Stratégie de puissance, patriotismes et mondialisation par Christian Harbulot Directeur de l’EGE (www.ege.fr) Directeur associé du cabinet Spin Partners (www.spinpartners.fr) 1 Le monde occidental face aux nouvelles puissances économiques Les nouveaux entrants sont dans une perspective d’accroissement de leur puissance. Le refus « politiquement correct » de penser la puissance réduit notre champ de vision et profite aux pays qui n’ont pas d’état d’âme sur la question. Chez les nouveaux entrants, il existe une forte symbiose entre gouvernance industrielle et gouvernance politique. 2 Le syndrôme de Goliath • Le monde occidental a tendance à souffrir du syndrome de Goliath. Il s’enferme dans le mode de pensée du plus fort et peine à intégrer le savoir faire du faible au fort afin de contrer la pression de nouveaux entrants. • Les nouveaux entrants semblent mieux maîtriser la pratique de l’influence dans une logique d’accroissement de puissance (en particulier en jouant sur les contradictions entre les Etats-Unis et l’Europe. 3 Le début d’une autre Histoire • La cohabitation des deux mondes : - Etats-Unis face au reste du monde - Puissances multipolaires (Chine, Russie, Inde) • Le risque d’inertie stratégique - La France est depuis 50 ans dans le sillage de l’économie américaine - Le refus de changer de paradigme 4 Le patriotisme économique américain Une entreprise énergétique chinoise, Cnooc (Chinese National Offshore Oil Company), a tenté d'acquérir le groupe pétrolier américain Unocal, mais a dû renoncer devant l'opposition du Congrès. Peu après avoir acquis le contrôle de six ports américains, une compagnie basée à Dubaï a dû promettre de transférer la gestion des opérations à une entité américaine à la suite d'une vigoureuse opposition de l'opinion publique emmenée par des élus au Congrès des deux partis. » 5 Entreprises et patriotismes Le faux débat : Les intérêts économiques nationaux se diluent dans la mondialisation Un rapport du Congrès américain précise : « Les firmes multinationales devraient être considérées comme américaines si et quand elles agissent dans l’intérêt national, et comme entreprises américaines elles devraient être l’objet d’une attention particulière » 6 Vers une nouvelle gouvernance industrielle ? « Il est donc temps de se demander si les conseils d'administration ne devraient pas élargir leurs responsabilités. L'un des modèles possibles est le "capitalisme des parties prenantes" (stakeholder capitalism) : les dirigeants ne décideraient plus seulement en fonction du cours de Bourse de leurs actions, mais prendraient en compte d'éventuelles conséquences négatives sur les non-actionnaires (salariés, tissu local, clients, fournisseurs) - c'est-à-dire toutes les personnes "parties prenantes" de l'entreprise. (…) Menaces sur le capitalisme américain, par Felix G. Rohatyn, ancien ambassadeur des Etats-Unis en France LE MONDE | 11.05.06 | 7 La contradiction qui légitime le patriotisme économique L’économie de marché et l’économie de puissance peuvent avoir des intérêts antagoniques : • En 1994, Clinton disait la nécessité pour les Etats-Unis de ne pas tout délocaliser et même de relocaliser de la matière grise sur le territoire américain. • Le rachat d’entreprises par des intérêts étrangers suscite aujourd’hui l’inquiétude de certains milieux libéraux anglosaxons. • Entre 2001 et 2006, 455 sociétés canadiennes ont été rachetées par des sociétés étrangères pour un prix de 137 milliards de dollars. Cet « évidement » constaté aussi aux Etats-Unis est considéré comme une menace qui revient potentiellement à vider la souveraineté économique d’un pays de sa substance industrielle. 8 Le débat sur le patriotisme économique Les pays où le patriotisme économique est reconnue implicitement par les élites sont ceux qui mettent en oeuvre des stratégies de puissance. Aux Etats-Unis, le Committee on Foreign Investments in the United States (CFIUS) évalue le caractère sensible de l’entreprise pour les intérêts américains à le demande du pouvoir exécutif (critères souples légitimées par la notion très élastique de sécurité nationale). Le projet de décret du premier Ministre Villepin sur la protection des secteurs sensibles a été contesté par la Commission européenne et aussi par une partie des décideurs publics et privés français. Son application a été limitée aux industries de Défense et aux jeux. En France, la notion de patriotisme économique passe mal dans les milieux patronaux à cause du manque de concertation entre l’Etat et les entreprises. 9 Le rôle du politique • Définir et appliquer une doctrine de puissance qui dépasse la notion d’indépendance : Les pouvoirs publics ne peuvent plus continuer à administrer un territoire sans tenir compte des rapports de force économiques induits par la mondialisation. • Surveiller les initiatives des pays les plus offensifs : Les Etats-Unis, la Chine, le Japon, la Russie affichent leur volonté de préserver ou d’accroître leur puissance géoéconomique. • Intervention auprès des organisation internationales : Il est salutaire de prendre exemple sur les Etats-Unis qui ont obtenu une dérogation auprès de l’OMC pour q’un pourcentage des contrats signés sur leur territoire (23%) soit effectué par des entreprises américaines. • Définir des priorités d’action européenne : - actions verticales sur des secteurs à forte intensité en capital ou en retombées technologiques, ou dotées de de fortes barrières à l’entrée. actions transversales intégrant les dimensions (propriété intellectuelle, réglementations, normes, environnement, fiscalité, R/D fondamentale). 10 Les problématiques soulignées par l’IE Réflexion sur l’accroissement de puissance géoéconomique d’un pays • Exemple du Japon depuis l’ère Meiji, de la Chine depuis Deng Xia PIng. Mise en évidence des contradictions possibles entre intérêt de puissance et intérêt privé : Exemple américain sur la volonté gouvernementale de ne pas délocaliser certaines activités stratégiques. • Identification d’un arbitrage stratégique du pouvoir politique entre intérêt collectif et intérêt privé : Exemple de la crise de l’industrie agroalimentaire sur la question de la santé et l’alimentation. • Besoin de faire naître un débat sur l’approche offensive du marché mondial par les PME Exemple de la difficulté de chasser en meutes (échec de l’expérience de la machine outils dans l’Essonne). • 11 Les questions en suspens • • • • L’accroissement de la puissance économique peut-elle devenir une problématique française ? Quelles stratégies de conquête peut-on mettre en œuvre? Est-il possible de fixer des priorités en termes d’axes de pénétration géoéconomique ? Comment réformer l’Etat pour mettre en oeuvre des stratégies d’influence durables à l’étranger ? 12 Éléments bibliographiques Christian Harbulot, La main invisible des puissances, édition Ellipses, mars 2007. Ouvrage collectif sous la direction de Christian Harbulot et Didier Lucas, La France a-t-elle une stratégie de puissance économique ? avril 2004.