Corée du Sud : Encore quelques défis à relever…

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Apériodique - n° 14/02 - juillet 2014
Corée du Sud : Encore quelques défis à relever…
 La Corée du Sud revient peu à peu à son rythme de croissance potentiel. Grâce à une politique
économique adaptée et à une industrie exportatrice performante, elle est parvenue à surmonter la
crise de 2009 avec beaucoup moins de difficultés qu’en 1997. Soutenue ces dernières années par la
demande des pays émergents et de l’ASEAN, la Corée devrait profiter des reprises américaine et
européenne, et surtout de l’intensification de ses échanges avec la Chine.
 La croissance reste toutefois freinée par divers éléments : le secteur des services est peu développé,
le marché du travail est trop segmenté, et la consommation privée (elle-même handicapée par le
niveau élevé d'endettement des ménages) n’est pas assez forte pour relayer les exportations si cellesci venaient à ralentir.
 Le plan économique triennal de la présidente Park Geun-Hye répond à certains des besoins de
réformes. S'il est effectivement mis en œuvre, la position déjà solide de la Corée du Sud dans le
paysage économique asiatique et mondial en sera renforcée.
Des fondamentaux macroéconomiques
solides
Bien qu’elle ait évolué en dessous de ses performances
antérieures, l’économie sud-coréenne s’est montrée plutôt
résiliente face aux multiples chocs qui ont agité l’économie
mondiale depuis 2009. Après avoir ralenti à 0,3% cette
année-là, un chiffre tout de même positif, la croissance
s’est établie à 3,7% en moyenne depuis.
Le fait est que le gouvernement et la Banque centrale ont
su piloter l’économie avec beaucoup de finesse, en
desserrant la politique budgétaire et la politique monétaire
dans le bon timing et de façon coordonnée lorsque la
situation le justifiait, en soutenant les banques et les
entreprises en risque de liquidité. Et ce, sans que cela
n’affecte significativement les finances publiques ; la dette
de l’Etat est passée de 30,4% en 2008 à 35,6% du PIB
l’an passé. De plus, la Corée du Sud a continué de
dégager de confortables excédents courants. En 2013,
celui-ci s’est élevé à 6,7% du PIB et il pourrait rester à ce
niveau cette année, voire augmenter légèrement.
La croissance pourrait s’accélérer à 3,6% cette année
(après 3% en 2013), grâce au raffermissement de l’activité
aux Etats-Unis et dans l’UE et à l’intensification des
relations avec la Chine.
A moyen terme, le gouvernement entend maintenir la
croissance autour de 4%. C'est un objectif assurément
atteignable. Mais il faudra pour cela préserver la
compétitivité du secteur exportateur tout en menant un
certain nombre de réformes structurelles visant à
surmonter les contraintes qui pèsent aujourd’hui sur la
croissance.
Graphique 1 –
Exportations
Croissance,
Conmmation,
Investissement,
%
25
% du PIB
20
60
15
10
5
45
0
-5
-10
30
1980
1990
2000
Investissement (g.)
2010
Exportations (g.)
PIB (g.)
Conso privée (d.)
Source : Datastream, Crédit Agricole S.A.
Graphique 2 – Déficits publics, balance courante et indices des
prix à la consommation
%
% du PIB
8
35
6
30
4
25
2
20
0
15
-2
10
-4
5
-6
0
1980
1990
2000
2010
Balance courante (g.)
Solde budgétaire (g.)
Indice des prix à la consommation (d.)
Source : EIU, Banque mondiale, BoK, Crédit Agricole S.A.
Études Économiques Groupe
http://etudes-economiques.credit-agricole.com
Thibaut FAVIER
[email protected]
Une économie tournée vers l’extérieur
Le montant des échanges commerciaux de la Corée du
e
Sud s’élèvent à plus de 1 300 mds USD (8 rang mondial).
Les exportations de biens et services représentent environ
55% du PIB comparé à 25% en France et 15% au Japon.
Les importations s’élèvent à environ 50% du PIB.
Graphique 3 – Part du commerce extérieur dans le PIB, en 2011
% du PIB
100
80
60
40
20
0
Importations
Exportations
Source : OCDE, Crédit Agricole S.A.
La vitalité du secteur exportateur coréen tient
historiquement à un tissu industriel solide et performant
(qui s’est structuré autour des chaebols) et, plus
récemment, au dynamisme des marchés asiatiques.
dont le but fut de concentrer une large partie de la
production nationale sur un nombre restreint de
conglomérats, les chaebols. Cela permit une plus grande
malléabilité et réactivité des structures de production aux
directives gouvernementales.
En 2012, les ventes annuelles des trente premiers chaebols
ont constitué 96,7% du PIB ; le chiffre d’affaires de
Samsung, le plus important d’entre eux, a représenté à lui
seul un quart du PIB. Ces structures permettent une
production à grande échelle suffisamment puissantes,
influentes et innovantes pour s’imposer sur des marchés
mondiaux. Leur taille imposante pose bien sûr la question
du risque systémique en cas de défaillance de l’un d’entre
eux, mais leurs activités diversifiées permettent de
l’atténuer. Samsung, par exemple, opère dans une dizaine
de secteurs : équipement téléphonique, automobile,
pétrochimie, finance… Quant au constructeur automobile
Hyundai, il a aussi des activités de raffinage de pétrole,
dans la construction, etc.
Des chaebols diversifiés donc, mais une économie
largement spécialisé dans l’industrie lourde (transport
maritime, chimie, automobile, sidérurgie, etc.), dix fois plus
importante que l’industrie légère (transformation des
produits finis, tel le textile).
Graphique 5 – Evolutions des exportations de l’industrie lourde
et légère
mds USD
50
mds USD
500
45
450
40
400
35
350
30
300
Une industrie puissante
La force de l’économie coréenne à l’exportation repose
sur son industrie. Celle-ci génère près de 40% du PIB
(c’est plus qu’il y a 10 ans ; cf. graphique 4). Seules
l’Arabie Saoudite, la Chine et l’Indonésie ont un taux plus
élevé parmi les pays du G20. La production
manufacturière coréenne pèse ainsi 2,8% de la production
mondiale, contre 2,4% en 2010. Classée au 5e rang, la
Corée se positionne derrière les Etats-Unis, la Chine, le
Japon et l’Allemagne (6,1%) mais devant la France
(2,5%).
Graphique 4 – Production industrielle
25
250
2009
2010
2011
2012
2013
indutrie légère (g.)
Indusrie lourde (d.)
Source : Datastream, Crédit Agricole S.A.
Graphique 6 – Principaux produits exportés.
% du PIB
42
mds USD
60
50
38
40
30
34
20
10
30
0
26
22
2000
2005
OCDE
2010
Corée
Source : Datastream, Crédit Agricole S.A.
Cette industrialisation pousée est en partie la résultante
de l’audacieuse politique industrielle du dictateur Park
(père de l’actuelle présidente, au pouvoir de 1962 à 1979)
N° 14/02 – juillet 2014
2012
2013
Source : Ministère du Savoir et de l'Economie, Crédit Agricole
S.A.
Symbole de la réussite industrielle et fer de lance de
l’économie coréenne, l’électronique génère à lui seul un
quart des exportations de produits industriels. Autrefois
2
Thibaut FAVIER
[email protected]
compétitif grâce à la modération salariale, ce secteur a su
élargir la gamme des biens produits (progression
horizontale) et remonter les filières jusqu’au stade de la
conception de l’objet (progression verticale), lui permettant
ainsi de se placer sur des biens technologiquement plus
complexes, donc à plus forte valeur ajoutée. Les semiconducteurs sont parmi les biens les plus exportés de
Corée.
2
Graphique 8 – Les 10 plus gros importateurs de biens coréens
mds USD
160
120
80
Une économie orientée vers les pays émergents
Deuxième exportateur mondial à destination de la Chine,
l’industrie coréenne profite de l’expansion du marché de
1
son voisin mais aussi de celle des pays de l’ASEAN et,
plus généralement, des pays émergents. Sur les années
2009-2013, les exportations vers les pays émergents ont
progressé en moyenne de 13,1%, lorsque celles vers les
pays développés ont augmenté de 10,6%. Les
exportations vers la Chine ont crû de 14,6% et celles vers
les pays de l’ASEAN de 18,8%.
Graphique 7 – Exportations entre 2009 et 2013 selon les
régions
mds USD
200
180
160
140
120
100
80
60
40
20
0
2009
2010
2011
BRICS + Mexique UE Etats-Unis
Source : Datastream, Crédit Agricole S.A.
2012
Japon
2013
40
0
Source : Datastream, Crédit Agricole S.A.
Mais une économie assez sensible aux chocs externes
Contrepartie presque inévitable de cette large ouverture
commerciale, la Corée du Sud est assez sensible aux
fluctuations de la conjoncture mondiale. L’effondrement de
la demande aux Etats-Unis et en Europe en 2009 et la
chute consécutive de la croissance coréenne cette même
année (à 0,3%, comparé à 4,2% en moyenne les cinq
années précédentes) le rappellent.
L’ouverture du bas de la balance des paiements renforce ce
phénomène, élargi même la sensibilité de l’économie sudcoréenne à tout choc externe (susceptible d’altérer l’humeur
des investisseurs sur les marchés coréens, comme les
tensions avec le frère ennemi du Nord ou les différents
diplomatiques en Mer de Chine) et explique la volatilité
historique du won (soumis à un régime de change flexible).
Pour mémoire, la devise coréenne s’est dépréciée de 15%
face au dollar en 2009, après s’être appréciée de 36%
l’année précédente.
ASEAN
De telle sorte que les marchés émergents absorbent
aujourd’hui presque trois cinquièmes des exportations de
biens coréennes, dont 26% est capté par la Chine et
17,2% par l’ASEAN.
Dans ce contexte, trois éléments pourront retenir l’attention
à court terme, car porteurs d’un risque baissier sur la
croissance et d’un risque de change. Le ralentissement en
cours de l’économie chinoise et qui ne manque pas de
nourrir des craintes d’un atterrissage brutal (même si ce
scénario paraît très peu probable) ; à noter aussi que le
rattrapage économique de la Chine, s’il semble aujourd’hui
une aubaine, n’est pas sans risque pour la Corée du Sud
dans une perspective de plus long terme (cf. encadré 1). La
sortie progressive de la politique d’assouplissement
quantitatif de la Fed. Ce tapering est source potentielle de
tensions, éventuellement vives, sur les marchés
internationaux de capitaux ; le won n’a pas trop souffert du
mouvement qui a agité les devises émergentes l’été dernier,
mais un durcissement des conditions de financement sur
ces derniers affecterait les banques et les autres agents
économiques, assez dépendants des lignes de crédit
externe à court terme. Enfin, la politique économique du
Premier ministre japonais Abe (Abenomics) table sur la
relance et le soutient aux exportations via une dévaluation
2
1
Les données relatives à l’ASEAN ne tiennent compte que de la
Malaisie, Indonésie, Thaïlande, Viêt-Nam, Singapour, Taiwan et
les Philippines.
N° 14/02 – juillet 2014
Les statistiques douanières brutes surévaluent la valeur ajoutée
du commerce bilatéral avec la Chine. En écartant le phénomène
d’éclatement des processus de production (qui génèrent de
multiples échanges de mêmes biens), le solde bilatéral, mesuré en
valeur ajoutée avec la Chine et les Etats-Unis sont identiques en
2012. La conclusion que l’on peut tirer est que la Chine est un
partenaire commercial très impliqué dans la chaine de production
coréenne et les Etats-Unis sont principalement consommateurs de
biens finaux.
3
Thibaut FAVIER
[email protected]
du yen et la prise de contrôle de la Banque du Japon.
Cette stratégie peut être une menace pour la Corée qui a
une structure industrielle relativement proche de son
voisin nippon.3
Encadré 1 : L’ambivalence de la montée chinoise
Partenaire privilégié de la Corée, l’émergence de la Chine
peut être vue comme une formidable opportunité pour
maintenir et développer son haut niveau d’exportation
mais peut aussi être un danger, dans le sens où elle
empiète sur les secteurs clés de l’économie coréenne.
4
Les protestations populaires sur l’importance des biens de
consommation en provenance de Chine sont peu fondées.
Ceux-ci ne représentent que 20% des importations
coréennes en provenance de Chine, alors que les biens
intermédiaires sont trois fois plus importants, soulignant
l’imbrication des processus de production.
Par contre, l’émergence de la Chine pose la question de la
concurrence sur les marchés tiers. Pour la construction
navale, par exemple, l’un des secteurs industriels coréens
les plus importants, la Chine est récemment devenue le
nouveau leader mondial avec plus de 40% de part de
marché, devant la Corée (qui a reculé de 35,5% en 2009 à
29% en 2012). Les résultats d’exploitation de Hyundai
Heavy Industries, plus gros chantier naval coréen, ont
chuté de 60% en 2013 par rapport à l’année précédente. Il
y a certes un effet conjoncturel important dans ce chiffre
mais il existe aussi un effet substitution au profit du
marché chinois.5
Il est vrai que les nombreux investissements coréens en
Chine conduisent à des transferts de technologie et à un
renforcement de la compétitivité chinoise. D’autant que le
douzième plan chinois (2010-15) cible les mêmes
secteurs d’activité que la Corée. Cependant, l’avance
technologique des entreprises coréennes les positionne
sur un niveau de gamme encore supérieur sur nombre de
marchés. La Fédération des Industries Coréennes évalue
cette avance à 5 ans. C’est donc en partie pour la
maintenir que la Corée investit massivement dans la R&D
(objectif de 5% du PIB en 2017) et dépose 2 fois plus de
brevets aux Etats-Unis que les Chinois.
sociaux et démographiques témoignent d’un profond
7
malaise .
Trois principaux freins à la croissance peuvent être
identifiés. D’une part, l’atomisation des entreprises de
services (caractérisées par une faible productivité) limite la
création d’une valeur ajoutée sectorielle plus conséquente.
D’autre part, bien que le taux de chômage soit relativement
faible, le marché du travail est précaire et inégalitaire, ce qui
limite l’utilisation des forces productives, notamment des
femmes. Enfin les ménages font face à de lourdes charges
« incompressibles », liées à leur endettement très élevé (luimême dû à la hausse des prix de l’immobilier et au coût du
logement) et à l’éducation. Ces deux postes absorbent un
tiers de leur budget et handicapent la consommation.
Des services trop faibles
Le secteur des services génère un peu moins de 60% du
PIB (contre 80% en moyenne pour les pays de l’OCDE),
mais emploie plus de 70% des travailleurs. Cela témoigne
d’une productivité relativement faible dans l’ensemble ; par
travailleur, elle s’élève à environ 30 000 USD/an (selon
McKinsey) lorsqu’elle atteint plus de 80 000 USD dans
l’industrie manufacturière (2e rang mondiale derrière les
Etats-Unis), et est nettement inférieure à celle des quatre
premiers pays de l’OCDE en la matière8.
La décomposition de la croissance du tertiaire (environ 4%
en moyenne entre 1995 et 2009) révèle que les deux tiers
reposent sur l’augmentation du nombre de salariés et le
dernier tiers sur celle de la productivité. L’accroissement de
la production est donc assuré par l’emploi, à l’inverse du
secteur manufacturier.
Graphique 9 – Gain de productivité entre 1995 et 2009 par
secteur, en taux de croissance annuel
10
8
Le taux de change entre le Japon et la Corée est fortement
affecté par la politique du président Abe et dégrade les termes de
l’échange bilatéraux. Par contre, cela ne change que
modérément le taux de change effectif réel coréen, composé d’un
panier de biens échangés avec tous ses partenaires et pondérés
par leurs poids relatifs dans les échanges totaux. La menace de
l’Abenomics est donc à relativiser.
4
Voir la guerre de l’ail et la guerre du kimchi.
5
A noter que sur les deux premiers mois de l’année 2014, la
Corée semble profiter de son avance technologique. En volume,
ses parts de marché dans ce secteur s’élèvent à plus de +45%.
6
: « Government prioritises FTA with China over TTP », EIU.
N° 14/02 – juillet 2014
6,6
2,7
4
4
1,3
2
0
-2
-1,6
-4
Manufacturier
Service
croissance de la productivité
viariation du nombre d'employés
croissance de la production
Source : OCDE STAN, McKinsey, Crédit Agricole S.A.
Un modèle de croissance à ajuster
3
8,2
6
Enfin, des négociations bilatérales sur un accord de libreéchange pourraient aboutir cette année. Selon certaines
sources, cet accord pourrait augmenter le PIB coréen de
6
3% .
Bien que la Corée ait accédé en peu de temps à un
niveau de développement proche des pays avancés, son
modèle de croissance est, de l’aveu de la présidente Park
Geun-Hye, à réinventer. Il est vrai que les indicateurs
%
Plusieurs explications à cela. D’abord, ce secteur est
constitué d’un nombre important (+34% environ)
d’entreprises
de
proximité
(restaurants,
agences
immobilières, services à la personne, etc.). Ensuite, les
faibles barrières à l’entrée créent une concurrence rude qui
tend à tirer à la baisse les profits et à altérer la capacité
d’investissement et de modernisation de ces entreprises. De
plus, les chaebols préfèrent internaliser les activités de
7
La Corée est le pays avec le plus fort taux de suicide au monde,
un taux de divorce parmi les plus importants des pays de l’OCDE et
le taux de fécondité le plus bas, avec en moyenne 1,2 enfant par
femme.
8
Etats-Unis, Japon, France, Allemagne.
4
Thibaut FAVIER
[email protected]
services (dont ils ont besoin). Enfin, les nombreuses aides
fiscales et autres incitations financières à l’exportation de
biens manufacturés détournent le capital productif des
services.
Le gouvernement tente de corriger cette situation mais les
résultats sont jusqu’à présent restés limités. Pourtant le
potentiel ne manque pas, notamment dans les secteurs du
tourisme, de la finance et de la santé.
Le marché du travail
Encadré 2 : Les PME
La question des PME rejoint celle des services : 60%
d’entre elles opèrent dans cette branche d’activité. Ces
entreprises souffrent d’une carence de productivité (de un
quart à un tiers seulement de celle des chaebols) et de
compétitivité. Elles offrent des salaires deux fois moins
élevés (en moyenne et toutes fonctions confondues).
Graphique 10 – Résultats d’exploitation des entreprises entre
2011 et 2013
%
100
90
80
54
70
60
65
60
50
40
30
46
20
40
35
10
0
2011
2012
2013
10 plus importantes entreprises
Source : BoK, Crédit Agricole S.A.
Autres entreprises
Outre la concurrence rude des chaebols, cette réalité
semble tenir au manque « d’esprit entrepreneurial ». La
Corée a enregistré nombre de succès industriels grâce à
des « fast followers », des agents réactifs qui intègrent
rapidement les innovations mais qui n’innovent pas euxmêmes. Les créateurs d’entreprises le font pour la plupart
par défaut ou par nécessité, mais pas par vocation. De
plus, les PME rencontrent de grandes difficultés à attirer
des salariés hautement qualifiés. Un cercle vicieux entre
salaires peu élevés et faible productivité les emprisonnent
dans un processus de stagnation.
Un défi pour le gouvernement sera de changer les
esprits : les jeunes valorisent d’avantage la sécurité
professionnelle que l’entreprenariat. Pour courber cette
tendance, l’échec doit être moins sanctionné ; aujourd’hui,
un entrepreneur qui fait faillite n’a presque aucune chance
de pouvoir rebondir. Réaffirmer les droits de propriétés
intellectuelles constitue un deuxième objectif. La Corée
n’est que le septième pays asiatique sur 19 pour la
protection de ses données, derrière Taiwan et Hong Kong.
Cette défaillance inhibe l’innovation. Enfin, les politiques
d’aides au lancement et au financement des nouvelles
entreprises ont eu des effets inattendus. Afin de continuer
à percevoir les aides financières réservées aux
entreprises de petites tailles, certains entrepreneurs ont
volontairement limité leur développement 9.
9
“Beyond Korean style: shaping a new growth formula”
McKinsey Global Institute; Avril 2013. “The Korean Hidden
Champion Strategy”. Ministry of Strategy and Finance , Ministry of
N° 14/02 – juillet 2014
Le soutien aux PME a constitué l’un des piliers de la
campagne présidentielle de Mme Park et vient d’être
renouvelé lors de l’annonce du plan triennal en début
d’année. Toutefois, la proximité du chef de l’Etat avec les
dirigeants des chaebols pourrait être un frein à la
« démocratisation » de l’économie (concept politique de la
présidente, pour impliquer davantage chaque individu, dont
les PME, dans le processus de création et de production).
Le taux de chômage est faible, oscillant depuis plusieurs
années entre 3% et 4% ; et le sérieux coup de frein de 2009
n’y a rien changé. Cependant, ce chiffre cache le caractère
fortement inégalitaire du marché du travail pour les femmes,
les plus âgés et les jeunes.
Graphique 11 – Taux de participation des femmes en âge de
travailler sur le marché du travail
%
80
70
60
50
40
30
20
10
0
Femmes en Corée
Femmes dans
l'OCDE
Source : OCDE, Crédit Agricole S.A.
Hommes en Corée
Le taux de participation des femmes âgées de 15 à 54 ans
est l’un des plus faibles de l’OCDE. La plupart d’entre elles
quittent leur activité professionnelle lors de la naissance
d’un enfant. Les responsabilités familiales (qui incombent
traditionnellement aux femmes en Corée) et les journées de
travail longues rendent la conciliation entre vie
professionnelle et vie privée difficile et amènent souvent les
femmes à faire ce choix10.
Par ailleurs, si le taux de participation (au marché du travail)
des 45-49 ans s’élève à 80%, il tombe à 57% pour les 60-64
ans ; un chiffre relativement stable depuis 2000. Cette
réalité semble trouver une explication dans la faible
adaptabilité au changement et le bas niveau de
compétences (dans l’ensemble) de cette tranche d’âge,
mais aussi dans des particularismes culturels. Les
travailleurs coréens acceptent très difficilement d’être
encadrés/dirigés par des plus jeunes qu’eux.
Enfin, le taux de participation des 15-24 ans est passé de
37% en 1994 à 25% en 2010 ; la moyenne dans les pays de
l’OCDE est de 47%. L’enseignement dans le supérieur est
presque une obligation institutionnelle. Mais cela crée des
inadéquations entre l’offre et la demande sur le marché du
travail ; les PME proposent fréquemment des postes ne
correspondant pas aux qualifications et aux prétentions
Knowledge Economy, Financial Services Commission; March 2010
10
Aujourd’hui, seulement 44% des ménages disposent de deux
revenus contre 57% en moyenne pour les pays de l’OCDE.
5
Thibaut FAVIER
[email protected]
salariales des jeunes diplômés11, et nombre de ces
derniers accèdent difficilement à l’emploi.
Ces trois catégories, à laquelle s’ajoute les moins
diplômés constituent plus souvent la main-d’œuvre flexible
et bon marché coréenne : les travailleurs irréguliers.
Souvent sous contrat à durée déterminée, à temps partiel
ou en intérim, ils ont de moins bons salaires, aucune
sécurité de l’emploi et une faible couverture sociale. Cette
12
catégorie représente entre 35% et 50% du nombre total
d’employés. Le marché du travail est donc dual et cette
réalité entrave la cohésion sociale souhaitée par la
présidente Park. La précarité de l’emploi est d’autant plus
génératrice de tensions sociales qu’elle est en réalité une
trappe de laquelle il est très difficile de sortir13.
La grande réforme du marché du travail de 2007
(négociée pendant 5 ans), visant à limiter les
discriminations à l’égard des travailleurs irréguliers, n’a
donc pas eu les effets escomptés, ni sur les salaires, ni
sur la proportion de contrats de travail à durée
déterminée. La donne pourrait, néanmoins, commencer à
changer progressivement. Une réforme visant à diminuer
le nombre d’heures de travail hebdomadaire à 52h est en
cours. De plus, la présidente Park s’est fixée pour objectif
d’élever le taux de participation au niveau des pays les
plus développés, notamment en réintroduisant les femmes
sur le marché du travail.
Consommation et dette des ménages.
C’est en quelque sorte la résultante d’une économie
tournée vers l’extérieur et des deux points précédents : la
consommation privée n’est pas très dynamique, en tout
cas pas suffisamment pour prendre le relais des
exportations en cas de choc sur la demande globale.
Graphique 12 – Consommation des ménages
12
64
8
62
60
4
58
0
56
-4
54
-8
52
-12
Par ailleurs, leur endettement absorbe un quart de leurs
revenus. Entre 2005 et 2014, son montant a presque doublé
et dépasse désormais 1000mds USD, soit 80% du PIB ou
encore 137% de leur revenu disponible. Si l’endettement
des ménages est l’une des préoccupations des autorités, le
14
risque financier reste néanmoins assez faible .
Graphique 13 – Indice de prix (base 100, mars 2013) des
logements
110
100
90
80
70
60
50
40
30
20
1986
1990
1994
1998
2002
2006
2010
Corée
Appartements à Séoul.
Source : Datastream, Crédit Agricole S.A.
Les dépenses liées à l’éducation ponctionnent, quant à
elles, environ 10% du revenu disponible des ménages. Il
faut savoir que pour les familles coréennes, la réussite
scolaire conditionne plus qu’ailleurs le succès professionnel
futur, ce qui les amène à investir lourdement15.
De plus, si elle se montre un peu plus favorable depuis
quelques mois, la dynamique des prix de l’immobilier au
cours des trois dernières années a sans doute peser sur la
confiance des ménages ; l’immobilier représente 75% de
leur épargne/patrimoine
Pour remédier au manque de vigueur de la consommation,
les autorités coréennes envisagent d’augmenter les
transferts sociaux et d’améliorer la situation sur le marché
de l’emploi (augmentation des salaires et de la protection
sociale pour les travailleurs irréguliers). Sur la dette des
ménages, le gouvernement se montre également
entreprenant pour endiguer ce phénomène via une
16
approche « soft landing » . Après avoir ralenti la croissance
des prêts et lancer le « National Happiness Fund » pour les
ménages endettés à bas revenus, il prévoit en 2014
d’augmenter la part des crédits hypothécaires à taux fixe à
40% (contre 10% en 2013) et veut réduire le ratio dette sur
revenu disponible des ménages de 5 points d’ici 2017.
50
1980
1990
2000
En pourcentage du PIB
2010
croissance annuelle (g.)
Source : Datastream, Crédit Agricole S.A.
Le fait est que le revenu disponible brut des ménages
progresse assez lentement. Depuis 2005, il a augmenté
d’un point de pourcentage de moins que le PIB réel.
Des réformes en vue
L’annonce du plan triennal de la présidente Park pour
restructurer l’économie en février dernier va dans le sens
des recommandations des observateurs et des
investisseurs. Ce discours tient en trois points.
14
11
Presque un quart d’entre elles admettent faire face à une
pénurie de main-d’œuvre (et font donc appel à des travailleurs
étrangers) et dix-sept autres pourcents s’attendent à rencontrer
ce problème.
12
Varie selon les sources et les critères retenus. L’OCDE est
dans la fourchette basse, l’IRES et Problèmes économiques dans
la fourchette haute.
13
Seul 10% des travailleurs irréguliers auraient réussi à accéder
à un emploi plus confortable entre 2003 et 2008.
N° 14/02 – juillet 2014
Le ratio LTV s’élevait à un prudent 50% en juin 2013, ce qui a
pour effet de limiter l’impact sur les créanciers en cas d’une
succession de défauts. On constate également une baisse du taux
des CDL des ménages depuis le début de l’année 2013 qui est
toujours resté modéré, à savoir moins de +1%, depuis le début de
la crise.
15
Ils choisissent le système privé (jugé par les familles comme
nettement plus fiable pour obtenir une entrée dans les meilleures
universités), les parents dépensent $100.000 pour l’éducation de
leurs enfants. Les frais d’inscription universitaires et les cours
particuliers très répandus en Corée sont intégrés dans l’estimation.
16
« Atterrissage en douceur».
6
Thibaut FAVIER
[email protected]
Premièrement, construire une économie basée sur des
paramètres solides ; c’est-à-dire des services publics plus
performants, moins de corruption, un régime de protection
sociale plus développé… Bref, il s’agit là, en substance,
d’améliorer la gouvernance. En dépit de progrès
significatifs ces dernières décennies ou même plus
17
récemment , les indicateurs de gouvernance sud-coréens
restent en dessous de ceux des pays de niveau de
développement supérieur.
Graphique 15 – R&D en pourcentage du PIB
18
% du PIB
5
4
3
2
1
Graphique 14 – Indicateurs de gouvernance de la Banque
Mondiale
0
Maitrise de la
corruption
100
Expression et
Responsabilité
Efficacité des
pouvoirs
publics
50
Source : Banque mondiale, Crédit Agricole S.A.
0
Instabilité
politique et
violence
Etat de droit
Fardeau
réglementaire
Japon
Corée du S.
France
Source : Banque Mondiale, Crédit Agricole S.A.
Deuxièmement, favoriser l’innovation qui est au cœur du
principe cher à la présidente Park : « l’économie
créative ». Ou autrement dit, promouvoir la science et la
technologie pour développer une industrie innovante (TIC,
NTIC et culture). La stratégie de rattrapage par
assimilation des connaissances a, de l’aveu du
gouvernement, atteint ses limites.
Certes, les dépenses en R&D (rapportées au PIB) de la
Corée du Sud la classe parmi les pays les plus
performants dans ce domaine (cf. graphique 14). Mais ce
chiffre ne dit pas tout. La Corée du Sud est beaucoup plus
performante en « développement » qu’en « recherche » et
dépend encore de l’innovation de ses concurrents
étrangers. Conscient, le gouvernement veut redistribuer
40% du budget alloué à la R&D sur la recherche
fondamentale d’ici 2017 qui s’élèveraient à 5% du PIB.
Troisièmement, promouvoir la demande intérieure :
développer les PME, le secteur des services, réduire les
inégalités salariales…
Cette réorientation de la politique économique, avec l’accent
mis sur les réformes structurelles, va clairement dans le bon
sens. Les problématiques évoquées précédemment
devraient y trouver des solutions. Bien que les évènements
du ferry de Sewol en avril dernier aient fragilisé la classe
politique au pouvoir, qui pourrait être plus timorée sur le
rythme des réformes, l’objectif de croissance à 4% en
moyenne au cours des trois prochaines années n’est pas
remis en cause.
Mais il faudra sans doute plus à plus long terme. Car le
système éducatif montre ses limites et la dynamique
démographique va contraindre la croissance. En dépit des
très bons classements au concours Pisa de l’OCDE depuis
2000, l’enseignement proposé est très académique et
répond assez mal aux attentes des employeurs19 et aux
besoins de l’économie créative de Park. Par ailleurs, lancée
par le précédent président Lee, la formation professionnelle
20
est encore insuffisamment développée .
Le faible taux de natalité va faire basculer la Corée d’un des
pays les plus jeunes à l’un des plus âgés de l’OCDE en
205021. L’OCDE table ainsi sur une baisse de la croissance
potentielle à 1,7% d’ici 2030. Bien que le gouvernement ait
fait divers efforts pour stimuler la fertilité, les résultats sont
jusqu’à maintenant incertains.
18
17
Depuis 2011, les dénonciateurs de pratiques frauduleuses sont
mieux protégés. En accord avec les Nations unis, la Corée a
également présenté un projet de loi fin 2013 pour prévenir et
sanctionner les actes de sollicitations, de corruption et les conflits
d’intérêts. Et La présidente Park veut aller plus loin, en limitant les
pratiques anti-concurrentielles lors d’accord sur des marchés
mêlant publics et privés et surveillant mieux ces derniers.
N° 14/02 – juillet 2014
Pour l’uniformité, les chiffres proviennent de l’année 2010 et
2011. Pour la Corée, l’investissement en R&D n’a cessé de croître
pour atteindre 4,4% en 2013.
19
Le taux d’emploi des diplômés d’université est l’un des plus
faibles de l’OCDE : 75% contre 82%.
20
Seulement 28 écoles avec 11 000 étudiants proposent ce type de
formation.
21
A cet horizon, la population âgée de moins de 20 ans et de plus
de 65 ans pourrait dépasser le nombre d’actifs. Un ratio de plus de
100% donc, contre 52% en 2012).
7
Thibaut FAVIER
[email protected]
Graphique 16 – Taux de natalité (nombre d’enfants par
femme)
Solidité nationale et incertitude régionale
Avec un PIB par tête qui devrait dépasser 30 000 USD/an
en 2015, la Corée du Sud a pu éviter la trappe aux revenus
moyens. Les risques semblent modérés sur sa dette
souveraine (AA3 par Moody’s; A- par S&P ; AA par Fitch,
tous les trois avec des perspectives stables) et le risque
pays est faible : la résilience de son économie face à la
crise et la volonté affichée par Park Geun-Hye invite à un
certain optimisme sur les perspectives de croissance.
4
3
2
1
1974
1984
Corée
1994
OCDE
2004
Japon
Source : Datastream, Crédit Agricole S.A.
France
Finalement, le risque majeur tient à l’instabilité régionale :
l’affirmation de la Chine (notamment en mer de Chine du
Sud), les relations tendues avec le Premier ministre
nationaliste japonais Abe qui affiche des ambitions militaires
croissantes et les menaces continuelles du voisin nordcoréen. L’attitude provocatrice de Kim-Jung Un et le
probable 4e essai nucléaire nord-coréen entravent la « trustpolitik » souhaitée par Park. Le scénario central demeure
tout de même le statu quo. 
Achevé de rédiger le 1er juillet 2014
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N° 14/02 – juillet 2014
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