Les Echos
9 août 2005
Le patriotisme économique, antidote
au protectionnisme
AUTEUR: BERNARD CARAYON
RUBRIQUE: IDEES; Numéro 19473; Pg. 9
LONGUEUR: 834 mots
Le «patriotisme économique» que j'appelais de mes
voeux depuis deux ans est enfin érigé en posture poli-
tique. Les obstacles ont été nombreux, comme les sar-
casmes des bien-pensants qui prêchaient, dans la paix des
cimetières de nos emplois, le respect dogmatique des
règles du marché. Des règles contournées partout, mais
qui trouvaient chez nous tant de complaisance et de cé-
cité! Cécité des libéraux face aux méthodes intervention-
nistes et efficaces de nos concurrents anglo-saxons... les
plus libéraux; cécité de l'Etat, incapable de penser une
doctrine de sécurité économique ou une stratégie indus-
trielle et d'associer dans l'anticipation l'action et
l'influence nos entreprises. Cécité parfois des universi-
taires, prisonniers de leur discipline, et des syndicats,
enfermés dans des logiques catégorielles.
Parler de guerre économique, c'était pécher par pessi-
misme au mieux, par anti-américanisme au pire. Dé-
fendre un patriotisme économique relevait de la ringar-
dise colbertiste ou du nationalisme étroit. Et pourtant,
nous n'avons cessé d'être les témoins des ravages de cette
guerre en Europe: rachat d'entreprises stratégiques, à
l'instar de Gemplus, par un fonds d'investissement qui
place à sa tête un ancien administrateur du fonds de la
CIA In-Q-tel, ou de Pechiney, avalé par Alcan, bien vite
na outre-Atlantique; industrie textile laminée par
la concurrence chinoise. Sans oublier les positions aber-
rantes de la Commission européenne, condamnées par la
justice, empêchant a priori la constitution de groupes
européens à taille mondiale (Schneider-Legrand).
La France comme l'Europe n'ont pas pris le temps d'anti-
ciper, d'identifier nos vulnérabilités, de développer des
stratégies communes, créant ainsi les conditions de notre
faiblesse. Pendant ce temps, nos grands concurrents
s'organisaient en créant des institutions publiques (aux
Etats-Unis l'Advocacy Center, le CFIUS, l'USAID...) au
service de leurs entreprises et de leur accompagnement
sur les marchés mondiaux, en mobilisant ONG et fonda-
tions dans un travail efficace d'influence auprès des or-
ganisations internationales. Ils disposent d'une législation
adaptée aux secteurs stratégiques les préservant, au nom
de la sécurité nationale, des investissements étrangers. Ils
mobilisent des capitaux au sein de fonds dont une actua-
lité récente a souligné la cruelle absence en France. Ils
touchent le bénéfice d'une spécialisation et d'une concen-
tration dans les métiers stratégiques d'intermédiation
(audit et expertise comptable, droit, banque d'affaires,
courtage d'assurance) et de l'investigation économique,
autant de métiers qui permettent d'accéder aux informa-
tions sensibles des entreprises. Ils ont identifié des entre-
prises et des marchés stratégiques qu'on ne peut conqué-
rir sans l'appui actif de l'Etat. Bref, un patriotisme éco-
nomique !
Il est temps de passer de la posture à la politique pu-
blique sans naïveni paranoïa en nous imprégnant des
méthodes de nos concurrents et en associant dans cette
logique l'ensemble des acteurs: administrations chargées
de l'économie, diplomates, universitaires, entreprises et
acteurs sociaux. Le terreau est prêt. J'ai pu l'observer à
travers de multiples conférences ou lors d'auditions de
hauts fonctionnaires, d'industriels, d'étudiants, de sala-
riés, de syndicalistes ou de chefs d'entreprise. Il n'y a pas
d'autre politique publique où les bénéfices soient aussi
bien partagés que les efforts. Les outils existent ou vont
exister: les pôles de compétitivité qui, par l'engouement
qu'ils ont suscité, sont une réponse aux prophètes du
déclin, l'Agence pour l'innovation industrielle (AII),
l'Agence nationale pour la recherche, Oseo...
Il est possible d'aller plus loin. Un «conseil de compétiti-
vité et de sécurité économique» traduirait au plus haut
niveau la priorité du développement des entreprises. Il
faut également que l'Etat détermine ce qu'est le périmètre
stratégique de l'économie française et européenne, non
pas pour sceller dans le marbre les secteurs à préserver et
à promouvoir, mais pour mobiliser toutes les énergies sur
ces secteurs - formation, recherche, financement, appui.
Il faudra bien aussi engager un programme national de
soutien et de recherche dans les technologies de l'infor-
mation, de la communication et de la sécurité, porté par
de grands projets structurants. De combien de temps
différera-t-on la mise en place de fonds de pension ?
Ce patriotisme économique est d'emblée européen: par
l'ouverture à nos partenaires des projets de l'AII; par la
mise en place d'un «Small Business Act» en faveur des
PME-PMI; par une législation commune de sécurité
économique. Le «patriotisme économique» n'est pas un
protectionnisme mais un outil de cohésion sociale pour la
France et l'Europe et la condition d'une insertion réussie
dans la mondialisation. Facteur de transparence et de
stabilité, le patriotisme économique sera le meilleur
moyen de pparer l'instauration d'une paix économique
entre les nations.
BERNARD CARAYON est député (UMP) du Tarn.
DATE-CHARGEMENT: 9 août 2005
LANGUE: FRENCH; FRANÇAIS
TYPE-PUBLICATION: Journal
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