Thibaut FAVIER
thibaut.favier@credit-agricole-sa.fr
N° 14/02 – juillet 2014
du yen et la prise de contrôle de la Banque du Japon.
Cette stratégie peut être une menace pour la Corée qui a
une structure industrielle relativement proche de son
voisin nippon.
Encadré 1 : L’ambivalence de la montée chinoise
Partenaire privilégié de la Corée, l’émergence de la Chine
peut être vue comme une formidable opportunité pour
maintenir et développer son haut niveau d’exportation
mais peut aussi être un danger, dans le sens où elle
empiète sur les secteurs clés de l’économie coréenne.
Les protestations populaires
sur l’importance des biens de
consommation en provenance de Chine sont peu fondées.
Ceux-ci ne représentent que 20% des importations
coréennes en provenance de Chine, alors que les biens
intermédiaires sont trois fois plus importants, soulignant
l’imbrication des processus de production.
Par contre, l’émergence de la Chine pose la question de la
concurrence sur les marchés tiers. Pour la construction
navale, par exemple, l’un des secteurs industriels coréens
les plus importants, la Chine est récemment devenue le
nouveau leader mondial avec plus de 40% de part de
marché, devant la Corée (qui a reculé de 35,5% en 2009 à
29% en 2012). Les résultats d’exploitation de Hyundai
Heavy Industries, plus gros chantier naval coréen, ont
chuté de 60% en 2013 par rapport à l’année précédente. Il
y a certes un effet conjoncturel important dans ce chiffre
mais il existe aussi un effet substitution au profit du
marché chinois.
Il est vrai que les nombreux investissements coréens en
Chine conduisent à des transferts de technologie et à un
renforcement de la compétitivité chinoise. D’autant que le
douzième plan chinois (2010-15) cible les mêmes
secteurs d’activité que la Corée. Cependant, l’avance
technologique des entreprises coréennes les positionne
sur un niveau de gamme encore supérieur sur nombre de
marchés. La Fédération des Industries Coréennes évalue
cette avance à 5 ans. C’est donc en partie pour la
maintenir que la Corée investit massivement dans la R&D
(objectif de 5% du PIB en 2017) et dépose 2 fois plus de
brevets aux Etats-Unis que les Chinois.
Enfin, des négociations bilatérales sur un accord de libre-
échange pourraient aboutir cette année. Selon certaines
sources, cet accord pourrait augmenter le PIB coréen de
3%
.
Un modèle de croissance à ajuster
Bien que la Corée ait accédé en peu de temps à un
niveau de développement proche des pays avancés, son
modèle de croissance est, de l’aveu de la présidente Park
Geun-Hye, à réinventer. Il est vrai que les indicateurs
Le taux de change entre le Japon et la Corée est fortement
affecté par la politique du président Abe et dégrade les termes de
l’échange bilatéraux. Par contre, cela ne change que
modérément le taux de change effectif réel coréen, composé d’un
panier de biens échangés avec tous ses partenaires et pondérés
par leurs poids relatifs dans les échanges totaux. La menace de
l’Abenomics est donc à relativiser.
Voir la guerre de l’ail et la guerre du kimchi.
A noter que sur les deux premiers mois de l’année 2014, la
Corée semble profiter de son avance technologique. En volume,
ses parts de marché dans ce secteur s’élèvent à plus de +45%.
: « Government prioritises FTA with China over TTP », EIU.
sociaux et démographiques témoignent d’un profond
malaise
.
Trois principaux freins à la croissance peuvent être
identifiés. D’une part, l’atomisation des entreprises de
services (caractérisées par une faible productivité) limite la
création d’une valeur ajoutée sectorielle plus conséquente.
D’autre part, bien que le taux de chômage soit relativement
faible, le marché du travail est précaire et inégalitaire, ce qui
limite l’utilisation des forces productives, notamment des
femmes. Enfin les ménages font face à de lourdes charges
« incompressibles », liées à leur endettement très élevé (lui-
même dû à la hausse des prix de l’immobilier et au coût du
logement) et à l’éducation. Ces deux postes absorbent un
tiers de leur budget et handicapent la consommation.
Des services trop faibles
Le secteur des services génère un peu moins de 60% du
PIB (contre 80% en moyenne pour les pays de l’OCDE),
mais emploie plus de 70% des travailleurs. Cela témoigne
d’une productivité relativement faible dans l’ensemble ; par
travailleur, elle s’élève à environ 30 000 USD/an (selon
McKinsey) lorsqu’elle atteint plus de 80 000 USD dans
l’industrie manufacturière (2e rang mondiale derrière les
Etats-Unis), et est nettement inférieure à celle des quatre
premiers pays de l’OCDE en la matière
.
La décomposition de la croissance du tertiaire (environ 4%
en moyenne entre 1995 et 2009) révèle que les deux tiers
reposent sur l’augmentation du nombre de salariés et le
dernier tiers sur celle de la productivité. L’accroissement de
la production est donc assuré par l’emploi, à l’inverse du
secteur manufacturier.
Graphique 9 – Gain de productivité entre 1995 et 2009 par
secteur, en taux de croissance annuel
Plusieurs explications à cela. D’abord, ce secteur est
constitué d’un nombre important (+34% environ)
d’entreprises de proximité (restaurants, agences
immobilières, services à la personne, etc.). Ensuite, les
faibles barrières à l’entrée créent une concurrence rude qui
tend à tirer à la baisse les profits et à altérer la capacité
d’investissement et de modernisation de ces entreprises. De
plus, les chaebols préfèrent internaliser les activités de
La Corée est le pays avec le plus fort taux de suicide au monde,
un taux de divorce parmi les plus importants des pays de l’OCDE et
le taux de fécondité le plus bas, avec en moyenne 1,2 enfant par
femme.
Etats-Unis, Japon, France, Allemagne.
8,2
1,3
-1,6
2,7
6,6
4
-4
-2
0
2
4
6
8
10
Manufacturier Service
%
croissance de la productivité
viariation du nombre d'employés
croissance de la production
Source : OCDE STAN, McKinsey, Crédit Agricole S.A.