterman ont dédié
un album de bande dessinée, qui est com-
plété par un dossier historique. A la suite
d’autres éditeurs, elles ont eu l’excellente
idée d’utiliser la bande dessinée et la créa-
tion graphique pour intéresser un public
jeune à la Seconde Guerre mondiale et
aux combattants (es) de la Résistance.
Ces albums, dont le quatrième sur Mila
Racine vient de sortir, s’insèrent dans
l’exposition proposée par le Mémorial de
la Shoah sur les « Femmes en résistance ».
Celle-ci permet de mettre en valeur les
activités des femmes longtemps sous-
estimées et de présenter les multiples
facettes de leur engagement : Héberger,
nourrir, soigner, mais aussi renseigner,
saboter, transporter courriers, tracts et
armes, combattre les armes à la main.
En lien avec les quatre héroïnes de
Casterman, on rencontre au l de l’expo-
sition des noms et des itinéraires connus
et inconnus de femmes d’origines et de
sensibilités diverses, toutes mobilisées
dans la lutte contre l’occupant. On les
suit, lorsque la répression les frappe,
qu’elles sont emprisonnées, déportées,
lorsqu’elles sont condamnées à mort et
décapitées en Allemagne pour un petit
nombre d’entre elles.
Dans une dernière partie de l’exposition,
il est rappelé qu’à côté des résistants juifs
mêlés aux autres résistants, il exista une
Résistance juive spécique par sa com-
position, ses buts et ses méthodes. Elle
se concentra principalement sur le sau-
vetage des juifs persécutés et en danger
de mort à l’est et à l’ouest de l’Europe,
sur la lutte armée et la résistance spiri-
tuelle. Des femmes en rent naturelle-
ment partie, que ce soit en France ou
ailleurs : soixante portraits très émou-
vants leur redonnent vie et les mettent à
l’honneur. L.D.
n Jusqu’au 30 septembre 2016, au Mémorial
de la Shoah, 17 rue Georoy l’Asnier 75004
Paris. Un programme de rencontres,
lms, débats accompagne l’exposition
(www.memorialdelashoah.org).
L'un des 4 albums de la série
Femmes en résistance, Tome 3 –
Berty Albrecht (Casterman).
© Mémorial de la Shoah