La santé publique et les formations d`infirmières et cadres de santé

Santé publique 2004, volume 16, no2, pp. 373-382
PRATIQUES
La santé publique
et les formations d’infirmières
et cadres de santé
Public health and training for nurses
and senior level management
G. Gérauld-Pointel (1)
Tiré à part : G. Gérauld-Pointel Réception : 12/01/2004 - Acceptation : 29/04/2004
(1) Directrice de l’Institut de Formation des Cadres de Santé (IFCS), CHU de Nancy – 54500
Vandœuvre-lès-Nancy.
Résumé : L’enseignement de la santé publique s’est développé progressivement dans
les formations infirmière et cadre, en lien avec l’évolution de ces professions et les
besoins de la population, pour occuper aujourd’hui une place identifiable dans les
programmes .
Sa dynamique est liée aux projets pédagogiques des instituts. Mais si les formations
s’efforcent de développer avec pertinence cette dimension comme partie intégrante
des fonctions des soignants, la santé publique ,dans l’exercice professionnel, reste
dépendante des objectifs institutionnels et des orientations économiques et
politiques.
Summary : The teaching of public health has progressively developed within the area
of nursing and senior management training, in line with the development of these
professions and the population's needs, in order to hold an identifiable place in today's
programmes. Its dynamic is closely linked to the educational projects of various
institutes. But if training is strengthened to develop this pertinent and significant
dimension as an integral part of care providers' functions, then public health as a
professional practice remains dependant upon institutional objectives and political and
economic trends.
Mots clés : concept santé - prise en charge holistique - évolution pédagogique - compor-
tements professionnels - enjeux.
Key words: health concept - holistic care - educational development Professional behaviour -
the stakes.
G. GÉRAULD-POINTEL
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«Découverte de l’être humain dans
son environnement […] influence de
l’environnement sur l’individu […] res-
taurer la santé d’une personne ou d’un
groupe social […] approche interdisci-
plinaire »… tels sont les termes retrou-
vés à plusieurs reprises dans les
objectifs introductifs des programmes
de formation infirmiers et cadres
depuis les années 1970. Peu à peu,
les concepts sous-jacents à ces
objectifs ont été intégrés dans les for-
mations laissant la place à une réelle
formation en la matière.
Quelle place, quel enrichissement
pouvons-nous observer dans la pra-
tique professionnelle ? Ce questionne-
ment est à confronter à l’évolution de
l’exercice professionnel, aux textes
qui le régissent, et aux évolutions des
besoins : des patients, de la popula-
tion, des établissements de santé, des
politiques de santé. Ces éléments et
l’analyse des textes relatifs aux pro-
grammes de formation clarifient la
reconnaissance progressive de la
santé publique dans les formations.
Comment les écoles ou instituts
ont-ils décliné ces objectifs dans leurs
projets pédagogiques respectifs ?
Nous nous appuierons sur l’exemple
d’un institut de formation en soins
infirmiers (IFSI) et un IFCS dont nous
avons successivement assuré la
direction. Nous nous interrogerons sur
l’impact de ces formations sur les étu-
diants, sur leurs pratiques profession-
nelles et les enjeux perceptibles dans
le contexte sanitaire actuel. Nous ana-
lyserons respectivement la formation
infirmière puis la formation cadre.
L’exercice professionnel
infirmier
L’approche de la santé dans la for-
mation est à considérer en regard de
la conception des soins. Dans les
années 1970-1980 les infirmières réa-
lisent des soins techniques requis par
le développement des techniques
médicales évoluant peu à peu vers
une conception globale de la per-
sonne soignée. Celle-ci demande,
certes, à être soignée de sa maladie,
mais tout en recouvrant par ailleurs un
bien être total dans son mode de vie et
son environnement.
Les rencontres professionnelles,
l’OMS, les recommandations interna-
tionales, les différentes théories rela-
tives à la conception des soins (anglo-
saxonnes notamment) ont favorisé ce
retour au sens du soin. Pour la profes-
sion infirmière, les accords européens
signés à Strasbourg le 25 Octobre
1967 ont participé à cette évolution en
précisant que l’infirmière : « observe
les situations ou conditions physiques
et affectives qui exercent un effet
important sur la santé dispense des
soins infirmiers […] compte tenu des
besoins physiques, spirituels du
malade en milieu hospitalier, au foyer ;
à l’école, au lieu de travail ».
En 1973 : le Comité International
des Infirmiers à Mexico a déterminé
4 axes d’exercice infirmier :
1. promouvoir la santé,
2. prévenir la maladie,
3. restaurer la santé,
4. soulager les souffrances.
En France, la loi du 31 mai 1978,
remplace la loi de 1946 et définit la
profession d’infirmière en stipulant :
«l’infirmier ou l’infirmière participe à
différentes actions, notamment en
matière de prévention, d’éducation de
la santé, de formation ou d’encadre-
ment ». Le décret d’actes profession-
nels précise dans l’article 1 la partici-
pation de l’infirmière à des actions de
prévention : « l’exercice de la profes-
sion d’infirmier comporte l’analyse,
LA SANTÉ PUBLIQUE ET LES FORMATIONS D’INFIRMIÈRES
ET CADRES DE SANTÉ
l’organisation, la réalisation de soins
infirmiers (…) la contribution au recueil
de données cliniques et épidémiolo-
giques et la participation à des actions
de prévention, de dépistage, de for-
mation et d’éducation à la santé ».
Actuellement cette vision holistique de
la personne se trouve renforcée dans
le décret du 4 Mars 2002 relatif aux
droits des patients en permettant à
ceux-ci d’être reconnus acteurs de
leur santé.
Cette approche qui ne considère
plus uniquement la maladie a été
déterminante pour intégrer le concept
de santé dans la formation : être en
santé ne signifiait plus ne plus avoir de
maladie mais avoir les moyens de
vivre en équilibre avec un handicap,
une maladie chronique, en s’appuyant
sur ses ressources personnelles et
environnementales. « il convient de ne
pas aborder la personne soignée uni-
quement comme un être de besoins
car ses ressources sont là et leur
mobilisation constitue un levier de
changement puissant dans l’aide
apportée au déploiement de la santé ».
Il s’agit de répondre aux besoins de
santé en prenant en compte les com-
posantes de l’être humain (biologique,
psycho social, spirituel) dans un envi-
ronnement donné. (La prise en charge
des patients atteints du sida a bien
démontré la nécessité de cette
approche que ce soit dans le domaine
curatif ou dans le domaine préventif). Il
a été indispensable alors de connaître
le mode de vie, la culture, l’environne-
ment des personnes pour apporter les
réponses appropriées.
Ainsi, l’infirmier réalise selon son
secteur d’activité, des soins tech-
niques, des soins relationnels, des
démarches préventives et éducatives
en tenant compte de la spécificité de
chaque personne ou groupe. Pour ce
faire, il est nécessaire de rester en
veille par rapport aux orientations
nationales en matière de santé
publique ainsi qu’aux plans régionaux
de santé (PRS). Cette approche
humaniste nécessite des change-
ments individuels de comportements
importants pour les professionnels
d’autant plus que les conditions
d’exercice ne sont pas optimales pour
la réaliser.
La santé publique dans
la formation des infirmières
Depuis septembre 1992 (Tableau I -
programme 4) [1], la santé publique
dispose d’un module à part entière, il
s’agit d’un module transverse, c’est-
à-dire qu’il est réparti sur les 3 années
de formation ; de plus des évaluations
cliniques peuvent être organisées au
cours des 3 ans portant sur la présen-
tation de démarche de santé publique
et des actions de santé ; Il faut préci-
ser que cette évaluation n’est pas obli-
gatoire en santé publique mais pos-
sible en fonction des objectifs de
l’institut. Ce programme est toujours
en vigueur à ce jour.
Pour illustrer la mise en œuvre de
l’enseignement de la santé publique
en formation infirmière, nous considé-
rerons un IFSI qui a évolué d’une
capacité de 55 élèves en 1978, date
de son ouverture à 65 étudiants pen-
dant la période que nous décrirons.
Rappelons que chaque IFSI établit un
projet pédagogique qui détermine les
orientations majeures de la formation
dans lesquelles le programme va
s’inscrire. Nous présenterons les
expériences poursuivies en 2 phases :
soit de 1978 à 1992 et après 1992.
1re phase
Dès l’ouverture de l’école en 1978
(Tableau I - programme 2) [2] confor-
mément aux options de l’école, en
collaboration avec un professeur de
santé publique, nous avons abordé
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G. GÉRAULD-POINTEL
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Programme année Durées Objectifs Contenus Nb heures Stage Évaluation
(2) Décret du 28 mois Etude de l’homme dans son contexte La santé, influence 20 h néant néant
05.09.72 habituel de vie de l’environnement
Infirmière : éducatrice de santé Santé et habitat,
Epidémiologie.. ; 18 h
les grandes
endémies
(3) Décret du 33 mois Identifier les besoins de santé des personnes Concept santé 100 h Non néant
12.04.79 et des groupes Les milieux de vie précisé
Collaborer avec autres professionnels Habitat
Contribuer au maintien ou à la restauration Travail
de la santé Alimentation
Etat sanitaire
de la France
Notions groupes
(4) Décret du 37 mois • Répondre aux besoins de santé d’un Module spécifique 80 h 2 stages Evaluation écrite +
23.03.92 individu ou d’un groupe dans le domaine de Evaluation clinique :
préventif, curatif, de réadaptation 3 semaines démarche de santé
ou de réhabilitation pub.
Planifier les soins infirmiers…notamment
en matière de prévention et d’éducation
pour la santé individuelle et collective
• Dans chaque module : épidémiologie, Non
prévention, éducation….. déterminé
Tableau I : La formation infirmière de 1972 à ce jour.
LA SANTÉ PUBLIQUE ET LES FORMATIONS D’INFIRMIÈRES
ET CADRES DE SANTÉ
l’enseignement par un travail sur
l’étude de l’homme dans son milieu en
privilégiant l’axe santé communau-
taire.
Les autres orientations de l’école
sont :
le travail en collaboration continue
avec l’école de Santé Publique de la
faculté de Médecine de Nancy 1 ;
la mise en situations des étu-
diants par des stages et enquêtes ;
l’utilisation de tous les outils et
méthodes dynamiques de restitution ;
le travail en groupes ;
la participation des partenaires
des lieux d’accueil de stagiaires.
Compte tenu du temps limité
(Tableau I - programme 2) [2], nous
avons retenu l’objectif suivant : déter-
miner les besoins de santé des per-
sonnes à différents âges de la vie et
dans des catégories socio profession-
nelles différentes.
Des enquêtes portent sur l’étude
des besoins des personnes et les
moyens mis en œuvre pour répondre :
structures, professionnels…
La restitution est orale avec des
supports : panneaux, moyens audiovi-
suels… Le débat centré sur la ques-
tion suivante : les structures répon-
dent-elles aux besoins ?
Ces travaux sont complétés par des
notions d’épidémiologie, des visites
dans des institutions sanitaires et
sociales.
À partir de 1980, l’allongement de la
formation (Tableau I - programme 3)
[3] nous permet de conforter nos
objectifs.
Méthodologie
Les objectifs sont de découvrir l’in-
fluence de l’environnement sur le
développement de l’être humain et
déterminer les moyens de promouvoir
la santé.
Après des enseignements sur les
concepts de santé, sur la sociologie
de la santé, sur les méthodes d’obser-
vation, un stage de 8 jours est orga-
nisé. Il s’intitule : « stage de santé com-
munautaire ».
Pendant cette période, les étudiants
se rendent en petits groupes dans des
quartiers de Nancy ou de la banlieue.
Ils élaborent un diagnostic de santé
communautaire : les étudiants rencon-
trent la population, les structures, les
professionnels de santé. La restitution
se fait par groupe à l’école, en utilisant
toute forme originale permettant de
dynamiser la présentation du travail.
Les étudiants s’approprient en
général la démarche et découvrent
quelquefois des problèmes méconnus
dans la commune. Il est clair que tous
ces travaux sont menés en accord
avec les mairies concernées.
Pour l’institut, cette démarche de
santé s’inscrit dans une orientation du
projet pédagogique : l’objectif est de
faire des liens entre cette démarche
de santé individuelle et collective et la
démarche de soins mise en œuvre
auprès des patients hospitalisés. En
effet dans leur rencontre avec les per-
sonnes, les étudiants comprennent
l’importance d’être à l’écoute de la
population avant de mettre en œuvre
une action de santé. Ils s’approprient
ainsi le sens de la démarche de soins
individuelle qui est centrée sur le
patient. Elle nécessite d’apprendre à
l’écouter, ne pas penser à sa place, et
à s’interroger : que veut-il ? Que dit-il
de sa maladie ? De ses désirs ? Il
s’agit alors pour l’infirmière de ne pas
imposer des conseils mais de tenir
compte du mode de vie du patient, de
ses possibilités... ; ce « transfert », ce
lien nous a paru indispensable et per-
tinent pour valoriser ces travaux et ces
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