D O S S I E R E D I T O R I A L Entretien Nous commençons maintenant à le savoir! L’image dorée de la vie de famille béate et naïvement heureuse qui suit la naissance d’un enfant, ne correspond pas exactement à la réalité. La réalité est très souvent émotionnellement confuse et embrouillée alors que les deux partenaires essaient tant bien que mal de s’adapter à leurs nouveaux rôles de parents. Pour un couple, la venue d’un enfant n’est pas réellement une opportunité de rapprochement et il est plus courant pour les partenaires de sentir qu’ils s’éloignent un peu loin de l’autre... Nous sommes à un moment unique de l’histoire, où la femme n’a jamais été autant libérée. Nous sommes le fruit de luttes engagées par les générations qui nous ont précédées. Des femmes qui, durant ce dernier siècle, ont questionné le modèle dominant-dominé de l’homme sur la femme. Et, la plupart des femmes de notre génération, du moins dans nos sociétés occidentales, connaissent l’égalité des sexes. Pourtant, lorsque l’enfant paraît, cette égalité, expérimentée dans l’ère préenfant, prend une toute autre allure, allant jusqu’à s’éteindre brutalement parfois dans les premiers mois postnataux. Pour notre génération libérée et égalitaire, le contraste n’en est que plus abrupt et difficile à vivre. Le problème des couples post-bébé, c’est qu’ils n’ont souvent pas d’autre choix que d’intégrer des rôles plus traditionnels. L’homme devient un papa, et la femme une maman. Très vite, ces statuts les mettent chacun dans des mondes très différents: Il entre dans un rôle de soutien de famille, avec le lourd fardeau que sont les responsabilités financières. De son côté, Elle entre dans un rôle de mère nourricière, compréhensive et patiente, se débattant de plus très souvent avec les nombreuses autres tâches inhérentes au bon fonctionnement d’une famille. Deux mondes où il peut être frustrant d’évoluer, surtout si, par là-dessus, vient se greffer un manque de reconnaissance mutuelle des jobs respectifs accomplis par les partenaires. Si, dans ce contexte, on rajoute la fatigue, la douleur, la difficulté à s’adapter à son image corporelle, le manque de temps, etc., il est légitime de se poser la question suivante: ET LE SEXE DANS TOUT CA? Corps de mère – Lorraine Gagnaux Propos inspirés du livre: «The post-baby conversation» Alison Osborne 2006, Rockpool Publishing Pty Ltd 28 Hebamme.ch 5/2009 Sage-femme.ch Deux conseillères en santé sexuelle et reproductive ont mené une étude quantitative et qualitative sur la contraception et la sexualité en période de post-partum. Elles ont mis en évidence une période clé pour aborder au mieux ces sujets ainsi que le vécu de parents et la vie du couple. Sage-femme.ch: Vous avez expérimenté une consultation de conseil en santé sexuelle et reproductive six semaines après la naissance. Comment a germé cette idée et dans quel contexte s’intègre-t-elle? Les statistiques des interruptions de grossesse dans le canton de Vaud montrent qu’en 2007, 34% des interruptions de grossesses se faisaient dans les deux années qui suivaient un accouchement (20% dans l’année). Cet échec de la contraception – ou son absence – était aussi fréquent chez les Suissesses que chez les étrangères. D’autre part, la littérature montre que les besoins en contraception dans la période post-partum ne sont souvent pas comblés: on parle de «unmet needs» (que l’on peut traduire par «besoins non comblés») pour désigner les relations sexuelles non proté- gées pour des raisons diverses, conscientes ou inconscientes, et cela malgré l’absence d’un désir de grossesse. Les femmes veulent donc espacer les naissances, mais elles n’y arrivent pas toujours. En conséquence, un groupe de travail interne à la maternité du CHUV s’est penché sur ces questions: «Comment atteindre un maximum de femmes dans le post-partum? Quel est le moment optimal pour informer le plus efficacement possible?» Une information concernant la contraception est donnée avant la sortie par les soignant(e)s, par les médecins ou les conseillères en santé sexuelle et reproductive, ceci de manière systématique. Toutefois, les séjours se raccourcissent et les femmes ont beaucoup à gérer dans cette période. A la constatation qu’un certain nombre de femmes qui ont accouché à la Materni- Méthodologie Projet-pilote au Planning familial du CHUV Hypothèses 1. Les femmes ont besoin d’un espace supplémentaire et spécifique de discussion autour de la contraception, la sexualité et la relation de couple, afin d’élaborer sereinement un choix le plus optimal possible en fonction de leurs besoins spécifiques. 2. Le post-partum (environ six semaines après l’accouchement) est un moment approprié, car la femme est réceptive et se sent concernée. C’est également un moment idéal pour détecter d’éventuelles difficultés, telles que des difficultés à la reprise des rapports sexuels ou, par exemple, une dépression du post-partum. Matériel – Entre le 28.11.2007 et le 28.5.2008, évaluation quantitative et qualitative prospective des entretiens avec les conseillères en santé sexuelle et reproductive à l’aide d’un document d’évaluation et de transmission au médecin. – Assignation aléatoire des femmes (2 par semaine) au moment de la prise de rendez-vous pour la consultation médicale de contrôle des six semaines post-partum. Résultats 1. Au total, 40 femmes ont été vues lors de cette période d’essai: – 27 primipares, 13 multipares; – 28 allaitements complets, 6 partiels, 6 stoppés avant 6 semaines, 2 sans allaitement. 2. Le besoin de contraception s’est avéré non comblé chez 45% des femmes (18 cas). Suite du projet Proposition d’augmenter l’offre. corps de femme Christiane Dufey-Liengme et Fabienne Coquillat, Conseillères en santé sexuelle et reproductive, Planning familial, CHUV, Lausanne. té du CHUV reviennent vers les six semaines de post-partum pour une visite médicale de contrôle, il nous a semblé intéressant de faire précéder cette visite d’un entretien avec une conseillère en santé sexuelle et reproductive. Notre objectif principal est la contraception et la prévention des grossesses non désirées mais, nous abordons aussi tout ce qui concerne la sexualité, l’affectivité et les relations au sein du couple ainsi que la prévention de la dépression post-natale. Quels sont les objectifs particuliers de ce projet-pilote? 1. Prévenir les grossesses non désirées par un choix de contraception optimal et accessible favorisant la compliance à la méthode contraceptive 2. Aborder ou ré-aborder le thème de la vie affective et sexuelle du couple conjugal et parental dans cette période de transition 3. Evaluer les ressources et les besoins, afin d’orienter si nécessaire 4. Préparer la consultation médicale, en faisant émerger les questions, les plaintes et les besoins des patientes Comment entrez-vous en contact avec les femmes, les couples au sujet de l’intimité et en si peu de temps? Même si l’entretien est parfois un peu court (30 minutes), les femmes sont généralement satisfaites, car elles savent qu’elles peuvent revenir quand elles en éprouveront le besoin. Concrètement, nous utilisons l’écoute active et entrons en matière avec des questions très ouvertes: «Comment allez-vous faire?» ou «Comment voyez-vous la suite?» ou tout simplement «Comment allez-vous»? Puis, nous orientons la discussion avec des questions ciblées sur la reprise des rapports et leur désir d’enfant pour le futur. Dans ce contexte, nous percevons n Sen art Bod e n sian : Jo tos Pho notamment la représentation que la femme se fait de la fertilité dans cette période particulière. Par exemple, 80% des femmes ignorent qu’il peut y avoir un cycle avec ovulation juste avant le retour de couches… Les femmes mettent en relation des informations qu’elles possèdent déjà mais qu’elles n’utilisent pas. Elles disent, par exemple, «Ah oui, ma sœur – ou ma cousine – a eu une nouvelle grossesse, sans avoir le retour des couches…» Elles le savaient donc, mais elles l’interprétaient comme un «cas extrême», une «exception», sans en comprendre la cause réelle. Des études ont montré que les femmes attendent des professionnel(le)s qu’ils-elles abordent la question de la santé sexuelle. Et les professionnel(le)s font de même... et attendent que les femmes posent les questions. Il n’est, d’ailleurs, pas toujours évident pour les professionnel(le)s de la santé d’être à l’aise pour aborder ce sujet. C’est la raison pour laquelle, nous nous formons et nous avons des supervisions. Il faut développer un «savoir être» pour aborder les tabous. Mais surtout pour continuer à s’interroger sur nos propres préjugés. Résultats 18 femmes ont des «besoins non comblés» – 14 manquent de conscience concernant la possibilité d’une grossesse non désirée. Elles attendent le retour de couches pour prendre une contraception. Elles doutent de leur fertilité pendant cette période. Elles pensent que l’allaitement les protège jusqu’au retour de couches. Elles ont peu ou pas de rapports sexuels. – 1 est opposée au contrôle des naissances, mais ne désire pas d’autre enfant. – 3 supposent que la contraception provoque des effets secondaires. – 7 manquent de connaissances concernant l’existence ou l’accès aux méthodes contraceptives. – 2 ont d’autres préoccupations – 3 ont le projet d’attendre la venue de leurs règles après l’arrêt de la Cérazette avant de reprendre une pilule œstroprogestative. NB: Certaines femmes cumulent plusieurs réponses. 30 Hebamme.ch 5/2009 Sage-femme.ch Quels sont les résultats de votre évaluation après six mois d’expérience? Il est impressionnant de constater que 18 femmes sur 40 (45%) n’ont pas tous les éléments pour être protégées contre une grossesse non désirée (voir encadré). Presque une sur deux! Nous constatons qu’il y a beaucoup de fausses croyances, de méconnaissances et de peurs. Quels sont les besoins les plus significatifs des femmes et des couples? Nous nous sommes aperçues, d’une part, que proposer de parler de contraception et de sexualité, six semaines après la naissance, répond à un véritable besoin, mais qu’une demande claire n’est pas toujours formulée... D’autre part, que ce sont deux thèmes qui sont liés ou découlent d’un autre sujet plus global... Nous pourrions dire que ce qui les préoccupe et se trouve en amont, ce sont les relations, au sens large: • Nouvelles relations de la mère et du père avec le bébé. • Relation à soi-même, naissance d’une mère et d’un père. • Relation au corps transformé par la grossesse et l’accouchement. • Mais aussi, les relations au sein du couple à réinventer. Quand nous ouvrons cette porte de discussion, la question de la contraception et de la sexualité peut être abordée tout naturellement. Les femmes parlent facilement de la douleur, mais également nous disent Illustrations Isabelle Ammon Saugy Artiste sculpteure suisse, née en 1968, mère de deux filles. En bref: formation d’ergothérapeute, nombreux voyages, animation d’un atelier créatif, quelques expositions en Suisse et en France. Travaille principalement la terre, depuis peu aussi le métal. Ici: une série de couples en terre cuite patinée, jeux à deux, entre rencontre, fusion, attirance et rupture. Le tout inspiré par la sensualité des arbres. Isabelle Ammon Saugy Pont-Neuf 31, CH 1341 L’Orient [email protected] www.ammon-sculpture.ch parfois ne plus rien sentir ou n’avoir jamais eu de sensation. Comment être créative et reprendre confiance pour ré-apprivoiser le corps transformé? Elles se demandent si un corps de mère peut oser la séduction pendant l’allaitement. «Etre mère et se permettre d’avoir du plaisir», est-ce compatible? Certaines disent n’avoir jamais eu vraiment de communication intime en couple: «Comment dépasser les simples performances sexuelles? Comment mettre en valeur l’affectivité et la sensualité absentes? Comment retrouver un équilibre couple-famille perturbé?» Autant de questions ou de difficultés qui sont exprimées couramment. En complément, nous les avons parfois orientées vers d’autres professionnelles (sage-femme, infirmière de la petite enfance, sexologue, etc.) ou leur avons conseillé la rééducation périnéale. Il arrive également que nous reparlions de l’accouchement, du bébé qui pleure beaucoup et qui dort peu ou qui ne correspond pas au bébé imaginé, rêvé. Les femmes se rendent compte lors des entretiens qu’il y a des espaces pour aborder ces sujets aussi divers que sensibles. Aujourd’hui, à quelle conclusion arrivez-vous? Cette étude met en évidence un nombre élevé de femmes qui sont sexuellement actives, sans ou avant d’être suffisamment protégées lors du retour de la fertilité dans le post-partum, alors qu’elles ne désirent pas d’enfant. Nous constatons que les 40 entretiens du post-partum réalisés ont répondu à un besoin et ont permis en plus d’aborder d’autres questions ou difficultés liées au corps de mère et corps de femme, au couple conjugal et au couple parental. 왗 Propos recueillis par Josianne Bodart Senn Recherches récentes Difficultés à reprendre les rapports sexuels Il est un équilibre dans le couple de jeunes parents que la sage-femme peut soutenir et promouvoir la sexualité dans le postpartum. Quel est le meilleur moment pour aborder ce sujet? Deux recherches récentes ont été publiées sur le sujet: l’une sur l’impact du traumatisme génital sur la fonction sexuelle du postpartum et l’une sur l’allaitement et la sexualité. Emanuela Gerhard sage-femme à la maternité de l’hôpital du Samaritain à Vevey «C’était difficile, ce corps devenu étranger, qui soudain, enfin, s’unissait au mien. Il était à la fois inconnu et bizarrement familier. Il était un père, et un frère depuis que nous étions devenus une famille. (...) J’étais mal dans ma peau. J’étais ailleurs. Mon corps était insensible, insoumis, et je ne ressentais plus rien qu’une sorte de gêne. J’avais encore mal.» (Abecassis, 2005, p. 148). La naissance d’un enfant apporte une multitude de changements pour une nouvelle maman. Beaucoup de femmes expérimentent la fatigue, la douleur périnéale, l’incontinence urinaire, la dépression, ainsi que des changements dans la fonction sexuelle. Alors que la dépression du postpartum et l’incontinence urinaire ont reçu une attention modérée de la part des chercheurs, les études concernant la fonction sexuelle ont été négligées. Les données européennes disponibles suggèrent que les problèmes sexuels du postpartum sont courants. Jusqu’à 83% des femmes rapportent des problèmes sexuels dans les 3 mois après la naissance, et à 6 mois postpartum, 18% jusqu’à 30% des femmes expérimentent toujours des problèmes sexuels, dyspareunie y compris. Plusieurs raisons ont été suggérées pour le retard de la reprise des rapports sexuels vaginaux après la naissance. Les principales sont: la douleur liée à l’épisiotomie, les saignements ou écoulements vaginaux, la fatigue, ou l’inconfort lié à l’inadéquate lubrification du vagin due au taux plus bas d’œstrogène dans la période postpartum. Le peu d’études conduites sur le comportement sexuel des couples lors de la grossesse et dans le postpartum s’accordent à conclure qu’une information exacte peut aider les couples pendant les périodes de transition avant et après la naissance. Une discussion des changements attendus dans la sexualité devrait être introduite dans la routine du suivi prénatal. Les informations concernant la sexualité exposées pendant la grossesse permettraient un meilleur vécu de la sexualité du postpartum. Dans un article récent paru dans La Revue Sage-femme (Décembre 2008, 301–304), Fabre-Clergue & Duverger-Charpentier affirment que «la sexualité du postpartum dépend étroitement de la qualité de la sexualité qui a existé Hebamme.ch Sage-femme.ch 5/2009 31 pendant la grossesse. (...) Il est donc capital d’informer les couples sur la sexualité et la grossesse pour prévenir les difficultés du postpartum.» L’impact du traumatisme génital sur la fonction sexuelle du postpartum «Est-ce que le traumatisme spontané du tractus génital a un impact sur la fonction sexuelle du postpartum? (Does Spontaneous Genital Tract Trauma Impact Postpartum Sexual Function?)» est une étude comparative, descriptive, menée en collaboration par les Départements d’Obstétrique et Gynécologie, Médecine Familiale et le College of Nursing du Centre des Sciences de la Santé de l’Université du Nouveau Mexique (앾American College of Nurse-Midwives, 2009). Elle a été publiée dans le Journal of Midwifery and Womens’ Health dans le numéro de mars/avril 2009. Une cohorte prospective de patientes de sagesfemmes a consenti à l’accès à la documentation du traumatisme génital à la naissance et à l’évaluation de la fonction sexuelle à 3 mois postpartum. L’impact du traumatisme génital sur la fonction sexuelle était l’objectif de l’étude. Les traumatismes étaient catégorisés en traumatisme mineur (pas de traumatisme ou déchirure du premier degré ou autre traumatisme n’ayant pas été suturé) et traumatisme majeur (déchirure du deuxième, troisième ou du quatrième degré ou autre traumatisme ayant nécessité une suture). Les femmes ayant subi une épisiotomie ou un accouchement opératoire ont été exclues. 58% (326/565) des femmes enrôlées ont donné des données sur la fonction sexuelle; parmi elles, 276 (85%) ont rapporté une activité sexuelle depuis la naissance. 70% (193) avaient subi un traumatisme mineur et 30% (83) avaient subi un traumatisme majeur. Les femmes sexuellement actives ont complété une échelle de relation intime (Intimate Relationship Scale – IRS), un questionnaire de 12 sujets validé comme une mesure de la fonction sexuelle du postpartum Les deux groupes de traumatismes étaient également à même d’être sexuellement actifs. Les scores totaux d’IRS ne différaient pas entre les groupes de traumatismes, il n’y avait pas non plus de plainte de dyspareunie. Cependant, pour deux sujets, des différences significatives on été démontrées: les femmes ayant subi des traumatismes majeurs ont rapporté avoir moins de désir à être tenues, touchées et caressées par leur partenaires que les femmes ayant subi un 32 Hebamme.ch 5/2009 Sage-femme.ch traumatisme mineur. Les femmes ayant nécessité une suture périnéale ont rapporté un score d’IRS plus bas que les femmes qui n’ont pas nécessité de suture. Le silence sur le sujet de la sexualité du postpartum va servir uniquement a garder les femmes et leur partenaires ignorants des changements qui peuvent tout à fait être une partie normale des ajustements du post-partum ou les priver de solutions à des problèmes qui peuvent être facilement remédiés ou du moins expliqués. L’implication de la sage-femme auprès du couple de jeunes parents s’avère bénéfique en matière de sexualité. Aborder ce sujet avec eux est essentiel. En invitant le couple à une discussion, nous pouvons les informer à propos des changements possibles, les adresser à des spécialistes (gynécologue, sexologue) et leur donner des conseils pour des solutions spécifiques. Pour certains couples, il peut être délicat d’en parler car le manque d’envie sexuelle peut être interprété comme un manque d’amour. En revanche, le discours d’une sage-femme en cours de préparation à la naissance et à la parentalité ou lors de ses interactions avec les couples, permet aux parents de dédramatiser l’absence de désir et de leur faire comprendre qu’ils ne sont pas des cas à part et qu’ils peuvent se laisser du temps. Dans son livre «Devenir parents en Maternité», Michèle Canon-Yannotti estime que: «Si elles (les sages-femmes) sont attentives à la mise en place du lien de la mère à l’enfant et à la qualité des soins, elles veillent à ce que le jeune père ne se sente pas exclu du fait de sa position d’extériorité de départ. Puis, elles aident la jeune femme à récupérer un corps féminin en perdant les traces du corps maternel. Elles permettent ainsi au jeune couple de reprendre la dynamique de sa sexualité.» (p. 66) L’allaitement et la sexualité du postpartum Dans les siècles passés, le temps de l’allaitement était aussi celui de l’interdiction des rapports sexuels. Cette période pouvant durer un an, deux ans, voir plus. Actuellement, l’effet de l’allaitement maternel sur la sexualité dans le postpartum fait l’objet d’une controverse. Les différentes études (la plupart rétrospectives) ont trouvé soit une augmentation, une diminution de l’intérêt ou aucun changement du type de rapport sexuel. Une étude prospective canadienne (Ontario) intitulée «Allaitement maternel et sexualité immédiatement après l’accouchement» publiée en octobre 2005 dans le journal Canadian Family Physician (texte intégral accessible en anglais à www.cfpc.ca/cfp), montre que l’allaitement maternel cause un retard significatif de la reprise de l’activité sexuelle comparé à l’allaitement artificiel. L’objectif de cette recherche est d’examiner la relation entre l’allaitement maternel et la reprise des rapports sexuels vaginaux; d’établir la relation entre ces comportements et les facteurs âge, parité, situation matrimoniale, type d’accouchement et usage de contraceptif; et d’identifier les facteurs associés à la reprise des rapports sexuels. Le contexte se situe dans les cabinets de 11 obstétriciens dans trois localités ontariennes, entre août et décembre 2002. Les participantes sont des femmes à leur première consultation postpartum. Le principal paramètre étudié est la reprise des rapports sexuels vaginaux. Les résultats des cette recherche rapportent que sur les 316 répondantes, 181 (57,3%) allaitaient et 167 (52,8%) n’avaient pas encore eu de rapports sexuels vaginaux. Les femmes étaient âgées en moyenne de 28,7 ± 5,3 ans et leur bébé de 6,5 ± 1,1 semaines. C’était un premier bébé dans 50,3% des cas et un second dans 32,6% des cas. La plupart des femmes étaient mariées (72,8%) ou vivaient en couple (19,3%). Les femmes mariées étaient plus susceptibles d’allaiter, de même que celle ayant la plus grande parité. La régression logistique multifactorielle a identifié cinq variables qui avaient une association significative avec la reprise des rapports sexuels 6 semaines après l’accouchement. Les deux variables les plus significatives du point de vue statistique étaient l’allaitement maternel (exclusif ou complété par le biberon) et l’âge en semaines du bébé. Un autre facteur prédictif, très significatif, était le type d’accouchement (vaginal sans déchirure vs césarienne ou accouchement vaginal avec déchirure) ainsi que la plus forte parité. Une faible association existait entre la reprise des rapports sexuels et l’âge maternel plus élevé. Les 167 femmes ont été questionnées sur les principales raisons de la non-reprise des rapports sexuels: les 161 répondantes ont indiqué 215 raisons. 54 en citant plus d’une. Les raisons les plus fréquentes étaient un manque d’intérêt (18,6%), une trop grande fatigue (16,8%), la crainte de rapports douloureux (16,8%), les conseils en ce sens du médecin (15,6%) et la croyance qu’elles devaient attendre 6 semaines (14,4%). La conclusion de cette recherche est que les femmes allaitant qui retardent la pour les accompagner dans leur nouvelle vie et leur nouveau rôle. Au-delà de l’information indispensable, l’aspect préventif est essentiel pour un bon vécu de la naissance pour le jeune papa, pour la jeune maman et d’autant plus pour le nouveau-né. Cependant, plusieurs entraves à l’information du couple et des difficultés sont rencontrées par les sages-femmes. Elles sont dénoncées dans la «Réflexion concernant la place de la sage-femme dans la sexualité du couple» de Charlotte Crouzet, sagefemme à Millau, en France: «La pudeur, stratégie d’évitement naturelle à parler de sexualité, induit un problème de communication. L’éducation, la religion, la culture, l’âge et l’identité sexuelle, la santé mentale et physique, le choix de partenaire, la société et l’époque sont autant de facteurs qui influencent notre regard sur la sexualité et qui peuvent aller à l’en왗 contre de l’information sexuelle». Bibliographie reprise des rapports sexuels après l’accouchement profiteraient d’une franche discussion sur l’allaitement maternel, la sexualité et la contraception immédiatement après l’accouchement. Les auteurs incitent les professionnels de la santé à discuter de la relation allaitement maternel/sexualité au cours des visites post-partum. Rôle capital de la sage-femme Il est primordial que la sage-femme prenne la liberté de parler de sexualité, des changements qui vont survenir dans leur couple, des divergences éventuelles qu’il pourrait y avoir quand à savoir comment agir en tant que jeune parent. Lors du cours de préparation à la naissance ou lors d’une consultation de grossesse – ou encore de manière plus pertinente – lors d’une visite post-partum en milieu hospitalier ou à domicile. Pour que les couples puissent trouver un soutien et des réponses à leurs questions. Nous avons un rôle capital en tant que sage-femme dans la transmission de notre savoir autant sur tout ce qui touche la femme enceinte et le couple pendant la période périnatale, que sur l’allaitement, la fatigue maternelle ou encore en matière de sexualité. Nous pouvons apporter aux couples plus qu’un soutien Ouvrages: Abecassis E. (2005). Un heureux événement. Paris: Albin Michel. Canon-Yannotti M. (2002). Devenir parents en Maternité. (Collection de périnatalité). Paris: Masson. Mémoire de Fin d’Etudes: Gerhard E. (2006). Rester un couple en devenant parents: L’accompagnement de la sage-femme à la parentalité. Genève: Haute Ecole de Santé. Articles/revues: Crouzet C. (mars 2006). Réflexion concernant la place de la sage-femme dans la sexualité du couple. Les Dossiers de l’Obstétrique, (no 347), 6–8. Fabre-Clergue C. & Duverger-Charpentier H. (Décembre 2008). Sexualité du post-partum. La Revue Sage-femme, Volume 7, Issue 6, 301–304. Sites Internet: Janis E. Byrd, Janet Shibley Hyde, John D. DeLamater E., Ashby Plant (Octobre 1998). «Sexuality during pregnancy and the year postpartum.» Journal of Family Practice. (on line). Available from: http://findarticles.com/p/ articles/mi_m0689/is_n4_v47/ai_21235891 (Accessed 11th March 2009). Mary Rowland, Laura Foxcroft, Wilma M. Hopman, Rupa Patel (Octobre 2005). «Allaitement maternel et sexualité immédiatement après l’accouchement.» Le Médecin de famille canadien. (on line) Volume 51, pp. 1366–1367. Available from: http://www.cfp. ca/cgi/reprint/51/10/1366?maxtoshow=&HIT S=10&hits=10&RESULTFORMAT=&fulltext=s exuality+breastfeeding&searchid=1&FIRSTINDEX=0&sortspec=relevance&resourcetype=H WCIT (Accessed 9th March 2009). Rebecca G. Rogers, Noelle Borders, Lawrence M. Leeman & Leah L. Albers (March/April 2009). «Does Spontaneous Genital Tract Trauma Impact Postpartum Sexual Function?» Journal of Midwifery Women’s Health, (on line) Volume 54, No. 2, pp. 98–103. Available from: http://www.jmwh.com/article/S1526-9523 (08)00334-6/fulltext (Accessed 9th March 2009). Hebamme.ch Sage-femme.ch 5/2009 33