Frères, j`aimerais vous voir libres de tout souci... monde comme n`en

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4ème
dim.
B
2012
Dt
18,
15‐20
;
1
Corinthiens
7,
32‐35
;
Marc
1,
21‐28
Frères, j'aimerais vous voir libres de tout souci...
Les textes de ce quatrième dimanche abordent deux
questions aujourd’hui comme hier très délicates en Église :
celle de l’autorité et celle du célibat.
Le livre du Deutéronome (18,15-20) et l’évangile de Marc
(1,21-28) soulèvent la problématique du pouvoir conféré à ceux
qui annoncent la Parole de Dieu. Dans la première lecture,
Moïse promet au peuple d’Israël que Dieu lui enverra un
prophète qui parlera en son nom, qu’il conviendra d’écouter.
En lui, chrétiens, nous reconnaissons Jésus. Les vrais
prophètes sont toujours revêtus d’une surprenante
autorité, car le souffle de Dieu lui-même les habite. Ainsi
Jésus, si effacé jusque là, stupéfie les gens dans la
synagogue de Capharnaüm par l’assurance de sa parole. À
nous tous, en vertu de notre baptême et de notre
confirmation, il appartient aussi maintenant de témoigner du
Christ, dans nos propos certes, mais surtout par l’exemple.
Mais laissons de côté cette question de l’autorité en
prenant le risque de commenter aujourd’hui le passage de la
lettre aux Corinthiens qui n’aura sans doute pas manqué de
vous surprendre. Dieu vous demanderait-il de laisser votre
femme ou votre mari pour vous occuper exclusivement de ses
affaires ? Le célibat devrait-il être préféré ? La question
justement fait débat dans l’Église, dans celle du monde
occidental pour le moins ?
Vous aurez probablement remarqué que ce passage suit
immédiatement celui que nous lisions dimanche dernier (1 Co 7,
20-31). Pour ne pas faire de contresens, on se référera donc
aux lignes qui précèdent, où Paul recommandait d’ user du
monde comme n’en n’usant : « ceux qui pleurent comme s’ils ne
pleuraient pas, ceux qui sont heureux comme s’ils ne l’étaient
pas ». En d’autres termes, l’apôtre nous invite à faire « comme
si », et cela à propos des cinq domaines de la vie qui nous
tiennent peut-être le plus à cœur parce qu’ils font la trame
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concrète de nos journées : le couple, la souffrance, le
bonheur, les achats et la possession des biens matériels.
Le propos de Paul peut donc avoir de quoi nous inquiéter :
est-ce un appel à la schizophrénie ou une invitation à
cultiver une conscience malheureuse ? On comprend que cet
apôtre n’ait pas que des supporters et qu’à la lecture de sa
lettre certains pensent devoir se rebeller.
La première recommandation sera de bien entendre le
contexte.
À la première ligne de ce chapitre 7, Paul écrit : « Venonsen à ce que vous m’avez écrit : qu’il est bon pour l’homme de
s’abstenir de la femme. » Ce sont donc ses correspondants qui
ont abordé le sujet en posant l’alternative mariage/célibat,
faisant probablement écho à certains courants de l’époque
condamnant le corps. Dans les lignes qui suivent – relisez v.
2-5 – Paul, qui tient par ailleurs à son célibat, déconseille la
continence
totale aux époux : « pour éviter
tout
dérèglement » précise-t-il, en confirmant que, si le mariage
est la condition normale de l’homme et de la femme, le célibat
comme le mariage sont tous deux un « charisme », c’est-à-dire
un don particulier de Dieu qui peut être mis au service de la
communauté.
Traitant de ce thème très délicat, Paul énonce un
prudent préliminaire : à ce sujet, « je n’ai pas reçu d’ordre
spécial du Seigneur ; c’est un avis personnel que je donne ».
Mais il ajoute aussitôt : « celui d’un homme qui, par la
miséricorde de Dieu, est digne de confiance » (v.25). C’est
alors qu’il avance que le célibat peut avoir l’avantage de
libérer des soucis de la vie conjugale en vue d’une
disponibilité plus grande « aux affaires du Seigneur ».
Un regard sur ce qui se passe en ce temps-là à Corinthe
nous aidera aussi à mieux comprendre son intention. Corinthe
est alors une ville portuaire de très mauvaise réputation, où
des milliers de prostituées vivent, selon les coutumes
païennes, en offrant leurs services autour du temple
d’Aphrodite. Par réaction, en mettant ses pas dans ceux du
Christ, les baptisés de la jeune communauté découvrent dans
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l’Évangile le chemin de la virginité « pour le royaume de
Dieu ». L’engagement au célibat n’était guère valorisé dans le
judaïsme, bien plus soucieux d’assurer une descendance à
Israël. Mais le jour où les disciples interrogent Jésus sur la
question, celui-ci se contente de leur répondre qu’il ya « des
eunuques qui sont nés ainsi, …des eunuques qui ont été
rendus tels par les hommes, et ceux qui se sont eux-mêmes
rendus eunuques à cause du Royaume des cieux », ajoutant
pour seul commentaire : « Comprenne qui peut comprendre ! »
(Mt 19, 12). Une libre suggestion, pas une obligation.
Être eunuque à cause du Royaume, c’est le choix que Paul a
fait pour lui et qu’il défend. Il faut encore une fois se
rappeler que la tradition rabbinique regardait le mariage
comme une obligation absolue, et que Paul écrit sa lettre à
des gens qui étaient convaincus, comme lui, que la venue
définitive du Seigneur était toute proche et qu’il fallait
donc absolument s’y préparer. À partir de cette conviction,
certains faisaient des « mariages blancs » ou « fiançailles
éternelles » en voulant vivre comme frère et sœur « dans
l’attente de la venue du Seigneur ». C’est pourquoi, prudent,
l’apôtre s’inquiète des « dérèglements » auxquels cette mise à
l’écart du mariage peut conduire..
Nous avons entendu par ailleurs combien Paul souligne
l’exigeante beauté du mariage : le mari doit plaire à sa femme
ou la femme à son mari, lui consacrer son corps et son esprit.
Il compte du reste des couples parmi ses amis, notamment
Aquilas et Prisca, tout à fait dévoués à la mission de l’Église
(cf. 1 Corinthiens 16, 19).
Certains
philosophes
stoïciens
de
ce
temps-là
pratiquaient le célibat pour se situer au-dessus de la mêlée
du commun des mortels. Paul rejette cette attitude hautaine
et refuse de tendre un piège à qui ne supporterait pas la
condition de vie qu’il a fait sienne. Mais il assure qu’elle
n’est pas réservée à une élite ; c’est un appel proposé par
Dieu à certains pour une plus grande disponibilité. Encore
faut-il que la communauté chrétienne comprenne que ce don
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est à son service et qu’elle soutienne celles et ceux qui ont
fait ce choix.
La réponse de Paul déborde la question qui lui a été posée.
Il écrit : « le temps s’est raccourci ». Il emploie ici en grec un
terme emprunté à la navigation et l’on pourrait traduire
littéralement : le temps a cargué les voiles ! L’image est
expressive pour les habitants d’un port. Il y a là plus que
l’attente d’un prompt retour du Christ. La venue de Jésus a
écourté le temps, ce qu’il convient d’entendre dans un sens
figuré : on ne peut plus s’installer dans le monde présent
comme auparavant, quand on ne voyait pas plus loin que
l’horizon. Il convient de vivre maintenant entièrement
tourné vers ce qui vient, car nous ne sommes qu’ « étrangers
et voyageurs sur la terre ». Or ce qui vient, c’est le Seigneur,
le Christ : dans sa gloire et pour le jugement.
Certes, les chrétiens vivent dans le temps présent, mais
ils tendent vers leur rencontre définitive avec le Christ.
C’est là une vue de foi et c’est ainsi qu’il faut comprendre
Paul : il est pleinement habité par le Christ et transformé par
Lui. En dehors du Christ, rien ne compte pour lui.
Si le Christ est celui à qui nous nous sommes consacrés
par le baptême, il est une personne vivante et présente dans
nos vies. Il n’est pas étonnant que la communauté des
chrétiens – l’Église –puisse l’appeler « l’Époux ». L’expression
est pleine de sens, même si elle peut sembler très étrange au
monde. Et dans ce contexte, aussi surprenant que cela puisse
paraître, certains peuvent faire le choix du célibat ou de la
pauvreté volontaire, parce que le seul amour incorruptible,
notre seule richesse véritable, c’est le Christ.
Par ses propos, Paul cherche à tendre les regards des
Corinthiens et les nôtres vers un au-delà tout proche :
Frères, j'aimerais vous voir libres de tout souci...
Ce qui est nouveau dans l’enseignement de Paul, c’est
d’affirmer qu’il existe une autre valeur que le mariage : le
célibat habité par le Christ. Mais dans sa lettre il n’y a aucun
jugement de valeur sur chacun des deux états dont il est
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question, et moins encore un jugement de valeur sur les
hommes et les femmes qui vivent dans ces états. Aucun
argument donc pour ou contre le célibat ecclésiastique.
Paul voit ses frères chrétiens vivre dans une époque
difficile et une ville corrompue. Il a pris conscience du
radical changement intervenu dans l’histoire avec la venue
du Christ : « le temps se fait court…elle passe la figure de ce
monde ». Il croit qu’ « à cause des angoisses présentes » (au
sens des épreuves familiales entraînées par la fidélité au
Christ ; cf. note TOB 1Co.7, 26), le célibat constitue l’état le
plus convenable pour attendre le retour du Christ, mais sans
rien dénigrer de l’engagement des gens mariés. Dans l’ère
messianique où il était entré - le temps du Royaume des cieux -,
il pouvait lui paraître moins nécessaire de procréer pour
durer que d’être prêts pour accueillir le Christ à son retour.
Plus tard, ayant pris la mesure du temps qui passe, Paul
en arrivera à montrer aux Ephésiens comment le mystère du
mariage permet aux chrétiens d’exprimer en ce monde l’union
intime du Christ et de l’Eglise. Mais laissons-lui l’opportunité
d’avancer.
Le mariage a une réelle valeur de sanctification dans le
christianisme, mais il n’est plus une obligation universelle
comme dans le judaïsme, car un autre genre de vie a surgi, qui
a aussi tout son sens quand il est donné au Seigneur, et même
consacré au service du Christ et de l’Église. C’est le chemin
difficile du célibat, qu’il soit officiellement consacré ou non,
voulu ou parfois imposé par les circonstances.
À chacun son chemin, pourvu qu’il nous conduise à Dieu.
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