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Collin, 1994.
NOTES
1. Ce texte a fait l’objet d’une publication sous
une forme différente et plus développée dans
la revue «Éducation Permanente » (17
avril 1997).
2. La référence à M. Serres est à la fois liée à la
réflexion qu’il développe sous la figure
emblématique du dieu grec Hermès -Cf La
communication (HermesI) 1968, L’interférence
(Hermes II) 1972, La traduction (Hermes III)
1974, La distribution (HermesIV) 1977, Le pas-
sage du Nord-Ouest (Hermes V) 1980, mais
aussi et plus généralement à la posture épis-
témologique qu’il ne cesse de défendre au
travers de ses publications depuis trente ans.
3. Le tiers expert, le tiers arbitre, le tiers média-
teur, le tiers-acquéreur ou détenteur, le tiers-
instruit (M. Serres), le tiers exclu (Aristote),
le tiers crieur (Montaigne), le Tiers Livre
(Rabelais), le tiers dont on médit comme du
quart (Molière), le Tiers État, le Tiers-Monde
(Sauvy), le tiers est à la fois objet/chose et
sujet/personne ; synonyme de ce qui fait lien
et de ce qui fractionne, de ce que l’on exclut
ou de ce qui, au contraire, est inclus, au
centre. L’instance tierce semble mobilisée
pour signifier tout et son contraire.
4. Fils de Zeus et de Maïa, assimilé à la divinité
égyptienne Thot, secrétaire d’Osiris et donc
inventeur de l’écriture, devenu Mercure chez
les romains et dieu des commerçants et des
voyageurs, Hermes est un dieu aux attribu-
tions multiples chez les grecs. Guide des
voyageurs, il est aussi psychopompe
(conducteur de l’âme des morts), dieu du vol
et du mensonge, patron des orateurs et des
commerçants, inventeur des poids et
mesures, des premiers instruments musi-
caux ,il est aussi le dieu des bergers et de la
santé ; au final il se trouve être la personni-
fication de l’habileté et de la ruse.
5. L’objectif du sociologue tiers dans sa
confrontation avec la souffrance est a mi-
chemin entre le désir naïf de faire reculer le
mal et celui d’administrer un remède qui
serait plus violent encore que le mal lui
même comme l’explicite si bien
C. Rosset(1988) « Je proposerais quant à moi
de distinguer entre deux sortes de philo-
sophes : l’espèce des philosophes guéris-
seurs et celle des philosophes médecins. Les
premiers sont compatissants et inefficaces,
les seconds sont efficaces et impitoyables.
Les premiers n’ont rien de solide à opposer
à l’angoisse humaine mais dispose d’une
gamme de faux remèdes pouvant endormir
celle-ci plus ou moins longtemps, capables
non de guérir l’homme mais suffisants,
dirais-je, à le faire vivoter. Les seconds dis-
posant du véritable remède et du seul vaccin
(je veux dire l’administration de la vérité) ;
mais celui-ci est d’une telle force que, s’il
réconforte à l’occasion les natures saines, il
a pour principal effet de faire périr sur le
champ les natures faibles (p 31- 32). Entre le
guérisseur et le médecin ainsi définis il y a
une place pour le clinicien. C’est cette fonc-
tion que peut remplir le sociologue tiers.
6. Des auteurs comme L. Boltanski, L. Thévenot
ou encore B. Latour et M. Callon développent
ces thèses. P. Ricoeur à sa façon, condam-
nant la comparaison des étalons d’excel-
lence partage le même point de vue.
7. Cette tendance de la philosophie pragma-
tique ne se confond pas en effet avec celle
que représente H. Putnam (199O) par
exemple.
8. Ainsi entre les positions de C.S. Peirce et
celles de W. James, l’écart peut être tout aussi
radical que celui qui existe aujourd’hui entre
les thèses de H. Putnam (1990) et celles de
R. Rorty (1990), tous deux actuels et princi-
paux héritiers du pragmatisme américain.
9. Les anti-essentialistes aiment à demander
avec L. Wittgenstein (dont une partie de
l’oeuvre et plus précisément ses recherches phi-
losophiques peut être classée comme pragma-
tique) si « un échiquier est en réalité une
chose ou soixante quatre choses »
10. Le parallèle peut-être ici établit sans diffi-
culté avec les propositions de M. Serres se
défiant de la science et de ses élans « impé-
rialistes », « doctrinaires » qui en font un
outil de pouvoir.
11. Le rejet de ces universaux se trouvent expri-
més dans de nombreux passages de l’oeuvre
de R. Rorty « La notion de « droits de l’huma-
nité inaliénables », du point de vue pragma-
tiste est une formule qui n’est ni plus ni
moins bonne que celle « d’obeissance à la
volonté de Dieu » (1995 p.120) « Il faut recon-
naître la contingence de ses croyances et
désirs centraux...qui n’échappent ni au
temps ni au hasard », « Il n’y a pas de fonde-
ment théorique non circulaire (par exemple)
à la conviction que la cruauté est chose hor-
rible » (R. Rorty 1989, p 16)
12. Nous ne pouvons développer ici la réfutation
pragmatiste de l’idée selon laquelle cette
philosophie serait relativiste citons simple-
ment R. Rorty « Le pragmatiste n’a pas
d’épistémologie « du tout », on ne voit donc
pas qu’il puisse être relativiste » (R. Rorty in
John Rajchman et Cornel West 1991).
13. Nous sommes ici très proche des thèses de
L. Boltanski et L. Thévenot (1987) sur l’exi-
gence de compromis et sur la possibilité sys-
tématique de les frayer dès lors que les par-
ties en présence s’accordent la « commune
dignité humaine ».
14. Parler aux autres, les écouter, mesurer la
conséquence de ses actes sur les autres,
voilà quelques unes des vertus régissant
l’espace de la conversation socratique.
15. Face à de telles propositions on peut légiti-
ment s’interroger : qu’en est-il du projet de
connaître ? On peut aisément imaginer le
sociologue attaché à produire du savoir
s’offusquant de telles propositions ; le prag-
matisme philosophique ne tue-t-il pas tout
effort de connaissance. Le pragmatiste
rejette cette critique suggérant qu’il faut défi-
nitivement rompre avec la distinction
grecque entre contemplation et action deve-
nue une opposition entre l’ordre de la cogni-
tion et l’ordre de l’action.
16. Ces différentes références ont pour objectif
de souligner, comme le mentionne F. Dosse
(1996) le véritable tournant pragmatique qui
s’opère dans les sciences sociales.
17. Notons au passage que les philosophes
pragmatiques tels que W. James ou J. Dewey
furent à l’origine de l’invention de la psycho-
logie moderne(cf G. Paicheler 1992)
18. Sur ce point, que nous ne pouvons dévelop-
per ici, voir notamment P. Watier (1996) et
notamment sa référence à double herméneu-
tique de A. Giddens( 1994).
177
«HERMèS» OU LA FIGURE DU TIERS
ou la connaissance sur la science
9
(aussi
bien les sciences de la nature que les
sciences humaines), agir dans le respect de
l’épistémologie n’a, selon eux guère, de
sens ; en tous les cas, pas plus que de vou-
loir faire reposer son action sur l’éthique :
«l’éthique n’est pas plus relative ou plus
subjective que la théorie scientifique, elle
n’a nul besoin qu’on la rende scientifique.
En physique on essaie de se débrouiller avec
certains morceaux d’univers, en éthique
avec d’autres » (R. Rorty in J. Rajchman et
C. West, 1991). L’anti-fondationalisme,
l’anti-objectivisme des pragmatistes n’est
évidemment pas un refus de l’activité scien-
tifique en elle même ; plus simplement ont-
ils le souci de la repositionner comme une
activité parmi d’autres « Il n’y a rien de faux
dans la science, il n’y a de faux que de vou-
loir la diviniser comme le fait la philosophie
réaliste » (idem p. 81)
10
.
R. Rorty est incontestablement le plus
radical des pragmatistes contemporains.
C’est lui qui, le plus nettement, prolonge
l’anti-essentialisme évoqué par un ethno-
centrisme revendiqué.
UN ETHNOCENTRISME
REVENDIQUÉ
Avec une verve provocatrice qui tire souvent
sa philosophie vers le pamphlet -mélange des
genres que M. Serres ne condamnerait pas-,
R. Rorty (1995) propose de substituer l’espoir
au savoir (l’espoir au lieu du savoir) et de faire de
la philosophie un instrument de changement
plutôt que de conservation (d’autres que lui
l’avait dit bien avant). Changer certes, mais
pour quoi, pour qui ? Comment concilier un
tel appel avec le refus pragmatique de tout
essentialisme, de toute forme d’universaux
11
,
conjugués, de surcroît, avec d’importants
accents relativistes
12
? La réponse de R. Rorty
est ici sans ambiguïté, la réflexion pragma-
tique autour du changement social est néces-
sairement guidée par un ethnocentrisme
assumé, revendiqué et quasi militant (au
diable les mises en garde de Race et Histoire).
Cet ethnocentrisme se décline sur un fond
romantique mais il n’en reste pas moins
acceptable dans son projet central : « minimi-
ser les petites choses particulières qui nous
séparent » (idem p. 125). «...coudre ces
groupes ensemble (noirs et blancs en Ala-
bama, chrétiens et musulmans en Bosnie...)
avec mille petits points, ...invoquer les mille
petits traits communs qu’ont leurs mem-
bres..., en spécifier un seul d’importance, leur
commune humanité »
13
(idem p. 126). Créer
en tous lieux les conditions de la conversation
socratique
14
, valoriser les procédures démo-
cratiques du groupe d’appartenance, tel est le
projet pragmatique. Cet ethnocentrisme,
marqué par la recherche de la solidarité,
incline le pragmatisme philosophique du côté
de l’éthique et non de l’épistémologie ; le
pragmatiste est « partisan de la solidarité, sa
manière de légitimer la valeur de l’investiga-
tion humaine menée de façon coopérative
s’appuie sur l’éthique et non sur l’épistémo-
logie ou la métaphysique » (in Rachmann et
West, p. 66)
15
. Le sociologue tiers peut
reprendre à son compte, sans trahir M. Serres,
ce type de propositions.
RÉHABILITER LA
DOXA
Dernière grande caractéristique de l’option
pragmatiste la réhabilitation de ce que l’on
appellerait aujourd’hui en référence à G.
Simmel et A. Schutz, le savoir des agents, avec
A. Giddens la réflexivité des acteurs, en appui
sur les travaux de L. Boltanski et L. Thévenot
la compétences des personnes, ou bien avec
P. Ricoeur la doxa en lieu et place de l’epistémè
16.
Ce savoir là, J. Dewey quant à lui le nommait
«le savoir de la rue » insistant pour qu’on ne
l’abandonnât point « au philosophe ou au
savant ». Ce précurseur du pragmatisme déve-
loppait l’idée de « l’enquête continue » au sein
de son «école laboratoire » de Chicago. Ce
principe de l’enquête continue avait pour fina-
lité de ne pas laisser la recherche entre des
mains ou dans des univers trop étroitement
scientifique et de respecter le plus possible
l’individu ; être en proximité avec lui (de ce
qu’il est, de ce qu’il dit, de ce qu’il éprouve
17
).
C’est cette même idée que reprend
aujourd’hui R. Rorty en considérant que pour
le chercheur, approfondir les sciences de
l’homme « c’est moins suivre une démonstra-
tion que se familiariser avec quelqu’un, se
familiariser avec quelque chose d’étranger »
(Rorty, 1993 p. 353). L’homme de la rue à la
capacité de poser des problèmes, de recon-
naître des faits, de mobiliser des idées ; le
pragmatiste ne peut prétendre au regard sur-
plombant et doit rabattre ses prétentions
objectivantes. A sa manière H. Arendt pouvait
suggérer le même type de préoccupations
«(Nous avons), même dans les plus sombres
temps, le droit d’attendre quelques illumina-
tions et (d’admettre) qu’une telle illumination
puisse fort bien venir moins des théories et
des concepts que de la lumière incertaine,
vacillante et souvent faible que des hommes
et des femmes dans leur vie et leur oeuvre font
briller » (A. Arendt 1974, p. 10).
Dit autrement, cette posture invite à
réhabiliter le sens commun non seulement
parce qu’il est pétri d’une compétence mais
aussi parce que le sociologue ne peut jamais
sans abstraire puisque c’est par lui qu’il
trouve un accès à son objet
18
.
CONCLUSION
Pour le sociologue tiers, préoccupé de
«coudre les bords », d’aider à l’émergence
de la coopération au sein de la cité, il y a
dans ces travaux des pistes de réflexion et
des éléments de fondation de sa pratique.
Le métier de sociologue ainsi compris n’est
plus tiraillé par l’opposition entre le savant
et le politique ; il ne veut plus être ni l’un ni
l’autre. Ethiquement ethnocentré, il ne
renonce pas, au nom de la science, à l’action
et cherche encore moins à fonder la seconde
sur la première. Placé sous le patronage
d’Hermes, le tiers intervenant sociologue
peut revêtir l’habit d’Arlequin que tisse pour
lui (et d’autres) des auteurs comme
M. Serres.
■
RÉFÉRENCE
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