ÉDITO
Les réfugiés, les salauds
et nous
L’ interminable horreur des
conflits au Moyen-Orient
génère mort, effroi, misère,
exil. La France, jusqu’ici,
accueille pourtant les réfugiés avec
une parcimonie dont la mesquinerie
fait rougir de honte des centaines de
milliers de nos concitoyens. Des initia-
tives sont prises, localement, avec un
écho loin d’être toujours négatif. Ainsi,
à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), la
politique responsable mise en œuvre
par la municipalité à direction commu-
niste, politique audacieuse et expli-
quée, est bien reçue dans la popula-
tion. Il y a donc des possibles et notre
peuple n’est pas cet amas de caco-
chymes lepénisés que certains nous
décrivent complaisamment.
Pour autant, prenons au sérieux l’oppo-
sition frontale qui surgit ici et là dans le
pays. L’inondation puis l’incendie du cen-
tre pour réfugiés de Forges-les-Bains
(petite commune de l’Essonne) au début
du mois de septembre n’ont suscité ni
réprobation générale ni l’expression mas-
sive d’un désir de reconstruire au plus
vite. Qu’en conclure ? Que nous autres,
progressistes, sommes un petit village
de justes Gaulois – puisque la référence
semble être de mise ces derniers
temps… – au milieu de hordes de salauds
auxquels il n’y a rien à dire?
Il y a, assurément, ce climat de xéno-
phobie et de racisme, savamment et
puissamment entretenu, et qui n’est
pas sans effets dans le pays. La bataille
idéologique antiraciste, universaliste
demande que nous mouillions sérieu-
sement la chemise : nous en avons
beaucoup parlé dans La Revue du pro-
jetet nous en reparlerons. Mais, au-delà,
que nous disent ces «salauds» le plus
souvent ?
«On n’a déjà pas les moyens de s’occu-
per de nous ; on ne pourra pas s’occu-
per d’eux. On ne pourra pas.» Sommes-
nous en mesure d’entendre cette phrase,
nourrie de l’expérience quotidienne du
triste et indigne sort dans lequel on laisse
tant de nos concitoyens, de nos services
publics? Ce n’est pas juste «une phrase
de salaud». C’est une conclusion – réso-
lument fausse, mais à entendre résolu-
ment – à laquelle des millions de per-
sonnes sont arrivées, à partir de leur
réflexion – nourrie des discours décli-
nistes et austéritaires dominants – et de
leur expérience.
Si on ne veut pas que la France, le monde
se remplisse de salauds, nous n’avons
d’autre choix que d’affronter sans détour
ce qui se sédimente comme une certi-
tude dans des millions de cerveaux.
Que nous puissions nous occuper et des
réfugiés et du peuple de France, c’est
pourtant, quand on a toutes les cartes
en main, quand on sait l’immense pro-
fusion d’argent disponible, une évidence.
Mais il y a là, on le voit bien, un travail
rationnel de démonstration à faire.
Démonstration d’autant plus serrée
qu’elle heurte le discours dominant, le
sens commun et l’expérience ! Puisons
à pleines mains dans notre travail d’ana-
lyse et de propositions! Lisons, vendons,
citons le livre d’Alain et Éric Bocquet
Sans domicile fisc. Soyons, toutes et
tous, impeccables et imparables sur ce
sujet précis du possible.
Par quoi, sans rien minimiser de toutes
les batailles partielles à mener, on mesure
qu’un petit nombre de questions struc-
ture la vie politique d’un pays. Parmi
celles-ci«Peut-on vraiment améliorer
notre situation ? » figure assurément en
très bonne place. Qu’on y réponde néga-
tivement et quelque pures que soient
vos intentions, vous dévalerez la pente
qui, en dernière instance, mène à l’ex-
trême droite – puisqu’on ne peut pas
améliorer notre situation, alors, chas-
sons celui-ci et celle-là, amputons les
droits de celle-ci et de celui-là, etc.
Mais la démonstration ne se limite pas
au fond – «si on voulait, ce serait possi-
ble» –, elle doit aussi affronter le défi du
chemin. La question de la force néces-
saire pour arracher ce possible pose au
premier plan l’exigence du nombre, du
grand nombre, de l’organisation et du
rassemblement à vocation majoritaire,
boussole permanente du révolutionnaire
qui entend changer le monde autrement
que dans des traités ou des fictions.
Simplement, le rassemblement n’est
pas un donné : tout est fait pour nous
diviser, réduire l’horizon de rassemble-
ment. Un sou mis dans cette machine
et il ne reste plus que des salauds, de la
honte impuissante et du désespoir.
Pour dépasser ce capitalisme qui nous
mène si sûrement à l’abîme, l’heure n’est
pas à s’en tenir aux petites escouades
mais à rassembler pour se donner les
moyens effectifs du changement.
Conquêtedu changement et conquête
du rassemblement marchent de pair. S’il
fallait employer les grands mots, ne dirait-
on pas qu’un rassemblement sans pers-
pective de changement, et ce sont les
affres de l’opportunisme, et qu’à l’in-
verse, songer au changement sans s’at-
tacher à construire le rassemblement
qui le permet, et ce sont les délices du
gauchisme ? Vieille leçon d’avenir… qui
n’exonère pas, hélas, d’analyser, les yeux
grands ouverts, la situation concrète et
fort complexe des échéances de 2017
et des recompositions qui les suivront.
Sans passion ni anathème, les commu-
nistes sauront trouver les meilleures
voies pour que le communisme, cette
exigence si brûlante de notre siècle, che-
mine, avec les réfugiés, les justes et les
salauds, en 2017 et au-delà. n
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LA REVUE
DU PROJET
OCTOBRE 2016
GUILLAUME ROUBAUD-QUASHIE
Directeur de La Revue du projet
La Revue du projet veut évoluer.
Remplissez notre questionnaire
détachable en cahier central : que
pensez-vous de La Revue du projet ?
Qu’attendez-vous de la revuepoli-
tique du Parti communiste?