REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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Dossier
sémiologique, et des tableaux cliniques différents sont
regroupés sous le même terme d’aphasie progressive [10].
Des tentatives de classification, à partir d’études longitu-
dinales de groupes de patients, ont été proposées. Une
approche maintenant classique tente une classification des
APP selon l’axe de la fluence. Snowden et al. [11] ont pro-
posé dès 1992 de distinguer trois sous-types d’APP à partir
de l’étude longitudinale de 16 patients :
–le profil A, «anomie/non fluent »(5 patients), caractérisé
par un manque du mot, un style télégraphique, une répéti-
tion altérée, des troubles de la lecture et de l’écriture mais
une compréhension relativement bien préservée, évoluant
vers un mutisme ;
–le profil B, «anomie + trouble de la compréhension/
fluent »(6 patients), caractérisé par un manque du mot,
de nombreuses paraphasies sémantiques, un trouble de la
compréhension des mots, des régularisations en écriture,
dans le contexte d’un discours fluent avec une articulation,
une syntaxe et une prosodie préservées. L’évolution se fait
vers une réduction du langage, avec une écholalie, des per-
sévérations et des troubles sévères de la compréhension,
et, pour 4 de ces patients, une agnosie associative et des
troubles du comportement faisant évoquer un tableau de
démence sémantique [12] ;
–le profil C (5 patients) regroupe des formes intermédiaires,
difficiles à classer. Quatre patients présentent un tableau
mixte, le profil A accompagné d’un déficit marqué de la
compréhension, évoluant vers un mutisme, avec ou sans
préservation de la capacité à s’exprimer par écrit (mots iso-
lés). Le dernier patient présente un discours fluent, voire
logorrhéique, de type Wernicke, avec une certaine préser-
vation de la compréhension des mots concrets.
Dans la même optique, Mesulam décrit deux grands
tableaux d’APP [1]. Il rapporte d’abord une phase de départ,
le stade anomique, commun à toutes les APP, caracté-
risé par un discours fluent malgré la recherche de mots,
des pauses, l’utilisation de mots neutres, et la produc-
tion de paraphasies sémantiques ; un manque du mot lors
d’épreuves de dénomination, sans trouble de la compré-
hension de ces mêmes mots (désignation correcte). À ce
stade, la grammaire, la syntaxe et la lecture sont préser-
vées, et la compréhension est parfaite ; on peut observer
des paraphasies phonémiques et des troubles de l’écriture.
Ce stade anomique peut évoluer en deux types de
tableaux aphasiques différents :
–l’APP non fluente, à rapprocher du type A de Snowden, se
différenciant en deux sous-types : une forme anomique pure
dans laquelle le manque du mot reste isolé, s’aggrave pro-
gressivement et évolue vers un mutisme ; et une forme avec
agrammatisme, proche de l’aphasie de Broca et caractéri-
sée par un débit de parole ralenti, une perte de la prosodie,
un manque du mot, une articulation laborieuse et une très
bonne compréhension ;
–l’APP fluente, caractérisée par une articulation et un débit
de parole normaux, un manque du mot, un trouble de la
compréhension du mot isolé, en l’absence de déficit majeur
de l’identification visuelle des objets et des visages. Cette
forme peut évoluer vers un tableau de démence sémantique
[13] et correspond au type B de Snowden.
Quelle que soit la forme initiale, l’évolution se fait vers
une aphasie globale avec un quasi-mutisme et des troubles
sévères de la compréhension. À ce stade, il n’est plus pos-
sible d’évaluer les patients, et des troubles cognitifs plus
globaux et des troubles du comportement peuvent appa-
raître.
Ces classifications, commodes mais réductrices, rendent
assez mal compte de la difficulté qu’ilyaàclasser les
patients. Par exemple, dans l’étude de Kertesz et al., en 2003
[10], sur 38 patients, 17 ont une anomie pure ; 7 sont quali-
fiés de logopéniques, ce terme qualifiant un discours plutôt
non fluent, ralenti, avec un manque du mot au premier plan,
des phrases courtes, n’excédant pas 4 mots, une syntaxe
préservée mais simplifiée, sans trouble de la phonologie,
de l’articulation et de la compréhension ; 4 ont une apha-
sie non fluente, évoquant un tableau d’aphasie de Broca,
caractérisée par une anomie, des erreurs articulatoires et
phonologiques, et un agrammatisme ; 2 ont «une apha-
sie sémantique ou démence sémantique »avec, au premier
plan, un trouble de la compréhension des mots, sans trouble
de la syntaxe ni de la phonologie, dans le contexte d’un dis-
cours fluent ; 2 sont mutiques avec une relative épargne de
la compréhension ; 6 sont classés comme présentant une
aphémie ou apraxie verbale avec des «erreurs articulatoires
et phonologiques », un débit de parole ralenti, parfois une
tendance au bégaiement et un trouble de la prosodie.
Il peut être de plus très difficile de déterminer le carac-
tère fluent ou non d’une aphasie, car les définitions varient
[14], ou parce qu’en début d’évolution, au stade anomique,
toutes les APP sont fluentes. Par ailleurs, des études de cas
isolés ont aussi décrit des tableaux de surdité verbale pure
avec un trouble isolé de la compréhension du langage oral,
en l’absence de trouble de l’expression et de la compréhen-
sion du langage écrit, avec, à l’imagerie, une atrophie et un
hypométabolisme temporaux supérieurs gauches [15, 16].
Ces tableaux d’anarthrie et de surdité verbale progres-
sives sont considérés comme des tableaux frontières et se
détachent du cadre strict des APP.
Pour compliquer encore les choses, Gorno Tempini et
al. [17] ont proposé en 2004 de qualifier certaines APP de
logopéniques (AL), dans une acception différente de celle
proposée initialement par Mesulam sous ce terme [1], et
de celle utilisée par Kertesz et al. [10], et qui par ailleurs
recoupe en de nombreux points les critères d’APNF pro-
posés par Neary et al. [18]. L’AL est ici une aphasie où le
discours est marqué par des pauses et des hésitations, où
les phrases sont courtes, avec un manque du mot important
dans le discours spontané, moindre dans les épreuves de
dénomination, et au cours de laquelle on constate de nom-
breuses paraphasies phonémiques. Ce tableau ressemble
à celui de l’aphasie de conduction mais la compréhen-
sion n’est en général pas totalement préservée. Les auteurs
confortent l’intérêt de cette distinction par une étude de
l’atrophie en IRM de 31 patients. Onze patients présen-
tant une APNF et produisant des erreurs syntaxiques et
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