Valère Novarina

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Théâtre national de la Colline – Dossier pédagogique
la scène
Valère Novarina
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La Scène
texte, mise en scène et peintures
Valère Novarina
Théâtre National de la Colline
15, rue Malte-Brun 75020 Paris
location 01 44 62 52 52
www.colline.fr
Grand Théâtre
du 12 novembre au 7 décembre 2003
du mercredi au samedi 20h30
mardi 19h30
dimanche 15h30 - relâche lundi
débat - mardi 25 novembre
Production
L’Union des contraires, Théâtre national de la Colline, Festival
d’Avignon,Théâtre Vidy-Lausanne E.T.E., avec le soutien du Théâtre
des Amandiers à Nanterre, de L’Institut International de la
marionnette, du Théâtre Garonne à Toulouse, du Théâtre d’Évreux –
scène nationale Évreux-Louviers, de la Rose des vents – scène
nationale de Villeneuve d’Ascq, avec l’aide à la création dramatique
du Ministère de la culture et de la communication, l’aide à la
production de la DRAC Ile de France, La SPEDIDAM et du Conseil
Régional d’Ile de France.
La Scène est publié chez P.O.L Éditeur, Paris.
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scénographie
Philippe Marioge
lumière
Joël Hourbeigt
costumes
Sabine Siegwalt
composition des chansons
Christian Paccoud
musique
Ludwig van Beethoven, altéré
collaboration artistique
Céline Schaeffer
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avec
Céline Barricault
Violoncelle
Michel Baudinat
Le Pauvre
Jean-Quentin Châtelain
Isaïe-Animal
Pascal Omhovère
Pascal
Dominique Parent
La Machine à dire la suite
Dominique Pinon
Diogène
Claire-Monique Scherer
Rachel
Agnès Sourdillon
Trinité
Léopold von Verschuer
Frégoli
Laurence Vielle
La Sibylle
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DOSSIER PEDAGOGIQUE LA SCENE
SOMMAIRE
PRESENTATION DE VALÈRE NOVARINA
Entretien avec Pierre Notte
L’Acteur sacrifiant
Note sur le spectacle
p. 9
p.13
p.15
LA SCÈNE
Le langage est d’origine
Extrait de La Scène
Samuel Beckett, Être au monde
Valère Novarina, Le mystère verbal
Bossuet, Être néant
Valère Novarina, La parole, esprit du souffle dans le vibrant trou
p.21
p.23
p.25
p.29
p.31
Retrouver le souffle
Extrait de La Scène
T.S. Eliot, Les Hommes creux
Marie-José Mondzain, Mort à la mort
Antonin Artaud, Suppôts et Suppliciations
Valère Novarina, Un nouveau souffle
Antonin Artaud, Mort au monde
Valère Novarina, Quand la chair parle
Bossuet, Pousser la machine monde
p.35
p.37
p.39
p.43
p.45
p.47
p.49
p.51
Résister par la parole
Extrait de La Scène
Charles Baudelaire, La Mort des artistes
Valère Novarina, Renaître en parlant
Extrait de La Scène
Valère Novarina, Revenir à la source
Christian Prigent, Trouver en soi une langue
Valère Novarina, Une parole politique et opérante
p.55
p.57
p.59
p.61
p.63
p.65
p.67
Ouvrir les mots
Extrait de La Scène
p.71
Valère Novarina, Parler est un drame
p.73
Jean-Michel Maulpoix, La Parole suractive
p.75
Valère Novarina, Le langage s’entend mais la pensée se voit
p.79
Valère Novarina, La parole, matière de notre esprit
p.83
Heinrich von Kleist, Sur l’élaboration progressive des idées par la parole p.85
Extrait de La Scène
p.91
Le corps en scène
Extrait de La Scène
Valère Novarina, Le Sacrifice comique de l’acteur
Valère Novarina, Montrer le corps sortir par la parole
Jean Dubuffet, Exprimer le sauvage en l’homme
Valère Novarina, La scène est une chambre d’apparition
p.95
p.97
p.99
p.103
p.105
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Travestissement et parodie
Extrait de La Scène
Valère Novarina, La Déreprésentation humaine
Valère Novarina, L’Homme hors de lui
p.117
p.119
p.121
CARNET ICONOGRAPHIQUE
ANNEXES
Bibliographie de Valère Novarina
L’équipe artistique
ILLUSTRATIONS
En couverture : Valère Novarina à sa table, Montpellier, 1980. Photographie prêtée
par l’auteur.
En intertitres : Valère Novarina, Le théâtre est vide, entre Adam., Bordeaux, 1982.
Photographie tirée de Valère Novarina. L’inquiétude rythmique, catalogue édité par
le Musée Sainte-Croix de Poitiers, 1996.
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Entretien avec Pierre Notte
Pierre Notte. - Vous entreprenez l’écriture de La Scène dès la fin des
représentations de L’Origine Rouge. Peut-on parler d’une suite logique ? D’un
diptyque ?
Valère Novarina. - La Scène réplique à L’Origine rouge ; il était essentiel pour moi
de retrouver le Cloître des Carmes où L’Origine rouge s’est jouée il y a deux ans.
J’ai prévenu Philippe Marioge, le scénographe, et les acteurs, qu’il n’y a pas de
changement d’espace : La Scène est à L’Origine ce que Athalie est à Esther, en
quelque sorte… L’espace est la matrice de mon écriture. Je ne peux rien écrire si je
ne sais pas quel endroit va recevoir la pièce pour la première fois.
P. N. - Le texte est donc écrit depuis le lieu. Il prend également l’espace comme
sujet, puisqu’il s’agit de La Scène…
V. N. - Le dénuement du titre est en accord avec la simplicité du Cloître des
Carmes. Tous mes textes, depuis quinze ans, s’intitulent d’abord La Scène avant
de porter d’autres noms, avant de revêtir leurs titres : L’Opérette imaginaire,
L’Origine rouge. Pour une fois, j’ai choisi de garder le titre pauvre, initial… Ce carré
du Cloître, cet espace saisissant de sobriété, aussi simple qu’une piste
d’atterrissage ou qu’une piste de cirque, rectangulaire, correspond parfaitement au
dénuement du titre.
P. N. - Depuis Le Drame de la vie, en 1986 au festival d’Avignon, vous peignez
également le lieu où se jouent vos pièces…
V. N. - Je peins le sol et les murs, à la main, pour capter les forces de l’endroit,
comme le font les géomètres qui tracent l’espace pour en saisir les énergies, pour
en faire apparaître les courants. C’est une peinture un peu magnétique, comme les
sourciers détectent les fluides enfouis. Une peinture qui révèle, comme les cartes
géologiques, les forces thermiques, les veines du sol. Le fait que le plateau soit
peint bouleverse la perception que les acteurs ont de l’espace et change leur façon,
de parler, de bouger.
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P. N. - Votre écriture, votre langage et votre propos changent-ils du fait du lieu et
des interprètes ?
V. N. - J’ai besoin de connaître le lieu, et la distribution intégrale pour pouvoir
orchestrer le texte. Je me suis comme enfoncé dans l’écriture et le langage d’une
manière aveugle. Je travaille comme un peintre qui s’enfouit dans chaque trait. Je
travaille dans un atelier. Au mur. De façon pariétale.
P. N. - Quelles limites donnez-vous à ce matériau ? Comment allez-vous délimiter
le cadre de La Scène ?
V. N. - J’ai toujours dû passer par une phase d’intense prolifération. Le Discours
aux animaux qu’André Marcon avait interprété au Théâtre des Bouffes du Nord,
constituait d’abord un livre de quatre cents pages avant de devenir la quarantaine
de feuillets pour la scène. Je passe par le pluriel, par l’utopie du livre avant d’en
arriver à une réduction, une sorte de précipité comme on dit en chimie.
P. N. - Quel est aujourd’hui le sujet de cette prolifération, le cœur de La Scène ?
V. N. - Aux acteurs, je ne parle jamais que du drame de l’espace, du travail du
temps. Dans la phase d'écriture, je dispose les feuillets du texte sur les murs - pour
visualiser dans l'espace, les rythmes, les ruptures, l'architecture du temps… Ce que
je recherche, c’est toujours l’énergie du langage. Aux alentours de Genève, il existe
au centre de recherche du CERN, en souterrain, une machine qui met la matière en
mouvement. Le théâtre pourrait être un lieu d’accélération des particules du
langage : un lieu de mise en évidence de la force salvatrice et terrifiante du
langage. On devrait voir, au théâtre, comment le langage nous constitue, nous
traverse. Comment sa force hallucinogène nous « agit » - car nous sommes
« agis » par le langage comme le monde est agi par le drame souterrain de la
géologie. Je lis beaucoup et très attentivement les journaux ; j’observe comment les
mots sont aujourd'hui devenus très interchangeables et comment un mot changé,
un mot qui a glissé, entraîne l’histoire ailleurs. Des villes s’effondrent parce que les
terrains glissent ; des pays sont bombardés par glissements progressifs du
langage… Le langage est lui aussi acteur de l'Histoire, comme le climat,
l'économie, la géologie.
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P. N. - C’est dans l’élaboration presque chimique d’un langage-matériau que vous
travaillez toujours…
V. N. - Je n’ai aucune sympathie pour l’aspect formel, pour le formalisme des
propositions théâtrales. Le langage est un matériau charnel, douloureux. Le
spectacle n’est jamais qu’un ensemble de douleurs agencées, où sont propulsés
par la voix des morceaux de corps humain. Le langage est « anthropogène ». On
prend un mot, on le casse, on le récupère, il en sort un autre mot, un monde, un
personnage, une histoire. Le théâtre est pour moi comme le champs clos de la
langue, où l' on vient éprouver sa manière d’agir sur nous selon l’espace, selon les
objets. Cette matière vivante nous procure de la peine, de la joie, comme au musichall. Il s’agit d’un endroit où les choses ne sont pas représentées, mais où elles ont
lieu. Comme au cirque ou à l’église, ces lieux où on ne représente rien, mais où
tout a lieu. La présence de la mort, par exemple, est réelle au cirque. Le danger
n’est pas représenté, il a lieu. Rien n’est représenté non plus dans la liturgie où tout
est souvenir agissant.
P. N. - Y a-t-il encore une place pour la narration dans La Scène et dans votre
théâtre ?
V. N. - La narration est comme interdite, refusée. Elle est brisée, reconstituée
autrement. Il y a comme une maladie de la représentation et de la narration qui
planerait sur mon théâtre. La reconstitution des personnages, des histoires me sont
impossibles. Je m’attache à des rythmiques, à des mouvements, comme un
musicien travaillerait les irrégularités du temps.
P. N. - De la même manière, vous êtes peintre, mais vous n’êtes pas portraitiste ou
paysagiste…
V. N. - J’aime beaucoup l’idée de lancer, grâce à des acteurs « anthropoclastes »,
des parcelles de l’humain, d’en livrer des fragments ou des signaux ; l’acteur doit
détruire l'image de l’homme qui nous est partout imposée. C’est un travail négateur
que l’acteur doit faire comme l’ont fait les peintres Bacon, Soutter, Picasso ou
Soutine. Il faut représenter l’homme dans son aspect fragmentaire, animal, acéré,
sans habitude, sans le “ pâteux ” de la psychologie ou des sciences humaines…
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P. N. - Vous signez les peintures de l’espace, le texte, et la mise en scène. Quelle
place laissez-vous aux acteurs ?
V. N. - Les comédiens doivent être des graveurs, qui marquent les contrastes,
travaillent à l’eau forte, jamais des aquarellistes. « À bas les nuances ! » dit souvent
Michel Bouquet. L’écriture doit les faire bondir, jaillir, tomber. J’aime aussi l’idée
que le texte est gisant, au sol, et qu’il est ressuscité par l’acteur. Mon travail de
metteur en scène est d’ordre thermique, je me promène sur le plateau, je sens le
chaud, le froid. Mais la mise en scène vient de l’acteur qui s’empare du texte, lui
seul le révèle. L’acteur possède la science du théâtre, le toucher de l’espace et du
texte, et la compréhension profonde. Mais il voit tout à l'envers ; il est dans un autre
temps.
P. N. - Qui est au centre de votre projet théâtral ? Le langage ? L’acteur ? Le lieu ?
V. N. - C'est le langage que je veux donner à voir. Qu’on le voie sortir des bouches,
que l’on voie les acteurs dans leur corps de parole. L’acteur reste le seul foyer Le
théâtre est tout entier dans sa bouche.
P. N. - Quelle est l’origine de votre fascination pour le nô ?
V. N. - J’ai vu en Europe et un peu au Japon une trentaine de spectacles nô. C’est
pour moi une nourriture fondamentale, aussi essentielle que le cirque, l'opérette ou
le théâtre forain. Un spectacle de nô est toujours comme une forêt qui se
renouvelle, où les couleurs, les odeurs, les sons changent selon les heures du jour.
Tout est très fixé, écrit, établi, mais chaque représentation miroite autrement : rien
n’est répété, tout est singulier…
Au théâtre, chaque spectateur est un « idiot » au sens grec ; un individu seul. Rien
ne m’émeut plus que la réaction isolée des spectateurs. Quand chacun éprouve
d’une manière singulière des émotions, et semble touché par une flèche
particulière… Le public doit être non réuni mais divisé. Que l’espace se dérobe
sous ses pas, qu’on ouvre en lui, soudain, la faille du langage.
Entretien réalisé par Pierre Notte,
Dossier de presse du festival d’Avignon 2003.
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L’Acteur sacrifiant
La scène où l'acteur entre est à chaque fois la table de l'espace offerte et nouvelle
devant nous : un vide où opérer l'homme - disséminé, épars, déconstruit en paroles
faits et gestes, chutes, stations. L'acteur porte l'homme devant lui : il marche sur le
plateau apparaissant soudain comme une portée humaine. Mi-bête mi-homme,
tigre et dompteur, centaure parlant, moitié d'animal, homme hors de lui - il retourne
le corps humain à l'envers, il présente l'homme en anatomie ouverte et en
grammaire apparente : tout l'intérieur humain exposé devant nous, offert, sacrifié
aux points cardinaux. Chaque fois qu’un acteur entre, de l'homme apparaît tout
ouvert et sans aucun sous-entendu humain.
À la fin, plus personne sur scène - mais la figure humaine répandue en parole.
Nous assistons au théâtre à la passion du langage : l'effusion de la parole a eu lieu
devant nous, son offrande. Comme si le langage était le vrai sang. Par la
manducation de sa bouche, par le feu de combustion de son système respiratoire,
orant et en déséquilibre, victime et sacrificateur, l'acteur est un logophore qui porte
son langage comme une anatomie devant soi, qu'il verse, épanche visiblement c'est l'acteur analphabétique, il détresse les langues, les coud autres, dévide les
paroles, déreprésente et disparaît une fois les mots brûlés dans l'air.
Sur la table de la scène, le premier sacrifié c'est le personnage, le deuxième c'est
l'acteur, et le troisième c'est toi, spectateur…
Valère Novarina,
janvier 2003.
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Note sur le spectacle
La peinture de Valère Novarina tente de capter au sol les énergies de l’espace, de
révéler les variations thermiques, magnétiques du lieu, les angles invisibles, les
rivières cachées, les matières souterraines. L’écrivain use du matériau pictural
comme du verbe : langues à vif, dialectes oubliés, latin animal, grec de cirque,
patois en perdition ou néologismes jaillissants. Son langage singulier, du Discours
aux animaux à L'Opérette imaginaire donne à voir le verbe théâtral comme
substance charnelle, parfois douloureuse, souvent comique. « Que voit-on sur
scène ? » Les acteurs chutent. Souffrent-ils vraiment ? La passion qui s'offre
devant nous est-elle celle de l'acteur ou du langage ?
La parole est-elle notre matière véritable - comme le bois pour Pinocchio ?
Sommes-nous en mots comme les pantins sont en bûches ? Sommes-nous les
jouets de ce que nous entendons ? Comment se développe et s'explique dans
l'espace, comment se déplie le tissu respiré, du langage ? Comment le spectateur
se souvient-il de l'envers des mots et toujours du négatif de la scène précédente ?
Pourquoi l'acteur entre-t-il ? Que voit-on dans le langage ? Rien ? Toutes les
choses ? Est-il notre chair ? Est-il la matière même ? Le langage est-il l'Acteur de
l’Histoire ?
Retournant sur les lieux de L'Origine rouge, Valère Novarina poursuit et précise sa
recherche d’un théâtre où le spectateur et l’acteur seraient agis par la force
« hallucinogène, salvatrice et terrifiante » des mots - et où sur scène, par instants,
la parole se verrait.
Extrait du programme de La Scène,
juillet 2003.
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La Scène
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le langage est d’origine
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TRINITÉ.
Le langage est une matière – et c’est pour ça qu’il est le maître !
Voici ma bouche qui le dit : le mot bouche ne mange pas ; le mot eau
ne s’écoule quand il est prononcé ; le mot feu ne flambe pas – et
cependant le mot arbre brûle, le mot homme va tuer son prochain, le
mot chien aboie, le mot tonne pèse pas lourd, le mot lumière n’éclaire
pas.
LA SIBYLLE.
Ou un objet raisonne comme un mot, ou la chose résonne contre
un mot : je n’arrive pas à me sortir de cette réplique.
RACHEL.
Le mot chien n’aboie pas.
TRINITÉ.
Sauf celui-ci !
RACHEL.
Ahhhrch !
LA SIBYLLE.
Qu’est-ce que tu dis ?
TRINITÉ.
L’aboyeur parle.
LA SIBYLLE.
Le mot chien n’aboie pas.
RACHEL.
Mais il mord !
Elle saigne.
Valère Novarina, La Scène.
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Être au monde
Samuel Beckett
Où irais-je, si je pouvais aller, que serais-je, si je pouvais être, que dirais-je, si
j’avais une voix, qui parle ainsi, se disant moi ? Répondez simplement, que
quelqu’un réponde simplement. C’est le même inconnu que toujours, le seul pour
qui j’existe, au creux de mon inexistence, de la sienne, de la nôtre, voilà une simple
réponse. Ce n’est pas en pensant qu’il me trouvera, mais que peut-il faire, vivant et
perplexe, oui, vivant, quoi qu’il dise. M’oublier, m’ignorer, oui, ce serait le plus sage,
il s’y connaît. Pourquoi cette soudaine amabilité après tant d’abandon, c’est facile à
comprendre, c’est ce qu’il se dit, mais il ne comprend pas. Je ne suis pas dans sa
tête, nulle part dans son vieux corps, et pourtant je suis là, pour lui je suis là, avec
lui, d’où tant de confusion. Cela devrait lui suffire, m’avoir retrouvé absent, mais
non, il me veut là, avec une forme et un monde, comme lui, malgré lui, moi qui suis
tout, comme lui qui n’est rien. Et quand il me sent sans existence, c’est de la sienne
qu’il me veut privé, et inversement, fou, fou, il est fou. En vérité il me cherche pour
me tuer, pour que je sois mort comme lui, mort comme les vivants. Tout cela il le
sait, mais cela ne sert à rien, de le savoir, moi je ne le sais pas, moi je ne sais rien.
Il se défend de raisonner, mais il ne fait que raisonner, faux, comme si cela pouvait
aider. Il croit balbutier, il croit en balbutiant saisir mon silence, se taire de mon
silence, il voudrait que ce soit moi qui le fasse balbutier, bien sûr qu’il balbutie. Il
raconte son histoire toutes les cinq minutes, en disant que ce n’est pas la sienne,
avouez que c’est malin. Il voudrait que ce soit moi qui l’empêche d’avoir une
histoire, bien sûr qu’il n’a pas d’histoire, est-ce une raison pour vouloir m’en coller
une ? Voilà comme il raisonne, à côté, d’accord, mais à côté de quoi, c’est ça qu’il
faut voir. Il me fait parler en disant que ce n’est pas moi, avouez que c’est fort, il me
fait dire que ce n’est pas moi, moi qui ne dis rien. Tout cela est vraiment grossier.
Encore s’il me décernait la troisième personne, comme à ses autres chimères, mais
non, il ne veut que moi, pour son moi. Quand il m’avait, quand il m’était, il s’est
empressé de me lâcher, je n’existais pas, il n’aimait pas ça, ce n’était pas une vie,
bien sûr que je n’existais pas, lui non plus, bien sûr que ce n’était pas une vie, il l’a
maintenant sa vie, qu’il la perde, s’il veut la paix, et encore. Sa vie, parlons-en, il
n’aime pas ça, il a compris, de sorte que ce n’est pas la sienne, ce n’est pas lui,
vous pensez, lui faire ça à lui, c’est bon pour Molloy, pour Malone, voilà les mortels,
les heureux mortels, mais lui, vous n’y pensez pas, passer par là, lui qui n’a jamais
bougé, lui qui est moi, toutes choses considérées, et quelles choses, et comment
considérées, il n’avait qu’à ne pas y aller. C’est ainsi qu’il parle, ce soir, qu’il me fait
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parler, qu’il se parle, que je parle, il n’y a que moi, avec mes chimères, ce soir, ici,
sur terre, et une voix qui ne fait pas de bruit, parce qu’elle ne va vers personne, et
une tête remplie de guerres lasses et de morts aussitôt debout, et un corps, j’allais
l’oublier. Ce soir, je dis ce soir, c’est peut-être le matin. Et toutes ces choses,
quelles choses, autour de moi, je ne veux plus les nier, ce n’est plus la peine. Si
c’est la nature c’est peut-être des arbres et des oiseaux, ils vont de concert, l’eau et
l’air, pour que tout puisse continuer, je n’ai pas besoin de connaître les détails. Je
suis peut-être assis sous un palmier. Ou c’est une chambre, avec ses meubles, tout
ce qu’il faut pour rendre la vie plus commode, à peine éclairée, à cause du mur
devant la fenêtre. Ce que je fais, je parle, je fais parler mes chimères, ça ne peut
être que moi. Je dois me taire aussi, et écouter, et entendre alors les bruits de
l’endroit, les bruits du monde, vous voyez si je fais un effort, pour être raisonnable.
Voilà ma vie, pourquoi pas, c’en est une, si l’on veut, si l’on y tient absolument, je
ne dis pas non, ce soir. Il en faut, paraît-il, du moment qu’il y a parole, pas besoin
d’histoire, une histoire n’est pas de rigueur, rien qu’une vie, voilà le tort que j’ai eu,
un des torts, m’être voulu une histoire, alors que la vie seule suffit. Je suis en
progrès, il était temps, je finirai par pouvoir fermer ma sale gueule, sauf prévu. Mais
celui qui va et vient, qui s’arrange pour changer de place, tout seul, même si rien ne
lui arrive, évidemment, celui-là. Moi je reste ici, assis, si je suis assis, souvent je me
sens assis, quelquefois debout, c’est l’un ou l’autre, ou bien couché, c’est encore
une possibilité, souvent je me sens couché, c’est l’un des trois, ou à genoux. Ce qui
compte c’est d’être au monde, peu importe la posture, du moment qu’on est sur
terre. Respirer, on n’exige pas davantage, errer n’est pas une obligation, recevoir
non plus, on peut même se croire mort à condition de le faire remarquer, peut-on
rêver régime plus tolérant, je ne sais pas, je ne rêve pas. Inutile dans ces
conditions de me dire ailleurs, un autre, tel quel j’ai tout ce qu’il faut sous la main,
pour quoi faire, je ne sais pas, ce que j’ai à faire, me revoilà enfin seul, quel
soulagement ça doit être. Oui, il est des moments comme en ce moment, comme
ce soir, où j’ai presque l’air restitué au faisable. Puis ça passe, tout passe, je suis
de nouveau loin, j’ai encore une lointaine histoire, je m’attends au loin pour que
mon histoire commence, pour qu’elle s’achève, et de nouveau cette voix ne peut
être la mienne. C’est là où j’irais, si je pouvais aller, celui-là que je serais, si je
pouvais être.
Samuel Beckett,
In Textes pour rien, Éditions de Minuit, Paris, 1958.
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Le mystère verbal
La parole n’est pas une réalité immatérielle et au-dessus du monde, ajoutée à la
matière, un témoignage sur l’univers et la façon qu’ont trouvée certains animaux
d’en parler ; le monde ne nous a pas attendus, comme des bêtes venues ici-bas, à
telle date, rajouter à la création le langage : le monde est parlé de naissance. Le
langage est d’origine. Il n’est pas quelque chose qu’on aurait gagné sur les bêtes à
force d’évoluer, mais quelque chose qui va plus loin que toutes les choses parce
qu’il rejoint leur apparition. La parole ne nomme pas, elle appelle. C’est un coup
d’éclair, une foudre : les mots n’évoquent pas, ils tranchent, fendent le rocher. Le
langage n’a rien à décrire puisqu’il commence : il n’y a rien qui soit plus au secret
de la matière que le mystère verbal. Le monde est un langage, notre parole s’en
souvient.
in Le Feu, photographies de Thérèse Joly, texte de Valère Novarina,
Éditions Comp’Act, Seyssel-sur-Rhône, 1994.
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DIOGÈNE, surgissant.
Explication du monde :
sclormdrvitchilikitchikioucdichitribicicmjoljaguygiuiji.
Valère Novarina, La Scène.
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Être néant
Qu’est-ce donc que ma substance, ô grand Dieu ? J’entre dans la vie pour en sortir
bientôt ; je viens me montrer comme les autres ; après, il faudra disparaître. Tout
nous appelle à la mort : la nature, presque envieuse du bien qu’elle nous a fait,
nous déclare souvent et nous fait signifier qu’elle ne peut pas nous laisser
longtemps ce peu de matière qu’elle nous prête, qui ne doit pas demeurer dans les
mêmes mains, et qui doit être éternellement dans le commerce : elle en a besoin
pour d’autres formes, elle la redemande pour d’autres ouvrages.
Cette recrue continuelle du genre humain, je veux dire les enfants qui naissent, à
mesure qu’ils croissent et qu’ils s’avancent, semblent nous pousser de l’épaule, et
nous dire : Retirez-vous, c’est maintenant notre tour. Ainsi, comme nous en voyons
passer d’autres devant nous, d’autres nous verront passer, qui doivent à leurs
successeurs le même spectacle. O Dieu ! encore une fois, qu’est-ce que de nous ?
Si je jette la vue devant moi, quel espace infini où je ne suis pas ! si je la retourne
en arrière, quelle suite effroyable où je ne suis plus ! et que j’occupe peu de place
dans cet abîme immense du temps ! Je ne suis rien : un si petit intervalle n’est pas
capable de me distinguer du néant ; on ne m’a envoyé que pour faire nombre ;
encore n’avait-on que faire de moi, et la pièce n’en aurait pas été moins jouée,
quand je serais demeuré derrière le théâtre.
Bossuet, Sermon sur la mort,
Éditions Garnier-Flammarion, Paris, 1970.
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La parole, esprit du souffle
dans le vibrant trou
La parole est quelque chose comme l’esprit du corps, l’alcool de la chair, sa
semence sonore, qui quitte le corps, modulée, expulsée en matière subtile, éjectée
en corps volatil : c’est une matière d’esprit, l’âme séminale du corps humain,
comme sa gloire, sa nuée, comme une sueur musicale de la chair, vibrante,
exsudée, montant dans l’air en vibrant, montant de tout le corps en le faisant vibrer,
sortant du corps et montant uniquement pour se perdre. La parole n’est pas celle
qui s’adresserait à l’esprit, mais celle, sortie du corps, qui s’excite, qui s’allège de la
chair, qui monte, qui s’exile comme une lumière du corps.
La parole est la lumière du corps. Mais dans lumière, je n’entends pas quelque
chose pour les yeux mais - comme on dit en physique la lumière d’un tube ou d’un
tuyau pour désigner le trou qui est dedans - mais plutôt l’âme du vide qu’il y a dans
les choses. C’est la matière soufflée, esprit du souffle dans le vibrant trou, dans
l’homme transpercé, visible de part en part et troué par sa parole de dedans.
Mutique, vélociparliste, ou parleur carnassier, tout acteur sait ça : que la parole est
ce qui monte du trou dans la matière, qu’elle ne remplit pas l’espace, que les mots
ne s’entassent pas, ne s’ajoutent pas les uns aux autres, que la parole ne porte rien
d’un corps à l’autre mais qu’elle creuse. Et que l’espace sera de plus en plus troué
par nos paroles. Que nous sommes ici non pour habiter une terre stupidement et
échanger nos mots et nos opinions, mais pour trouer une matière de plus en plus.
Est-ce la parole, ce qui monte du trou de la matière, par notre tube ? Non non
non, la parole est ce trou même. C’est ce trou que nous devons prononcer, cette
ouverture à nouveau, ce jeu de disjoindre les choses, de repercer l’espace juste
d’un mot de notre bouche, de délivrer par un trou vide dedans toute la matière de
sa stupide passion. Car contrairement à ce qu’on nous a appris partout, toutes les
choses inanimées du monde souffrent énormément d’être là…
Valère Novarina, Pour Louis de Funès,
in Le Théâtre des paroles, Éditions P.O.L, Paris, 1989.
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retrouver le souffle
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ISAÏE ANIMAL.
Je regarde les hommes comme des bêtes qui parlent ; je vois dans
les animaux des objets qu bougent ; toutes les choses me semblent
faites de la même chose : je n’entends même plus le sens ni le son de
ce que j’émets par ma propre bouche. De la fumée s’échappe non
seulement par mon pot catalyseur mais aussi par ce trou émetteur de
la pensée.
DIOGÈNE.
Jean Gébulon ! sors-moi d’ici, balaye-moi de là !
ISAÏE ANIMAL.
Je ne ressens plus rien de ce qui m’arrive ; je ne vois plus rien de
ce que j’aperçois. Même votre langage, composé en mots cependant
que j’entends, en me parvient pas. Et même les mots que je vous
prononce en échange, je n’en maîtrise pas le sens. Ma pensée est
étrangère à mes paroles : elle est profondément hors de ma tête et gît
dans un endroit fermé où je ne puis pénétrer. Ce roc, par exemple,
cette pierre contient ma pensée. […]
DIOGÈNE.
J’éprouve de plus en plus de difficultés intenses à être le sujet
émettant de tout ce que je pense. J’ai même conscience des
jambages des mots que je parle, des pleins et des déliés, des pas que
je fais en marchant quand je les prononce. J’arbore avec honte mon
trou humain ; je porte ma tête sur mon cou sur le tronc sur bassin sur
mes jambes sur pieds, selon l’usage de l’échafaudage courant du
portement humain.
ISAÏE ANIMAL.
Que fait le langage ? L’air, absorbé par la bocarde grande ouverte
ou les deux nasemurches, passe dans le tuyau sapiential : deux
clapets le dirigent alternativement vers les fongiques et les
sponginiques 1 et 2, il irrigue le logunium puis passe en réseau… il
revient en paroles et frappe les gens qui sont devant.
DIOGÈNE.
Chaque fois que je porte une bouchée à mon orifice du langage,
les principes de la vie m’abandonnent. Chaque fois que je quitte ce
trou pour en faire un sujet, il en va de mon appétit. Ô je ne respire que
par je et c’est un trou, suivi d’un vomissement, suivi d’un hoquet vide :
ô que ne me vomissais-je le je qui m’avait mis ainsi en blessure
ouverte sur le ventre ! Tombes du monde, ensevelissez-moi au vide
mon comblement ! Lait du vide, lait de la terre, souffle-moi dans les
naseaux ! Souffle-moi comme un pion.
Valère Novarina, La Scène.
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Les Hommes creux
Nous sommes les hommes creux
Les hommes empaillés
Cherchant appui ensemble
La caboche pleine de bourre. Hélas !
Nos voix desséchées, quand
Nous chuchotons ensemble
Sont sourdes, sont inanes
Comme le souffle du vent parmi le chaume sec
Comme le trottis des rats sur les tessons brisés
Dans notre cave sèche
Silhouette sans forme, ombre décolorée,
Geste sans mouvement, force paralysée ;
Ceux qui s’en furent
Le regard droit, vers l’autre royaume de la mort
Gardent mémoire de nous - s’ils en gardent - non pas
Comme de violentes âmes perdues, mais seulement
Comme d’hommes creux
D’hommes empaillés.
[…]
T.S. Eliot,
Texte français Pierre Leyris,
Éditions Castella, Albeuve, 1969.
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Mort à la mort
Marie-José Mondzain
Du centre du corps vient la parole, car c’est du ventre de la terre et des femmes
qu’elle sourd comme ces ruisseaux des Causses surgis de nappes colossales,
improbables, lointaines. Flux limpide et longtemps invisible, elle monte et gronde,
éclaboussante burlesque jusqu’à sa dernière cataracte, en plein visage, par la
bouche, son embouchure soudain tragique. Elle a fait un long voyage dans la nuit
organique de l’animal qui déjà écoute, nuit sans image, mémoire des organes sans
mot. Elle jaillit au milieu du monde, en vacarme joyeux et instruit de la mort.
Savante, elle vient animer tous les cadavres, violemment. Incarner la parole, c’est
laisser venir et l’image et le mot à la visibilité de la chair, c’est donner aux yeux qui
l’attendent le visible comme on ouvre une orbite de ténèbres. La parole est là qui
donne enfin chair et lumière à la vacuité ou au vertige, car celui qui parle se tient
sur l’ultime promontoire qu’est la voix.
La parole ouvre ici ses propres pistes dans l’aridité sableuse qu’elle compose, où
elle se compose, en inscrivant l’autorité de son temps et de son lieu. Elle me
semble souffler sur ses propres traces dans la poussière des mots, car elle est à la
fois le talon qui marche et le vent qui efface. Elle parcourt traverse en tous sens ce
qu’elle fait naître, un désert surpeuplé d’ombres et de nombres qui « crient dans la
désert ». Cri de colère et cri d’amour car ils sont le même cri devenu chair et verbe,
cabrés ensemble contre les idoles et la barbarie. […]
Pour que l’incarnation de la parole ait lieu, pour que le Verbum caro factum sit, il
faut que le corps aille jusqu’au tombeau, qu’il retrouve la nuit d’où il vient, qu’il
laisse après lui un vide offrant à la chair du visible et des mots leur infinie liberté.
Mais l’infini n’a ni temps ni lieu et pour que le spectacle ait lieu, il faut construire et
montrer le cénotaphe ou va se faire voir et entendre une absence dans la matière
audible d’une partition. C’est ainsi que la langue se soumet aux violences
charnelles de la parole. C’est ainsi que la parole compose avec les injonctions
formelles de la langue. Dérégler c’est jouer avec les règles mais non sans règles
car ce ne serait plus jouer. Il est dit quelque chose, il n’est pas rien dit, il n’est pas
dit n’importe quoi, il n’est pas tout dit non plus… Rompre les liens, refuser les
limites mais ne pas sombrer dans un délire maniaque ni totalitaire. Novarina met le
temps et le lieu en crise par un travail rigoureux dans le temps et dans des lieux.
Paroles gigognes où se dissout à chaque instant l’enveloppe précédente, où mots,
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lexique, syntaxe ignorent pour toujours le repos. L’écriture du poète invente une
polyphonie de la chair qui refuse l’orthographe, la droite inscription de toutes les
orthodoxies. La poésie est politique par cette gravité. La parole s’insurge contre la
langue comme l’enfant contre le père dont il apprend la loi dans la désobéissance
et l’infraction. Parole de révolte qui met l’écriture hors d’un état de grâce acquise.
L’ordre commun est disgracié, chevauche sans rênes et sans promesse, dans un
galop sans frein, hors des routes déjà tracées même par les plus indisciplinés de
nos écoles. Le vrai Holtzweg est celui qui mène à la scène.
Mais quelle langue parle-t-il ?
Je ne peux lire ces paroles sans les entendre. Elles sont d’abord sonores. Elles
poussent leurs invocations et leurs provocations aux confins de l’audible dans ma
langue, qui est comme pour celui qui écrit la langue française, qui ne cesse jamais
un instant de l’être, habitée par l’écho de toutes les autres langues. Langue du
cinquantième jour après Pâques, feu énigmatique qui dissout la confusion de
Babel.
Je ne reconnais rien de lettriste, rien de dadaïste ni de surréaliste dans cette voix,
dans ces voix.
Et pourtant ma langue est mise à mal, celle que l’on m’a appris à parler et à écrire
pour ne plus la crier. Langue des oreilles soumises, des idolâtres de la pierre sans
souffle, elle ne sait plus s’adresser à qui de droit c’est-à-dire à l’humanité entière,
au bestiaire de Dieu.
Une transglossie ? comme dans le cas des images car le visible parle à tous quand
tous ont des oreilles.
Poignante la voix qui vient du corps qui donne chair à ce verbe, comme celle
d’André Marcon qui parle comme Job où Jérémie, ou qui chante comme un fou de
Pourim, qui clame avec reproche et désespérance quelque chose comme les
crimes de Babylone avoués par la main qui les a commis.
Parfois elle ressemble au bras de l’ange qui arrête le couteau d’Abraham. La voix
est aussi le tocsin qui a dû annoncer les flammes qui consumèrent Sodome et
Gomorrhe.
Une voix qui appelle les idolâtres à rompre les chaînes de leurs adorations
domestiques, de leurs adulations meurtrières, à ne plus s’embraser que pour la vie.
Je peux difficilement m’arracher au malheur de cette voix qui ne m’anéantit pas
quand elle dit mon néant mais qui « creuse mes oreilles » jusqu’à donner à mon
corps sa forme respirable et volatile jusqu’au fou rire. Cela tient du vacarme
biblique comme si Novarina rendait à la langue française sa forme consonantique
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et sacrée, son illisibilité en attente de vocalisation pour venir au sens. Il parle
comme un hébreu, il montre comme un chinois, travaillant sur toutes les figures du
vide.
Silence ?
Encore au bord de la suffocation comme le nouveau né qu’une main saisit et
secoue pour faire venir le premier cri. Quand sort le cri, il ne provient déjà plus de
ma gorge mais d’ailleurs, je l’entends quand il m’a désertée, dehors loin de moi car
je suis aussitôt séparée de moi-même par cette parole qui est ma parole, qui me
revient en écho comme la voix d’un autre. Le théâtre ici se tient dans la source
inépuisable de cet instant des retours de la voix.
Intérieur inaudible pour moi même, je fais connaissance avec mon silence dans le
flot sonore du dehors où je fais naufrage, émerveillée de voix. Parole qui explose
en mots, cymbales numériques, dans un tempo de cirque où se joue la Passion
selon saint Matthieu. « Unité de lieu, unité de temps, unité d’action » pour foire et
cantate aux funérailles de toute unité.
Je ne connais pas depuis Artaud qui souffrait d’une tout autre folie, un tel risque
pris sur la scène des mots qui en finissent avec la vie pour nous faire naître ou
plutôt pour nous faire souverains de notre premier et de notre dernier cri.
Comme si pour donner sens à l’impossibilité d’être là où nous sommes, il fallait
qu’une voix accepte de se charger d’un déchirement primordial avec la langue
pourtant si autoritairement composée, imposée pour nous retenir dans les rets des
langages, ceux qui toujours craignent l’exil. Dans les langues se tissent de langes à
linceuls, les draps de nos prisons. Le poète les déchire et les tord pour en faire des
cordes jetées au-dessus du vide. Il nous retient ensemble et propose une désertion
commune. Car la parole est toujours d’exil quand elle est incarnée, acharnée, sans
répit, sans abri, sans cesse sur le départ.
Tous ces textes démaillent la textualité des voiles tendus sur la cruelle et si tendre
nudité des vivants et des morts. […]
Marie-José Mondzain, in Valère Novarina. Théâtres du verbe,
sous la direction d’Alain Berset, Éditions José Corti, Paris, 2001.
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La tristesse hideuse du vide,
du trou où il n’y a rien,
il ne souffle pas le rien,
il n’y a rien,
c’est autour du trou,
au point où les mots se retirent,
un trou sans mots,
syllabe sans sons.
Antonin Artaud,
Suppôts & Suppliciations,
Œuvres Complètes XIV, Éditions Gallimard, Paris, 1978.
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Un nouveau souffle
Il y a un débat avec l’espace, une controverse avec la langue, une lutte avec le
lecteur. Sans chercher jamais volontairement à dérouter celui qui m’écoute. Je ne
crains pas qu’il se perde – ou soit réellement exténué – car il y a, au-delà de la
fatigue – de l’esprit et du corps – comme une seconde perception, un autre souffle,
qui apparaît, un corps nouveau qui se relève. Nous ne sommes pas faits que d’une
vie et d’une seule respiration, mais de traversées, de renaissances, d’immersions,
de noyades, de saluts, de sauts, de passages successifs… Le spectateur doit être
amené, comme l’acteur, à porter l’homme devant soi, à marcher sur lui même, et à
se quitter. Comme l’acteur, il doit pouvoir dire : Je suis personne. Voyez comme ce
mot de personne est beau en français : il sonne comme cette indication donnée par
Satie à ses musiciens : Très blanc.
J’aimerais voir apparaître le langage surgissant, à l’état natif. Je recherche un état
d’instabilité. Le danseur joue avec sa chute ; la pensée aussi va tomber : elle nie
qu’elle affirme. La parole rejette en même temps qu’elle appelle. Il y a, tout au fond,
un très mystérieux rapport de notre pensée – de notre parole, avec la négation.
Dans le vrai langage, les choses apparaissent niées et rayées… Tout le travail
consiste à maintenir par le non et par le oui, par la contradiction et l’écartèlement
dans l’espace, la parole respirante, traversante – et à tenter de ne pas tomber dans
l’idolâtrie ou dans la religion des mots. « Ne se faire d’aucun mot une idole
invisible. » C’est très difficile à tenir pour nous les humains qui sommes des bêtes
idolâtres d’instinct et des animaux inventeurs de la mort.
Le théâtre est inhumain. Le théâtre est masqué : il s’insoumet à l’image humaine.
Aujourd’hui, au moment où l’on tente plus que jamais de « mettre l’homme en
boucle » et de le fermer sur soi-même dans un filet, aujourd’hui où on ne cesse de
l’imiter et de le reproduire, la bonne nouvelle du théâtre, c’est que l’homme n’a pas
encore été capturé.
Valère Novarina,
« Notes en marge d’une opérette »,
Le Monde, 19 septembre 1998.
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Mort au monde
Mort au monde ; à ce qui fait pour tous les autres le monde, tombé enfin, tombé,
monté dans ce vide que je refusais, j’ai un corps qui subit le monde, et dégorge la
réalité.
J’ai assez de ce mouvement de lune qui me fait appeler ce que je refuse et refuser
ce que j’ai appelé.
Il faut finir. Il faut enfin trancher avec ce monde qu’un Être en moi, cet Être que je
ne peux plus appeler, puisque s’il vient je tombe dans le Vide, cet Être a toujours
refusé.
C’est fait. Je suis vraiment tombé dans le Vide depuis que tout, - de ce qui fait ce
monde, - vient d’achever de me désespérer.
Car on ne sait que l’on n’est plus au monde que quand on voit qu’il vous a bien
quitté.
Morts, les autres ne sont pas séparés : ils tournent encore autour de leurs
cadavres.
Antonin Artaud,
Les Nouvelles Révélations de l’Être,
Œuvres Complètes VII, Éditions Gallimard, Paris, 1982
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Quand la chair parle
Jouer, c’est réécrire publiquement, c’est restituer le moment où l’écriture était
dans la chair. Avant que ça ne soit dans un livre, c’était dans un corps. L’acteur
retrouve ce moment où les mots sortaient d’une chair. Voilà la profondeur du
théâtre. Il rend toutes les idées à la chair, il remet tout dans les corps. Les idées
ne sont pas des choses qui s’échangent au-dessus de nos têtes. Elles viennent
d’un point précis de l’espace, d’une incarnation. Le théâtre ramène nos paroles,
nos idées, à de la chair mortelle qui parle. Il ramène la littérature à la périssabilité,
à la charnelléité, il nous fait remordre la poussière joyeusement. C’est une très
salutaire combustion pour nos mots. Le théâtre purifie. C’est la meilleure fin pour
un texte que d’être brûlé sur un plateau. C’est un très bon incendie. Pour la
littérature, le théâtre est une meilleure fin possible… […]
In « Le Désir du vertige »,
entretien avec Valère Novarina par Noëlle Renaude,
Théâtre/Public No 72, novembre-décembre 1986.
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Pousser la machine monde
Dieu ayant formé l’homme, dit l’oracle de l’Écriture, pour être le chef de l’univers,
d’une si noble institution, quoique changée par son crime, il lui a laissé un certain
instinct de chercher ce qui lui manque dans toute l’étendue de la nature. C’est
pourquoi, si je l’ose dire, il fouille partout hardiment comme dans son bien, et il n’y a
aucune partie de l’univers où il n’ait signalé son industrie.
Pensez maintenant, Messieurs, comment aurait pu prendre un tel ascendant une
créature si faible et si exposée, selon le corps, aux insultes de toutes les autres, si
elle n’avait en son esprit une force supérieure à toute la nature visible, un souffle
immortel de l’Esprit de Dieu, un rayon de sa face, un trait de sa ressemblance.
Non, non, il ne se peut autrement. Si un excellent ouvrier a fait quelque machine,
aucun ne peut s’en servir que par les lumières qu’il donne. Dieu a fabriqué le
monde comme une grande machine que sa seule sagesse pouvait inventer, que sa
seule puissance pouvait construire. Ô homme ! Il t’a établi pour t’en servir ; il a mis,
pour ainsi dire, en tes mains toute la nature pour l’appliquer à tes usages ; il t’a
même permis de l’orner et de l’embellir par ton art : car qu’est-ce autre chose que
l’art, sinon l’embellissement de la nature ? Tu peux ajouter quelques couleurs pour
orner cet admirable tableau ; mais comment pourrais-tu faire remuer tant soit peu
une machine si forte et si délicate, ou de quelle sorte pourrais-tu faire seulement un
trait convenable dans une peinture si riche, s’il n’y avait en toi-même et dans
quelque partie de ton être quelque art dérivé de ce premier art, quelques secondes
idées tirées de ces idées originales, en un mot, quelque ressemblance, quelque
écoulement, quelque portion de cet Esprit ouvrier qui a fait le monde ?
Bossuet, Sermon sur la mort,
Éditions Garnier-Flammarion, Paris, 1970.
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Résister par la parole
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PASCAL.
Et maintenant Seigneur, je ne parlerai qu’en
balbutiant : lmnvbvdnmnv ! Que de fois les
bégaiements monotones des enfants fléchissent
leur père : flvndvmnlslmnvmn ! Trop de prolixité et
trop d’intelligence dans la prière souvent
remplissent l’esprit d’images, tandis qu’une seule
parole, lkjljhgiuhouhiugl, a pour effet de la
recueillir ; Seigneur, je ne te prierai qu’avec le mot
caillou et voici le mot caillou qui est le seul me
restant désormais dans la mâchoire vaine de ma
bouche : caillou caillou caillou caillou caillou caillou
caillou caillou caillou caillou caillou caillou caillou
caillou caillou. Jusqu’à ce que je les casse tous
dans ma bouche de cailloux.
Valère Novarina, La Scène.
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La Mort des artistes
Combien faut-il de fois secouer mes grelots
Et baiser ton front bas, morne caricature ?
Pour piquer dans le but, de mystique nature,
Combien, ô mon carquois, perdre de javelots ?
Nous userons notre âme en de subtils complots,
Et nous démolirons mainte lourde armature,
Avant de contempler la grande Créature
Dont l’infernal désir nous remplit de sanglots !
Il en est qui jamais n’ont connu leur Idole,
Et ces sculpteurs damnés et marqués d’un affront,
Qui vont se martelant la poitrine et le front,
N’ont qu’un espoir, étrange et sombre Capitole !
C’est que la Mort, planant comme un soleil nouveau,
Fera s’épanouir les fleurs de leur cerveau !
Charles Baudelaire, Les Fleurs de Mal.
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Renaître en parlant
Rabelais entraîne très loin, très en arrière, très en avant de notre actuel français
littéraire plat, linéaire B, très loin de cette petite langue française guindée de la
radio, qui est comme une petite-bourgeoise qui s’étrique, un pauvre petit idiome
laïc, un espéranto de plus en plus étroit. Une langue qui perd au moins un son par
jour, une langue de dictée, une langue pour des sourds, pour des chanteurs culsde-jatte, pour des danseurs seulement bicordes : français civique, médiagogique,
morse inodore plat. Une langue de sondés, de dicteurs dictés, de porte-parole, pas
d’animaux comme on devrait. Car ce qu’il faut qu’on entende, quand on parle, c’est
que ce sont encore des animaux qui parlent et que ça les étonne énormément. Il y
a chez Rabelais, mais aussi chez Lafontaine ou Bossuet… Mais c’est quand même
dans le Quart Livre qu’on entend le mieux que parler est vraiment catastrophique…
Que nous ne sommes pas des sujets qui utilisent une langue-outil, ou des esprits
ayant en sons quelque chose à dire, mais des animaux qui sont dressés pour
renaître en parlant.
C’est des paroles que nous prononçons, de la manière dont elles nous traversent,
que tout dépend. Nous sommes dans les mots. Les mots sont, à la fois, la forêt où
nous sommes perdus, notre errance, et la manière que nous avons d’en sortir.
Notre parole nous perd et nous guide…
Valère Novarina, « Chaos »,
in Le Théâtre des paroles, Éditions P.O.L, Paris, 1989.
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ISAÏE ANIMAL.
Descendre jusqu’au fond de l’abîme, ouvrir
le pas sous tes pieds, enlever sol en frappant,
frapper envers de l’espace : faire le monde
tenir droit ! Descendre au monde en
frappant ! J’veux me défaire enfin de tout
c’que j’contiens.
Valère Novarina, La Scène.
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Revenir à la source
J’ai la sensation aiguë que le langage est notre sperme, notre germe, d’où nous
venons. Du langage sort de l’homme, ce n’est pas l’homme qui se sert du langage.
Le langage n’est pas un outil, mais une germination. Le langage émet de l’homme,
jette de l’homme dans l’espace. […] Toute mon œuvre tourne autour du langage,
c’est l’obsession centrale, dès les premiers textes. Je suis à la recherche d’un état
printanier de la langue, à la recherche du germe, de la sève, de l’endroit central
d’où le français jaillit, de sa source. Il me semble que la force d’une langue, c’est de
pouvoir renaître d’elle-même, de fabriquer d’autres mots aussi, mais à l’intérieur
d’elle-même. Je reviens à la source qui fait parler, à la pulsation primitive qu’il y a
derrière la langue, peut-être de la danse, du geste, de quelque chose d’organique.
Les hommes sont de la dépense respirée. Le langage est notre chair principale,
plus que le sang.
« L’Espace d’un homme », entretien avec Valère Novarina,
propos recueillis par Jean-Albert Mazaud,
in Cassandre No 18, septembre-octobre 1997.
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Trouver en soi une langue
Christian Prigent
Les écrits de Novarina ont pour raison d’être l’invention de cette langue qu’aucun
autre que lui ne saurait proférer à sa place. Ils veulent nous forcer à faire, en lisant
(en entrant dans l’excentricité sonore, rythmique et sémantique de ces textes)
l’expérience la plus radicale des libertés : celle que l’on prend avec le lien de base,
le lien de langue, dans la langue elle-même (dans sa masse matérialisée par la
torture du style).
Rabelais écrivait contre la Sorbonne, contre les sophistes aristotéliciens, contre la
doxa médiévale, contre le « gel » des paroles dans l’épure d’un monologue
socialisé. Il écrivait dans l’épaisseur d’un polylogue hétérogène, dans l’énormité
d’une langue chiffrée et démultipliée par le dialogue des langues, dans la voracité
d’une consommation de tout « savoir » et de toute « parole ». Il fondait ainsi un
nouvel « humanisme » : il construisait une figure de l’être irréductible à celle du
sujet, vivant somnambule d’une existence automatique, codée de part en part par
les médiations idéologiques (religieuses, en l’occurrence). Novarina investit un
terrain semblable. Pour cet écrivain, il s’agit de trouver en soi une force capable de
dresser un bloc de résistance et d’affirmation stylistique contre ce que Georges
Orwell, à la fin de 1984, appelle la « novlangue1 » : une langue d’assujettissement
radical des individus à la norme sociale : une langue fondée sur un principe
d’élimination, des termes et des liens syntaxiques anciens ; une langue
débarrassée des significations secondaires et des connotations ; une langue réglée
par un principe d’univocité et de fermeture ; une langue abrégée, auphonisée,
régularisée ; une langue de pure transparence communicative ; une langue purgée
des marques de l’intimité, de la sensibilité, des pulsions de celui qui parle ; une
langue neutralisée, instrumentalisée, policée ; une langue qui est le rêve de toutes
les tentations solitaires.
Cette langue nous guette à toutes les pages de nos journaux, dans le bruissement
nul des discours que débite notre téléviseur, ce « petit autel domestique »
(Novarina) devant lequel chacun de nous, solitaire et pieux, communie avec le
siècle. « Prise dans un modèle tout mécanique du langage, victime de sa propre
idéologie de la communication comme vente d’information et échange de choses,
prisonnière d’elle-même, la télévision n’excelle aujourd’hui que dans l’étalage des
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choses mortes… Tout s’y transforme en objet, tout s’y vend, tout sent la mort. » La
«langue » qui s’y parle est de celles dont l’objectif est de « réduire le caractère
humain au reflet des choses possédées » (G. Bataille). Quand Novarina la décrit
cela donne par exemple ceci : « Français littéraire plat, linéaire B, petite langue
française de la radio, qui est comme une petite bourgeoise qui s’étrique, un pauvre
petit idiome laïc, un espéranto de plus en plus étroit ; une langue qui perd au moins
un son par jour, une langue de dictée, une langue pour des sourds, pour des
chanteurs culs-de-jatte, pour des danseurs seulement bi-cordes ; une langue de
sondés, de dicteurs-dictés, pas d’animaux comme on devrait. » Écrire veut dire
alors : résister à cette entropie « novlangue », trouver une langue (un français
« animal ») qui nous permette, entres autres, d’échapper au Big Brother, au
« Ministère de la Vérité » et à « l’angsoc » médiatique…
Christian Prigent,
in La Langue et ses monstres, Éditions Cadex, 1989.
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Une parole politique et
opérante
En ces temps de communication galopante, de propagande perpétuelle, de
publicité à chaque instant, tout ce qui touche au langage est plus que jamais
politique. Être à l’œuvre dans le langage, être son explorateur, son gardien, c’est
être au centre même des forces qui nous opèrent aujourd’hui. Un personnage qui a
disparu de L’Origine rouge venait à chaque fin de scène marteler : « L’histoire n’est
faite ni par les individus, ni par les masses, ni par Geist, ni par Klassenkampf mais
par le langage. » Puis il se jetait par la fenêtre… On peut être au cœur de la
politique sans pour autant singer le réel.
Valère Novarina,
Entretien avec Yannick Merco-Yrol et Franz Johansson,
Scherzo No 11, octobre 2000.
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ouvrir les mots
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LE PAUVRE, au public.
Ôtez les mots du langage et vous avez la
vérité ; ôtez l’espace du lieu, rien ne reste ;
ôtez à l’homme la mort : Dieu est là.
Valère Novarina, La Scène.
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Parler est un drame
Le langage n’est pas une réalité immatérielle, au-dessus du monde, rajoutée, pardessus la matière ; la parole n’est pas un témoignage sur l’univers et la façon
qu’ont trouvée certains animaux d’en dire plus ; le langage n’est pas un ornement
qui s’y rajoute - le langage est d’origine. Il n’est pas quelque chose qu’on aurait
gagné sur les bêtes à force d’évoluer, mais quelque chose qui va plus loin que
toutes les choses vues parce qu’il rejoint leur apparition. La parole ne décrit aucune
chose mais les appelle. C’est un coup d’éclair, une foudre : les mots n’évoquent
pas, ils tranchent, fendent le rocher. Le langage ne peut rien décrire puisqu’il
commence. Toute parole appelle le monde à nouveau. Il n’y a rien de plus au
secret de la matière que le mystère verbal.
Nous portons le monde dans notre bouche en parlant. Il y a, par le langage, au fond
du langage, dans le langage, il y a un moment, un endroit, où la matière n’a plus
aucun poids, où elle est vaincue. Il y a un endroit sans obstacle et sans lieu où par
la parole, la matière de la mort est brisée et ouverte. Il y a un endroit, où rien n’offre
plus aucune résistance devant notre joie. Chaque mot, n’importe quel mot, le plus
petit des mots, n’importe lequel, est le levier du monde. Chaque mot, le plus petit
des mots, n’importe lequel : le levier de tout. Il soulève la matière de la mort. La
parole sur le monde : elle vient enlever son cadavre.
Valère Novarina, entretien avec François Bon,
Quai Voltaire Revue Littéraire No 5, printemps 1992.
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La Parole suractive
Autour du Drame de la parole
Jean-Michel Maulpoix
Il faut lire et relire Devant la parole. Dialoguer lentement, crayon en main, avec ce
livre aigu. Tendre au profond de soi l’oreille : c’est notre parole même qu’il ébranle.
Se pencher vers le fond du puits : là se tiennent les mots. Y descendre. […]
Voici une pensée de la langue qui est pensée de la parole. C’est dire qu’elle prend
moins en considération le langage ou la langue que le « mystère de parler », cette
« expérience singulière que fait chaque parlant, chaque parleur d’ici, d’un voyage
dans la parole. » Ce voyage-là, chacun l’effectue en son propre corps, à ce corps
mortel défendant, rendu comme étrange ou étranger à soi dans l’acte même par
lequel il croit se dire. Comment les mots existent-ils en nous ? Voilà bien la
question posée.
Valère Novarina répond : la poésie, c’est de « l’alcool d’homme », le très volatil
distillat de l’existence et de la chair, le souffle de « notre habitat léger », de notre
corps de « pauvre terre ». La poésie est « une parole soufflée dans le bonhomme
de terre. »
Par la parole, je suis étrange, je suis vivant. La langue fait mémoire : œuvre ou
réserve, elle se dépose en alluvion sur la réalité. La parole s’élance et recherche :
elle fuit, elle s’enfuit, elle souffle.
À l’intérieur sont les ailes de l’homme : deux poumons qui font le souffle, deux sacs
d’or d’où sort la parole. Des ailes non pour l’envol, mais pour le poème. Au-dedans,
l’Azur. Au-dedans ce vide qui aspire l’espace. À ce dedans, pour ces poumons-là, il
faut une bouche.
Quand l’homme croit voir s’entrouvrir des arrières-mondes grâce au langage, il se
leurre : il prend pour un accès à l’au-delà ce qui n’est après tout que l’étrangeté de
sa parole. Il croit entrevoir un autre monde dans ce qui accuse l’énigme de celui-ci.
75
Ainsi construit-il ses croyances et ses églises avec ce qui devrait lui servir à les
renverser.
En quelque langue et religion que ce soit, Dieu n’est jamais que le nom donné par
des hommes à ce trou d’air et de sens par lequel ils parlent et respirent, cette
ignorance et ce silence d’où sourdent leurs pensées et leurs paroles.
La parole creuse le monde. Elle le mord et le mâchonne. En même temps que de la
négativité, elle y introduit du sens. Si l’office de la Parole divine fut de créer les
choses, la tâche propre à la parole humaine serait plutôt de les nier. Les faire sortir
de l’espèce d’inertie où la parole divine les a laissées.
Quand le monde est tout encombré d’objets, quand la langue accumule les slogans
et les petites phrases toutes faites, quand l’espérance ne trouve plus de chemins
par où passer, que reste-t-il d’autre que la négativité humaine, pour fuir cette
asphyxie : cela qui réclame et résiste, cherche, interroge et ne se satisfait pas. Ce
noyau dur de l’humain est la parole. Notre grande phrase.
Imaginer un violent trou d’air par où souffle un vent résistant.
L’homme existe de différer sa connaissance. D’attendre, de chercher, de ne pas
savoir… Écrire avec et dans ce vide, cette ignorance. Subsister ainsi sur la terre, y
faire œuvre mémorable, et prendre quotidiennement sa mesure par inaptitude à
demeurer autant qu’à mesurer.
De la division procède le lyrisme. D’abord pour tenter la suture. Ensuite pour en
découdre. Creuser encore la plaie. Non pour clouer silencieusement l’homme à sa
croix mais pour faire danser la parole dans sa déchirure.
Sur la scène, une crucifixion latente. On y verra couler le souffle et le sang de cette
parole qu’est l’homme : « Ici a lieu, devant tous, l’effusion de la matière humaine
qui est la parole. » Effusion, non pas romantique, du cœur et de ses larmes, mais
de la langue soufflée. Diffusion de la langue jusqu’à expiration du souffle,
divulgation de tout le sang possible. L’homme vient mourir tout haut et devant tous
en se vidant de soi. Il va « par le vide vers la vie, la vitesse. »
76
Voici le poète pareil à ce « Jésus crucifié enfant » que Novarina découvre dans
« La Madone entourée d’anges et de saints » de Piero della Francesca : un corps
céleste, aérien, tombant sur la terre, figurant en ce mouvement aussi bien son
apparition que sa disparition : « Celui qui naît et expire devant nous tient liés le
début et la fin d’une grande figure respiratoire comprenant le temps tout entier. »
L’œuvre même est cette figure respiratoire, cette fusion de la naissance et de la
disparition en un moment unique, le sien, celui de son souffle, cette conjonctiondisjonction où rien n’apparaît que pour disparaître et pour dire la disparition. Ici,
« expirer et surgir sont un seul geste. » Tel est le poème en sa fabrique et sa
combustion de langue.
La poésie : affaire de souffle et de main. Car « l’organe du langage c’est la main. »
Il suscite et réclame des actes.
Voici par exemple deux affaires de main dont s’occupe le problème : le toucher et
la poignance. Le toucher émeut, sensibilise, palpe et caresse la forme, fait naître la
musique, modifie le rythme du cœur… La poignance est aussi bien l’extrémité du
toucher le plus aigu que l’extrême fermeté de la poigne, la capacité de la langue à
tenir ou contenir. Là où le toucher passe, la poignance demeure. Là où l’un s’enfuit,
l’autre vous retient. Que serait l’un sans l’autre qui assure son intensité ?
L’écriture est ce geste portant sur la langue, qui vise à accentuer sa matérialité, sa
visibilité. Faire en sorte que prennent corps tous ces mots que nous parlons
quotidiennement sans les voir. Que leur remuement devienne perceptible. Que
cette pâte humaine qu’ils constituent ressemble à celle qu’un peintre travaille sur
son tableau.
Tableau, n’est-ce pas un mot du théâtre autant que la peinture ? L’écriture de
Novarina rapproche la page, le tableau et la scène : espace poétique, espace
théâtral, espace scénique, voilà que l’écriture ajointe. Agitant la langue, la traitant
comme un matériau, elle fait du théâtre le lieu de la suractivité du poème : « Le
théâtre est le lieu où faire apparaître la poésie active, où montrer à nouveau aux
hommes comment le monde est appelé par le langage. »
77
Quels étranges gestes sont les nôtres, gigognes et somnambuliques, chacun
tâtonnant vers d’autres substances, d’autres corps que ceux qu’il lui est donné
d’étreindre, et chacun recelant d’autres gestes encore, en direction d’autre chose.
Comme si tout cela, ici-bas, n’était que prétexte, une illusion d’optique ou une
erreur de perspective. Songe, disait-on naguère.
La parole est-elle autre chose que la manifestation (la preuve ? la démonstration ?
la cause ? la conséquence ?) de notre distance aux choses : que des mots ainsi
s’interposent et circulent entre moi et moi-même, entre moi et le monde, entre
autrui et moi-même, n’est-ce pas la marque de ce défaut auquel l’existence même
est adossée, de cette ignorance et ce porte-à-faux qui nous veut toujours décalés,
un peu ici, un peu ailleurs, toujours les mêmes et déjà autres, suspendus, en
instance, devenant et n’étant jamais que ce devenir même, poussant nos voix, nos
gestes et nos figures dans le temps fait de signes.
Jean-Michel Maulpoix,
Scherzo No 11, octobre 2000.
78
Le langage s’entend mais la
pensée se voit
- Quelle est pour vous la forme première, l’essence du texte ? Est-ce une forme
plus proche de l’écrit ou une forme plus proche du théâtre ?
Valère Novarina - Le livre est écrit pour le théâtre du langage qui est dans la tête.
Parler est un drame. Dans un second temps, le texte est orchestré pour le réel, les
planches, les acteurs en chair et en os. L’endroit où le drame va se jouer est
déterminant : ce sont les murs du Tinel de la Chartreuse à Villeneuve-lez-Avignon,
les murs du Théâtre de la Bastille à Paris qui ont choisi les passages de La Chair
de l’homme et de Je suis qu’il était temps de faire entendre en vrai. Quant au Jardin
de Reconnaissance où la Femme Séminale et le Bonhomme de Terre tissent leurs
voix à celle La Voix d’Ombre, il a été composé en pensant sans cesse à la salle
Christian Bérard du Théâtre de l’Athénée où Agnès Sourdillon, Roséliane Goldstein
et Jean-Quentin Châtelain l’ont créé.
- Vous avez parlé de votre pratique de la peinture comme d’un art de « dessiner le
temps » : qu’entendez vous par là ?
V. N. - Le rapport de la peinture au temps est fondamental. Je travaille toujours par
séries : dans une multiplication et un combat contre le temps. Les traces qui restent
de cette épreuve, c’est la peinture. Il n’y a pas d’œuvre à exécuter, mais un combat
à livrer. Quelque chose reste d’un combat, témoigne d’une tentative de passage.
Face à la toile, l’œil parcourt ; l’œil court, compose, voyage, détruit, reconstruit : il
ne possède jamais. La vue ne voit pas, la vue aperçoit. Elle aperçoit ce qui
s’échappe. Le regard est un chasseur. Ce qui est à voir surtout dans la peinture,
c’est le travail du temps … Dans les livres également le rapport à l’espace et au
temps – à leur croisement dramatique – est primordial. Ulysse se lit, mais Ulysse
aussi se voit, dressé dans l’espace, comme un anti-monde dans le monde : il y a,
au centre de notre expérience, un croisement entre la vue et le langage, quelque
chose de dramatique, de joyeux et qui ne peut se dénouer.
J’ai avec les mots un rapport spatial. Je veux toujours descendre, m’enfoncer plus
encore qu’auparavant dans le souterrain écrit : les mots se renversent comme de la
matière, font des taches, comme les couleurs. J’inverse parfois une phrase comme
79
le peintre tourne son tableau à l’envers et continue dans l’autre sens. L’espace
commence par le langage. La scénographie, c’est d’abord dans les mots. Augustin
d’Hippone – Hippone qui est aujourd’hui Anaba – écrit magnifiquement dans le De
Trinitate : « Le langage s’entend mais la pensée se voit. » C’est une phrase
magnifique et mystérieuse qui me travaille quotidiennement depuis deux ou trois
ans. La pensée s’apprend beaucoup avec les yeux. Écriture et peinture, ici, en
Occident, on les sépare trop. Depuis que je peins, je pense autrement. Et j’entends,
au théâtre, les acteurs tout autrement : devant un Piero della Francesca, un
Dubuffet, un Soutine, un Kandinsky, je suis comme devant quelqu’un. Devant la
toile comme devant la trace de la présence d’un danseur. Piero della Francesca
c’est non seulement un souleveur de perspective mais un très extraordinaire
théologien et un ouvreur d’écriture. Les peintures nous aident à voir, mais aussi à
penser et à respirer. L’écriture est peinte ; la peinture est écrite. Je multiplie le
texte, je le travaille en couleurs, dans l’espace : il est mis au mur et affiché. Je colle,
j’assemble en banderoles des pages que j’épingle au mur, des grandes guirlandes
de papier – et je me promène dedans. J’écris en arpentant le livre mis au mur. La
Chair de l’homme est mon premier livre pensé au mur, mon premier livre peint. La
parole est jetée, dépensée, matérielle, spectaculaire. La syntaxe est une
scénographie ; les mots sont des couleurs, des pans de l’espace qui basculent.
Parfois, j’ai eu l’impression, en tournant dans mon livre, d’avoir vraiment changé de
lieu, d’être sorti de scène et d’avoir inventé – ou retrouvé – quelque chose comme
la littérature pariétale. On change un mot – et un mot changé est comme une
minuscule tache de rouge qui vient faire résonner autrement tout l’ensemble
chromatique, faire raisonner tous les sens autrement.
- Vous avez évoqué Joyce à l’instant. Plus généralement, quels sont les auteurs
dont vous vous sentez proche, dont cette vision de la littérature que vous venez
d’exposer a pus s’inspirer ?
V. N. - Il y a très peu de livres qui m’aient réellement nourri. Mais ils m’ont nourri
beaucoup. A la première place, la Divine Comédie, lue pendant toute une année. Il
y aurait aussi Ulysse, et puis les Rêveries de Rousseau. Je me suis ensuite
beaucoup alimenté à la source du Moyen-Âge. Mais c’est le XVIIe siècle que je
fréquente aujourd’hui le plus assidûment : rien ne vaut une fable de La Fontaine,
une page de Bossuet, un paragraphe de Bérulle pour retrouver la tonicité. Il y a une
énergie extraordinaire chez les écrivains du XVIIe. Parce qu’ils sont presque tous
des oraux. L’oralité s’est perdue dans le XIXe bourgeois. On s’est ensablé dans le
80
romanesque. Jusqu’à Rousseau l’écriture n’est pas séparée de la bouche. Il
définissait le chapitre sixième de La Nouvelle Héloïse comme « un chef-d’œuvre de
diction ». Au XXe siècle, le seul écrivain dont j’ai lu toute – et que je suis en train de
relire intégralement, c’est Charles-Albert Cingrial.
- Vous ne cessez, à travers vos pièces, de rappeler qu’au commencement il y a la
parole. « Dieu le Verbe » et son « Fiat Lux » représentent-ils pour vous un idéal de
parole performative et agissante ?
V. N. - L’action de la parole se trouve dans le Prologue de Jean, mais aussi dans le
Pentateuque et dans les Psaumes de David : « Les cieux ont été faits par la parole
de l’Éternel et toute leur armée par le souffle de sa bouche. » (Psaume 33,6) La
théologie de la parole, ce n’est pas simplement une peu de philosophie grecque
plaquée sur l’ancien judaïsme, c’est la pierre fondamentale de toute la Bible… Celui
qu’il faut lire sur toutes ces questions, c’est Philon d’Alexandrie. Mais aussi
Augustin dans le De Trinitate – et Eckart, bien sûr… Mais d’ailleurs, comment
traduire λoγοs : par verbe ? Par parole ? ou par mot comme fait Luther : « Am
Anfang war das Wort. » ? Quant à Hegel, il commence sa Vie de Jésus par : « Au
commencement était la raison. »… Vous voyez. Tout ce qui se joue, s’affronte dans
la traduction de ces trois mots : « εv αρχη o λoγοs. »
Entretien avec Valère Novarina,
La Voix du Regard No 11, printemps 1998.
81
82
La parole, matière de notre
esprit
Valère Novarina
Qu’est-ce que les mots nous disent à l’intérieur où ils résonnent ? Qu’ils ne sont ni
des instruments qui se troquent, ni des outils qu’on prend et qui se jettent, mais
qu’ils ont leur mot à dire. Ils savent qu’ils sont échangés entre les hommes non
comme des formules et des slogans mais comme des offrandes et des danses
mystérieuses. Ils en savent plus que nous ; ils ont résonné bien avant nous ; ils
s’appelaient les uns les autres bien avant que nous ne soyons là. Les mots
préexistent à ta naissance. Ils ont raisonné bien avant toi. Ni instruments ni outils,
les mots sont la vraie chair humaine et comme le corps de la pensée : la parole
nous est plus intérieure que tous nos organes de dedans. Les mots que tu dis sont
plus à l’intérieur de toi que toi. Notre chair physique c’est la terre, mais notre chair
spirituelle c’est la parole ; elle est l’étoffe, la texture, la tessiture, le tissu, la matière
de notre esprit.
Parler n’est pas communiquer. Parler n’est pas s’échanger et troquer – des idées,
des objets – parler n’est pas s’exprimer, désigner, tendre une tête bavarde vers les
choses, doubler le monde d’un écho, d’une ombre parlée ; parler c’est d’abord
ouvrir la bouche et attaquer le monde avec, savoir mordre. Le monde est par nous
troué, mis à l’envers, changé en parlant. Tout ce qui prétend être là comme du réel
apparent, nous pouvons l’enlever en parlant. Les mots ne viennent pas montrer des
choses, leur laisser la place, les remercier poliment d’être là, mais d’abord les
briser et les renverser. « La langue est le fouet de l’air. », disait Alcuin ; elle est
aussi le fouet du monde qu’elle désigne.
Les mots ont toujours été ennemis des choses et il y a une lutte depuis toujours
entre la parole et les idoles. La parole est apparue un jour comme un trou dans le
monde fait par la bouche humaine – et la pensée d’abord comme un creux, comme
un coup de vide porté dans la matière. Notre parole est un trou dans le monde et
notre bouche comme un appel d’air qui creuse un vide – et un renversement dans
la création. Les cris des bêtes désignent, le mot humain nie. Les choses que nous
parlons, c’est pour les délivrer de la matière morte. La parole n’est pas un
commentaire, une ombre du réel, le monnayage du monde en mots, mais quelque
83
chose venu dans le monde comme pour nous arracher. La parole ne double pas le
monde de mots, mais jette quelque chose à terre. Elle brise ; elle renverse. Celle
qui brise ; celle qui renverse. Il n’y a de civilisation que fondée sur la parole ; c’està-dire sur un renversement des images, sur des idoles renversées et détruites, et
sur un monde creusé par les mots.
Tout langage est à l’invectif. Il y a un appel, un coup porté par le moindre mot.
Chaque mot divise un morceau du réel dans ta bouche. Ici est un lieu, dans ta
bouche, où il y a écartèlement de l’homme par l’espace et où nous écoutons
apparaître le vide, l’espace venir battre. Il s’entend un souffle. Le réel respire. Dans
la pensée, une source d’air est ouverte : apparaît de la naissance d’espace entre
les mots. La langue est en fugue, en fuite, en vrille, poursuivie, poursuivante,
chassée et ouvrant. C’est quelque chose qui creuse : une cavatine ; nous apparaît
alors, étranger et devant nous, notre corps le plus proche : le langage. Notre chair
mentale, notre sang.
Valère Novarina
In Devant la parole, Éditions P.O.L, Paris, 1999.
84
Sur l’élaboration progressive
des idées par la parole
Heinrich von Kleist
Lorsque tu veux savoir quelque chose et que tu n’y parviens pas par la méditation,
je te conseille, mon cher et subtil ami, d’en parler avec le premier venu. Inutile que
ce soit un esprit très perspicace, d’ailleurs je ne dis pas qu’il faut l’interroger à ce
propos, non ! C’est bien plutôt à toi de parler d’abord. Je te vois faire de grands
yeux et me répondre que, dans tes jeunes années, on t’avait conseillé de ne parler
que de choses que tu avais déjà comprises. Mais, à l’époque, tu parlais sans doute
avec l’intention d’enseigner des choses aux autres, or je veux, moi, que tu le fasses
avec la raisonnable intention d’enseigner des choses à toi-même ; et il se pourrait
alors, avec des différences selon les cas, que ces deux règles de sagesse puissent
parfaitement coexister. Le Français dit : « L’appétit vient en mangeant*1 », et ce
principe fondé sur l’expérience demeure vrai quand on le pastiche et qu’on dit :
« L’idée vient en parlant*.» Il m’arrive souvent de rester assis à ma table de travail,
penché sur des dossiers, cherchant dans une confuse affaire de justice par quel
bout je pourrais bien la prendre. Je me mets alors à regarder droit dans la lumière,
qui est le point le plus lumineux, tentant ainsi d’y voir clair au plus profond de moimême. Ou bien, s’il s’agit d’un problème d’algèbre, je cherche la première
proposition qui me permettra de mettre les données en équation et d’en déduire
alors facilement la solution par le calcul. Et figure-toi que lorsque j’en parle avec ma
sœur, assise derrière moi en train de travailler, j’arrive à saisir ce que je n’aurais
peut-être pas trouvé en me creusant la tête durant des heures. Non pas qu’elle me
l’ait dit au sens propre du terme, car elle ne connaît pas le code des lois, pas plus
qu’elle n’a étudié Euler ou Kästner. Non pas qu’elle m’ait fait découvrir non plus,
par d’habiles questions, le point décisif, bien que ce soit finalement souvent le cas.
Mais c’est parce que j’ai tout de même une vague idée en rapport plus ou moins
lointain avec ce que je cherche que mon esprit – quand je commence ainsi
hardiment à parler et que la discussion progresse, poussée par la nécessité de
trouver une conclusion à ce début – transforme cette idée embrouillée en une
chose parfaitement claire, de sorte que, à mon propre étonnement, je parviens à la
lumière au moment où ma phrase se termine. J’y mêle des sons inarticulés,
1
Les mots suivis d’un astérisque sont en français dans le texte. (N.d.T.)
85
rallonge les mots de liaison, introduis même une apposition qui ne s’impose pas et
recours à d’autres artifices qui donnent de l’extension au discours et me permettent
de disposer du temps qu’il m’est nécessaire pour forger mon idée dans l’atelier de
la raison. Rien n’est alors plus salutaire qu’un mouvement de ma sœur, comme si
elle voulait m’interrompre ; en effet, mon esprit, déjà soumis à rude épreuve, n’en
est que plus stimulé par cette tentative tout extérieure de lui ravir le monopole de la
parole, et ses capacités connaissent un regain de tension, comme un grand
général confronté à l’urgence des circonstances. C’est bien ainsi que je comprends
tout l’intérêt que pouvait avoir la servante chez Molière ; car en prétendant lui faire
crédit d’un jugement capable de rendre compte du sien propre, il faisait preuve
d’une modestie qui, je crois bien, ne l’habitait guère. Avoir en face de soi le visage
de quelqu’un est une singulière source d’enthousiasme où peut venir puiser celui
qui parle, et un regard qui nous fait sentir qu’une pensée à demi formulée est déjà
comprise nous livre souvent la formulation de l’autre moitié. Je crois que plus d’un
grand orateur ne savait pas encore ce qu’il allait dire au moment où il ouvrait la
bouche. Mais la conviction de pouvoir puiser toutes les idées qui lui seraient utiles
dans les circonstances extérieures et dans l’excitation de son esprit ainsi stimulé le
rendait assez hardi pour commencer au petit bonheur. Je pense à la foudroyante
« sortie » de Mirabeau clouant le bec au maître des cérémonies qui, le 23 juin, une
fois levée la dernière séance monarchique du roi, où ce dernier avait enjoint les
trois ordres à se séparer, était revenu dans la salle plénière où ils se trouvaient
toujours et avait demandé s’ils avaient entendu ce que le roi avait ordonné. « Oui,
répondit Mirabeau, nous avons entendu l’ordre du roi » – je suis sûr qu’en
commençant ainsi, de façon affable, il ne pensait pas encore aux baïonnettes avec
lesquelles il allait conclure : « Oui, monsieur, répéta-t-il, nous l’avons entendu » –
on voit là qu’il ne sait pas encore très bien où il va. « Mais qu’est-ce qui vous
autorise » – poursuivit-il, et voilà soudain que surgit en lui une foule d’idées
prodigieuses – « à nous donner ici des ordres ? Nous sommes les représentants de
la Nation » – il tenait là ce qu’il lui fallait ! « La Nation donne les ordres, elle n’en
reçoit pas » – pour atteindre aussitôt le comble de l’audace. « Et afin que je me
fasse bien comprendre de vous » – et ce n’est que maintenant qu’il arrive à
exprimer toute la résistance dont son âme est bardée – « Allez dire à votre roi que
nous ne quitterons pas nos places, si ce n’est par la force des baïonnettes. » – Et
là-dessus, satisfait, il s’assoit sur une chaise. – Si l’on pense au maître des
cérémonies, on ne peut qu’imaginer sa totale déconfiture devant cette algarade ;
suivant en cela une loi semblable à celle qui veut qu’un corps, dont la charge
électrique est égale à zéro et qui pénètre dans le champ d’un corps chargé en
86
électricité, est soudain envahi par la polarité opposée. Et tout comme le corps
chargé d’électricité voit son intensité électrique encore augmentée par cet échange,
de même le courage de notre orateur, après avoir ainsi réduit à néant son
adversaire, se transforma en un enthousiasme des plus téméraires. Ainsi, c’est
peut-être un frémissement de la lèvre supérieure, ou un équivoque jeu de
manchettes qui a provoqué en France le renversement de l’ordre des choses. On
apprend que Mirabeau, après le départ du maître des cérémonies, s’est levé et a
fait les propositions suivantes : 1) se constituer aussitôt en Assemblée nationale
avec 2) des prérogatives inviolables. Car, comme une bouteille de Kleist qui se
décharge, il était retombé dans un état neutre et, une fois revenu de sa témérité, il
cédait soudain à la peur du Châtelet et à la prudence. – C’est là un exemple de
l’étrange concordance entre les phénomènes du monde physique et ceux du
monde moral qui, si l’on poursuivait l’observation, se révélerait aussi dans les
situations mineures. Mais je laisse là mon image et reviens au fait. La Fontaine
aussi, dans sa fable Les Animaux malades de la peste, où le renard est obligé de
faire l’apologie du lion, sans savoir où il va bien pouvoir en puiser la matière, nous
donne un remarquable exemple de l’élaboration progressive des idées à partir
d’une situation initiale imposée par la nécessité. On connaît cette fable. La peste
règne au pays des animaux, le lion convoque tous les grands et leur déclare qu’il
faut faire un sacrifice au ciel pour apaiser sa fureur. Il y a, à l’en croire, beaucoup
de pécheurs parmi son peuple ; la mise à mort du plus grand d’entre eux devrait
sauver les autres du péril. Il demande donc que chacun lui avoue honnêtement ses
fautes. Pour sa part, il confesse que, poussé par la faim, il lui est souvent arrivé
d’occire quelques moutons – et aussi le chien, quand celui-ci s’approchait trop ; il
lui est même arrivé, par gourmandise, de croquer le berger. Il se déclare prêt à
mourir si personne ne s’est rendu coupable de faiblesses plus grandes. « Sire », dit
le renard, qui voulait détourner l’orage, « vous êtes trop magnanime. La noblesse
de votre zèle vous entraîne trop loin. Qu’est-ce qu’égorger un mouton ? Ou un
chien, cet animal de rien ? Et quant au berger* », poursuit-il, car c’est là le point
capital : « on peut dire* », bien qu’il ne sache pas encore quoi « qu’il méritoit tout
mal* », lancé au petit bonheur ; et le voici maintenant embarqué ; « étant* »,
mauvaise tournure, mais qui lui permet de gagner du temps : « de ces gens-là* »,
et ce n’est qu’à ce moment qu’il trouve l’idée propre à le sortir de ce mauvais pas :
« qui sur les animaux se font un chimérique empire* ». – Et le voilà qui prouve que
l’âne, cet assoiffé de sang (qui mange toutes les herbes), est la victime toute
désignée ; sur quoi tout le monde se précipite sur lui et le dévore. – Un tel discours
est une véritable réflexion à haute voix. Idées et formulations avancent par séries
87
parallèles et les mouvements de l’esprit relatifs aux unes et aux autres convergent.
La parole n’est pas alors une entrave, assimilable à un frein sur la roue de l’esprit,
mais bien plutôt une seconde roue tournant en parallèle sur le même axe. La
situation est toute différente lorsque l’esprit a parachevé l’idée avant que débute le
discours. Car il doit alors se limiter à la simple expression de l’idée, et cette activité,
loin de le stimuler, n’a d’autre effet que de le priver au contraire de sa stimulation.
Ainsi, lorsqu’une idée est exprimée de façon confuse, on ne peut en déduire pour
autant qu’elle a aussi été pensée de façon confuse ; il se pourrait même, au
contraire, que les pensées exprimées de la façon la plus confuse soient justement
celles qui ont été pensées de la façon la plus claire. Dans une société où la
conversation est animée et où les esprits sont continuellement fécondés par les
idées, on voit souvent des gens, qui justement parce qu’ils ne se sentent pas
capables de bien maîtriser la parole se tiennent d’habitude à l’écart, s’enflammer
soudain dans un vif mouvement, monopoliser la parole et proférer des choses
incompréhensibles. Par une mimique embarrassée ils semblent même vouloir nous
indiquer, après avoir ainsi attiré sur eux l’attention de tous, qu’ils ne savent plus très
bien eux-mêmes ce qu’ils voulaient dire. Il est vraisemblable que ces gens avaient
dans l’esprit des pensées très pertinentes et très claires. Mais ce brusque
changement de mode, ce passage dans leur esprit de la pensée à l’expression, a
fait retomber toute la tension intellectuelle aussi nécessaire à l’élaboration de la
pensée qu’indispensable à sa formulation. Dans de pareils cas, il nous est d’autant
plus indispensable de disposer facilement de toutes les ressources de la langue
qu’il nous faut enchaîner au moins aussi rapidement que possible ce que nous
avons pensé sur le moment mais que nous ne pouvons exprimer dans le même
temps. Et, en règle générale, c’est toujours celui qui, à précision égale, parle le plus
rapidement, qui aura l’avantage sur son adversaire, parce qu’il pourra investir le
terrain, en quelque sorte, avec davantage de troupes. Que l’esprit ait besoin d’une
certaine forme d’excitation, même s’il ne s’agit que de reproduire des idées que
nous avons déjà eues, c’est ce qu’on voit souvent dans les examens où sont
interrogés des esprits ouverts et cultivés à qui l’on pose, sans préambule, des
questions telles que : Qu’est-ce que l’État ? Ou : Qu’est-ce que la propriété ? Ou
d’autres choses du même genre. Si ces jeunes gens s’étaient trouvés dans une
société où l’on avait débattu de l’État ou de la propriété depuis un certain temps
déjà, ils auraient peut-être facilement trouvé la définition en comparant, isolant et
récapitulant les concepts. Mais ici, où cette préparation de l’esprit fait totalement
défaut, on les voit brusquement buter ; et seul un examinateur manquant
totalement de discernement en déduira qu’ils ne savent pas. Or ce n’est pas nous
88
qui savons, c’est d’abord un certain état de nous-même qui sait. Seuls des esprits
vulgaires, des gens ayant appris par cœur, la veille, ce qu’est l’État pour l’oublier
dès le lendemain, auront la réponse toute prête. Peut-être n’y a-t-il pas plus
mauvaise occasion de se montrer à son avantage qu’un examen public, justement.
Sans parler du fait que c’est déjà une chose désagréable en soi et blessante pour
la sensibilité et que l’on est enclin à se montrer récalcitrant quand l’un de ces
maquignons du savoir vérifie ainsi nos connaissances pour, selon qu’il y en a cinq
ou six, conclure le marché ou nous renvoyer : il est tellement difficile de jouer d’une
sensibilité humaine et de lui faire émettre sa sonorité propre, elle peut produire de
telles dissonances entre des mains maladroites, que même le plus habile
connaisseur des hommes, le plus expérimenté dans l’art d’accoucher les idées,
comme le dit Kant, pourrait encore mal s’y prendre, faute de bien connaître son
parturient. D’ailleurs, ce qui fait que ces jeunes gens obtiennent très souvent une
bonne note, même les plus ignares, c’est que les examinateurs, quand l’examen
est public, ont eux-mêmes l’esprit trop embarrassé pour pouvoir rendre librement
leur verdict. Car non seulement ils ressentent bien souvent toute l’inconvenance de
cette procédure – il y aurait déjà de quoi avoir honte d’exiger de quelqu’un qu’il vide
sa bourse devant nous, à plus forte raison son âme – mais c’est aussi leur propre
jugement qui doit se soumettre ici à une périlleuse inspection ; et ils peuvent
souvent remercier leur dieu de pouvoir quitter la salle d’examen sans avoir révélé
leurs manques, plus infamants peut-être que ceux du jeune homme fraîchement
émoulu de l’université et à qui ils viennent de faire passer l’examen.
Texte français Pierre Deshusses et Jean-Yves Masson,
Œuvres Complètes I –Petits Écrits, Éditions Gallimard, Paris, 1999.
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Et maintenant, écoutons le poème du
corps et la chanson qui s’trouve dedans.
Valère Novarina, La Scène.
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le corps en scène
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FRÉGOLI.
L’acteur creuse l’homme, évide sa représentation –
c’est un désadhérent profond ; l’acteur se retire
d’homme : c’est un pratiquant du vide, un sacrifié aux
quatre dimensions et aux points cardinaux : l’animal du
portement.
Valère Novarina, La Scène.
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Le sacrifice comique de
l’acteur
Sur le jeu des acteurs dans L’Origine rouge
Le théâtre contemporain est souvent un théâtre de l’hypnose, du ralenti, de
l’envoûtement. Je voudrais au contraire aller vers un théâtre rapide, un théâtre de
l’hallucination. Façon Grock, de Funès et Fratellini. Est recherché le surgissement
instantané de quelque chose en lisière et disparaissant aussitôt. Un aperçu, une
déchirure. Un mot que j’aime dans le vocabulaire technique du théâtre, c’est le mot
découverte. Il y a tout un théâtre qui évite les découvertes… nous cherchions au
contraire à toujours voir dans les marges, à faire soudain apparaître en bordure le
centre du récit. Lorsque Agnès Sourdillon, au début du spectacle jette du lait, ou
lorsqu’elle met soudain une main sur l’épaule de Dominique Pinon au travers d’une
paroi, ça se voit à peine : seuls quelques spectateurs en alerte l’ont vu. Il y a alerte
des sens. Alarme dans les zones de Broca, dans les zones du langage… les nerfs
et synapses de la perception du langage sont mis en danger soudain par le
bombardement de syllabes inédites : alerte aux chiffres ! Il faut tout jouer allegro.
Pas de temps, jamais. Le théâtre classique devait être joué comme ça : Molière ou
Shakespeare, ça va à toute allure. Toscanini. Ce sont les metteurs en scène qui
s’étendent, commentent, ralentissent. L’acteur va vite, l’écriture va toujours à toute
allure. Tartuffe, Héraclius, Coriolan – à la création – ça ne traînait sûrement pas…
Parce que le langage surprend et saisit dans sa marche – parce que le langage ne
se comprend qu’en allant. Le sens n’apparaît que dans l’aventure déséquilibrée de
la marche. Je demandais aux acteurs de toujours chasser les temps. Jamais aucun
silence ou presque. Parce que, par les temps, s’engouffre l’émotion toute faite, la
psychologie. C’est l’homme qu’il faut maintenant chasser du théâtre : son
insupportable perpétuel penchant à l’autoportrait. Au théâtre il faut être des
animaux. Interroger en l’écartelant dans l’espace, non notre humanité – mais notre
pantinitude. Voir la parole sortir en volute des bouches de bois et s’en étonner.
S’étonner de ce ruban matériel qu’on souffle.
J’ai dit souvent aux acteurs que dans les plus beaux moments on entendait des
animaux vraiment parler. Que les spectateurs retrouveraient grâce à eux
l’expérience animale du premier parlant. Il y a des phrases très étranges, des
néologismes, des mots fantômes, de la syntaxe fictive ou autodétruite, mais tout
doit être toujours dit le plus simplement et directement et comme par Pinocchio. La
preuve par le pantin. La preuve par l’animal. C’est très difficile, ça se joue sur un fil.
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Tout peut à chaque instant s’écrouler totalement. C’est un autre état que le corps
humain reconnu : tremblé, vacillé, suspendu que l’on tente de rendre à nouveau
présent.
Entretien avec Valère Novarina,
Mouvement, octobre 2000.
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Montrer le corps sortir par la
parole
Valère Novarina
L’acteur
est
aujourd’hui,
plus
que
tout
humanologue,
programmaliste,
sociologueur, recteur légiste, celui qui en sait le plus sur la pratique mentale pure,
l’usure parfaite, la combustion du corps et de l’esprit, la renaissance psychique, le
rêve et les records de résurrection, sur la chute, la gloire, la rechute, sur les
sources, sur le saut ; il en sait mille fois plus que tous les spécialistes en tout
(psychique comparée, chimie du noyau, médecine sportive) parce qu’il est le seul
à être dans l’impossibilité vitale de distinguer son corps de son esprit, le seul
condamné à avancer toujours tout entier en même temps, le seul dont tout
mouvement vient de l’esprit et toute pensée passe trente fois par le laboratoire
dedans.
Louis de Funès en savait plus sur l’homme que tous les experts en humanitude,
orthoscénistes, antropothérapeutes, spécialistes du foie, des synapses, des
communications, experts en castration, syntagmeurs de Dogons, fléchisseurs de
langues agglutinantes et mesurateurs des zones de Broca ; il en savait beaucoup
plus que tous ceux là parce qu’il savait - là sur le plateau - que l’homme, ça se
réinvente tout le temps, que ça se déconstruit perpétuellement et refait, que c’est
tout neuf à chaque respiration. Juste pour surprendre la nature, étonner la matière
et redanser chaque jour une nouvelle danse pour les aveugles ; juste pour jouer,
uniquement pour rien et comme si ce qui n’a pas d’oreille nous écoutait. […]
Dans la scène carrée, dans le théâtre qui est comme un cube à huit dimensions et
pas bêtement trois, l’acteur qui lance toutes les paroles à la tête du public et aux
points cardinaux, sait bien que l’homme n’est pas dans l’espace comme un animal
l’habitant mais comme un trou noir au milieu. Un invisible point qui parle. L’acteur
le sait bien, qu’il va jouer jusqu’à devenir invisible. Qu’on entendra toutes ses
chansons sortir d’ailleurs. Entre, acteur, sors-moi du cœur, flamble-moi les os !
Fais-moi rachever le monde avec ma tête et tout conduire jusqu’au son blanc,
décréer tout, dézébrer l’homme, l’entendre parler ailleurs qu’avec une tête qui
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marche ! Entre, acteur et fais-le ! C’est l’acteur qui vient qui entre : il s’arrache à
lui-même ses vêtements coutumiers.
Louis de Funès savait bien tout ça. Qu’être acteur c’est pas aimer paraître, c’est
aimer énormément disparaître. Être acteur c’est être doué non pour contrefaire
l’ominidien mais pour enlever ses vêtements humains, avoir une pente
considérable à n’être rien, renaître des souffles, surgir de chair, jaillir des
dépouilles, déposséder le monde de soi, montrer la parole aux animaux. Louis de
Funès disait « Le vrai acteur qui joue, aspire à rien avec autant de violence, qu’à
pas être là. »
On va au théâtre non pour revoir une fois encore la même image perpétuelle du
monde multipliée par les trente-deux positions dramatiques, mais pour - comment
dire ça ? - venir assister, en paroles, en chair, et en vrai, venir aider un qui tente
de redanser en comique sacrifice toute une grande figure à l’intérieur qu’on
n’aurait pas, sans pas, sans musique, sans rien, une grande danse de silence, de
surprise, de musique, de dépossession.
L’acteur bien avisé, c’est un qui s’assassine, lui-même avant d’entrer, un qui
n’entre pas en scène sans avoir marché par-dessus son corps, qu’il tient pour un
chien mort. Auquel il ne porte pas plus d’intérêt qu’à un cadavre qui reste. Tout
bon acteur qui entre doit avoir marché par-dessus ça. Alors seulement il peut
parler. En vrai dépossédé. Comme un qui a rien. Pas un qui sait. Un dénudé. Qui
sait juste ce que son corps a appris et pas plus. Une bête bien anéantie. C’est à
cette seule condition qu’il peut se souvenir des paroles, jeter les phrases aux
animaux. Jetant tout, renoncé à lui-même, exterminant tous les gestes, soixantesix fois sur lui noué et dénoué, il entre en ne prenant non plus d’intérêt à lui-même
qu’à un chien : il sait que la scène est un trou joyeusement. Tu feras joyeusement
ton entrée en silence dans un monde sans musique. […]
L’acteur qui entre sait bien qu’il y a toujours quelque chose de mieux à faire que
de faire quelque chose. Il sait qu’il ne va rien commettre, ni exprimer, ni agir, ni
exécuter. Sans partition, sans parcours obligé, ni danseur ni musicien, l’acteur ne
commet qu’une désaction. Il n’y a rien à jouer. Seulement tenir toutes choses à
leur naissance. Danse, musique, chant, l’acteur pratique l’enfance de tout. Sans
notes, sans pas, sans leçon : le seul artiste qui ne sait rien faire. Sans spécificité,
sans spécialité : le seul métier qui ne s’apprend pas. Il ne sait rien faire,
seulement donner les choses dans leur source. L’acteur ne danse pas, c’est un
danseur qui naît : il capture la danse au passage, quand elle naissait : toute la
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danse juste dans un pas tout seul. Il n’a pas de partition sous le bras ou dans la
tête pour chanter, il vient saisir le chant à sa nativité, entre trois voyelles : il
remonte dans la musique si loin qu’elle n’était encore qu’en gestes muets.
Ne pas achever, extérioriser, mais retenir toutes les figures et les voix, dans leur
naissance, dans leur germinescence, dans la force qui les faisait jaillir du corps
pour la première fois. Le bon acteur joue à l’intérieur, sans que dehors rien
n’apparaisse, il ne trace que des figures en destruction. Quand il parle, c’est une
machine à renaître en paroles, pas un locuteur ; pas un philosophe dénominant
qui concepte, mais un qui fait renaître toute la pensée par la bouche ; pas un
musicien qui instrumente mais un qui refait toute la musique du monde d’abord
sortir du corps ; pas un médecin qui prolonge la durée des chairs mais un qui
nous fait descendre toute la chair jusqu’en bas devant tous jusqu’au trou tout au
fond par où passent la lumière et la voix. Tout ça en se jouant. Et en néant natif.
En jeu, en si grand jeu, que quand il joue l’acteur a le vide partout. Tout autour et
jusqu’entre ses mots. Comme s’il jouait à détruire le monde en soufflant. Avec la
force des enfants.
L’acteur qui entre, je ne veux pas qu’il soit un algébriste télégraphié par quelqu’un
d’autre qui m’énumère les vingt-trois stations mécaniques d’un alphabet
d’emprunt, un pantin dont on manipule le mouvement, je ne veux pas qu’il me
représente des figurines, des silhouettes d’humanoïdes, ni qu’il me représente
moi ou mon voisin, mais qu’il vienne détruire et couper nos visages, qu’il
apparaisse devant moi non comme un autre en face, mais comme mon propre
corps, sorti du monde, en son et en limon. Car dans la matière tout au fond, il n’y
a pas des protons, mais la musique : le rythme de toutes les choses apparaissant,
dans le mouvement qui fit la matière sortir du son.
Acteur, montre-moi la matière physique comme elle est : sortie d’un mot. Montre
le corps sortir par la parole. Montre la parole monter de lui, être comme son alcool
qui s’en va ; toutes les paroles monter, qui montent, comme une fumée qui sort
des hommes. Car je suis sorti moi-même de la matière en parole. Voilà ce que je
lui dis. Voilà ce que me dit l’acteur, mangeur de tout, et d’abord de lui-même. Car
c’est ainsi que m’apparut toujours l’acteur dans mon enfance, dans son supplice
incompréhensible et hilarant.
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Au théâtre il faut savoir réentendre le langage humain comme l’entendent les
roseaux, les insectes, les oiseaux, les enfants non parlants et les animaux
endormis. Je viens ici entendre refaire une naissance. Je viens revoir ici la vie
cachée. Quand je vois l’acteur entrer, je me souviens que j’ai cru avoir passé
toute ma vie dans une machine à être sans savoir. Si j’écarquille aujourd’hui les
yeux tellement, c’est pour apercevoir non la lumière sur son corps mais toute sa
parole qui tombe ; si je l’écoute avec une telle avidité, c’est pas tant pour entendre
ce qu’il dit que pour écouter toute une danse qui s’en va.
L’acteur en pleine lumière, sous les pleins feux, j’ouvre les yeux tout grands vers
lui pour voir jaillir un être humain en pleine lumière d’obscurité. Voir sur son corps,
en costume beau, non dix mille peaux de tissus, mais la lumière de nudité, et sur
le corps humain, très sombre, tout éclairé, l’obscure tête humaine invisible.
Résultat d’une soif : j’écarquille les yeux. Pour me souvenir que ce monde où je
suis né c’est moi qui l’ai fabriqué. Que j’ai tout reformé, que j’ai tout refermé de
mon limon. L’acteur apparaît pour que je me ressouvienne un instant, d’un trait,
que le monde est fabriqué de mon limon et de mon verbe parlé. Tu comprends ça,
spectateur, Tu comprends ça ? Que tu as tout fait. Et que la plupart des hommes
meurent sans savoir que c’est eux qui ont tout fait ce qu’ils ont vu. Comme dit
Jean : « L’être et la pensée ne font qu’un. » Qu’est-ce que c’est ça ? C’est le
début d’un langage pour les oiseaux.
Valère Novarina, Pour Louis de Funès,
in Le Théâtre des paroles, Éditions P.O.L, Paris, 1989.
102
Exprimer le sauvage en
l’homme
L’art est un langage auquel il appartient de mettre en œuvre nos voix intérieures qui
ne s’exercent pas d’habitude, ou qui ne s’exercent que d’une façon sourde et
étouffée. Il appartient à l’art, au premier chef, de substituer de nouveaux yeux à nos
yeux habituels, de rompre tout ce qui est habituel, de crever toutes les croûtes de
l’habituel, d’éclater justement la coquille de l’homme social et policé, et de
déboucher les passages par où peuvent s’exprimer ses voix intérieures d’homme
sauvage.
C’est cette opération précisément – cette libération des vraies voix profondes
intérieures, qui dans la création artistique est difficile et qui est rare. Tous les
acquêts de l’éducation et du social modifient l’homme, substituent à sa vraie nature,
peu à peu, une espèce de nature d’emprunt qui lui devient habituelle, et dont il ne
parvient plus à se dépêtrer. Ses acquêts, ses habitudes, fonctionnent comme des
freins qui se mettent automatiquement en action, indépendamment de sa volonté,
et même contre sa volonté, dès qu’il voudrait se libérer. Il lui est indispensable, s’il
veut produire une création d’art de quelque valeur, de supprimer ces freins au
moins quand il le veut, de les empêcher de fonctionner. Or c’est le propre de la folie
de casser ces freins-là, forcer les portes de ces écluses et y précipiter tout le flot,
bondissant de sa sauvagerie.
L’art n’a rien à voir avec le plan de la tête et le plan de la raison. L’art qui procède
de la tête et de la raison est un art bien faible et les gens qui font une confusion
entre l’art et les choses de la tête raisonnante, sont des gens qui ne demandent
pas à l’art grand-chose, et qui n’ont probablement aucun soupçon de ce que le
véritable art, quand il se manifeste dans toute sa force, peut apporter.
Jean Dubuffet, « Honneur aux valeurs sauvages »,
in L’Homme du commun à l’ouvrage,
Éditions Gallimard, coll. « Folio Essais », Paris, 1973.
103
104
La scène est une chambre d’apparition
Entretien avec Valère Novarina
– Vous transmettez vos textes par l’intermédiaire du livre et du théâtre. Est-ce pour
vous une relation différente, individuelle avec le lecteur, collective avec le
spectateur ?
Valère Novarina - Le drame, c’est que je n’ai jamais su si j’écrivais pour le théâtre
ou pour le livre… Je ne fais pas de différence fondamentale entre lecteur et
spectateur : au théâtre, c’est par action hallucinatoire du langage que tout apparaît
– et il y a, dans la lecture, une scène invisible où se jouent la comédie syntaxique,
le drame syllabique, le carnaval de chaque phrase, la pantomime catastrophique
des mots. Le travail est la croisée inexplicable du théâtre et du livre et ce sont deux
mondes que je ne suis jamais parvenu à démêler.
Dans le livre comme au théâtre, rien n’est montré de palpable, de reconnu. Tout est
en germination, saisi au surgissement même ; les choses n’apparaissent que dans
leur appel-disparition. Je suis à la recherche de l’apparition grammaticale du monde
par le langage. Les choses ne sont pas des choses. C’est ce que dit peut-être aussi
l’hébreu davar. L’hébreu n’a qu’un mot davar pour dire parole et chose. Il y a une
chose du langage et l’objet n’est qu’un mot. Entre le langage et le monde : un jeu
de forces en mouvement.
Je n’expose rien de face : tout est vu sous une lumière de biais. L’espace montré
n’est pas à saisir par les yeux – et le temps ne se déroule pas, mais va en
spasmes, se déploie en volutes, en tourbillons. Pas de sens un, de « discours
central », le drame n’est pas résolu ; ce que j’écris «ne veut rien dire mais ça ne dit
pas rien ». Il n’y a aucun sens au singulier, ni jamais résolution du drame de
quelque façon que ce soit. Le langage est défait… Est démontée et défaite la
perception humaine. Le monde est décomposé, l’espace en éclats, le temps
pulvérisé en figures contradictoires, « l’homme » mis bas. Devant les yeux, le
paysage présent est comme un rébus, une anamorphose ou un souvenir
mystérieux. S’il y a une perspective, elle est inversée et son point de fuite est à
l’intérieur du corps de chacun : lecteur, spectateur … Je ne fais rien jamais pour le
public, j’agis pour chacun. Chaque spectateur est frappé de flèches singulières.
Chacun compose. Le théâtre est l’architecture à l’envers : comme dans
105
l’architecture, le spectateur se déplace avec son corps mais cette fois-ci sans
bouger.
Il s’agit d’une expérience de « décomposition » - comme en optique où la lumière
est décomposée et où tout apparaît en spectre. Le théâtre est spectral – non
seulement parce qu’il affectionne fantômes et apparitions – mais aussi parce qu’il
est le spectre de la réalité, il décompose l’homme et le diffracte en figures diverses,
il le divise, il démonte la figure humaine, par plans, par planches d’anatomie et
syllabes. Le monde, l’homme, le langage : tout est ici décentré. L’acteur qui
apparaît ne correspond pas à l’homme selon la figure humaine aujourd’hui
reconnue et sempiternellement reproduite des millions de fois.
Le sens n’arrive pas directement sur le spectateur mais selon un rebond dans
l’espace. La parole est lancée dans l’air. Il y a là quelque chose de la gravitation, de
la balistique, du billard, et non de la « communication directe » ; le sens passe par
l’ouverture de l’espace. Le sens n’est même que ça : une ouverture de l’espace…
J’ai organisé très soigneusement une perspective, mais le spectateur la voit de
biais : il voit tout apparaître d’un autre point de vue que le mien et l’organise. Je ne
suis pas à sa place ni même jamais en face de lui. L’échange est si indirect et
mystérieux que ce n’est pas un échange. En art, il n’y a pas de « communication »,
car il y a un bloc de silence au milieu. Jean Damascène dit que l’image est une
manifestation de ce qui est caché – peut-être que le langage est une manifestation
de ce qui est tu. Dans le langage sont à l’œuvre à la fois l’énergie de la parole et
l’énergie du silence.
On n’a pas assez étudié le langage comme champ de forces, ni la nature comme le
lieu, le théâtre du drame de la parole, on n’a pas encore assez étudié la
logodynamique – pas assez vu à l’œuvre la parole dans l’espace, la parole opérant
l’espace. Ça n’est que la peau de la terre que nous voyons. De même, ce n’est que
la peau du langage que nous entendons dans les mots. Il y a un grand drame
souterrain – et peut-être que dans le langage lui-même parle l’« inconscient de la
nature ».
- Quelles relations établissez-vous entre le théâtre et la parole ?
V. N. - Il y a des choses à observer. Au théâtre de la Colline, pendant les
représentations de L’Origine rouge, placé pour une fois complètement de côté, j’ai
pu observer comment se propageaient les ondes à partir de certaines répliques
comiques (parce que le comique se voit mieux). On aurait pu mesurer très
précisément la vitesse de la propagation de ce qui arrivait dans le cerveau, une
106
onde assez lente. La vitesse de la lumière est ultra-rapide, le son va moins vite,
l’onde du langage est plus lente encore.
L’acteur lance des dés : il est beau que dé vienne de donné, datum – j’ai appris ça
par l’italien dado ; l’acteur procède au lancer du langage dans l’air : les mots sont
comme des rebus à six faces. Les phrases sont des énigmes. L’acteur ne doit rien
résoudre : il présente tout irrésolu ; il tient dans ses mains les mots en faisceaux
d’équations ouvertes… Il ne doit pas résoudre ce qu’il dit : l’acteur doit demeurer
sans intention aucune, sans opinion aucune. Minéral, matériel. Il descend de plus
en plus profondément dans le corps de tout. C’est au plus profond de la matière
qu’il trouve l’intelligence et qu’il entend.
L’intelligence est un phénomène acoustique. C’est par joie interne, par une
réjouissance de dedans et un épanouissement que le langage se fait
compréhensible. Il n’y a pas qu’une opacité du corps, il y a aussi une irrigation, une
lumière du corps, une luminescence de la chair, une transparence de la chair
irradiée. Une terre d’où la lumière sourd : voilà le corps humain. La lumière
transforme, scintille et émane ; elle n’est pas projetée : la lumière vient d’en bas.
C’est quand les acteurs ne savent pas ce qu’ils font qu’ils sont au plus clair ; ils sont
lumineux par égarement. L’acteur joue l’homme malgré lui. Les choses ont lieu
malgré eux, et en eux. Cela se produit de temps en temps. Quand les acteurs sont
trop volontaires, rien n’a lieu. Toutes les théories de l’acteur reposent sur l’idée de
retrait : Diderot, Zéami, Brecht, Jouvet, de Funès… L’acteur fait quelque chose en
moins. L’acteur fait l’homme en moins. Il entre, et c’est l’homme moins l’homme.
Nous n’assistons au théâtre qu’à une action du vide.
L’ensemble du spectacle forme une seule phrase, que le public doit entendre d’un
seul mouvement, partager comme une seule respiration. L’acteur n’a pas à appuyer
ou à découper ; il doit capter le phrasé, la délivrance soufflée de la pièce, la
cascade du souffle, le mouvement fluvial de la pensée, le torrent, l’écoulement de
la phrase. L’écroulement de la phrase. La phrase s’écoule et s’écroule. Ce qui est
en œuvre, c’est un processus de disparition.
Le théâtre fait apparaître mais rien voir. La scène est une chambre d’apparition,
une cuve de révélation. Il pourrait presque un jour s’y révéler – dans l’enclos du
théâtre – la vraie physique des langues. Ce qui apparaîtrait, en fin de compte, ne
serait ni une vérité politique, ni morale – mais une vérité physique. Le théâtre
donnerait finalement vue sur la nature. Il ne raconterait – en fin de compte – rien
d’humain. J’ai la sensation de plus en plus nette que l’on pourrait saisir la matière
vraie dans l’enclos, dans le bocal du théâtre, dans le théâtre conçu comme le ring
de la parole, l’enclos du langage.
107
L’acteur brûle. Le théâtre est un autodafé. Un foyer – optique et de combustion –
où toutes les effigies humaines sont brûlées, où le corps humain apparaît parcouru
par le souffle, en proie aux flammes de la respiration. C’est l’arène où l’acteur chute
et brûle ; c’est le lieu du martyre comique de l’acteur, de la passion de l’acteur.
L’acteur est agi. Le jeu passe par la non-volonté, le laisser-faire, le lâcher prise. De
même l’écrivain. Dans mes textes, il y a bien des passages où j’ai été écrit comme
l’acteur est agi. Mais il faut beaucoup de travail pour être, par instant, écrit. Cela
nécessite beaucoup de discipline, d’exercices. […]
J’aime l’idée de tapisseries et de galeries : j’écris sur plusieurs chantiers, dans
plusieurs fosses à creuser, sur plusieurs châssis, plusieurs métiers, et toujours à
plusieurs tables. Il faut absolument que je sois dans un chantier pluriel. Selon les
livres ou les parties du livre, je travaille à la fresque, en tapisserie, très vite ou très
lentement, sur de très grandes unités ou sur de toutes petites. Je suis proche de
l’acteur qui travaille dans la fulguration et à la fois dans la répétition inlassable et à
travers la fatigue, jusqu’à ce qu’apparaissent le deuxième corps, le troisième corps,
par renouveau du souffle. Je travaille souvent au plus près du texte, dans une sorte
d’hypnose, au plus proche de la matière, comme somnambulique. Mais aussi sur
les quatre murs d’un grand atelier. Il faut que le livre à un certain moment se
développe dans l’espace ; il ne s’explique que par l’espace ; le langage, je le
déploie. J’affiche le texte sur les parois ; j’ai besoin de voir le livre comme une
architecture. Cela finit souvent par être une écriture ambulatoire, parmi les parties
du livre qui sont comme des cryptes, des rosaces et des nefs. Les choses sont
travaillées longtemps en chaos, en obsession, en ritournelle, en descendant et en
creusant ; puis tout trouve place dans une architecture. Partout est recherchée
l’énergie ; retenue et déflagration. Le texte tresse et tisse, capte des forces. Au
fond, la chose qui est travaillée, c’est l’architecture en langage. C’est le corps du
lecteur, du spectateur qui est devenu une architecture du langage.
– C’est, bien entendu, un théâtre de langage.
V. N. - Il y a peut-être eu, très tôt, quelque chose comme la volonté d’enlever le
théâtre au roman et de le rendre à la poésie, de l’arracher aux ballets, aux
arguments et le rendre à la danse, d’en finir avec les récits, les pantomimes – et
peut-être de parvenir à la vivacité du ballet sans argument, au dame pur de
l’espace. La vraie catastrophe est grammaticale. Se tenir au plus proche de la
tragédie, de la comédie respirée. Un « théâtre sans représentation » qui nous
permettrait de voir un instant autrement qu’avec nos deux yeux d’hommes. Être un
108
instant hors de l’idéologie humaine, voir concrètement comme Dieu et les bêtes,
voir d’un trait. C’est le lieu de la somatisation de la poésie, le lieu où le drame du
langage est visible aux yeux de tous : il y a précipité, concrétion, matérialisation. Le
langage ici prend homme. Quelque chose s’y opère et se voit.
On voit au théâtre non quelque chose de représenté mais quelque chose qui
opère ; ce n’est pas un lieu où montrer une image du monde mais un outil pour voir
en vrai, ici, ici-même : c’est un croisement, un pont, un seuil, une équation à
l’envers devant soi et au loin, illisible, un lieu de passage. Il ouvre en deux, il brise
l’image donnée, il montre que la parole fait apparaître et renverse ; il montre le réel
réversible, miroitant et tremblé ; il indique le passage d’un monde à l’autre.
Aujourd’hui, ce qu’il nous faut, c’est non pas un lieu de représentation en plus (ils
pullulent ; il y en a des dizaines de millions) mais un outil pour briser toutes nos
représentations.
Opérant et agissant comme le cirque, le théâtre est l’arène de la transfiguration et
des métamorphoses, un lieu d’attraction, de transmutation, de bascule d’un numéro
à l’autre, de passage d’un monde à l’autre, par attractions et par gravitations ; c’est
une traversée des champs de forces de l’espace et du temps. Comme le cirque,
c’est le lieu où sont expérimentés et s’entrechoquent les espaces contradictoires,
les temps incompatibles.
Comment dire ?… C’est comme si le langage était le réel, la matière même, la
chose. Le langage et son rébus. Le langage s’est pas un outil pour exprimer ce que
l’on pense ou ressent, c’est le fond du fond et peut-être la chose elle-même. Il n’est
pas second, ce n’est pas un ornement ni un outil ni même quelque chose d’humain.
Le langage est ce qu’il y a de plus proche de la matière elle-même. Par son jeu
avec le vide, son action ondulaire et son renversement, parce qu’il joue avec les
forces, parce qu’il respire, parce qu’il se joue de toute chose, – et d’un mot en
moins ou en plus, sait reconstruire le monde autrement – par son mouvement
incernable, parce qu’il miroite, change de vitesse, par son basculement, ses
catastrophes – le langage nous donne une idée de l’immatérialité de la matière. Il
n’y a certainement rien comme le langage pour nous faire toucher au plus près les
forces qui régissent la nature.
– À propos d’être humains, peut-on continuer à parler de personnages à propos
des êtres si nombreux qui habitent ou traversent vos livres et vos pièces ?
V. N. - Jamais je n’emploie le mot de « personnage » dans le travail avec les
acteurs ; j’aime mieux le mot personne, porteur d’équivoque. Il y a un pullulement
109
humain, une multiplication sans fin. 2 587 personnages dans Le Drame de la vie. Il
y a comme une séminalité du théâtre : l’homme jaillit en langage de l’espace. Du
langage et du sol, il fuse, il sourd, il surgit de l’humain. En face de nous, sur le
plateau, on lance des fusées humaines, on sème de l’homme dans l’espace. On
avance, toute histoire défaite, toutes figures détruites. Au lieu de faire défiler les
peaux humaines répertoriées, on pratique l’ouverture au gouffre. Il s’agit d’un
écartèlement humain, comme dans les Psaumes. Le personnage est à intérieur
vide. Le personnage chute dans l’abîme du langage. Les scènes sont comme
autant de perditions. Toutes figures brisées, les « personnages » s’expriment en
antiparoles insensées-vraies ; ils n’éprouvent rien mais sont en proie au tourment
humain : ils entrent, récitant les symptômes des choses jamais dites, énumérant les
sentiments jamais éprouvés et montrent les choses jamais vues. Le personnage
est ouvert, offert, apparent : sans aucun sous-entendu humain.
Par un travail de tissage de parole, il faut écrire un autre tissu que le tissu humain,
briser notre image. Ce qui n’est pas la détruire… Mais la montrer brisée. Mettre
l’homme bas. L’abattre et le faire naître. Par éclatement radiographique : l’intérieur
vu par dehors, comme dans les peintures des aborigènes de la terre d’Arnhem.
Retourner le peau humaine. Voir jusque dedans le corps et dedans la chimie
grammaticale de la pensée, voir les organes de la parole fonctionner.
La figure humaine ici est ouvertement interrogée et attaquée. D’un trait, l’acteur
entre et dit : Je tue l’homme. C’est le seul artiste pratiquant ça impunément devant
tous. Dans l’indifférence à autrui et à soi, dans le plus grand détachement, l’homme
vient ici publiquement se retirer de l’homme. Ahumain est le personnage. Le voir
surgir nous fait passer à nouveau par notre pantinitude, par être de bois, notre
lignitude et notre animalité. C’est ce qui a lieu dans Le Drame de la vie, dans Je
suis, dans La Chair de l’homme : les personnages en tourbillons, comme un
alphabet d’anthropoglyphes sauvés et perdus. Voyage aux pertes du moi. Dans la
poudrière des verbes, on entend une propulsion de voix d’où vient l’humanité ; il y a
floraison personnée, à partir des syllabes ; il y a une humanité séminale, jetée,
écartée en 4, 8, 16, 32, 64…
– Peut-on revenir à la question : lecteur ou spectateur ?
V. N. - Le théâtre est le précipité de la lecture : son lieu plus dense, plus concentré,
somatique. La matière du langage apparaît. Lors de la dernière représentation
d’une pièce, parfois on peut voir en vrai le ruban de la parole sortir vivant de la
bouche des acteurs… Je ne trouve pas ce qui est oral et ce qui est écrit si différent
110
– et j’aime particulièrement cette phrase de Rousseau où il définit le troisième
chapitre de son roman La Nouvelle Héloïse comme « un chef d’œuvre de diction ».
L’unité du livre, ce n’est pas la page ni les feuillets, c’est la symphonie respiratoire ;
la lecture est une nage spirituelle et le lecteur donne corps au livre, l’incarne et
devient l’acteur du livre. C’est comme nager en rêve. Lire Bossuet, Garnier,
Rousseau, Balzac, Cingria se fait dans une sorte de combat et d’union
contradictoire, une sorte d’entremêlement, de croisement de souffles : l’écrivain
vous donne son souffle et vous lui donnez le vôtre ; c’est une mêlée. Le livre – qui
restait lettre morte, vous lui faites don de votre vie – et lui, il vous donne un autre
corps. Il n’y a pas d’acte plus amoureux.
- Et le rapport avec la peinture ? Est-ce un même geste que l’écriture ?
V. N. - J’aime le mot manière qui vient de main. « À la manière de Franz Hals ».
« La manière de Soutine » ; il y a aussi une main de l’ écrivain – et il y a une main
de l’acteur, qui pratique et touche, comme le peintre. Il touche la matière humaine.
L’acteur doit aller le plus loin possible dans sa main profonde, dans sa manière à
lui.
Je sens l’espace traverser le corps du peintre ; je sens l’espace traverser le corps
de l’acteur ; puis traverser celui qui regarde. Écrire, peindre, est une pratique
légèrement divinatoire : jeter la matière pour voir les choses. La peinture m’a
beaucoup aidé à partir de 1982 à retrouver la rapidité perdue, la gestualité du
travail à la fresque. Vite, travailler la matière avant que quelque chose se fige !
J’écris minutieusement, longuement mais toujours dans le frais du langage. Ce qui
n’exclut pas l’agencement patient, le tissage maniaque, l’ouvrage de Pénélope –
mais il faudrait garder toujours le geste, l’élan de la main. La pratique de la peinture
apprend à inverser des scènes, mettre une phrase à l’envers, faire apparaître vite
un personnage d’une tache, d’une syllabe, d’un mot…
– Si vos pièces ne « racontent rien », que racontent-elles ?
V. N. – Les personnages sont dans un étonnement premier : la surprise d’être là,
l’étonnement de parler… « Je ne m’attendais pas à avoir la parole » disait Didier
Dugast tout à la fin de L’’Origine rouge… Le Discours aux animaux, La Chair de
l’homme sont un malaise dans l’espace, un vertige proche de celui que décrit
Rousseau dans la Deuxième rêverie ou il dit comment, renversé par un chien et
remis d’un évanouissement, il redécouvre l’herbe, le sang, sa naissance, la
111
présence des choses. Mourir et renaître à chaque respiration, on ne s’y habitue
pas. Les animaux humains sont inadéquats à leur nom d’homme, à leur corps
d’homme, à leur parler. Ils sont à chaque instant soudain surpris d’être à la croisée
de la chair et du langage.
Il y a, qui surplombe tous mes livres, quelque chose comme l’interdit de la
représentation. L’homme doit éviter à tout prix de représenter l’homme. Il n’est pas
fait pour ça. Mais Homme aujourd’hui est un mot culte, un mot devenu mécanique
et vide, une idole, une coque vide dans l’esprit. Quelque chose comme du
totalitarisme humain se répand. Anthropolâtrie partout : nous voulons retrouver,
vénérer partout le même fétiche humain : l’homme fait de main d’homme. Nous
voulons retrouver partout l’homme identique au modèle que nous venons de forger
de nos mains. Alors que l’homme est le seul des animaux qui a su s’inventer mille
masques, mille figures, le seul qui émet sans cesse un nouveau visage, qui
réinvente sans cesse sa figure. Dans toutes les directions, par toute la terre, nous
cherchons anxieusement notre double, notre pair, notre semblable, notre
homonyme. Peut-être avec charité mais sans amour, car l’amour est impair. Il est
peut-être temps de porter sur nous-mêmes un regard hétéroanthroposcopique,
comme dirait Jarry – porter un regard sur l’homme depuis l’extérieur de l’homme :
depuis l’animal, depuis Dieu, depuis le caillou, depuis le pantin. J’écris du théâtre
pour mettre hors d’homme. C’est un théâtre qui n’a pas l’homme pour modèle. Un
théâtre de défiguration, pas de miroir. Ne plus se reconnaître dans la glace. Ne plus
reconnaître l’espace. Ressentir en soi le temps couler à l’envers. Mes textes
racontent peut-être tous l’histoire d’un étourdissement. […]
C’est par une table rase totale que ça commence. Il faut commencer par renoncer
à toutes les figures humaines. Vider l’homme par dedans. L’apôtre Paul parle de la
kénose de Dieu : Dieu se vide pour s’incarner… (Voilà au moins cinq ou six fois
que j’écris à Alain Rey pour lui dire de mettre « kénose » dans le Robert ; il me
semble que c’est tout aussi utile que UHT, USB, ESB, IGF…) Eh bien, c’est de la
kénose de l‘homme ici qu’il s’agit : vider la représentation, quitter, se dévêtir de
notre image, abandonner pour un temps toutes les « sciences humaines », toutes
les morales. Vider l’homme, le démonter jusqu’à ce qu’il apparaisse qu’il n’est que
du langage assemblé et jusqu’à ce que reste : personne. Ce serait une tâche
salubre. L’homme s’est trop reproduit à l’identique. IL est temps de le nettoyer de
toutes nos habitudes de représentation et de portrait.
Mes acteurs travaillent donc en destruction, avec la destruction, comme des
artistes de cirque travaillent avec leur mort. Ils travaillent l’homme à l’envers et ne
112
constituent pas d’images. Ils travaillent avec la chute. J’écris avec eux l’homme à
l’envers.
Homme : renverser ce mot. Procéder à son sacrifice. L’offrir ouvert. Il y a effusion
de la matière humaine ; le sujet humain est répandu. Verser la parole humaine qui
est notre sang ; verser le sang humain qui est, au plus profond de nous, la parole.
Épandre l’homme. Lieu où verser l’homme, c’est-à-dire l’offrir. Le théâtre comme le
dernier lieu où serait possible, impunément, d’accomplir le sacrifice humain.
L’offrande de la personne humaine.
– On a l’impression que vos livres s’ouvrent de plus en plus à la veine comique et
au regard sur les mondes d’aujourd’hui.
V. N. - Le comique est la seule émotion qui se voit. Le comique apparaît quand le
corps du spectateur doit résoudre ce qui est déchiré. Le rire est, en un éclair,
comme une pensée du corps : c’est le corps soudain qui donne son opinion dans
un grand état d’alerte et de sauve-qui-peut mental ; c’est une suractivité neuronale
rapidissime, une course par tous les raccourcis, un souvenir de tout. Un éveil et un
branle-bas de combat des facultés de l’être tout entier. Tous les muscles et tous les
synapses en éveil. Il vivifie.
Rire est rapt, un raptus, un suicide court. Le comique vient toujours enlever. Les
grands acteurs comiques pratiquent le retrait, enlèvent leur visage, sortent
d’homme. L’acteur comique pratique humilité, pauvreté, exercices spirituels : il
abaisse Adam, le rend à la terre : adamah. Le grand acteur comique ne vient pas
remplir la figure humaine, mais l’évider – et c’est en travaillant profondément sur
soi-même qu’il s’évide. Et c’est en ce sens qu’il peut devenir un saint. Le comique,
je le vois comme une forme de la prière. Par le comique, le corps prie impunément.
L’acteur s’évide – et c’est une forme de prière. Dans le comique, il y a une
absolution, une absoute. Il y a, par le rire, une solution, une résolution, un lavage.
Par le rire, le spectateur absout l’acteur, le lave et lui pardonne. Je n’ai jamais
trouvé le rire satanique, bien au contraire ; je le trouverais plutôt baptismal : dans
une salle de théâtre, c’est comme une ondée soudaine.
Le comique vient du renversement. Le langage est comique en ce sens qu’il est
inadéquat et cependant creusant. Il évide, creuse, fait résonner, par ondes d’échos
sans fin, il déchaîne les forces de l’analogie, les rimes de sens. Les syllabes sont
lancées dans la pensée comme des cailloux divinatoires. Le langage va par
déchaînements autant qu’enchaînements : tout se creuse, s’évide, s’ajoure.
L’évidemment remplace les évidences. La comédie du langage, le drame du
113
langage vient libérer à nouveau par ses jeux d’ondes, ses jeux d’ombres ce que
l’on croyait pourtant avoir saisi, ce que l’on croyait avoir arraisonné. Le langage est
un corps creux, un méandre. On avance par les cavernes. Dans l’amphithéâtre du
langage, les antipersonnes avancent par contre-scènes, en paroles défaites en
langue déconstruite. Tout le cortège du langage avance masqué. Les personnages
– ou plutôt les personnes – avancent « vêtus de langues comme de vêtements
joie », en énigmes, texte défait. Il y a défaite de ce qui était arraisonné. Voici que
les mots ont l’initiative et meuvent maintenant visiblement les hommes. La parole
devient la défaite des mots sous nos yeux. Ce n’est plus aucun mot parmi les mots
qui compte mais l’énergie du vide entre, l’aspiration, l’appel qu’il y a entre eux. Le
vide appelle. Tout est là et tout manque. Les mots sont comme des aimants. Les
mots sont des aimants entre les choses. Les mots sont une aimantation entre les
choses. Les syllabes s’attirent et gravitent.
Extrait de « La Parole opère l’espace »,
propos recueillis par Gilles Costaz,
Le Magazine littéraire, juillet 2001.
114
travestissement et parodie
115
116
Autour d’un réfrigérateur :
LA SIBYLLE.
Dégagez, anges du ciel ! restez à ma portée ! Où est la Purifiante, Marie
la Carburificatrice ?
TÊTE DE RACHEL.
Ouvre le frigo et respire : écoute comme cette vieille carne sent la
bidoche.
TÊTE D’ISAÏE
Et pan dans la viande !
LA SIBYLLE.
C’est un morceau de mon père pénultien laissé là par mégarde.
FANTOCHE DE GUGUSSE.
Je m’ennuie de ma grosse marionnette.
TÊTE D’ISAÏE.
Toi, ouvre le frigo de la nature humaine et respire : humes-tu comme la
viande sent la barbaque ?
TÊTE DE RACHEL.
N’est-ce pas plutôt celle que laissa la dépouille de ton putréfié cadavre ?
LA SIBYLLE.
Ce frigo ouvre sur la vie éternelle : il numérote la vieille viande humaine
pleins de Noms que nous portons sur nos corps assermentés. Le grand
mystère de la disparition de la chair en allant, c’est nous qui allons
maintenant y assister en passant.
LES DEUX FANTOCHES.
Nous le jouons en 4 : avec des coups de 4 cuillers à pot !
TÊTE DE RACHEL.
117
Gloire à la chair pleine de noms inoubliables que nous portons grâce à
nous et aux trous de nos prédécesseurs !
TÊTE D’ISAÏE.
Gloire à la vieille chair à métaux !
TÊTES DE RACHEL & D’ISAÏE ANIMAL.
Le grand mystère de la disparition de la chair et de sa présence, nous le
vivons maintenant continuellement en respirant.
FANTOCHE LORRAIN.
Je suis le fils postérieur de ma mère et j’agite déjà par-derrière son patin.
Je vide le monde par la base.
FANTOCHE DE GUGUSSE.
Je suis le pantin de ma mère et j’agis sa vie à blanc, à blanc, à vide, à vie
et à son insu. Je rends le monde blanc. C’est à force de blancheur.
LA SIBYLLE.
La vie est pleine de choses.
FANTOCHE DE GUGUSSE.
J’veux pas aller dans la vie ! J’veux pas aller dans la vie à mon insu !
LA MACHINE À DIRE LA SUITE, surgissant.
« Ma vie n’est pas compressible ! » vient de s’esclaffer à chaudes larmes
la Crocodile en Chef de la région de l’Otanistan nouvellement partagé en
deux ethnies rivales, les Oussènes du Nord et leurs rebelles les Movars du
Sud, alliés aux dissidents Sangrio-Palanfieux, les uns pratiquant le rite ibitri,
et les autres restés fidèles à l’ancienne coutume protovagogyrote. Bernard
Loumel.
À Roanne, un enfant mort-né a porté plainte et été condamné à huit ans
de pénitence pour avoir voulu faire sexe avec la mère de celui-ci et ceci huit
fois : l’ensemble a été prédécoupé selon l’usage de la région.
Le sens des autoroutes Nord et Sud a été inversé une demi-heure dans
la nuit.
Valère Novarina, La Scène.
118
La Déreprésentation humaine
Le théâtre fête la Déreprésentation humaine, nous lave de toutes figures. L’acteur,
c’est un absenté qui s’avance, un homme défait, doué d’un manque et renoncé à
lui-même. Le théâtre est un lieu de retrait et de profond désengagement humain.
Un masque enlève le visage. Une face est inversée. Le théâtre est un art tranchant,
froid, sans vérité et sans témoignage. Il ne rend de comptes à personne, n’a rien à
défendre et rien à déplorer. Un lieu d’une absolue clarté coupante, d’une acidité
solaire. L’acteur, c’est l’homme moins l’homme. Un homme en moins. Le plus beau
de nos mythes n’est ni Faust ni Don Juan, mais le MYTHE DE PINOCCHIO. Nous
sommes des Pinocchio à l’envers : nous sommes en bois et nous avons à nous
défaire de nous – à nous défaire de l’homme et à redevenir masques. L’acteur
devant nous est un animal qui s’insoumet à l’image humaine.
Valère Novarina,
Devant la parole, P.O.L. Éditeur, Paris, 1999.
119
120
L’Homme hors de lui
Valère Novarina : réponses à six questions de Didier Plassard
Didier Plassard - La marionnette naît souvent dans l’enfance : d’un petit théâtre
avec lequel on a joué, d’un spectacle qu’on a vu. Quelle a été pour vous la
première marionnette ?
Valère Novarina - Gugusse de la «Loterie Pierrot », un minuscule militaire à
grosse tête qui chantait « L’ami Bidasse et des airs de Bourvil. Je l’ai vu toutes les
années, à Thonon, pendant la foire de Crête, chaque premier jeudi de septembre,
du début des années 50 à 1999, avec sa sœur, vêtue d’un frac et qui lançait la
roue.
- Que peut la marionnette que ne pourrait l’acteur ?
V. N. - S’effondrer et renaître dans un instant, tomber plus vite qu’une pierre, se
redresser hors pesanteur, se mouvoir dans un espace et un temps discontinus,
nous démontrer visuellement que tout est saut dans la nature, passage brutal d’un
monde à l’autre, paradoxe …
Saltation, pratique du saut, saut et salut, saut du temps, grand trouble dans
l’espace : la marionnette renverse tout : elle met l’homme bas.
- La marionnette est-elle une chose qui fait l’homme ? Ou bien est-elle un portrait
de l’homme en chose ?
V. N. - L’homme en chose, offert comme une chose, un présent. Un projectile qui
surgit. Et aussi quelque chose de jetable.
- Dans le théâtre de marionnette traditionnel, préférez-vous la poupée à gaine, qui
est agie par en dessous, à la marionnette à fil ou à tringle, manipulée par audessus ?
V. N. - J’avoue avoir horreur de tout ce vocabulaire de la marionnette : gaine,
tringle, fil, marionnette, manipuler… Utilisons plutôt le vocabulaire de Jarry : le
théâtre des Pantins – ou bien, comme les Allemands, parlons d’un Théâtre de
121
Figures. On peut aussi appeler les marionnettes des fétiches, des hommes faits de
main d’homme.
Ce théâtre-là serait alors un lieu où, dans la mêlée des fétiches, par leur lutte et par
leur chute en catastrophe, on irait voir l’idole humaine se défaire. Un lieu
d’insoumission à l’image humaine. Les pantins nous disent à la fin : « Allez
annoncer partout que l’homme n’a pas encore été capturé ! »
- La marionnette électronique du Théâtre des oreilles a votre visage. Les pantins de
La Chair de l’homme et de L’Origine rouge ont la tête des acteurs. Quel doit être le
visage de la marionnette ? La marionnette est-elle nécessairement un double ?
V. N. - Ce qui est beau dans la marionnette, c’est la sortie de l’homme. Mais ça,
l’acteur bien dédoublé (comme il y a le clavecin bien tempéré) peut le faire aussi.
L’acteur, au sommet de son art, est une marionnette, il est à la fois le tigre et le
dompteur – on disait ça de Mounet-Sully… Aujourd’hui Dominique Pinon devient
sous nos yeux une effigie en bois de Dominique Pinon ; Znyk offre le corps de
Znyk ; Agnès Sourdillon est mue par les fils qu’elle tient. L’acteur n’est pas
quelqu’un qui s’exprime, mais un dédoublé, un séparé, un qui assiste à lui, un
spectateur de son corps. Un homme qui va hors d’homme. Au théâtre, c’est
toujours la sortie du corps humain que l’on vient voir. On vient pour l’offrande du
corps : corps porté, corps offert, parole portée devant soi. Il y a dans le pantin et
dans l’acteur véritable, l’offrande d’un homme. L’homme hors de lui. Tout théâtre,
en petit ou en grand, en castelet ou à Bayreuth, dans Shakespeare ou dans
Gugusse, tend vers ce sacrifice, ce don de la figure humaine.
- L’équilibre, le rythme, la pulsion. Quel est pour vous, parmi ces trois mots celui qui
définit le mieux la marionnette ?
V. N. - Le rythme, le travail du temps, la chute instantanée.
in Alternatives théâtrales No 72, avril 2002.
122
Carnet Iconographique
123
124
Sommaire
─
Valère Novarina, peinture pour Le Drame de la vie,
photographie François Lagarde.
─
Gravures tirées de la Bible de Cologne de 1478 et du
Mirouer de la Rédemption, Lyon, 1478, extraites de Pierre Gusman,
La Gravure sur bois et d’épargne sur métal du XIVè au XXè siècle,
Firmin-Didot et Cie, Paris, 1916.
─
Hystérique de Charcot, photographie reproduite dans
Libération*.
─
Portrait de Lulu Bron, photographie reproduite dans Le
Dauphiné libéré*.
─
Dans la forêt*.
─
Louis Soutter, Le Culte et Une parodie terminatoire (1935-
1942), tirées de Si le soleil me revenait, Éditions Adam Biro/Centre
culturel suisse, Paris, 1997.
─
Machinistes de la Comédie-Française*.
─
Piste de cirque*.
─
Dessins tirés des Cours de linguistique générale de
Ferdinand de Saussure, Éditions Payot, paris, 1972.
─
Valère
Novarina,
« Bertolt
Brecht
revu
par
Isidore
Ducasse », in Lautréamont : retour au texte, Éditions de la Licorne,
Université de Poitiers, 2001.
─
Thérèse Joly, Le Feu, photographie tirée de Le Feu,
Éditions Comp’Act, Seyssel-sur-Rhône, 1994.
* : Photographies prêtées par Valère Novarina.
125
Annexes
126
Valère Novarina
Né dans les Alpes, le 4 mai 1947.
Éditions P.O.L, Paris
Le Drame de la vie, 1984.
Le Discours aux animaux, 1987.
Vous qui habitez le temps, 1989.
Le Théâtre des paroles, 1989.
Pendant la matière, 1991.
Je suis, 1991.
L’Espace furieux, 1993.
La Chair de l’Homme, 1995.
L’Opérette imaginaire, 1998.
Devant la parole, 1999.
L’Origine rouge, 2000.
L’Équilibre de la croix, 2003.
La Scène, 2003.
Éditions Gallimard, coll. « Poésie », Paris
Le Drame de la vie, 2003.
Mises en scène de ses textes
Le Drame de la vie, créé au Festival d’Avignon, repris dans le cadre du Festival
d’Automne à Paris en 1986.
Vous qui habitez le temps, créé au Festival d’Avignon, repris dans le cadre du
Festival d’Automne en 1989.
Je suis, créé au Théâtre de la Bastille à Paris, repris dans le cadre du Festival
d’Automne en 1991.
La Chair de l’homme, créé en juillet 1995 au Festival d’Avignon.
Le Jardin de reconnaissance, créé en mars 1997 au Théâtre de l’Athénée à Paris.
L’Origine rouge, créé en juillet 2000 au Festival d’Avignon, repris au Théâtre
National de la Colline en octobre 2000.
La Scène, sera créé le 30 septembre 2003 au Théâtre Vidy-Lausanne, repris au
Théâtre National de la Colline en novembre 2003.
127
Il a peint de grandes toiles pour chacun de ces spectacles et dessiné les 2587
personnages du Drame de la vie.
Pour
une
bibliographie
complète,
on
pourra
consulter
le
site
Internet :
www.novarina.com, ainsi que Valère Novarina. Théâtres du verbe, sous la direction
d’Alain Berset, Éditions José Corti, Paris, 2001 et Valère Novarina, revue Europe,
n° 880-881, août-septembre 2002.
128
Michel Baudinat
Au théâtre, il travaille avec Michel Berto, Ram Goffer, Michel Hermon, Jacques
Robnar, Christian Remer, Albert Delpy, Jean Gillibert, Jacques Falguières, Henri
Ronse, Fabienne del Rez, Yvon Davis, Arrabal, Frédéric Reverend, Paule Annen,
Bernard Levy et Claude Buchvald, dans des pièces de Leinau, Ibsen, Strindberg,
Copi, Witkiewicz, Goethe, Corneille, Musset, R. Rousel, Bontzolakis, Beckett,
Bantze, C. Hein, Arrabal, Lenz, Enquist, W.B. Yeats .
Au cours de son parcours, il rencontre et travaille également avec Jean-Marie
Patte, Bernard Sobel, Didier Bezace, Jacques Nichet, Stuart Seide et Nicolas
Struve.
De Valère Novarina, il joue Je suis, Le Drame de la vie, Vous qui habitez le temps,
La Chair de l’homme (mises en scène de l’auteur), L’Opérette imaginaire, (mise en
scène Claude Buchvald). Il met en scène et interprète aussi Valère Novarina dans
L’Acteur fuyant autrui. Dernièrement, on l’a vu dans Tête d’or, mis en scène par
Claude Buchvald et dans La Sonate des spectres mis en scène par Daniel
Jeanneteau.
Céline Barricault
Captivée par la diversité de la littérature pour violoncelle, Céline Barricault accorde
un intérêt particulier aussi bien au répertoire ancien sur instruments d’époque qu’à
la musique contemporaine. Elle est diplômée du Conservatoire National de Région
de Nantes en violoncelle et en écriture, où elle pratique notamment l’improvisation
et de la Schola Cantorum de Paris où elle obtient le diplôme supérieur de virtuosité
de violoncelle. Elle poursuit actuellement sa formation en musique ancienne et
violoncelle baroque au Conservatoire Supérieur de Paris auprès de David Simpson.
Elle joue régulièrement au sein de formations telles que l’orchestre Léonard de
Vinci-Opéra de Rouen, l’Orchestre Lamoureux, l’Orchestre Colonne, mais aussi en
soliste. Elle aborde également le répertoire contemporain avec l’Ensemble 2e2m,
mais aussi la période baroque lors de concerts de musique de chambre ou avec
129
l’Académie Baroque Européenne d’Ambronay sous la direction de Rinaldo
Alessandrini.
Jean-Quentin Châtelain
Il a suivi sa formation de comédien au conservatoire d’Art Dramatique de Genève
en 1977, puis à l’École du Théâtre National de Strasbourg. Il joue dans Parfum de
fleur de James Saunders, mis en scène par Philippe Mentha à Genève ; en 1978,
Jean-Claude Hourdin le dirige dans Woyzeck de Büchner. Durant les années
quatre-vingt, il travaille notamment sous la direction de Bernard Bloch, Antoine et
Cléopâtre de Shakespeare ; André Engel, Lulu de Wedekind ; Bernard Sobel,
Philoctère de Heiner Müller ; Jean-Claude Fall, Still life de E. Mann ; Darius
Peyarmiras, Mars d’après Fritz Zorn et Fantasio de Musset …
Depuis le début des années quatre-vingt-dix, il a joué notamment dans : Les
Comédies barbares de Ramon del Valle Inclan, mise en scène Jorge Lavelli ; Henry
VI, mise en scène Stuart Seide ; La Terrible voix de Satan, mise en scène Claude
Régy ; L’Idiot, mise en scène Joël Jouanneau ; Le Jardin de reconnaissance de et
mise en scène Valère Novarina ; Macbeth, mise en scène Stuart Seide ; La
Tragédie de Coriolan, mise en scène Joël Jouanneau ; Médée, mise en scène
Jacques Lassalle ; Premier amour de Samuel Beckett, mise en scène J.-M. Meyer,
spectacle pour lequel il a reçu le prix du Syndicat de la Critique Théâtrale et
Musicale ; Des couteaux dans les poules, de D. Harrower, mise en scène Claude
Régy.
Pascal Omhovère
Comédien metteur en scène, sa première création est L’Écume des jours de Boris
Vian. Après quelques incursions dans le monde de l’opéra, il joue notamment avec
Louis Wilhelm, Paul Laurent, Bruno Bayen, Noël Casale, Xavier Marchand …
L’essentiel de sa formation se fait cependant avec Michaël Lonsdale avec qui il est
acteur et assistant de 1983 à 1990. Par la suite, il travaille principalement avec
Jean-Marie Patte. Depuis 1986 il travaille avec Valère Novarina en tant que
comédien ou assistant. Il accompagne la création du Drame de la vie puis est tour
à tour acteur et assistant pour Vous qui habitez le temps, Je suis, La Chair de
130
l’homme et Le Jardin de reconnaissance. Dramaturge sur L’Origine Rouge, il a luimême mis en scène Hippolyte de Robert Garnier au Théâtre d’Evreux en 2002.
Dominique Parent
De 1984 à 1989, il suit les formations de l’École d’Art Dramatique du Conservatoire
National de Lille et du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris.
Au théâtre, il joue sous la direction de nombreux metteurs en scène dont : Robert
Altman, Christian Riehl, Gérard Desarthe, Bernard Sobel, Jacques Nichet, Éric
Vigner, Danie Mesguich, Olivier Py, Jacques Falguières, Christian Caro, Christian
Peythieu…
Il interprète les textes de Valère Novarina sous la direction de Claude Buchvald (Le
Repas et La Chair de l’homme), et Valère Novarina (Vous qui habitez le temps,
L’Origine rouge). Avec Claude Buchvald, il joue également dans Tête d’or.
Il joue au cinéma et à la télévision dans les réalisations de Richard Dembo, Denis
Podalydes, Marcel Bluwal, William Leroux, Emmanuel Descombes, Pierre Gaffier,
Éric Rohmer et dernièrement dans Le Mystère de la chambre jaune de Bruno
Podalydes.
Dominique Pinon
Il débute au cinéma avec Jean-Jacques Beineix (Diva, La Lune dans le caniveau)
et Daniel Vigne (Le Retour de Martin Guerre). Il tourne ensuite notamment avec
Roman Polanski (Frantic), Robert Enrico (La Révolution française), Caro et Jeunet
(Delicatessen, La Cité des enfants perdus), Jean-Pierre Jeunet (Alien la
résurrection, Le fabuleux destin d’Amélie Poulain), Hervé Hadmar (Comme un
poisson hors de l’eau), Patrick Timsit (Quasimodo), Francis Palluau (Bienvenue
chez les Rozes), Mary Mc Guckian (The Bridge of San Luis Rey), Arthur Joffé (Ne
quittez pas)….
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Au théâtre, il joue notamment sous la direction de Gildas Bourdet (Station service,
L’inconvenant, L’Été, La Mort d’Auguste, Le Malade imaginaire) ; Jorge Lavelli
(Maison d’arrêt, Mein Kampf, Six personnages en quête d’auteur, L’Ombre de
Venceslao), Michel Raskine (2001 Barbe bleue) ; Mohamed Rouhabi (Providence
café). De Valère Novarina, il a joué Pour Louis de Funès (mise en scène Renaud
Cojo) et L’Origine rouge.
Claire-Monique Scherer
Elle reçoit une formation classique et de danse contemporaine et suit des stages
dirigés par Lyz Schlegel. Après une licence en arts du spectacle à Paris 8, elle suit
l’école de théâtre du Samovar et participe à de nombreux stages de danse à la
Ménagerie de verre et aux Hivernales d’Avignon.
Elle joue notamment dans le chœur de L’Opérette imaginaire et dans Le Babil des
classes dangereuses-Acte III de Valère Novarina, et dans Sœur Béatrice (extraits)
de Maurice Maeterlinck.
Agnès Sourdillon
Élève d’Antoine Vitez (Théâtre National de Chaillot puis Odéon).
Elle joue au théâtre sous la direction de Christian Colin (Sombre printemps de
Unika Zürn, Le Misanthrope de Molière), Stéphane Braunschweig (Woyzeck de
Anton Büchner, Tambours dans la nuit de Bertolt Brecht, Dom Juan revient de
guerre de Ödon von Horváth, Ajax de Sophocle, La Cerisaie de Tchekhov), Bernard
Sobel (Le Roi Lear de Shakespeare), Alain Milianti (Le Legs et l’épreuve de
Marivaux, Bingo d’Edward Bond), Philippe Lanton (La Mort de Danton de Anton
Büchner), Nicolas Struve (Une aventure de M. Tsetaeva), Alain Ollivier (La Révolte
de Villiers de l’Isle Adam), Lisa Wurkser (Le Maître et Marguerite de Boulgakov).
Elle est Agnès dans L’École des femmes créé à la Cour d’Honneur du Palais des
Papes par Didier Bezace. Elle joue dans Phèdre mis en scène par Patrice Chéreau.
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Elle fonde avec François Wastiaux et Yves Pagès la Compagnie Valsez-Cassis,
elle y joue Les Gauchers, les Parapazzi de Yves Pagès, Hamlet, La Ronde des
Vauriens …
Elle joue dans les créations de La Chair de l’homme, Le Jardin de reconnaissance
et L’Origine rouge de Valère Novarina, mis en scène par l’auteur. Elle lit avec lui
Madame Guyon.
Au cinéma, elle a tourné avec Jean-Luc Godard, Jacques Rivette …
Leopold von Verschuer
Né en 1961 à Bruxelles de parents allemands, il débute comme acteur en 1982 à
Berlin. De 1986 à 1993, il est membre comédien du Theater An Der Ruhr de
Roberto Giuilli. Depuis, il a travaillé à Cologne, Lisbonne, Basle, Berlin, Avignon,
Paris et Vienne en tant qu’acteur, metteur en scène et traducteur. Après sa
rencontre avec Valère Novarina, il joue dans ses spectacles Le Cirque contrarié, La
Chair de l’homme, L’Origine rouge. Il met également en scène en allemand
L’Opérette imaginaire, il obtient pour ses traductions de textes de Valère Novarina
(Lettres aux acteurs, Pour Louis de Funès, L’Opérette imaginaire), il est lauréat du
programme Transfert théâtral 2000 et obtient le prix de la traduction Bremer
Ubersetzerpreis en 2001. Il a également traduit L’Origine rouge.
Sa compagnie Théâtre Impossible a obtenu en Allemagne le prix Theaterzwang en
1999 et en 2001.
Laurence Vielle
Elle vit à Bruxelles où elle travaille notamment avec Hélène Gailly, Michaël
Delaunoy, Pietro Pizzuti, Valérie Cordy, Philippe Sireuil, Isabelle Pousseur.
Elle écrit également de nombreux textes pour le théâtre et met en scène Le Marin
de Fernando Pessoa, La Femme de Gilles de Madeleine Bourhouxe, (avec Lu
Fonteyn), L’incroyable histoire du grand gelbe, Contes à rebours de Laurence
Vielle. Elle joue dans plusieurs films dont Tous à table et Des heures sans sommeil
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d’Ursula Meier pour lequel elle reçoit le prix de la première œuvre en communauté
française de Belgique pour Zébuth ou l’histoire ceinte, récit.
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Dossier pédagogique conçu par Julien Fišera
En collaboration avec Laure Hémain
Réalisé par Christel Gassie
Remerciements à Valere Novarina
et Céline Hersant
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