Mémoire de fin d`étude

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Florian Kunckler
Directrice : Stéphanie Dechezelles (IEP Aix en Provence)
Mémoire de fin d’étude
La peopolisation du politique
Master Information et Communication
Spécialité Communication et Contenus numériques
Option Nouveau Journalisme
SOMMAIRE
Introduction
1. La peopolisation dans l’histoire P.3
2. La peopolisation en définitions P.5
3. La peopolisation en substance P.8
4. La peopolisation dans ses ambitions politiciennes P.12
5. La peopolisation et ses acteurs P.15
Partie 1 : Le politiques face aux électeurs
1.1 L’incontournable suffrage universel P.19
1.2 Le pouvoir personnifié P.21
1.3 Les enjeux du bipartisme P.22
1.4 Les mutations dans les critères de l’excellence politique P.23
1.5 La crise de la démocratie P.28
Partie 2 : Les médias face aux publics
2.1 Quand la société impose ses dogmes P.33
2.1.1 De la culture de masse P.33
2.1.2 De la sécularisation de la société P.35
2.1.3 De la postmodernité P.35
2.2 Quand les médias anticipent les attentes des publics P.37
2.2.1 Le mélange des genres au service de la peopolisation P.37
2.2.2 Les formats au service de la peopolisation P.40
2.3 La crise économique du monde des médias en catalyseur P.42
2.4 Des bouleversements dans l’activité de journaliste et dans les contenus médiatiques
Partie 3 : La relation entre le journaliste et l’homme politique
3.1 Nature du lien entre les deux acteurs P.45
3.2 Une relation au cœur de la peopolisation P.47
3.3 La chimère d’un lien de subordination P.48
3.4 Des grands concepts aux « petites cuisines » P.50
Conclusion
2
Propos introductif
Il serait tentant de dire que la curiosité des gouvernés envers l’élite qui les gouverne a
toujours existé et que le phénomène est donc ancestral. Il serait même attirant
d’affirmer que la tentation d’observer ce qui se passe dans l’intimité de son voisin
explique le phénomène de la peopolisation des hommes politiques. Sans réfuter
totalement cette facilité intellectuelle, la réalité est bien plus complexe. Il suffit pour cela
de s’arrêter sur un autre phénomène médiatique : la téléréalité. Elle est apparue au
début des années 2000 aussi brusquement que son existence tend aujourd’hui petit {
petit { se raréfier sur nos écrans. Mais ce n’est pas l’émotion par l’intime qui disparaît,
bien au contraire. C’est bien le format de téléréalité au sens strict qui ne fait plus recette.
La sollicitation de l’affect, elle, fait définitivement partie du paysage médiatique. Mais
comprendre pourquoi ce constat est plus valable aujourd’hui qu’hier - dans le cadre de
cette étude on appliquera ce constat au champ politique - réside l’intérêt de cette
composition. Un retour en arrière s’impose.
1. La peopolisation dans l’histoire :
Comme je le disais plus haut, la curiosité envers nos gouvernants a toujours existé sans
pour autant donné lieu à un phénomène de peopolisation qui serait { l’initiative des
gouvernants ni du fait des médias. Ainsi, alors que les médias au sens où on les connait
aujourd’hui n’existaient pas encore, on retrouve des traces de mise en avant de l’intimité
de Marie Antoinette, reine de France de 1774 à 1792 et épouse de Louis XVI. Elle a vu
une partie de son intimité sulfureuse dévoilée dans des ouvrages misant sur le
sensationnel pour attirer le lecteur1. C’est un exemple parmi d’autres de ce qu’a pu être
la peopolisation avant qu’un véritable contexte propre { son développement
intervienne.
Pour faire l’historique de la peopolisation, il faut, selon l’historien Christian Delporte,
revenir jusqu’{ la IIIe République, « pas avant, précise-t-il, car la peopolisation se satisfait
1
DUPRAT Annie. In Marie-Antoinette, côté bling-bling et côté trash. Le Temps des Médias. N°10
printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P 13.
3
mal des régimes démocratiques ». Bien évidemment, { cette époque le vocable n’existe
pas encore (il faudra attendre le début des années 2000 et la bataille pour la
présidentielle de 2002). Cependant, à cette période, le phénomène ne prend pas racine
pour deux raisons. Question d’idéologie politique tout d’abord, selon la conception de la
souveraineté nationale de la période 1870-1940, celle-ci est indivisible et ne peut
appartenir à un seul individu. Or, on le verra dans la première partie, la personnification
du pouvoir est une des bases du phénomène. La seconde tient plus à une logique
carriériste propre aux hommes politiques de l’époque : lorsque c’est le Parlement qui
gouverne, l’homme politique doit s’attacher { ne pas heurter ses confrères par un
comportement retenant trop l’attention sur sa personne, au risque de se faire évincer du
jeu politique. Mais cette période pose tout de même certains prémices dans la relation
qui commence à naître entre la presse et la sphère politique. Les deux acteurs
commencent { cette époque { se rendre compte qu’ils ont un intérêt commun { s’étaler
sur le terrain de l’intimité : séduire des électeurs et rameuter des lecteurs. Le
phénomène reste cependant marginal et concerne surtout une presse spécialisée. Très
vite, l’interview devient un format éditorial, l’image commence { faire son apparition et
petit { petit l’émotion fait son nid dans l’information. En parallèle la starisation émerge
dans les années 30. Un tournant s’opère dans les médias, une presse people se construit.
La parenthèse autoritaire de la seconde guerre mondiale flirte avec la communication
sur la vie privée. Hitler par exemple invite des journalistes dans son quotidien. Après la
guerre, la presse people s’implante dans les kiosques. Puis, sous la IVe République,
parler de la vie privée des hommes politiques n’est plus un tabou. Les hommes
politiques commencent { voir l’intérêt de communiquer sur ces sujets. Ils s’expriment
sur le thème « je suis un homme ordinaire » pour installer une sorte d’illusion de
proximité avec l’électeur. L’arrivée de De Gaulle en sauveur de la République va freiner
cette évolution. Sa stature de premier Président de la Ve République, sa légitimité
historique et son charisme d’homme d’Etat, lui évite les affres de la peopolisation.
Mais c’était { double tranchant car habiter l’Elysée en 1965 après le Général va pousser
les futurs prétendants à la Présidence à tenter de tisser un lien affectif avec les électeurs.
La machine est lancée. L’arrivée de la télévision accélère le processus et Georges
Pompidou est le premier à se servir de ce nouveau média à travers le spectre de la
peopolisation, s’inspirant de la maîtrise de Kennedy en termes de communication,
notamment la mise en avant de la famille. Car un des premiers signes de peopolisation
4
reste sans aucun doute l’implication de la femme du prétendant aux affaires dans la
campagne électorale. Giscard s’attache lui aussi { créer un lien affectif avec les Français,
voulant se débarrasser d’une image d’austérité qui lui colle { la peau. Mitterrand refuse
de son côté de communiquer sur son intimité et la seconde rupture a lieu au début des
années 2000.
On développera le contexte qui a amené cette seconde rupture tout au long de ce
mémoire, nous distinguerons dans cette partie que les deux périodes que l’on peut isoler
pour en arriver une décennie plus tard à ce constat : la grande majorité des hommes
politiques, tous bords confondus, usent de techniques de peopolisation dans leur
stratégie de communication. Jamil Dakhlia distingue dans son travail2 sur le sujet deux
périodes : la peopolisation promotionnelle de 2000 à 2005 et la peopolisation offensive
de 2005 { aujourd’hui. Dans la première partie de la décennie, hommes politiques et
journalistes trouvent un intérêt commun { la manœuvre. Les journalistes font le jeu des
politiques et n’entrent dans l’intimité de ces derniers que lorsqu’ils le veulent bien. Mais
le procédé évoluant, la situation change et aujourd’hui la peopolisation des puissants
intervient même sans leur accord. Des photos de Segolène Royal en bikini (Closer et
VSD) { l’été 2006, { la médiatisation des premières vacances de François Hollande avec
sa nouvelle femme en août 2007, en passant par des révélations sur la rupture de
Nicolas Sarkozy et de Cécilia, le fameux « mur de la vie privée » institué en France par
l’article 9 du code civil, subit, selon le politologue, « l’effet boomerang de la surexposition
volontaire des hommes politiques français au début des années 2000». Et de
poursuivre : «mais la peopolisation volontaire ne s’arrête pas pour autant ».
2. La peopolisation en définitions :
Pour savoir ce qu’est réellement la peopolisation, commençons par rapporter quelques
définitions. Un certain nombre de références dans le domaine s’y sont essayés, en voici
un échantillon.
2
DAKHLIA Jamil. In, La représentation politique à l’épreuve du people : élus, médias et peopolisation en
France dans les années 2000. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P
66.
5
Guillaume Fradin, doctorant en science politique, propose la définition suivante: « Le
processus médiatique par lequel le politique lève le voile sur sa vie privée, met l’accent sur
les traits de caractère sympathiques ou spectaculaires, et met en avant une manière d’être
sans lien direct avec les fonctions qu’il occupe. 3»
De son côté, Jamil Dakhlia définit ainsi la notion : « La peopolisation exprime une
réappropriation plus ou moins habile des codes des magazines people par une partie des
élus et par la presse généraliste. […] Dans le domaine politique, le terme peopolisation a
deux acceptations : il indique soit l’exposition de liens entre candidats et des célébrités –
chanteurs, comédiens, sportifs notamment – soit une présentation du personnel et du débat
politique sur le même modèle que le traitement du show-business par les magazines
people4 ».
Et
de
reformuler
un
an
plus
tard :
« La
peopolisation
recouvre
trois
phénomènes : l’association entre responsables politiques et gens célèbres, soit que les
premiers imitent les seconds, soit que en sens inverse, des stars s’impliquent en politique,
aux côtés de tel ou tel candidat, ou pour leur propre compte ; mais aussi l’exposition,
volontaire ou non, des personnalités politiques dans la presse échotière ; la conformation,
enfin, des autres aux canons de cette même presse échotière, par un traitement de
l’actualité fondé sur la vedettisation et le dévoilement de l’intimité. 5»
Mettant l’accent sur l’élément intentionnel, l’historien Christian Delporte définit en ces
termes le phénomène : « A minima, il repose sur la vedettisation de l’homme politique et
l’exposition médiatique de la vie privée. Les médias font alors découvrir au public la face
cachée, humaine, sensible, de celui qui gouverne ou aspire à gouverner. Mais la
3
FRADIN Guillaume. In, Cinquante ans de dévoilement de soi : le recours des hommes politiques français
aux émissions de divertissement (1955-2005). Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau
Monde éditions. P 53.
4
DAKHLIA Jamil. In, People et politique : un mariage contre nature ? Critères et enjeux de la
peopolisation. Questions de communication. n° 12, décembre 2007.
5
DAKHLIA Jamil. In, La représentation politique à l’épreuve du people : élus, médias et peopolisation en
France dans les années 2000. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P
66.
6
peopolisation prend tout son sens lorsque l’homme politique utilise la médiatisation de sa
vie privée ou de son histoire personnelle à des fins de communication.6 »
Wikipédia vulgarise, non sans intérêt, la notion en se focalisant sur le rôle du média :
« La peopolisation est la propension des médias { accorder de l’importance aux
personnalités du monde du spectacle, de la politique et du sport en étalant au grand jour
leur vie privée. 7» En cela, elle omet les rôles de deux autres acteurs du process, le public
et le politique lui-même.
Pour Eva-Marie Goepfert, auteur d’un mémoire de recherche sur la question de la
médiatisation de la vie privée8, le phénomène tient principalement à « la privatisation de
l’espace public et publicisation de l’espace privée en politique ».
Au-delà de ces définitions qui viennent se placer en préambule de cette étude, on peut
mettre en balance un certain nombre de questions quant { l’existence du phénomène.
Des réflexions qui nous amènent à des questionnements :
Quand peut-on parler de peopolisation ? Depuis toujours, la société a été curieux des
puissants, des traces du phénomène existent de manière marginale depuis la nuit des
temps ? Quand les médias ont commencé à parler de la vie privée des hommes
politiques ? Quand les hommes politiques en ont usé dans leur stratégie de
communication ? Quand la presse dite « sérieuse » si est mise aussi ? Quand la
peopolisation a aussi desservi l’homme politique ? Quand le vocable est apparu ?
En réfléchissant à cette genèse après documentation, un constat s’impose: la
peopolisation n’est pas l’affaire d’une partie mais de trois : le politique, les médias et le
public.
Cependant, avant de s’intéresser au contexte, il convient de s’interroger sur la
substantifique moelle du concept.
6
DELPORTE Christian. In, Quand la peopolisation des hommes politiques a-t-elle commencé ? Le cas
français. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P 28.
7
WIKIPEDIA. Article Peopolisation. http://fr.wikipedia.org/wiki/Peoplisation.
8
GOEPFERT Eve-Marie. In, La médiatisation de la vie privée des hommes politiques. Une analyse de
cas. La réconciliation de Cécilia et Nicolas Sarkozy dans la presse écrite française. Université Jean Moulin.
Juin 2006. Lyon.
7
3. La peopolisation en substance :
« Il est probable qu’en moyenne la connaissance des Américains sur les vies, amours,
névroses des demi-dieux et déesses qui vivent sur les hauteurs olympiennes de Beverly Hills
dépasse de loin leurs connaissances des affaires civiques. 9 »
B. Rosenberg et D. Manning White
La peopolisation dans sa substance comprend plus particulièrement deux piliers
principaux utilisés comme leviers par les hommes politiques - ou sur lesquels les
journalistes vont les entraîner- la proximité et le glamour. Quand le premier va jouer sur
le lien affectif et l’affirmation « je suis comme vous », le second va s’attacher { créer un
mythe, { se starifier, { devenir inatteignable. C’est l’association des deux concepts,
pouvant paraître paradoxale tant les deux idées sont opposées, qui fait l’efficience du
process : « les héros se rapprochent de l’humanité quotidienne », propose sur cette
question Edgar Morin10.
Jamil Dhaklia présente dans son étude11 sur la peopolisation, « se prêter au jeu de la
peopolisation revient en effet à se couler dans un discours de séduction, proposant des
modèles et des symboles censés provoquer sinon la fascination, du moins l’admiration […]
Dans la discours people, l’admiration n’exclut pas la proximité et ainsi fait écho au
paradoxe de l’Olympien : la star des temps modernes est une semi-divinité qui, bien
qu’exceptionnelle et inaccessible, offre { tout un chacun la possibilité de s’identifier { elle ;
décliné sur le mode de la proximité, le people est { notre image. […]La représentation
people joue sur deux présomptions : accéder { la vérité d’un homme ou d’une femme
publique par le biais de sa vie familiale voire de son intimité et dans le même temps, de la
faire ressembler à tout le monde. »
9
Citation reprise in, L’esprit du temps. Edgar Morin, p 143.
10
MORIN Edgar. In, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P 118
11
DAKHLIA Jamil. In, People et politique : un mariage contre nature ? Critères et enjeux de la
peopolisation. Questions de communication. n° 12, décembre 2007.
8
Confirmant ce point de vue Guillaume Fradin12 propose : « Le phénomène de peoplisation
s’inscrit dans une vaste dynamique : celle d’une tendance { l’élargissement des
« olympiens » à toute personne médiatisée à moyen ou court terme. Ce processus de
médiatisation susciterait chez les téléspectateurs le désir d’obtenir des éléments
d’information relatifs { la vie privée des personnalités qui en font l’objet. » Car on ne peut
passer { côté du mythe de l’Olympien, théorisé par Edgar Morin, lorsque l’on s’intéresse
à la substance de la peopolisation.
« A la rencontre de la poussée de l’imaginaire, du réel vers l’imaginaire, se situent les
vedettes de la grande presse, les olympiens modernes. 13» Voici l’introduction du chapitre
X de l’Esprit du temps qu’Edgar Morin consacre aux Olympiens. Ces derniers sont issus
de la culture de masse et comprennent les stars de cinéma, bien sûr (premiers { s’être
prêter à ce concept), mais pas seulement : les champions, les princes, les rois… en font
aussi partie. L’olympisme tirerait ses origines de différents aspects de l’activité des
olympiens, de l’imaginaire pour les stars { l’écran, de leur accomplissements héroïques
pour les champions, de l’érotisme pour les play boys et « de leurs fonctions sacrées » pour
les rois, les présidents. Ainsi, la peopolisation du côté de son attrait pour les publics
tirerait son origine de la sacralité de l’exercice de certaines fonctions politiques.
Paradoxe, car, comme on le verra plus tard, la peopolisation a contribué à désacraliser la
fonction politique. Paradoxe d’autant plus troublant lorsqu’on se rend compte que les
hommes politiques, pour parer à la désacralisation de la politique, ont recours encore
aujourd’hui { des techniques de communication assimilables { la peopolisation.
Quant au phénomène lui-même, Edgar Morin propose : « L’information transforme ces
olympiens en vedettes de l’actualité. Elle porte { la dignité d’évènements historiques des
évènements dépourvus de toute signification politique. […] Ce nouvel Olympe est
effectivement le produit le plus original du cours nouveau de la culture de masse. Les stars
avaient déjà été antérieurement promues à la divinité. Le cours nouveau les a
humanisées14 .» Car la divinisation de figures emblématiques de la société n’est pas un
12
FRADIN Guillaume. In, Cinquante ans de dévoilement de soi : le recours des hommes politiques français
aux émissions de divertissement (1955-2005). Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau
Monde éditions. P 63.
13
MORIN Edgar. In, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P 115.
14
MORIN Edgar. In, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P 117.
9
phénomène nouveau. Les religions en ont fait leur marque de fabrique. La particularité
première de ces nouveaux Olympiens est bien de tenter, en parallèle de cette
divinisation, de les rapprocher des individus. « Il (ce nouvel Olympe) a multiplié les
relations humaines avec le public. Il a starifié par la suite les cours royales, les play-boys, et
même certains hommes politiques. Depuis que les stars inaccessibles et sublimes du cinéma
sont descendues sur la terre, depuis que les cours royales se sont transformées en Trianons
de la culture de masse […], la vie des olympiens participe { la vie quotidienne des motels
[…]. 15»
Dans ce schéma, ces héros nourrissent une ambivalence entre l’imaginaire et le réel, « à
la fois idéaux inimitables et modèles imitables », ces figures deviennent alors,
« surhumains dans le rôle qu’ils incarnent, humains dans l’existence privée qu’ils vivent. »
Et Morin de poursuivre : « La presse de masse, en même temps qu’elle investit les
olympiens d’un rôle mythologique, plonge dans leur vie privée pour en extraire la
substance humaine qui permet l’identification. 16»
L’analyse du sociologue devient d’autant plus pertinente et se pose en modèle théorique
de référence concernant la peopolisation du politique. Il applique ce processus aux
hommes d’Etat : « Familiers et inaccessibles, eux aussi peuvent accéder à la double nature
des olympiens, humaine et surhumaine. Eux aussi sont poursuivis par les photographes, les
interviews, les potineurs, qui s’efforcent de pomper les sucs de leur intimité. En conjuguant
la vie quotidienne et la vie olympienne, les olympiens deviennent des modèles de culture au
sens ethnographique du terme, c'est-à-dire de modèle de vie. Ce sont des héros modèles. Ils
incarnent les mythes d’autoréalisation de la vie privée. 17»
Les différents universitaires qui se sont intéressés à la question ont souvent cité la
théorie de Morin. Jamil Dakhlia part alors du constat de ces deux piliers pour effectuer
une comparaison entre deux magazines people qui mettent régulièrement en avant la
vie privée d’hommes politiques, Gala et Voici. Selon elle, « un chef politique est
généralement mieux mis en valeur dans ses espaces privés dans Gala où il prend la pose
que dans Voici, où les photographies sont éventuellement volées. Si les deux titres attirent
15
16
17
MORIN Edgar. In, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P 117.
MORIN Edgar. In, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P 117.
MORIN Edgar. In, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P 118.
10
plusieurs millions de lecteurs non exclusivement populaires mais massivement
désintéressés par la politique, ils se distinguent selon des contrats de lecture radicalement
distincts. Comme le résume brutalement le directeur des études de Prisma Presse qui publie
ces deux titres, Voici abaisse la personnalité au rang de la lectrice tandis que Gala hisse la
lectrice au rang de la star.18 » Si l’on peut donc privilégier un levier de la peopolisation {
l’autre, les deux font souvent la paire.
Ainsi de façon plus pragmatique, le jeu va être, entre autres, de désacraliser la fonction
pour jouer sur la proximité et en parallèle de starifier l’homme, « en adhérant à des codes
et { des modes relationnels qui constituent autant d’indices d’appartenance { la
communauté de la Jet-set et des beautiful people. » Cette dernière citation d’Eric Seizelet
est mis en évidence dans son essai19 sur Koizumi Jun’ichirô, chef du gouvernement
japonais de 2001 à 2006. Et de poursuivre : « La popularité du Premier ministre Koizumi
tient non seulement à un style politique décalé par rapport à ses prédécesseurs, mais aussi
à une personnalité « proche » à laquelle les japonais pouvaient plus facilement
s’identifier. 20» Il expose ses déboires familiaux, ses choix de vie conjugaux (pourquoi il
préfère le célibat), se prête aux bains de foule (plutôt rare dans le jeu politicien
japonais), il utilise les nouvelles technologies, vend des produits dérivés { l’image de son
parti… Il « contourne les modes, les structures de communication entre les élites et le
peuple par l’instauration d’un dialogue direct et intime entre le gouvernement et la
population. 21» Le politologue conclura ce propos en précisant qu’il contribuait {
désacraliser la fonction qu’il occupait afin que l’identification par l’homme de la rue soit
possible.
Mais le politicien japonais n’en utilisait pas moins des moyens de starification, pour
« être à la fois inaccessible par sa position de star qui fait rêver mais en même temps très
18
DAKHLIA Jamil. In, La représentation politique à l’épreuve du people : élus, médias et peopolisation en
France dans les années 2000. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P
74.
19
SEIZELET Eric. In, Koizumi Jun’ichiro, superstar de la vie politique japonaise. Le Temps des Médias.
N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 122.
20
SEIZELET Eric. In, Koizumi Jun’ichiro, superstar de la vie politique japonaise. Le Temps des Médias.
N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 122.
21
SEIZELET Eric. In, Koizumi Jun’ichiro, superstar de la vie politique japonaise. Le Temps des Médias.
N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 124.
11
proche par une gestion de l’image et des objets divers qui lui sont associés, qui lui
permettent { la fois d’ancrer la star dans l’horizon quotidien de ses admirateurs… 22»
On notera enfin une dernière ficelle sur laquelle les politiques tirent régulièrement pour
jouer la carte de la proximité : se rapprocher des célébrités de la culture commune,
comme Pierre Musso le fait remarquer au sujet de Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi,
qui n’hésitent pas { s’entourer et { se faire soutenir par divers leaders d’opinion.
Mais ces techniques n’en sont pas pour autant sans risque et l’abus de communication
sur la vie privée peut avoir un effet boomerang sur la personnalité qui l’amorce. Eric
Darras illustre cette perspective { travers l’exemple des tribunaux qui accueillent
régulièrement en leur sein des hommes politiques se prétendant victimes d’atteintes { la
vie privée. Les magistrats vont régulièrement les débouter dans leur action civile dès
lors que ceux-ci ont déjà eu recours volontairement à ce type de techniques (nous
détaillerons cette question plus loin). Mais ce n’est pas le seul risque car la
décrédibilisation de la personnalité politique peut être le pendant d’une stratégie de
communication trop « dévergondée ».
4. La peopolisation dans ses ambitions politiciennes
"The mass do not now take their opinions from dignitaries in Church or
State, from ostensible leaders, or from books. Their thinking is done for
them by men much like themselves, addressing or speaking in their name,
on the spur of the moment….23 “
John Stuart Mill
Statuer sur l’impact de la peopolisation du politique dans ses objectifs politiciens reste
un exercice périlleux. La question est digne d’intérêt car elle représente l’aboutissement
22
SEIZELET Eric. In, Koizumi Jun’ichiro, superstar de la vie politique japonaise. Le Temps des Médias.
N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 126.
23
MILL John Stuart. In, On Liberty, 1869.
12
d’un phénomène communément supposé politique (nous verrons plus loin que c’est
bien plus complexe). Peu mesurable car touchant à la perception du récepteur, il est
difficile de statuer sur le réel impact de la peopolisation sur les électeurs : « Les
indicateurs de la réussite du marketing politique restent flous24 », affirme sur le sujet Eric
Darras. S’il est compliqué de théoriser cette question, un mythe sociétal se positionnant
sur un conditionnement médiatique des électeurs existe bien.
Une croyance domine les débats sur la question : l’opinion qu’un citoyen se fait d’un
homme politique serait aujourd’hui fondée sur sa personne et non sur son programme
politique. Cette croyance semble un des fondements du phénomène dans son utilisation
par le politique. Elle est aussi largement partagée dans la société actuelle et renverrait à
une toute puissance médiatique : les développements éditoriaux de ces derniers
conditionneraient directement les citoyens. Mais pour la plupart des politologues, cette
présomption reste avant tout un mythe, qui ne serait que très peu fondé.
Pour développer la question, étudier l’impact de la communication médiatique au sens
large sur le citoyen semble pertinent { deux égards. Tout d’abord, si la médiatisation de
la vie privée du politique est un aspect singulier de la communication médiatique, celleci en fait bien partie. Cela revient donc { s’interroger sur un phénomène plus global pour
avoir des réponses concernant un process plus particulier, mais compris dans son
champ. Cela ne permet pas, bien sûr, de tirer des vérités absolues, mais bien d’avoir
quelques indications sur la mesure du phénomène. Ensuite le phénomène de
peopolisation semble aujourd’hui un passage quasi-obligé, en tout cas dans la
communication de l’homme politique prétendant { des fonctions { l’échelle nationale (il
existe des contre-exemples, Martine Aubry par exemple). Ce n’est donc pas un
phénomène marginal lorsqu’on considère l’ensemble de la communication politique
médiatique.
Une fois ces justifications exposées, quid de l’impact des médias sur le comportement
électoral ? « Le rôle causal de la communication politique face au comportement électoral
reste limité. […] La socialisation politique continue de jouer un rôle décisif dans
24
DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard
politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 83.
13
l’explication du vote 25», présente alors Eric Darras. Selon cette théorie largement
partagée en science politique, le vrai déterminant dans le comportement électoral tient
avant tout { l’éducation politique de l’électeur ainsi que par la suite { son
environnement socioprofessionnel. Le premier va inculquer un comportement face à la
chose politique, un intérêt plus ou moins grand, des habitudes de vote plus ou moins
assidues. Dans le cas d’un environnement tourné vers la chose politique, le sujet aura
tendance { développer sa pensée dans la lignée ou contre ce socle d’idées, mais ce
cheminement se fera en rapport direct avec son éducation politique. Dans le cas
contraire, il montrera statistiquement moins d’intérêt au sujet en question. Toujours
côté statistique, et pour illustrer ce propos, des enfants d’enseignants ou de travailleurs
sociaux, qui auraient une pratique de l’exercice électoral plus régulière, seraient plus
porter sur des valeurs de gauche, alors que des enfants de dirigeants, élevés dans des
milieux plus aisés, auraient tendance à partager les idées de droite de leurs parents. A
l’inverse, les citoyens les moins politisés restent les sujets provenant de milieux plus
modestes.
Un deuxième déterminant majeur réside dans la catégorie et donc l’environnement
socioprofessionnel du votant. Des grandes tendances se dégagent quant aux habitudes
de votes et au bord politique des ouvriers comparés aux patrons ou encore aux
enseignants. C’est cet univers professionnel ainsi que l’environnement social direct du
citoyen qui seraient les premiers déterminants des choix électoraux.
Dans ce schéma, les médias n’auraient qu’un rôle secondaire, en tout cas pas un rôle
direct. L’impact vertical du média est donc rejeté. Ce ne serait dans l’utilisation qu’en
font les politiques en tant qu’outils de communication, « qu’un réducteur d’incertitudes
électorales », voire même, « un moyen de se rassurer eux-mêmes dans le bon déroulé de
leur campagne et dans leurs chances d’accéder aux affaires 26», pour Eric Darras. Pour
d’autres, les médias joueraient tout de même un rôle, mais celui-ci serait marginal et
plutôt que de façonner une opinion politique, ils viendraient en valider la substance
25
DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard
politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 85.
26
DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard
politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 84.
14
lorsque celle-ci est déj{ construite. Le process d’évolution de la pensée politique après
une exposition médiatique peut tout de même exister mais serait un phénomène très
marginal. N’oublions pas que les récepteurs d’aujourd’hui ont été soumis { plus d’un
demi-siècle de « mass media » et qu’ils filtrent très largement les messages.
Ce sont en substance les résultats de l’enquête de l’équipe de Lazersfeld (Université de
Columbia, USA), développée dans « The People’s Choice »27 et induisant la notion de
« Two steps flow ». Cette théorie réfute un impact direct, vertical, des médias sur les
individus, présentant les spectateurs comme peu perméables aux messages de la presse.
Elle met par contre en avant un lien indirect entre le message médiatique et le
comportement électoral par le rôle de l’entourage. En effet, c’est ce dernier qui aurait le
plus d’influence sur l’électeur et en particulier le leader d’opinion présent dans
l’environnement du citoyen. Or celui-ci aurait, selon Lazarsfeld, la particularité d’être {
l’écoute des médias et de s’en imprégner pour se déterminer politiquement. L’impact du
message médiatique se ferait donc en deux temps (two steps) : premièrement agir sur
les leaders d’opinion, ensuite se répandre sur l’ensemble des individus. Une des grandes
problématiques de la communication consistera { s’adresser { ces leaders d’opinion. Le
phénomène des blogs et de l’intérêt des marques pour ces quidams influents en est sans
aucun doute l’illustration. Pour revenir au sujet qui nous habite, aujourd’hui, devant la
complexification de la communication, les sociologues ont mis en avant un nouveau
concept : celui de la « Multiple steps flow ». « À l’origine, Katz et Lazarfeld avaient
formulé un modèle de communication en deux temps (« two step flow ») dans lequel le
leader interprète d’abord l’information fournie par l’émetteur avant de la transmettre {
son entourage ; aujourd’hui, les recherches suggèrent plutôt des interactions multiples
entre les suiveurs et les leaders28 », proposent dans leur étude marketing sur les leaders
d’opinion Eric Vernette et Laurent Flores. En effet, les leaders d’opinion se multiplient,
se spécialisent vers leurs centres d’intérêts. Les messages médiatiques sont eux plus
nombreux et plus complexes. Conséquence, les interactions se complexifient mais le
schéma reste globalement le même.
27
LAZARSFELD P.F, BERELSON B et GAUDET H. The People’s Choice: How the Voter Makes up His Mind in
a Presidential Campaign. New York. Columbia University Press. 1944.
28
VERNETTE Eric et FLORES Laurent. In, Communiquer avec les leaders d’opinion en marketing.
Décisions Marketing. No 35. Juillet-Septembre 2004. P 9.
15
5. La peopolisation et ses acteurs
« Deux Français sur trois jugent que les hommes politiques sont éloignés de leurs
préoccupations. En guise de réponse, ces derniers leur envoient des signes de proximité.
C'est la mise en avant, par exemple, de leur vie privée qui vient combler un vide
idéologique. Aujourd'hui, les ministres se battent pour aller sur les canapés du petit écran
et n'hésitent plus à fréquenter les plateaux d'animateurs issus de la génération de la
dérision, du nihilisme et de l'obscénité érigés en mode de pensée, au risque de s'y faire
étriller, avec les encouragements appuyés de dirigeants de chaîne convaincus de tenir là le
remède absolu à la baisse de l'audience. »29
Renaud Revel
La peopolisation est un phénomène impliquant trois acteurs : les hommes politiques, les
médias et les publics : « Trois types d’acteurs peuvent être impliqués dans le
développement de la peopolisation : la sphère politique au sens large […], les médias […] et
l’opinion publique, formée par des usagers des médias qui sont en même temps des
électeurs potentiels », décrit Jamil Dakhlia30. Concernant les deux premiers, Christian
Delporte, résume avec justesse leur participation : « Une telle situation (cf :
peopolisation) implique une complicité au moins objective entre le leader (lire : politique)
et les médias, le premier pour toucher, conquérir, fidéliser l’opinion ; les seconds pour
gagner en audience. » En troisième lieu, le public y trouve bien évidemment son compte.
Les leviers de la peopolisation s’adressent au niveau du récepteur (les publics) en
particulier { l’affect, alors qu’un message politique au sens strict en appelle { sa raison.
Sans rentrer dans le détail d’un postulat qui fera l’objet d’un développement plus
conséquent, la starisation comme l’étalement de la vie privée du politique, stimulent le
récepteur via deux processus distincts d’idéalisation et d’identification.
Il serait aisé de reporter la cause du phénomène de peoplisation sur l’une ou l’autre
partie en cause dans son exercice. Certains d’ailleurs ne s’en privent pas. Que ce soit le
29
REVEL Renaud. In, le triomphe de la médiocratie. L’Express. 18 avril 2002 :
http://www.lexpress.fr/culture/le-triomphe-de-la-mediocratie_458119.html
30
DAKHLIA Jamil. In, People et politique : un mariage contre nature ? Critères et enjeux de la
peopolisation. Questions de communication. n° 12, décembre 2007.
16
public, accusant les médias de tous les maux quant aux programmations télévisuelles ou
aux contenus éditoriaux de la presse échotière, le plus fervent lecteur de magazines
people, n’est pas le dernier { s’insurger. Le public semble d’ailleurs préférer en imputer
la faute aux médias qu’aux politiques. La connivence de l’élu, ou de l’homme public en
passe de le devenir, dans la mise en lumière de sa vie privée ne nous semble pas encore
connue de tous. Aucune étude au sens strict ne peut étayer ce postulat mais un rapide
sondage sur un panel d’une trentaine d’individus (pour la plupart issus de longs cursus
universitaires) imputent, { près de 70 %, la faute aux médias. Ces individus, qu’ils soient
électeurs ou publics jouent leur rôle. Ainsi, et on le verra lorsque l’on parlera de la
culture de masse, le public est en quête quasi-constante de divertissement depuis qu’il a
affranchi son esprit des turpitudes de sa survie (Partie 2). Dans le cadre de l’émission
« Questions à domicile », les deux universitaires Brigitte Le Grignou et Erik Neveu
écrivait en ce sens : « la genèse de l’émission permet de saisir en quoi le renouvellement du
genre qu’elle matérialise ne peut se réduire { une machiavélique stratégie de l’audimat par
TF1, mais doit être pensé comme point de coordination, résultat émergeant
d’interdépendances entre des catégories d’agents sociaux qui vont bien au-delà du binôme
journaliste homme-politique. 31» Les individus par leur soif d’intimité, leur curiosité du
voisin et encore plus du leader d’opinion, les mœurs dans leur évolution libérale, la
sécularisation de la société et l’émergence de la postmodernité ont joué un rôle dans le
phénomène de peopolisation.
De leur côté, les hommes politiques, hésitant à reporter la faute sur un électorat friand
d’actualité people, ne se privent pas d’accuser les médias de s’immiscer dans leur vie
privée et de ne faire écho qu’{ la partie la plus intime de leur actualité. On retrouve
régulièrement d’ailleurs ces accusations devant les tribunaux. Les litiges sur l’utilisation
de la vie privée dans les médias sont légion dans les prétoires et la plupart des
magazines people ont un budget dédié aux réparations financières auxquelles ils sont
fréquemment condamnés.
Les médias ne sont pas en reste et sacrifient régulièrement à la facilité de reporter la
faute sur des politiques se prêtant presque systématiquement volontairement au jeu de
31
LE GRIGNOU Brigitte et NEVEU Eric. In, Les dynamiques de la politique à la télévision. Revue française
de science politique. N°43. Paris. 1993. P. 945.
17
la vedettisation. Comme pour les leaders politiques, il n’est pas très aisé d’accuser le
public car si les médias n’y sacrifieraient bien sûr pas des voix, ils y perdraient
certainement des lecteurs/spectateurs. Il convient cependant ici de mentionner qu’{
défaut de toujours chercher à endiguer le phénomène, souvent mal assumé dans
l’ « inteligencia médiatique », une posture réflective par rapport leur activité est
apparue. Autrement dit, à défaut de repentance sur leurs propres actions qu’ils
dénoncent eux-mêmes (car ce n’est pas ici un jugement de ma part mais bien un
constat : les médias continuent encore et toujours à jouer le jeu de la peopolisation alors
qu’ils dénoncent eux-mêmes ce phénomène),
le débat est ouvert dans le cercle
journalistique et donne régulièrement lieu à des productions médiatiques portant sur
l’exercice même des médias. Mais nous y reviendrons plus tard, car l’évolution du
concept de peopolisation a, selon certains auteurs, accentué cette posture réflective des
médias.
Mais la coexistence seule de ces trois parties ne suffit pas { l’existence du phénomène, en
tout cas sous sa forme actuelle. C’est une condition nécessaire, mais non suffisante.
Certaines caractéristiques propres aux relations entre médias et son audience, hommes
politiques et leurs électeurs et journalistes et hommes politiques, tendent à expliquer le
phénomène. Des caractéristiques même de l’exercice politique et médiatique vont
ensuite être impactées par de nouveaux impératifs, conséquence directe de la
peopolisation dans les médias.
En tout cas, c’est la question { laquelle ce mémoire va essayer de répondre : la
peopolisation est-elle assujettie à des caractéristiques de facto imputables aux
interactions entre les professionnels du politique, les médias et les individus,
électeurs dans un cas, récepteurs d’information dans l’autre ?
Mais un dernier aspect contribue à influer sur le phénomène : le droit applicable en la
matière. En droit français, c’est la loi du 17 juillet 1970 qui a débouché sur l’article 9 du
code civil et qui offre une protection globale à la vie privée des individus. En théorie,
c’est donc { la personne et { elle seule de divulguer sa vie privée : « chacun à droit au
respect de sa vie privée 32». Cette protection comprend bien évidemment le droit à
l’image : « L’image est une forme d’extériorisation de l’individu. Dès lors, toute personne
peut s’opposer { ce que des tiers non autorisés la photographient, puis publient son
32
Article 9 du code civil.
18
portrait, quel que soit le support utilisé : journaux, télévision, cinéma et même réseau
internet. 33» Quand aux sanctions, les juges civils se voient conférer un large pouvoir
pour faire cesser l’atteinte, car selon l’article 9 : « Les juges peuvent, sans préjudice de la
réparation des dommages subis, prescrire toute mesure telle que séquestre, saisie et autres,
propres { empêcher ou faire cesser une atteinte { l’intimité de la vie privée ; ces mesures
peuvent s’il y a urgence être ordonnées en référé. »
Cette protection solide à longtemps fait de la France une exception dans le monde, et a
découragé les médias dans la publication de l’intimité des hommes politiques contre
leur gré. Selon Jamil Dakhlia, le début de la peopolisation au sens où on la connaît
aujourd’hui a débuté dans les années 2000. Dès lors de s’interroger : « la peopolisation
sonne-t-elle comme on le dit souvent, la fin de « l’exception française » de protection de la
vie privée des personnages publics ? 34 » Quoi qu’il en soit ce carcan protecteur devient
plus relatif quand on considère les personnes publiques. «Il est certain que, pour les
personnes publiques (hommes politiques, journalistes ou artistes), il existe une forte
pression pour écarter ce droit { l’image au nom d’autres droits comme celui de
l’information des citoyens… Le juge détermine alors au cas par cas si l’atteinte { la vie
privée est ou non constituée », expose Bertrand Pauvert35, spécialiste de libertés
fondamentales { la faculté de droit de l’Université de Haute Alsace.
En pratique donc, une tolérance existe en termes de médiatisation de la vie privée des
hommes politiques. Elle sera toujours appréciée au cas par cas (de facto) par le juge et
sera fonction de l’utilisation passée des techniques de communication sur la vie privée
dans la stratégie de campagne de l’homme politique. Autrement dit, un homme politique
qui a expose régulièrement et volontairement sa vie privée dans les médias pourra
moins aisément agir en justice contre ce qu’il estimerait une atteinte { sa vie privée. La
33
CORPART Isabelle. In, Arrêt sur image - le sort des photographies prises à l’occasion des spectacles. In
La Sécurité des spectacles, B.Pauvert dir. L’Harmattan. 2005. P. 113.
34
DAKHLIA Jamil. In, La représentation politique à l’épreuve du people : élus, médias et peopolisation en
France dans les années 2000. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P
76.
35
e
PAUVERT Bertrand. In, Libertés publiques et droits fondamentaux. 2 édition. Studyrama. Paris. 2011.
P. 53.
19
rupture de 2005 (traitée par Jamil Dakhlia36) dans le traitement de l’intimité des
hommes politiques par les médias peut très certainement s’expliquer en partie par ce
dernier point.
De dernier point éclaircit, concentrons nous maintenant sur la problématique. Il
convient alors d’étudier ces interactions entre les hommes politiques et les électeurs
d’une part, les médias et les consommateurs d’information d’autre part et les
journalistes et les hommes politiques pour une troisième part. On verra dans chacune de
ces parties que naturellement le développement du phénomène nourrit à son tour des
mutations dans les comportements politiques et médiatiques.
Partie 1 : Le politique face aux électeurs
Il n’est pas évident de déterminer quel aspect de la relation homme politique/électeur
est venu poser les bases de la peopolisation puis quel autre s’est employé { catalyser le
processus. Cette partie ne vise pas à statuer définitivement sur les raisons politiques qui
ont rendu quasi-indispensables cette pratique par les hommes politiques aspirant aux
plus hauts mandats. Elle s’essaye humblement { dégager quelques caractéristiques de
l’échiquier politique contemporain qui auraient facilité cette transition dans
l’exploitation de l’image politique. Comme je le présentais plus haut, étudier l’impact du
politique stricto sensu (comme l’impact médiatique), détaché de toute interaction, ne me
semble pas pertinent. Le rôle de la figure politique dans le processus de peopolisation
prend tout son sens lorsqu’il est confronté { l’électeur. L’idée sera ensuite tout au long
de cette partie de s’interroger sur les conséquences imputables { chaque caractéristique
qui vont à leur tour peser sur le déroulement du phénomène.
C’est ainsi que je commencerai donc cette partie. L’étude de l’émergence du phénomène
a imposé un constat. L’utilisation de techniques de communication par l’homme
politique vient de la dépendance de l’homme politique { ce que l’on nomme
vulgairement une opinion publique. Ce terme est intervenu dans l’univers politique {
l’apparition des sondages d’opinion, censés servir « d’instance d’évaluation des messages
36
DAKHLIA Jamil. In, La représentation politique à l’épreuve du people : élus, médias et peopolisation en
France dans les années 2000. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P
67.
20
politiques »37. Terme largement remis en cause par les sciences politiques dans son
utilisation pour caractériser un système de pensée unique qui serait issu de la somme
des opinions individuelles d’une société (la somme d’un ensemble disparate d’opinions
n’a jamais fait un seul et même ensemble d’idées identifiable), nous l’employons ici par
simplicité lexicale pour désigner l’avis des gouvernés face { leurs gouvernants.
C’est ainsi que l’on retrouve déj{ des traces de peopolisation sous l’Ancien Régime,
l’absolutisme royal ne pouvant se détacher complètement du soutien et de l’approbation
des sujets (même si dans ce cadre, c’est plus le rapport ouvrages { sensations/lecteurs
qui donnera des explications sur le phénomène). Si cette notion reste marginale dans ce
type de système politique, des traces étaient déjà bien identifiables (voir sur cette
question l’analyse d’Annie Duprat38).
1.1 Une condition incontournable : le suffrage universel
Mais c’est { l’apparition du marché politique, que le véritable intérêt de l’homme
politique en campagne est intervenu dans le jeu. On est ici aux fondements de
l’interaction entre les gouvernés et les gouvernants puisqu’on bascule alors dans un
schéma électeurs/représentants. Que l’on s’entende l’apparition du suffrage en 1848 n’a
pas été le signal de départ tout azimut du concept qui nous occupe. L’instabilité des
régimes, des habitudes de vote qui peinent à se mettre en place (apprentissage de
l’exercice de la démocratie laborieux…), entre autres difficultés, vont ralentir le
processus.
Mais avec la généralisation et l’installation du suffrage dans la désignation du politique,
c’est un siècle plus tard un marché politique au sens marketing du terme qui émerge. Un
marché avec des producteurs (les hommes politiques) et des acheteurs (les électeurs).
Les premiers « vendent » des promesses, en échange des voix des électeurs. Dès lors,
c’est une « dialectique Etat-entreprise », qui va se mettre en place, selon les termes de
37
DECHEZELLES Stéphanie, cours de sciences politiques, les formes de la démocratie, EJCM, 2010-11.
38
DUPRAT Annie. In Marie-Antoinette, côté bling-bling et côté trash. Le Temps des Médias. N°10
printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P 13.
21
Pierre Musso39, quand il évoque le « sarkoberlusconisme » : l’homme politique devient
un produit qu’il convient de vendre sous un jour favorable. Au centre de ce jeu, le
suffrage universel. Un lien nouveau se crée entre gouvernants et gouvernés. Les hommes
politiques doivent convaincre. Christian Delporte se positionne ainsi sur l’émergence du
phénomène : « Les racines de la peopolisation, en France, sont en effet fort anciennes et,
pour le comprendre, il convient de remonter à la IIIe République. Pas avant cependant, car,
selon nous, la peopolisation est un jeu à trois acteurs –hommes politiques, médias, opinion
publique – qui se satisfait mal de régimes non démocratiques. » Et de continuer : « La
peopolisation prend tout son sens lorsque l’homme politique utilise la médiatisation de sa
vie privée ou de son histoire personnelle { des fins de communication, […], l’horizon de
l’homme politique, soucieux de sa popularité, restant avant tout électoral. » On l’a donc
compris pour qu’il y ait peopolisation, il faut un intérêt de l’homme politique, qui se
matérialise essentiellement dans l’histoire du jeu politique par l’apparition du suffrage
universel : « La nouvelle mécanique (lire la peopolisation) ne se met vraiment en place
qu’au moment où le chef de l’Etat, pivot des institutions, est élu au suffrage universel, mais
aussi lorsque se pose l’éventuelle succession du Général (De Gaulle), c'est-à-dire en 1965
40
» avance Christian Delporte.
On l’a donc vu, le suffrage universel est bien une condition sine qua non de la
peopolisation. Depuis quelques années, ce processus a été amplifié par l’accentuation du
processus de sélection en amont, { l’intérieur même des partis politiques, par des sortes
de primaires { l’américaine, plus ou moins formelles, plus ou moins instituées. « Pour
gagner des élections, il convient surtout d’être désigné comme le candidat de l’un des deux
partis dominants. », présente Eric Darras, « bien avant de bénéficier de l’honneur de
conquérir les suffrages, il faut soi-même croire puis faire croire { d’autres grands hommes
du parti au bien-fondé d’une telle prétention. Une fois installé au sommet de l’appareil
partisan, ces chefs mobilisent également des sondages et toutes les techniques de
communication politique pour remporter cette étape décisive en interne.
41»
L’homme
39
MUSSO Pierre. In, Existe-t-il un sarkoberlusconisme ? Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008.
Paris. Nouveau Monde éditions. P. 140.
40
DELPORTE Christian. In, Quand la peopolisation des hommes politiques a-t-elle commencé ? Le cas
français. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P .35-37.
41
DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard
politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 88.
22
politique utilise alors la communication non seulement pour récolter des voix durant les
élections mais aussi pour être institué prétendant aux affaires par son parti. Pour cela il
doit convaincre les cadres du parti bien sûr, « les candidats à la candidature
présidentielle rivalisent et surtout surenchérissent auprès de ces chefs traditionnels qu’il
faut également toujours convaincre » et le plus souvent les adhérents qui votent son
investiture, voir l’ensemble des citoyens comme c’est le cas pour les primaires
qu’organisera le PS pour désigner son candidat { l’élection présidentielle de 2012. La
croyance dans la toute puissance de la communication dans le jeu politique est très
prégnante dans les partis politiques. Pour convaincre les cadres du parti de ses chances
de victoire, il faudra montrer une cote de popularité exemplaire dans les mesures
d’opinion. Quelque soit finalement le mode de désignation, la manière de communiquer
de l’homme politique entre en jeu. D’autant plus lorsque les électeurs sont appelés aux
urnes dès l’investiture. Mais outre d’accentuer encore l’obligation pour le politique de
convaincre par tous les moyens en rajoutant une étape { l’arrivée aux affaires, Eric
Darras isole une autre conséquence : « La mise en scène des qualités (et défauts)
personnels des candidats peut contribuer à renforcer une polarisation à laquelle un
nombre croissant d’électeurs ne croit plus après un quart de siècle d’alternance au pouvoir
des partis dominants à droite et à gauche. Dès lors, les militants se voient convaincre à
grand renfort de sondages qu’il faut miser, nolens volens, sur celui ou celle qui bénéficie des
plus grandes chances de victoire contre l’adversaire de l’autre camp. 42 » Ce dernier
argument va dans le sens de la partie suivante.
1.2 Un pouvoir personnifié
Mais cela ne fait pas tout, et une analyse sur l’exercice du pouvoir sous la IIIe République
mettra en lumière une deuxième condition. Car si { partir de 1871, l’exercice du pouvoir
est soumis au scrutin, un autre aspect empêche l’ascension de la peopolisation. « Sous la
IIIe République, la personnalisation du pouvoir est parfaitement contradictoire avec la
conception parlementaire des institutions républicaines, avec la République elle-même sur
laquelle plane le souvenir de Napoléon III et du général Boulanger, bref du césarisme. » Et
Christian Delporte d’aller plus loin dans son analyse politique : « Dans un système où
42
DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard
politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 89.
23
l’accès au pouvoir s’effectue exclusivement par voie parlementaire, l’homme qui aspire {
exercer des fonctions institutionnelles doit se forger une image qui ne heurte pas les autres
élus, rivaux ou associés d’aujourd’hui ou de demain. 43» Dès lors, le terrain n’était pas
vraiment fertile { cultiver une image vedettisée. En effet, l’information axée sur le people
met avant tout en lumière des individus. « L’information people est consubstantielle { la
personnalisation de la vie publique et révélatrice de la personnification du pouvoir. »,
continue Christian Delporte. Dans un système qui « refuse les leaders et encore plus les
chefs 44» se vedettiser est un mauvais calcul (sans même parler des barrières morales
quant au dévoilement de l’intime sous la IIIe République, la culture de masse n’a pas
encore percée la petite lucarne des foyers français).
Intéressons nous maintenant à « la réciproque ». La Ve République est caractéristique
des régimes semi-présidentiels, autrement dit d’un régime parlementaire avec un
pouvoir présidentiel fort. Selon l’exercice qu’en fait le président, et bien sûr la
configuration { la tête de l’Etat (en temps de cohabitation la marge de manœuvre
présidentielle est fortement diminuée par exemple), le pouvoir est alors plus ou moins
concentré, au moins symboliquement, entre les mains d’un homme. Il est personnifié,
identifiable et sa combinaison avec le suffrage universel tend à tisser un lien de
confiance entre l’électeur et le présidentiable. Dès lors, le mécanisme de peopolisation
est exacerbé : « Avec l’avènement de la Ve République et l’arrivée de De Gaulle au pouvoir,
une autre logique du pouvoir s’affirme, celle de la peopolisation des enjeux politiques. […]
La Ve République, en effet, célèbre des destins individuels dans le rapport personnel établi
entre le Président élu et les citoyens : dans la vie politique, désormais, seuls comptent les
présidentiables. L’élection présidentielle est d’abord la rencontre entre un homme et un
peuple, sanctionnée par la confiance que le second accorde au premier. […] La présidence
n’efface pas les clivages politiques, mais elle contribue { désidéologiser le choix, à affaiblir
la rationalité partisane au profit de l’élan affectif et { faire jouer { plein les ressorts de
l’imaginaire individuel et collectif. Certes, le programme n’est pas négligeable, mais pèse
d’abord sur la manière dont on perçoit et se représente l’homme auquel on donne sa
confiance. C’est bien pourquoi l’image du responsable public, grandement nourrie de
43
DELPORTE Christian. In, Quand la peopolisation des hommes politiques a-t-elle commencé ? Le cas
français. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 28-30.
44
DELPORTE Christian. In, Quand la peopolisation des hommes politiques a-t-elle commencé ? Le cas
français. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 31.
24
valeurs morales, devient centrale sous la Ve République45.» On est donc bien face à une
condition, la personnification du pouvoir, contribuant à la mise en perspective du
phénomène.
1.3 Les enjeux du bipartisme
Si le pouvoir est personnifié sous la Ve République, l’ascension au pouvoir est aussi
l’affaire d’une personne et réservée dans les faits { deux personnalités identifiables.
« L'ascension de Nicolas Sarkozy a remis en évidence la tendance à l'« américanisation » de
la vie politique française. Mais le nouveau président de l’UMP n'est pas le seul { aller dans
cette direction. La tentation existe aussi à gauche. Au-delà du primat de la communication,
cette tendance a un fort contenu politique qui repose sur l’idée que l'économie libérale
s'impose désormais { tous, qu’elle ne peut plus être un axe de différenciation. D’où le rêve
récurrent d'une bipolarisation { l’anglo-saxonne46», publie l'hebdomadaire Politis en 2004
en traitant de la volonté de certains responsables politiques français de bipolariser le
débat public autour de deux grands partis, à l'image du Parti démocrate et du Parti
Républicain aux États-Unis d'Amérique. Plus analytique, Eric Darras se positionne ainsi :
« La partisanation de la vie politique ou la monopolisation des ressources financières,
symboliques et intellectuelles, au profit du duopole PS-UMP, s’accélère indépendamment de
l’éclatement des suffrages. L’ingénierie électorale et surtout le financement public des
partis, depuis la fin des années 80, aboutit à concentrer les ressources matérielles au profit
des deux formations politiques dominantes qui bénéficient ainsi d’un effet de dumping : le
coût d’entrée dans la compétition politique s’élève relativement { l’augmentation
considérable de l’argent, du personnel permanent, du soutien professionnel, de l’influence
dont disposent le duopole, bon gré mal gré autour du PS et de l’UMP.47 » On l’a compris, au
del{ de l’éclatement des voix, on a bien une seule et unique opposition dans le combat
pour arriver au pouvoir : PS/UMP. Même si des partis tirent régulièrement leur épingle
du jeu (on pense notamment au Front national qui est déjà arrivé au second tour de
45
DELPORTE Christian. In, Quand la peopolisation des hommes politiques a-t-elle commencé ? Le cas
français. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 35.
46
Politis, édition du 9 décembre 2004, De l’UMP au PS : la tentation américaine
47
DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard
politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 96.
25
l’élection présidentielle de 2002 et { qui l’on impute aujourd’hui 23% d’intention de
votes au premier tour en 201248), il ne semble pas envisageable qu’un candidat non issu
du PS ou de l’UMP ait l’avantage au deuxième tour. Dès lors, pour la course à la
présidentielle, chaque camp désignera son « champion » qui sera non seulement le
mieux positionné pour gagner l'Élysée mais surtout pour battre le prétendant du camp
adverse. L’accession au pouvoir est donc personnifiée entre deux candidats mis en
opposition, qui se battront non pas seulement contre un socle d’idées opposées ou tout
du moins divergentes, mais contre une personnalité. Cette confrontation bipolaire
pousse à la mise en avant de qualités personnelles qui sortent du champ des idées
politiques. La logique bipartisane de la Ve République nourrit sans aucun doute le
phénomène de peopolisation et cette logique se voit ensuite nourrie à son tour par les
effets de la peopolisation (obligation aujourd’hui d’un charisme rare { la tête d’un parti,
sans quoi la formation n’a absolument aucune chance de peser dans la course { l’Elysée,
sacralisation de la fonction de chef d’Etat et récurrence du questionnement : a-t-il la
stature pour épouser ces fonctions ?). Ce postulat semble, concrètement, illustré par la
crise de représentation que traverse encore le PS. En mal d’un leader qui unirait son
camp, le PS se déchire dans une bataille des chefs, convaincu, à tord ou à raison, que
l’impératif premier est bien de trouver un « champion ». L’idée que le bipartisme { la
Française catalyse le phénomène de peopolisation reste encore une fois indissociable de
la personnification et du suffrage universel. Il se nourrit par ailleurs de l’ouverture du
suffrage { l’intérieur même du parti. Par ailleurs, si le bipartisme n’est pas directement
issu de la relation avec les électeurs, il est aujourd’hui directement lié { cette interaction.
C’est bien la relation avec ces derniers qui pèsent dans l’impératif de désignation « du
champion » de chaque parti. C’est cette dernière aussi qui pousse les électeurs { ne
choisir qu’un champion susceptible de prendre la tête de l’Etat et de ne pas éparpiller les
voix. C’est cette dernière enfin qui rend le phénomène du bipartisme impactant sur le
phénomène de peopolisation.
1.4 Une mutation dans les critères de l’excellence politique
48
Sondage Harris Interactive pour le Parisien, du 5 mars 2011.
26
Un constat découle de ces dernières analyses : les critères de l’excellence politique ont
changé, évoluant au fil des nouveaux impératifs qu’impose la mise en avant de qualités
humaines sortant du champ politique. Plus axé sur l’exercice politique, cet aspect des
choses n’en est pas moins issu de la relation avec l’électeur. Car c’est avant tout pour se
soumettre à de nouvelles attentes des électeurs en termes d’image que renvoie le
politique (ou du moins c’est ici l’analyse des professionnels du politique) que ces
critères d’excellence mutent. Quant au déroulement de cette mutation, Eric Darras
propose : « La réussite de l’importation du marketing politique et des sondages a été
progressive parce qu’elle a été l’œuvre d’une nouvelle génération de prétendants politiques
inscrits dans les structures partisanes, bien que longtemps dominée { l’intérieur de ces
structures décisionnaires, tant en raison de leur jeunesse que de leur incapacité à faire
valoir les ressources idoines (parrainages, héroïsme, fief, réussite électorale, exemplaire,
titres scolaires élitistes, reconnaissance internationale…). Ils ont su et pu subvenir {
transformer les critères de l’excellence politique (en prônant par exemple, l’importance de
la cote de popularité, de la mise en scène des espaces privés ou de la capacité à réaliser une
bonne performance télévisuelle…) que parce qu’ils ont su concilier l’ancien et le nouveau,
parce qu’ils ont investi les structures traditionnelles (les partis dominants), tout en y
injectant les ferments du changement. 49» Aux moyens énoncés par le politologue, on peut
ajouter une des conclusions des travaux de Brigitte Le Grignou et Erik Neveu. « S’il
dévalorise des modalités anciennes de l’excellence politique, le triomphe télévisuel
d’incarnations « modernes » de l’homme politique tend { produire une nouvelle
standardisation des professionnels. Les formes nouvelles d’excellence engendrent des effets
d’indistinction :
les
partis
rivaux
présentent
des
champions
aux
attributs
interchangeables. 50» Ils ont travaillé sur l’émission « Question à domicile51 » et ont mis
un certain nombre de changements en avant : « L’apparition de Questions { domicile
implique une double redéfinition : celui du genre des émissions politiques et celui des
49
DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard
politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 97.
50
LE GRIGNOU Brigitte et NEVEU Eric. In, Les dynamiques de la politique à la télévision. Revue française
de science politique. N°43. Paris. 1993. P. 965.
51
Questions à domicile est une émission de télévision politique mensuelle diffusée sur TF1 du 26 mars
1985 au 18 mai 1989 et présentée par Anne Sinclair et Pierre-Luc Séguillon, précurseur en terme de
médiatisation de l’intime politique.
27
performances du genre et des savoir-faire exigés du personnel politique.52» C’est pour ce
paragraphe le dernier registre qui nous intéresse. Sans rentrer dans les détails,
l’émission Questions { domicile est significative d’un processus de peopolisation qui a
commencé à prendre une vraie ampleur après 1965 et la première élection au suffrage
universel direct, même si l’émission n’arrive que vingt ans plus tard. Innovante lors de
sa première diffusion en 1985, elle propose une interview d’un homme politique { son
domicile. S’adaptant { ce nouveau cadre pour une entrevue politique, le format se veut
plus intimiste, et dans les faits, l’échange prend souvent une tournure très personnelle.
Car si l’émission porte en premier lieu sur des questions éminemment politiques,
l’homme politique propose ensuite une visite de sa demeure, laissant place { un échange
plus intimiste. C’est en ce sens un sujet d’étude pertinent, qui met en lumière, entre
autres, cette mutation dans les critères de l’excellence politique. Dès lors les conclusions
des deux politologues sont formelles. Un nouveau savoir-faire politique est en œuvre,
« qui exige du personnel politique un autocontrôle identitaire, un travail de représentation
d’une sophistication accrue. 53 »
Une partie de ces capacités sont cependant induite par le métier : « La logique du métier
(politique) veut que le sens pédagogique, l’intuition des affects { solliciter, la capacité {
cibler des messages que retraduiront des médiateurs, soient au cœur des ressources qui
fondent les carrières politiques. 54» Certes, mais ce nouveau registre d’expression a bien
fait bouger les critères du « bon » homme politique. On lui demande plus d’agilité
intellectuelle, ce qui va être ensuite valorisé par le traitement médiatique. Les questions
s’accélèrent, la forme { tendance { primer sur le fond : « l’homme politique doit
privilégier un savoir-être à un savoir-faire55 », constate Le Grignou et Neveu. Cette notion
est appelé outre-Atlantique le « spin control » et constitue un concept ayant fait ses
lettres de noblesses dans le jeu politicien des années 60 (on pense notamment à
Kennedy et la mise en avant de sa famille, par exemple.) On privilégie alors une image,
un « être là ».
52
Op. Cit. P. 941
53
Op. Cit. P. 941
54
Op. Cit. P. 949
55
Op. cit. P. 965.
28
Par ailleurs, le fond du discours subit lui aussi des mutations. La prise de parole
politique est désacralisée, le ton plus décontracté. On privilégie de nouvelles valeurs à
mettre en avant, l’amitié, l’humour, la sympathie. La solidarité est mise { l’honneur, dans
un monde marqué par la compétition. En cela la démarche peut être comparable à celle
d’une célébrité au sens large qui s’engagera dans une cause admise comme « juste » par
le sens commun dans un soucis de travail sur son image. La capacité du politique à
entretenir une communication où s’entremêlent l’affectif et le politique est utile dans la
prestation de ce type d’émissions. Les performances trop inspirées de la logique
d’expression du meeting ne sont pas encouragées. On favorisera la recherche de la petite
phrase saillante plutôt que le long discours éloquent.
On peut ensuite tenter de décrypter ces nouveaux messages politiques et leurs moyens
de mise en œuvre. Un gros travail de mise en scène de soi est nécessaire. Cette mise en
scène passe par le rattachement d’un élu { un terroir. Un grand nombre d’hommes
politiques revendiquent leur appartenance à un fief local et conjuguent ainsi un mandat
national et un mandat local. Les candidats qui n’ont pas d’engagement au niveau local,
partent, en ce sens, en quête d’une mairie. En illustration, Brice Hortefeux qui annonçait
viser la mairie de Vichy aux prochaines municipales. Ces racines seront aussi issues
d’une généalogie politique, se revendiquer Gaulliste ou Chiraquien par exemple. Dans un
cas comme dans l’autre, l’objectif est de bénéficier de racines symboliques qui
rassureront l’électeur. Pour le premier aspect, l’élu n’est pas qu’un technocrate de plus, il
est authentique. Pour le second, il fait partie d’une vraie famille politique, chaleureuse et
ancestrale. Autres cordes de la mise en scène, l’exhibition d’indices culturels valorisants
(interview devant sa bibliothèque pour Michel Rocard dans « Questions à domicile » (20
mars 1988), confession en off à des journalistes par le Président Nicolas Sarkozy sur ses
goûts culturels immédiatement relayés dans la presse, janvier 2011…). La stylisation de
la vie domestique entre elle aussi dans ce champ : mettre en avant sa famille, son
domicile… On pense { Hervé Morin qui présente ses vœux 2011 aux Français sur
internet, dans sa cuisine ou des premières vacances en couple de Nicolas Sarkozy et
Carla Bruni en Égypte publiées par Gala. La mise en scène de soi ira jusqu’{ exposer ses
souffrances, son parcours difficile dans certaines émissions. Ainsi dans « Face aux
Français » par exemple (émission du 5 octobre 2010, France 2), Jean-Luc Mélenchon,
candidat pressenti { l’élection présidentielle de 2012 pour le Parti de Gauche, a été
amené à évoquer son enfance, ses difficultés familiales... jouant de l’affect et exposant
29
son intimité alors même qu’il s’évertue { dénoncer les travers des traitements
médiatiques, en en faisant même un thème de campagne.
Autant de manières de communiquer qui demandent de nouvelles qualités, des qualités
quasi-théâtrales, comparées par Neveu et Le Grignou à celles de « comédiens ». Par
ailleurs, elles effacent de facto un certain nombre de prédispositions jusqu’alors
requises : « L’émission révèle le changement dans la nature et la structure des capitaux les
plus rentables dans le champ politique. Le capital de relations sociales, la logique
clientéliste des services rendus, qui caractérisait le notable d’antan ont perdu une grande
part de leur rendement56», expliquent les deux politologues.
Ces critères d’excellence vont s’imposer chez une génération d’hommes politiques,
cinquantenaire en 2010, née avec la télévision et avec la généralisation de la culture de
masse (voir II). En mettant cet argument en avant, Eric Darras est quant à lui plus
nuancer et préfère proposer que cette nouvelle génération en politique, « font valoir
mais autrement les mêmes ressources que leurs prédécesseurs (issus de l’ENA), mais aussi
de nouveaux expédients (dont la popularité par les sondages). » Et de poursuivre : « Ce
n’est pas tant la télévision et les sondages qui font les rois mais bien la croyance
médiatique (dans la toute puissance de la télévision et la qualité des sondages) qui s’avère
ainsi opératoire dans le réel.57 » Il illustre ensuite son propos par l’investiture { la course
{ l’Elysée de Ségolène Royal par la PS en 2002, qui « ne s’explique pas exclusivement par
le fait qu’elle disposait de nombreux soutiens en interne. 58» Ce propos tinté d’ironie est un
bon exemple d’une croyance imprégnant cette nouvelle génération d’hommes politiques
qui imputerait aux médias un rôle qui dans les faits ne s’avèrerait pas exact. Un postulat
qui pousse cependant { des mutations dans les critères de l’excellence politique et qui a
accéléré en parallèle la professionnalisation des acteurs de la vie politique.
Car ces nouveaux critères d’excellence impliquent de nouvelles aptitudes qui ne sont pas
toujours innées dans la sphère politique. Le travail de l’image et de représentation de
soi, ne sont pas toujours l’apanage du politique qui a dû se former à ces nouveaux pré-
56
Op. Cit. P. 967
57
DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard
politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 94.
58
Op. Cit. P. 94.
30
requis. Le Grignou et Neveu ont fait remarquer à juste titre que « les capacités dans ce
domaine sont inégales entre les hommes politiques. 59» Ce postulat prend tout son sens si
l’on compare par exemple Martine Aubry, et Nicolas Sarkozy. Ces nouveaux critères ne
vont pas forcément, jusque là, favoriser les profils très technocratiques (hautes études
administratives par exemple) mais vont avoir tendance à encourager les formations en
marketing, les écoles de commerce. Cela va donc contraindre, selon Brigitte Le Grignou
et Erik Neveu, « à des investissements coûteux en conseillers en communication.60 »
Ségolène Royal a fait polémique { ce sujet et l’emploi de conseillers tels qu’Arianne
Mnouchkine, Didier Bezace ou Dominique Besnehard, professionnels du théâtre, est un
juste exemple de cette professionnalisation de la politique. Si cette dernière est un
phénomène bien plus large que ce qui nous intéresse dans ce sujet, et fait intervenir des
process issus de bien d’autres champs, elle a toujours encouragé la peopolisation et s’en
est nourrie. Une cause, puisqu’en se professionnalisant l’homme politique s’est mis {
s’interroger sur des aspects plus éloignés de son action principale et est allé plus loin
dans les leviers à actionner pour prétendre à des fonctions représentatives. Une
conséquence, puisque les nouveaux critères d’excellence induis demandent un travail de
plus en plus conséquent pour l’homme politique. Autre conséquence pointée du doigt
dans l’essai d’Erik Neveu et de Brigitte Le Grignou, le métier de journaliste s’en est vu
complexifié : « les émissions qui revendiquent un objectif de déstabilisation font face à de
plus en plus d’obstacles : le savoir-faire des politiques, les intérêts communs des associés
rivaux (journaliste/politique) { la réussite d’un spectacle qui ne doit pas être une mise {
mort… 61»
1.5 La crise de la démocratie
Un dernier aspect viendra compléter cette première partie de mon étude. Un aspect en
lien avec son temps : la crise de la démocratie. Sorte de chimère alambiquée pour les
uns, indissociable d’une réalité observable pour les autres, on conviendra d’une chose,
59
LE GRIGNOU Brigitte et NEVEU Eric. In, Les dynamiques de la politique à la télévision. Revue française
de science politique. N°43. Paris. 1993. P. 961.
60
Op. Cit. P. 966.
61
Op. Cit. P. 951
31
les démocraties occidentales ne vivent pas leurs jours les plus enthousiastes. « Le fait
que la démocratie n’a plus d’ennemis déclarés ne l’empêche pas d’être travaillée par une
adversité intime, qui s’ignore pour telle, mais qui n’en est pas moins tout aussi redoutable
dans ses effets. » La mise en garde de Marcel Gauchet62 ne nous éclaire pas sur les
raisons mais a le mérite d’attirer les regards. On ne s’étalera pas sur les aspects de cette
crise, ce n’est pas le sujet, mais on notera simplement qu’elle a plusieurs visages. Perte
de légitimité des hommes politiques dans la réalisation de leurs promesses électorales
ainsi que dans leur honnêteté (« tous des pourris »), abstentionnisme record, entre
autres. Divers aspects de la peopolisation sont liés à cette crise avec un objectif
convergent : lutter contre le désamour des gouvernés pour les gouvernants. « L’image
d’elle-même que fournit la classe politique à travers la convergence des prestations (lire :
évoquer le cadre privée alors que l’on parle de politique dans le cadre de « Questions à
domicile ») participe à un processus de réhabilitation symbolique63 », précisent dans ce
sens Brigitte Le Grignou et Erik Neveu.
La communication focalisée sur la vie privée peut alors tout d’abord être un recours de
l’homme politique visant { détourner le regard sur le fond d’affaires politiques peu
flatteuses, sans même parler de scandales. C’est la stratégie de l’évitement. On
privilégiera alors les émissions de divertissement dans lesquels le discours politique
tient une place plus que négligeable. Le corollaire est donc bien évidemment que la vie
politique devient de plus en plus opaque, puisque tout simplement elle prend de moins
en moins de place dans les programmes regardés par le plus grand nombre. Dans la
même lignée et aux même fins, l’homme politique peut choisir d’inonder d’informations
sur son emploi du temps, abreuvant les médias d’informations. Ces derniers vont avoir
tendance { reprendre ces informations, de peur que d’autres médias fassent de
l’audience sur le sujet sans avoir repris l’information. Cette technique a aussi l’intérêt de
limiter le temps à disposition du journaliste pour parfaire sa hiérarchisation de
l’information, dans sa réflexion autour de son media planning. Cet aspect peut sembler
sortir du champ de la peopolisation, mais il se rapproche au contraire de techniques de
communication utilisées par les peoples : parler de soi à outrance, quelque soit le sujet,
pourvu que l’on sature les grilles de programmes. On en arrive donc { une médiatisation
62
GAUCHET Marcel. In, La Démocratie d’une crise à l’autre. Ed. Cécile Defaut. 2007.
63
LE GRIGNOU Brigitte et NEVEU Eric. In, Les dynamiques de la politique à la télévision. Revue française
de science politique. N°43. Paris. 1993. P. 954.
32
du seul fait de la notoriété et seule une poignée de personnalités peut se permettre ce
procédé. On pense, côté politique, notamment à Nicolas Sarkozy au début de son mandat
présidentiel (2007) qui tenait par le biais du chargé de communication de l’Elysée
(David Martinon), une conférence de presse par jour. Côté journalistique, le rythme
imposé est alors très soutenu. Les journalistes n’ont plus le temps de rentrer dans le
fond des dossiers, ils reprennent quasi-instantanément les informations faisant
régulièrement de l’actualité avec un non-évènement.
Autre tendance, touchant directement au sujet qui nous habite, la communication sur la
vie privée va parfois être légitimée côté politique par un impératif de transparence.
Devant le climat de suspicion entourant les acteurs du politique, la croyance dans
l’adage «tous les mêmes, tous des pourris », les scandales à répétition dans les médias
depuis une cinquantaine d’années, les hommes politiques ont trouvé dans la
médiatisation de la vie privée une parade. En mettant en avant leur intimité, ils se
targuent ainsi de plus de transparence sur leur action. En effet, les scandales ne
distinguent par vraiment la sphère privée de la sphère publique. Ainsi, un écart se
plaçant sur le terrain des mœurs (adultère, écarts de conduite…) fera le haut de l’affiche
et sera perçu par le public de manière égale à un abus de bien sociaux, à de la
corruption… Alors même que le premier touche { la vie privée de la personnalité et n’a
que peu d’implication sur son exercice du pouvoir et que le second est illégal et porte sur
les affaires publiques. Dans ce cadre, l’argument politique est le suivant : je parle de ma
vie privée, car je n’ai rien { cacher. L’objectif est alors double : une part d’évitement bien
sûr, mais surtout retrouver la confiance des électeurs dans un climat de suspicion
exacerbé en montrant patte blanche sur ses habitudes de vie. On va donner une
impression de transparence alors même qu’on est entrain d’obscurcir la vie publique. Et
pour cause, les sujets sur la vie privée ou sur la forme des prestations politiques
prennent la place des sujets de politique fondamentale dans les grilles de programme
(voir partie II). Mais attention, lorsque l’homme politique en joue, on est bien dans un
phénomène de peopolisation. Il est des cas, où le jeu médias/opinion publique
contraindra le politique { en révéler plus qu’il ne le souhaite. A ce sujet, Jean-Claude
Sergeant64 précise : « La peopolisation relève d’une démarche ambigüe, consistant {
64
SERGEANT Jean-Claude. In, Entre transgression et consentement, le traitement des personnalités
politiques par les médias : le cas britannique. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau
Monde éditions. P. 190.
33
mettre sur la place publique des éléments de personnalité qui, sans être dissimulés, ne
nécessitent pas d’être portés à la connaissance de tous, mais concourent à la construction
d’une image a priori positive de l’intéressé. Il est des cas plus problématiques dans lesquels
la personnalité au centre de l’attention des médias est sommée de révéler plus qu’elle ne
souhaite sa vie privée au nom de la transparence exigée de ceux qui déterminent une
parcelle du pouvoir. » Attention { l’amalgame donc, porter au devant de la scène une
partie de sa vie privée pour faire croire { une partie de l’électorat { sa bonne foie, à la
transparence de son existence peut être une stratégie de communication. Mais être
obligé par un contexte, un scandale, de mettre à nue une partie de son intimité peut
sortir de ce champ-l{ et devenir une contrainte plus qu’une stratégie.
Dans un cas comme dans l’autre cependant, cette dimension de la peopolisation me
semble une des plus révélatrices de son temps. Pas tant par son appropriation par le
politique mais par son acceptation par le public. On admet ouvertement qu’un homme
politique doive tout révéler sur son intimité. Le pouvoir atteint une apogée de
personnification : l’homme aux affaires représente l’ensemble des Français et doit être
irréprochable dans ses habitudes de vie : plus qu’un impératif, c’est une des principales
vertus du prétendant aux affaires. Dans ce schème, on s’éloigne considérablement de la
fonction représentative. Dans cette conception le choix du représentant ne se ferait
qu’en fonction d’intérêts communs, une vision commune de ce que doit être la société
(ce que la raison devrait dicter). On est plus aujourd’hui { choisir /On préfère
aujourd’hui choisir une personnalité titulaire d’une stature que l’on estime adéquate { la
fonction, que nos perceptions estiment faites pour embrasser ce rôle. Le choix porte plus
sur des qualités humaines que sur des qualités « professionnelles » au sens politique du
terme. Brigitte Le Grignou et Erik Neveu statuaient à ce propos : « Il est cependant permis
de se demander si les cotations des leaders politiques -lorsqu’elles sont bâties comme à
Question à domicile sur des critères explicitement psychologiques (est-il sympathique,
proche des gens… ?) – ne sont pas au nombre des usages les moins incohérents du sondage
en politique. A côté de ceux qui se prononcent sur les hommes politiques en fonction de
leurs prises de position strictement politiques, une masse considérable d’agents peu
politisés apprécie les compétiteurs sur des critères où la bonne tête ou l’apparence « pas
fière » pèse plus que les discours. […] Ils sollicitent en effet explicitement des critères
d’évaluations qui, pour être inopérant en matière de compréhension de l’espace politique
34
sont cependant ceux mis en œuvre par nombre d’agents sociaux dans les situations de choix
électoral.65 »
Autre arme, corollaire de la transparence, celle du parler vrai, souvent choisie par les
extrêmes comme rempart à une autre accusation du public : la langue de bois. A l’image
d’un Georges Marchais (PC) en son temps, d’un Jean-Marie Le Pen (FN) ou aujourd’hui
d’un Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche), le parler vrai est un atout communicationnel
qui s’écarte quelque peu de la peopolisation, quoi que lorsqu’il porte sur la sphère
intime, peut devenir redoutable (revendiquer haut et fort un style de vie par exemple).
Une autre obsession, sensée se poser { l’encontre de la crise de la représentation, est
celle de toucher par son discours le plus grand nombre. On est ainsi dans l’ère de
l’hyper-communication politique qui consiste à inonder les médias les plus
« mainstream » de sa présence. Nicolas Sarkozy ne disait-il pas ironiquement en off
après l’incident de la cité des 4000 { la Courneuve, où il promettait de nettoyer la cité au
Karcher au lendemain du meurtre d’un enfant de 11 ans, en répondant { des journalistes
qui l’interrogeait sur la droitisation de son discours : « de qui parle-t-on aujourd’hui
dans toute la presse ? » Mettant en parallèle Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi, Pierre
Musso décrit : « Ils ont su construire une figure publique devenue objet d’amour et de
haine, pour faire clivage. Pour les uns, ils portent tous les signent du pouvoir de façon
négative, avec arrogance, comme des parvenus, en menaçant le pluralisme de
l’information, voire la démocratie. Pour d’autres, notamment pour la majorité qui les porte
au pouvoir, ils symbolisent la réussite, l’efficacité, l’effort, l’habileté. Comme toute figure
symbolique, l’image du sarkoberlusconisme est ambivalente et ne doit pas laisser
indifférent. Les deux personnages s’emploient { susciter les oppositions autour de leur
personne, pour provoquer des réactions émotionnelles d’adhésion ou de rejet, car
l’important est de demeurer le référant du débat public. 66» Dans un monde, où la stature
fait l’élection, il faut maintenir sa légitimité coûte que coûte dans les affaires publiques.
Agir partout, tout le temps pour qu’émotionnellement politique rime avec son nom. C’est
ici l’aspect le plus marketing de la vie politique, imposer son nom comme une marque, sa
65
LE GRIGNOU Brigitte et NEVEU Eric. In, Les dynamiques de la politique à la télévision. Revue française
de science politique. N°43. Paris. 1993. P.955.
66
MUSSO Pierre. In, Existe-t-il un sarkoberlusconisme ? Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008.
Paris. Nouveau Monde éditions. P.135.
35
personne comme un produit. Mais dans un secteur d’activité en décrépitude, il faut à
nouveau séduire. Dans cet univers l{, toucher le plus d’électeurs possible par son
discours participe à cette entreprise de réhabilitation : « Cette familiarisation latente de
l’univers politique peut fournir aux téléspectateurs les plus étrangers { la politique un code
accessible pour lire le jeu des partis en dispute, conflits de génération, réconciliations.67»
Autrement dit, la peopolisation dans ses conséquences sur le discours politique va avoir
pour objectif de réconcilier les citoyens avec ses potentiels gouvernants.
Ces
différents
points
poussent
au
constat
suivant :
la
relation
homme
politique/électeurs est une des bases du phénomène de peopolisation. Le marché
politique, certaines caractéristiques institutionnelles, entre autres, ont contribué à faire
émerger une tendance au traitement de leur vie privée dans les médias. Mais toutes ces
caractéristiques sont tributaires des interactions avec les électeurs et n’existeraient pas
sans cela.
67
DAKHLIA Jamil. In, People et politique : un mariage contre nature ? Critères et enjeux de la
peopolisation. Questions de communication. n° 12, décembre 2007.
36
Partie 2 : Les médias face aux publics
2.1 Quand la société impose ses dogmes
Nous allons ici isoler trois concepts sociologiques.
2.1.1 De La culture de masse
La culture de masse s’est développée au début des années 30. Cette thématique
correspond au développement de la société américaine d’abord, des sociétés
occidentales ensuite. On accède à des nouveaux standards de vie. Selon Edgar Morin, le
problème de la réalisation d’une vie personnelle se pose de façon insistante dès lors que
la subsistance n’est plus l’unique problème. Avec l’augmentation des salaires et en
corollaire du niveau de vie, ce ne sont plus seulement les classes bourgeoises mais une
couche sociale plus large qui tend { s’approprier ce questionnement. Cela se matérialise
par le développement des loisirs, « qui tendent à diminuer l’intensité affective des
préoccupations liées à la vie de travail. La sève de la vie trouve de nouvelles irrigations
37
hors travail, les contenus vécus vont se réfugier dans le loisir et accentuer le mouvement
général vers la vie privée. 68»
Conséquence, l’existence humaine s’individualise et l’imaginaire s’investit de mythes
d’auto réalisation, on s’associe { des modèles de vie jusque dans sa sphère privée. «Si
l’on considère que, désormais ; l’homme des sociétés occidentales axe de plus en plus ses
préoccupations sur le bien-être et le standing d’une part, l’amour et le bonheur d’autre
part, la culture de masse fournit les mythes conducteurs des aspirations privées de la
collectivité. » Cette culture de masse est donc bien dispensée par des mass media. Selon
Leo Bogart69 : « les mass media ont répandu la conscience populaire de ce qui constitue
« une bonne vie ». En rendant cette bonne vie familière, elles l’ont fait paraître possible
autant que désirables pour les grandes masses. »
Cela se retrouve dans les objets de la culture de masse, comme le cinéma : « En même
temps que les héros (de cinéma) se rapprochent de l’humanité quotidienne, qu’ils y sont
émergés, qui s’imposent leurs problèmes psychologiques, ils sont de moins en moins
officiants d’un mystère sacré pour devenir les alter egos du spectateur70 », présente Edgar
Morin. En témoin de cette évolution, le sociologue propose une étude sur la
métamorphose de la star de cinéma { l’apparition de la culture de masse dans son œuvre
les Stars.
En témoin de cette évolution, un autre ouvrage d’Edgar Morin prend tout son sens. Dans
Les Stars71, il décrit avec justesse la métamorphose de la symbolique et de l’exercice de
la star, tout au long du XXe siècle. Il montre l’importance du lien public/vedette, les
attentes des individus façonnant { travers le siècle d’une part la symbolique sans cesse
renouvelée de la vedette, mais aussi son quotidien, son apparence… La star n’existerait
finalement que pour répondre à des attentes quasi-mythologiques des « grandes
masses ».
68
MORIN Edgar. In, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P. 105.
69
Citation reprise in, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P. 103.
70
Cit. Op. 106
71
MORIN Edgar. In, Les Stars. Paris. Point.
38
Mais alors que le cinéma s’investit de nouvelles problématiques influant sur l’imaginaire
des spectateurs et répondant par la même occasion à de nouveaux besoins de
l’imagination, un autre acteur entre dans le jeu de la culture de masse : la presse. Dès
lors le sociologue isole la théorie des vases communicants72: « Il y a dans tout spectacle
de cinéma, { côté du romanesque, un part d’actualités […] On retrouve la même dualité
dans la presse. » Les producteurs de contenus vont très vite se rendre compte qu’en ne
rapportant pas froidement leurs informations mais en faisant, marginalement d’abord,
appelle { l’affect des publics, l’audience ou les tirages s’en ressentaient. Des romansfeuilletons du 19e siècle, au règne de l’infotainement dans les années 2000, on note une
apparition rapide puis un développement continue du divertissement dans
l’information. Jalonnée d’étapes identifiables, cette ascension est liée { la complicité des
médias dans le phénomène de peopolisation. On est ici face au même mécanisme de
sollicitation de l’affect, de l’émotion dans la transmission par les médias d’un message
d’information. L’apparition du divertissement dans les médias semble donc un sujet
digne d’intérêt dans l’étude qui nous occupe. Nous ne nous étalerons pas non plus sur
cette longue évolution, mais l’apparition de certaines techniques nouvelles, de certains
nouveaux formats médiatiques sont incontournables pour en comprendre la substance.
Selon Edgar Morin, « dès le XXIe siècle, le roman-feuilleton et le conte s’étaient introduits
dans le journal. 73» Les moyens techniques se perfectionnant, les mass-media
apparaissent. L’émotion n’a pas attendu bien longtemps pour solliciter le consommateur
d’information. Et le sociologue de poursuivre : « Mais c’est au début du XXe siècle que
l’imaginaire déferle sur les mass-media. Une presse périodique, uniquement romanesque
(sentimentale, aventureuse,
ou
policière) se
constitue.
Le
cinématographe
se
métamorphose en spectacle et se voue principalement aux films et aux fictions. Puis la
radio devient le grand véhicule des chansons et des jeux, suivie de la télévision. 74»
Les médias adoptent donc très vite une grille de programmes alternant l’information et
le divertissement, « l’informatif et l’imaginaire », selon Morin. Le sociologue rappelle
d’ailleurs { juste titre que les médias « semblaient voués uniquement { l’information
72
MORIN Edgar. In, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P. 130.
73
Op. Cit. P.110
74
Op. Cit. P.110
39
(presse), à la représentation du réel (cinématographe), à la transmission de
communications (radio).75 »
2.1.2 De la sécularisation de la société
Au-delà, de la culture de masse d’autres phénomènes plus ou moins contemporains du
phénomène précité entrent dans le champ des mutations sociales qui nous animent.
Ainsi la sécularisation de la société, amorcée par la révolution intellectuelle des
Lumières, a considérablement impacté l’individualisation de la société. Comme le
présente Morin, un grand nombre d’évolutions sociétales sont le corollaire « d’un
nouveau degré d’individualisation de l’existence humaine. » La sécularisation de la société
posant les bases de cette individualisation, elle en devient un des fondements ancestraux
et indirects du phénomène de peopolisation Sans rentrer dans les détails d’un process
complexe, la sécularisation met fin { l’omnipotence cléricale dans la vie quotidienne et
place la raison comme base de fonctionnement de la pensée individuelle, la substituant à
la spiritualité. Plus de fatalité, on se préoccupe de son destin individuel en ayant
conscience que l’on peut influer sur le déroulement de son existence ici-bas. Ces
nouvelles aspirations individuelles vont jouer leur rôle dans la quête au divertissement
et dans le désintérêt pour la chose publique.
2.1.3 De la postmodernité
Autre courant d’idées, plus contemporain et pouvant être englobé dans les nouveaux
visages de la sécularisation, la postmodernité, apparue fin du XXe siècle, joue elle aussi
un rôle dans le phénomène. « Culte du présent, bonne gestion et recherche du bien-être
remplacent la volonté de transmission, propre aux prémodernes, comme celle de
transformation de la société, caractéristique des modernes 76», présente le sociologue
Peter Sloterdijk, pour qualifier la postmodernité. Vulgairement, elle est la résultante de
la chute des dogmes religieux ayant conduit à la modernité, puis à la fin des utopies de
ces mêmes modernes. Elle tend à combattre le « désenchantement du monde ». Elle a
plusieurs visages : on parle d’un nouveau rapport au temps, d’une fragmentation de la
75
Op. Cit. P 111
76
WIKIPEDIA, article sur la postmodernité. http://fr.wikipedia.org/wiki/Postmodernit%C3%A9.
40
société et des individus et d’un nouveau mode de régulation de l’espace social. 77 Chacun
de ces aspects entretient une proximité avec le phénomène de peopolisation. Le
phénomène consacre la vie quotidienne, la routine de la personne médiatisée. Il
présente des individualités identifiées dans leur propre fragmentation (homme
politique et bon père de famille, homme politique et homme de culture…). Quant au
dernier aspect, la peopolisation est en soi un nouveau mode de régulation de l’espace
politique et médiatique. Les critères d’excellence ont changé, les formats médiatiques
aussi dans une logique s’apparentant plus { celle du marché qu’{ des schémas
traditionnels. Brigitte Le Grignou et Erik Neveu vont dans ce sens en évoquant
« Questions à domicile » : « Elle (l’émission) souscrit { sa façon aux thématique de la
postmodernité. 78»
Ces idées ne sont pas très éloignées des diktats de la culture de masse. On retrouve dans
la sécularisation qui l’a précédé, des fondements et dans la postmodernité, qui en est son
incarnation
sociologique
actuelle,
une
certaines
continuité.
Ces
différentes
caractéristiques font définitivement de la peopolisation une pratique dans « l’air du
temps ». Si ces considérations sont d’ailleurs plus sociologiques que médiatiques, les
médias se sont alignés sur ces nouveaux modèles sociétaux quant à leurs contenus (tout
comme les politiques ont adaptés leurs discours à ces mêmes attentes). Prenons un
exemple. Selon Morin, « la culture de masse tend à constituer idéalement un gigantesque
club d’amis, une grande famille non hiérarchisée
79
». Caractéristique sociologique, s’il en
est. Prenons maintenant l’étude de Brigitte Le Grignou et d’Erik Neveu sur l’émission
« Question à domicile ». Dans cette émission : « L’attention portée { la révélation de la
personnalité, le ton d’une conversation décontractée, préféré { un registre conflictuel cadre
aussi la fin des « grands récits », l’épuisement des adhésions idéologiques.80 » Voilà pour
l’aspect médiatique. Puis, dans la même étude, mais quelques pages plus loin. En parlant
77
Citation reprise in, Wikipédia, article sur la postmodernité.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Postmodernit%C3%A9.
78
LE GRIGNOU Brigitte et NEVEU Eric. In, Les dynamiques de la politique à la télévision. Revue française
de science politique. N°43. Paris. 1993. P. 944.
79
MORIN Edgar. In, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P. 112.
80
LE GRIGNOU Brigitte et NEVEU Eric. In, Les dynamiques de la politique à la télévision. Revue française
de science politique. N°43. Paris. 1993. P. 944.
41
de différentes prestations d’hommes politiques dans « Question à domicile », les deux
universitaires précisent : « Autant d’occasions de souligner la qualité des relations
humaines, la présence de valeurs d’amitié et de solidarité dans un univers pourtant marqué
par la compétition. » La caractéristique sociologique présentée par Morin (mise en avant
de valeurs d’amitié dans la société), se voit donc confirmée par un format télévisuel (le
ton décontracté, amicale de « Questions à domicile») et par une caractéristique du
discours politique (évocations de valeurs tels que l’amitié dans le discours politique).
Enfin, sans s’attarder sur ce point très polémique, la société actuelle reste une société de
consommation. Selon ce concept, d’individus nous nous serions mutés en
consommateurs. Dans ce cadre, les publics reçoivent des informations comme ils
consomment d’autres produits : cela doit être rapide, sans peine et vite digéré pour
passer à autre chose. Il est, dans ce registre là, bien plus facile de digérer un sujet sur le
divorce de François Hollande que sur le bouclier fiscal. Les techniques de l’écriture
journalistique pour le web en sont un bon exemple : il faut faire concis, percutant et
imagé. Mais nous y reviendrons.
Ces différents points nous amènent au moins à un constat : les productions médiatiques,
au même titre que le discours politique, sont directement influencées par ce qu’on
appelle « l’air du temps ». L’intérêt de replacer cette étude dans un tel contexte prend
donc tout son sens.
2.2 Quand les médias anticipent les attentes des publics
Si la peopolisation du côté politique met en œuvre la publicisation de la vie privée et la
privatisation de l‘espace publique, côté médias on est plus dans un mélange des genres
entre divertissement et information.
2.2.1. Le mélange des genres au service de la peopolisation
« Une émission de variété est construite autour de prestations successives : le temps de
parole accordé à chacun des invités y est extrêmement restreint ; la production d’un
discours politique argumenté n’y est pas possible.» Guillaume Fradin a étudié ces
42
émissions sous l’angle de leur utilisation par le politique81. Il exclut de ce type de
formats les magazines d’information et les émissions culturelles et désigne « l’ensemble
hétérogène des programmes télévisés qui proposent à leurs publics une forme de
distraction et de détente. 82» Car l’enjeu médiatique de la peopolisation est bien l{ :
divertir au mieux son audience pour satisfaire des publics qui ne demandent plus que ça.
Le propos est assez extrême mais n’est pas si éloigné de la réalité. « Les téléspectateurs se
désintéressent des magazines spécialisés dans lesquels les politiques débattent en termes
techniques d’enjeux complexes. 83» Sans retracer la genèse de la confrontation du
politique et du divertissement, les premières prestations politiques dans des émissions
dites alors de variété84, datent du milieu des années 50. Si ce genre semble être né aux
USA (ou en tout cas a connu ses lettre de noblesses), il est bien présent sur les écrans
français à des doses et des variations différentes depuis un demi-siècle. Dans ces
contenus, un tournant c’est opéré fin des années 80 basculant ces formats de la stricte
variété { la formule du talk show et de l’infotainment au sens strict.
En substance de la rencontre de deux genres, dont la vocation première était de rester
bien distincts, est né un concept : l’infotainment où la réunion en un même espace
médiatique de l’information et du divertissement. Cette mutation dans le fond des
contenus médiatiques peut être considérée comme une sorte de bascule définitive de la
balance divertissement/information dans les contenus médiatiques, penchant du côté
du divertissement. Sans renter dans l’analyse d’un format médiatique, ces programmes
ont su évoluer au fil du temps et des attentes, et se sont diversifiés. Ils peuvent par
exemple mélanger actualité et humour. Ainsi, la figure du genre reste sans aucun doute
les Guignols de l’info qui présentent un fin mélange d’humour et d’actualité depuis le
début des années 90. On pense aussi aux Grosses Têtes de Philippe Bouvard.
81
FRADIN Guillaume. In, Cinquante ans de dévoilement de soi : le recours des hommes politiques français
aux émissions de divertissement (1955-2005). Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau
Monde éditions. P 59.
82
Op. Cit. P.59
83
DAKHLIA Jamil. In, People et politique : un mariage contre nature ? Critères et enjeux de la
peopolisation. Questions de communication. n° 12, décembre 2007.
84
WIKIPEDIA. Article émission de variété : Une émission de variétés est une émission de télévision de
divertissement.
43
Aujourd’hui, le Petit Journal de Yann Barthès sur Canal+ ou le Fou du Roi de France Inter
sont des classiques du genre.
Autre genre bien connu, celui du talk show politique, apparu dans les années 90. « Dans
les années 90, […], le public oppose aux prestations politiques dans les émissions de
divertissement, une posture de différenciation de plus en plus marquée 85», affirme
Guillaume Fradin. Il a fallu alors inventer un nouveau moyen de rendre les publics
réceptifs à la chose politique. Ce type de programmes a la particularité de présenter un
animateur face { un personnage qui fait l’actualité (régulièrement un homme politique)
pour un entretien moins « froid » qu’une interview de journal télévisé par exemple
(même si régulièrement la peopolisation s’immisce dans la « grand messe » quotidienne
du JT, footing de Sarkozy en visite diplomatique à New York, entre autres). Les questions
portent { la fois sur le fond politique de l’invité, et sur le commentaire de l’actualité
politique en général ou encore sur la vie privée de l’homme politique bien sûr. En
émissions françaises, on pense notamment à « Tout le monde en parle », émission
diffusée le samedi en deuxième partie de soirée de 1998 à 2006 et animée par Thierry
Ardisson (aujourd’hui animateur de « Salut les terriens » sur Canal +), remplacée depuis
cette date par « On n’est pas couché » avec Laurent Ruquier aux manettes. Ces dernières
émissions sont d’autant plus significatives de la vedettisation du politique. L’homme
politique est présenté sans différenciation avec des célébrités du monde de la culture ou
du sport, son interview est entourée d’entretiens avec d’autres stars et les questions
portent aussi bien sur la vie intime que sur la vie politique. On est bien l{ au cœur de la
vedettisation de l’homme politique, aujourd’hui généralisé { un grand nombre de
programmes médiatiques (du 5/7 Boulevard de France Inter, aux portraits d’hommes
politiques de Libération…). On peut prolonger cet état de fait, en observant qu’au fil du
temps, ce type d’émission a considérablement pris le pas sur les contenus traitant de
politique stricto sensu. Dans sa forme la plus extrême, ce mélange se matérialise par le
photoreportage de Ségolène Royal en bikini à la plage (déjà évoqué).
Ce thème peut aussi être illustré avec la mutation des personnels chargés de présenter
l’actualité télévisuelle. De plus en plus d’animateurs non journalistes s’étalent sur des
thématiques tenant { la chose politique (on l’a vu plus haut avec les Ardisson et autres
85
FRADIN Guillaume. In, Cinquante ans de dévoilement de soi : le recours des hommes politiques français
aux émissions de divertissement (1955-2005). Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau
Monde éditions. P 61.
44
Ruquier), quelque soit la manière de traitement médiatique. Ces nouveaux acteurs de la
chose politique ont un rapport décomplexé { l’argent et portent un regard
condescendant sur l’information en tant que service public. Ils n’ont pas la même vision
de la frontière vie privée/vie publique qu’il y a une décennie à peine. Un autre mélange
des genres opèrent : celui entre journalistes et animateurs.
Mais au-delà du constat, on est bien là dans ce mélange des genres, ses vases
communicants, présenté par Edgar Morin dans son essai sur la culture de masse et basé
sur des réalités sociales conceptualisées. Un mélange des genres qui tire donc son
essence de la rencontre entre les médias et leurs publics et qui, appliqué à la chose
politique a contribué à développer la peopolisation. Car nous allons le voir maintenant,
ces nouveaux outils médiatiques se placent au service de la stratégie communication sur
l’intimité de l’homme politique.
2.2.2 Les formats au service de la peopolisation
« Le discours de meeting existe encore, mais la télévisions exige un autre ton. On arrive
dans le salon des gens, le soir après le dîner, avec un ton de conversation de soir après
dîner. »
Anne Sinclair86
Les prestations des hommes politiques dans les médias relevant de l’infotainment au
sens large (j’utilise ici ce terme pour définir un genre qui va bien au-delà des Guignols de
l’info mais qui englobe toutes les émissions regroupant divertissement et politique, de la
variété des années 70-80 aux talk show des années 90), demandent d’autres savoirsfaire pour l’homme politique (voir partie politique). Bien sûr, ces nouvelles formes de
représentations du politique s’accordent avec les impératifs d’un genre médiatique. Les
politiques sont par ailleurs dans la majorité des cas consentant { la manœuvre. « En
86
SINCLAIR Anne. In, Le médium et le message. Après demain. avril-mai 1987.
45
choisissant pour cadre d’analyse les programmes de divertissement, il est possible de
mettre { jour […] une peopolisation qui, si elle est le résultat de la rencontre de plusieurs
logiques, n’est jamais subie par les élus. 87» Voilà pour la cadre qui nous importe dans ce
paragraphe.
Reste { s’interroger sur ce que sont ces nouveaux impératifs dictés par les médias et
suivis par les hommes politiques pour répondre à la demande du public. Nous en avons
déjà décrit la substance dans la partie politique mais concentrons nous cette fois-ci sur
ce que cela change en termes de formats médiatiques.
La narration s’en voit bouleversée : on note le développement vertigineux du
« storytelling ». Dans ce cas, les formats médiatiques et le discours politique
s’accordent : difficile de savoir qui a lancé le processus (quoi qu’il en soit, ce n’est ici pas
l’objet). Selon le narratologue Christian Salmon88, le sujet d’étude le plus impactant
quand on traite de peopolisation n’est pas le déplacement du curseur privé/public, mais
bien les mutations du récit. Et de préciser : « C’est l’hégémonie désormais avérée d’un
usage instrumental du récit, le storytelling, qui explique notamment l’emballement
médiatique sur la vie privée du Président. » Elle consiste { l’utilisation de procédés
narratifs empruntés aux styles du conte et autres œuvres fictionnelles pour l’appliquer
dans la communication. Dans le cadre qui nous intéresse, le phénomène du storytelling
est omniprésent. Que ce soit le journaliste dans ses sujets ou le politique dans ses
discours, les deux orateurs vont construire leurs effets autour d’une « histoire ». Côté
journaliste, la couverture d’un évènement quel qu’il soit va prendre la tournure d’un film
à suspense en plusieurs épisodes. On va servir des informations au compte-gouttes au
spectateur, saupoudrer l’actualité d’affect via les témoignages, réactions { chaud et
autres micros-trottoirs… C’est une constante dans les rédactions : on entend à tout va
que le public aime les histoires. Un parallèle est d’ailleurs aisé avec le fait divers
(parallèle décrit par Annik Dubied, sociologue { l’Université de Genève), dans le rythme
de narration, parlant dans les deux cas d’une catalyse du retentissement des affaires
lorsque l’actualité traite de ces sujets. Selon Annik Dubied, « la peopolisation du politique
87
FRADIN Guillaume. In, Cinquante ans de dévoilement de soi : le recours des hommes politiques français
aux émissions de divertissement (1955-2005). Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau
Monde éditions. P 60.
88
Christian Salmon s’exprime sur le sujet à l’occasion de la sortie de son ouvrage : Storytelling , la
machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits. Paris. La Découverte, 2007.
46
fait parti d’un mouvement plus large de peopolisation et de fait-diversification de
l’information médiatique.89 » Et dans les deux cas selon elle, « la feuilletonisation
répétitive semble prendre le pas sur la possibilité de compréhension. Nos récits ne tentent
plus guère de donner du sens au temps, mais c’est leur nature ; ils se contentent de le faire
durer. 90»
En fouillant un peu plus loin dans l’analyse, on notera que ces moyens sont issus du
« dream management », constituant des techniques de management en vogue consistant
à associer rêve et marketing dans sa stratégie. Pierre Musso décrit en évoquant le
« sarkoberlusconisme » : « Ces deux protagonistes présentent le récit et le roman de leur
vie de « self made men » qui incarnent les valeurs de travail et de réussite : le fils d’immigré
hongrois et le vendeur qui chantait dans les cabarets… La conquête du pouvoir serait un
long chemin de croix, voire une souffrance. Le pouvoir n’est pas un accomplissement mais
un « sacrifice », un don de soi.91 » Et de poursuivre : « Comme dans la série télévisuelle ou
le feuilleton qui impose ses thèmes, ses rythmes, et ses personnages, le sarkoberlusconisme
invite l’électeur-téléspectateur { d’identifier au héros qui lui raconte son histoire. 92» Le
professeur propose alors un exemple en illustration, l’envoi par Silvio Berlusconi en mai
2001 à tous les ménages italiens, « d’un album photo de 125 pages illustré d’une centaine
de photos personnelles en couleur, et intitulé « Una Storia Italiana » (une histoire italienne)
qui était en fait le récit de son histoire personnelle identifiée { celle de l’Italie dont il
devenait l’incarnation. 93»
Autre caractéristique des nouveaux formats, la prééminence de l’image. Brigitte Le
Grignou et Erik Neveu s’interrogent d’ailleurs en ces termes : « L’exercice du pouvoir estil une esthétique ?94 ». Nous sommes ici face à un écueil largement relayé par les médias,
89
DUBIED Annik. In, Catalyse et parenthèse enchantée. Quand le fait divers rencontre la politique
people. Le Temps des Médias. n°10. Paris. Printemps 2008. Nouveau monde édition, p 142.
90
DUBIED Annik. In, Catalyse et parenthèse enchantée. Quand le fait divers rencontre la politique people.
Le Temps des Médias. n°10. Paris. Printemps 2008. Nouveau monde édition, p 142.
91
MUSSO Pierre. In, Existe-t-il un sarkoberlusconisme ? Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008.
Paris. Nouveau Monde éditions. P.135.
92
Op. Cit. P.135
93
Op. Cit. P.135
94
LE GRIGNOU Brigitte et NEVEU Eric. In, Les dynamiques de la politique à la télévision. Revue française
de science politique. N°43. Paris. 1993. P. 938.
47
le « tout image » actuel pousse les hommes politiques à multiplier les efforts concernant
leur apparence. Les exemples sont multiples. Alors que Jean-Louis Borloo est pressenti
comme successeur de François Fillon à Matignon, les médias ne se sont pas privés de
mettre en lumière sont changement d’apparence, certes très remarquable. Du côté du
PS, Ségolène Royal a elle aussi subie les flammes de ses camarades socialistes. A
l’automne 2008, les «éléphants» du parti ont critiqué sans détour son nouveau look :
« La présidentielle n’est pas un concours de beauté.»
Côté médias, l’image est depuis longtemps devenue le nerf de la guerre. Fait significatif,
le très sobre quotidien du soir, Le Monde, qui se refusait à illustrer ses papiers, a lui
aussi fini par se sacrifier { la force de l’image. Aujourd’hui, une actualité sans image n’est
généralement même plus traitée dans les rédactions.
Ces deux aspects des formats médiatiques ont bien sur un lien avec la peopolisation. Ils
contribuent au phénomène et lui permettent de prendre toute sa dimension. D’autre
part, ces deux nouveaux impératifs de format son bien issus de la relation avec
l’audience : ils tendent à répondre à une demande tout du moins une demande supposée
des publics. Loin de statuer sur l’effectivité de cette demande, l’étude en début de partie
des courants sociologiques qui seraient les nôtres { l’heure actuelle, coïncident avec
l’offre médiatique actuelle.
2.3 La crise économique du monde des médias
Au-delà des questions de contenus, un autre état de fait, celui-ci entièrement sociétale,
propre { la relation entre les médias et les consommateurs d’information joue un rôle :
la crise économique que traverse la presse depuis le début des années 90. Une multitude
de raisons, certaines concurrentielles, d’autres tenants { la perception de l’information
par les publics, expliquent cet état, qui est lui aussi un sujet d’étude en soi. A la longue
listes des raisons de ces difficultés, on a en première ligne la multiplication des supports.
La quantité astronomique des titres papiers de la presse française, la libéralisation des
ondes radio, l’arrivée de la télévision puis l’ouverture du marché télévisuel pour en
arriver jusqu’{ la TNT et enfin l’émergence d’Internet, ont rendu le marché des médias
48
français ultra-concurrentiel. Ces deux dernières apparitions ont eu un autre effet
corollaire, celui d’implanter une idée destructrice pour les médias dans l’esprit des
consommateurs : l’information est gratuite. Si on paye l’information télévisuelle, ce prix
n’est que difficilement perceptible pour le consommateur. Quant { l’Internet, il est
l’univers du tout gratuit. La presse s’y est mise { son tour (quotidiens gratuits) avec un
résultat en bout de course : les individus refusent de payer aujourd’hui pour de
l’information (la bataille actuelle pour les acteurs concernés est de sortir cette idée de
l’imaginaire collectif). Si on ajoute à cela les difficultés économiques internes propres au
fonctionnement de la presse en France (distribution, impression…), on arrive au constat
suivant : les médias ne sont dans l’ensemble plus rentables.
Finie alors cette conception de l’information en tant que service publique, place { la
logique d’entreprise : le spectateur est une cible marketing avant tout. Difficile dans ce
cas de respecter cette éthique du journalisme, qui distingue clairement l’éditorial de la
rentabilité du titre. Les journalistes doivent de facto se préoccuper de la survie de leur
employeur. Leur exercice s’en voit directement impacté et il faut aujourd’hui coaguler
les audiences à tout prix. Dès lors, on anticipe sur les envies des individus, et on retrouve
ce schéma précité : à des questions politiques de fond tenant du raisonnement, on
préfère stimuler l’affect et dévoiler l’intimité. Pour illustrer cette anticipation des envies,
le politologue Roland Cayrol rapporte dans La nouvelle communication politique des
propos qu’un animateur de télévision adresse (en off) { un politologue, invité pour
commenter des sondages : « N’oublie pas que tu parles { des gens qui ne sont même pas {
la maternelle, { des gens qui ont deux ans d’âge moyen. 95»
2.4 Des bouleversements dans l’activité du journaliste et dans l’exercice des
médias
Le développement du phénomène a comme dans l’exercice du politique impacté
l’activité journalistique. A l’image du premier, la peopolisation a contribué { faire
évoluer les critères de l’excellence journalistique. Car jouer sur le terrain de l’affect,
fabriquer de l’émotion { travers l’intimité du personnel politique ne fait pas partie des
ambitions première du journaliste, bien au contraire. En effet, ne définissons-nous pas
95
CAYROL R. In, La nouvelle communication politique. Paris. Larousse. 1986. P. 150.
49
un bon travail journalistique par son objectivité, sa neutralité quant au traitement, sa
concentration sur le factuel ? Ses différentes qualités ne sont pas exhaustives (on peut
aussi parler de capacité d’analyse, de synthèse, de choix d’angle pertinent, de
hiérarchisation de l’information, de plume…), mais elles font bien partie des qualités
ancestrales du bon journaliste.
L’essor de la peopolisation a changé en partie au moins ces critères l{. La recherche de
l’émotion { tout prix jusque dans le traitement de la chose politique a fait supplanter à
ces anciens critères, ceux de la trouvaille de la belle histoire, de l’angle émotionnel ou
compassionnel de l’actualité politique, du fait amusant ou révoltant. Elle a élevé au rang
d’excellence les plumes les plus enlevées, les
images les plus sensationnelles, les
témoignages les plus marquants. Elle a contribué { choisir le traitement rapide d’une
bonne anecdote politique face { l’analyse poussée d’un sujet de fond. Elle a fait prévaloir
le titre accrocheur { l’intitulé informatif, le reportage scénarisé au simple rapport des
faits, le portrait chinois { l’interview politique. Les termes « accroches pêchues »,
« sujets bandants » ont remplacé dans certaines rédactions l’esprit d’analyse.
Le rythme de l’activité journalistique a lui aussi été impacté. Dès lors que l’on estime que
la vie privée des personnes publiques est une actualité, tout devient prétexte à parution
et certains hommes politiques en sont arrivés à proposer plusieurs points presse par
jour. Conséquence, le temps de traitement et de digestion de l’information est
considérablement réduit côté journalistique ; l’approfondissement des sujets s’en
ressent et la hiérarchisation de l’information peut en devenir entièrement bouleversée.
La peopolisation a engendré l’apparition d’une posture réflective du journaliste sur son
activité afin de débattre de l’éthique de sa pratique. Comparable au phénomène de mis
en abyme, on retrouve dans des productions médiatiques une réflexion sur les contenus
mêmes des productions médiatiques : des journalistes débattent ensemble dans le cadre
de leur travail du contenu même de celui-ci. Témoin d’une certaine remise en question
de la profession, cette pratique n’en est pas moins relativement inédite et notable. Elle a
accentué le besoin de justification des professionnels des médias quant à leur exercice.
La plus commune, outre d’assumer de faire partie d’une entreprise et donc de se
préoccuper de la santé financière de son employeur, est celle de la transparence. Sujet
majeur actuellement, il l’est pour les justifications politiques, mais intervient aussi en
rempart de l’activité du journaliste : on dévoile l’intimité des puissants dans un souci de
vérité transparente avec le public (le débat a fait rage lorsqu’il a touché la connaissance
50
de l’état de santé des Présidents par le public). Ces ambitions du tout transparent
prennent tout leur sens dans un phénomène journalistique comme Wikileaks,
aujourd’hui admis et traité par la majorité des médias.
Partie 3 : La relation entre le journaliste et l’homme politique
Etudier les interférences existant dans un jeu à trois acteurs nécessite de fait trois
études. Mais ne nous y trompons pas, étudier la relation entre la politique et les médias
dans son rôle face { la peopolisation n’est pas uniquement un impératif de circonstance.
Car on serait tenté de se limiter, après un inventaire sur l’état de l’art du phénomène de
vedettisation, { l’étude des deux interactions mentionnées jusque l{. En effet, peu de
théorie ont mis en lumière le rôle de la relation journaliste/homme politique quant à
l’essor du phénomène. Le nombre ne faisant pas toujours la pertinence, les quelques
politologues et autres spécialistes des médias qui s’y sont intéressés, ont su apporter un
éclairage nouveau sur cette relation, qui à travers le spectre de la peopolisation joue bel
et bien un rôle : « Une telle situation (peopolisation) implique une complicité au moins
objective entre le leader et les médias, le premier pour toucher, conquérir, fidéliser
l’opinion, les seconds pour gagner en audience », écrit Christian Delporte96 en parlant du
lien qui les unit. « L'apparition du phénomène de peopolisation est liée aux nouveaux
rapports établis entre médias et responsables politiques dans les années 2000. Ceux-ci se
dessinent dans un contexte de méfiance, défiance, voire rejet de la classe dirigeante par une
partie de l'opinion publique française et dans une période où les médias cherchent à
élaborer de nouveaux concepts mêlant actualité et divertissement .97», explique Renaud
Revel pour L’Express.
96
DELPORTE Christian. In, Quand la peopolisation des hommes politiques a-t-elle commencé ? Le cas
français. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 28.
97
REVEL Renaud. In, Le triomphe de la médiocratie. L’Express. 18 avril 2002.
51
3.1 Nature du lien entre médias et sphère politique
Une première question en préambule semble s’imposer d’elle-même. Si pour les deux
interférences étudiées jusque là, le lien entre les acteurs semble limpide (le marché
politique pour l’un et le marché de l’information pour l’autre), qu’est ce qui relie
finalement les médias et le monde politique dans le jeu du dévoilement de l’intime de
l’individu politique ? Jamil Dakhlia dans son étude sur la forme actuelle de la
peopolisation apporte un élément de réponse : « Les démarches des hommes politiques et
de la presse généraliste, en particulier, sont remarquablement parallèles : dans un contexte
d’hyper-concurrence médiatique, les journaux d’actualité s’efforcent de remédier {
l’érosion de leur lectorat en pastichant une formule qui fait ses preuves. Les politiques
quant à eux, cherchent à conquérir les électeurs les plus rétifs au jeu politique. 98» Le lien
qui unit les deux protagonistes { l’étude n’est finalement pas si obscur : ils ont des
intérêts similaires { l’existence du phénomène. Un intérêt de séduction des électeurs
d’une part, des consommateurs d’informations de l’autre.
Mais ils partagent aussi des risques communs : celui de décrédibilisation. Côté politique,
on l’a vu, le jeu est { double tranchant, et trop argumenter sur sa vie privée peut faire
définitivement perdre de sa stature à la figure politique et par la même occasion sa
crédibilité politique. Côté médias, trop étaler la vie privée du politique et évincer
complètement les sujets de fond politique participent à une entreprise de
désinformation. Le média subira l’opprobre des confrères en premier lieu (et au vu de la
posture réflective du métier de journaliste, cette opprobre est souvent publique) puis
d’une partie au moins des publics. C’est bien sûr un risque qu’encourt essentiellement la
presse généraliste qui veut garder une certaine légitimité journalistique et écarte de fait
une partie des médias qui assument de ne transmettre que de l’information people. Mais
même dans ce dernier cas, selon les titres du marché de la presse échotière, ils gardent
tout de même un impératif de dignité de l’information et certains sujets peuvent leur
faire perdre de la légitimité. Des magazines comme Paris-Match ou VSD gardent des
limites dans l’intime qu’ils dévoilent. Ces limites sont dans la plupart des cas en lien avec
98
DAKHLIA Jamil. In, La représentation politique à l’épreuve du people : élus, médias et peopolisation en
France dans les années 2000. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P.
72.
52
le respect des bonnes mœurs (rapport au dévoilement du corps, rapport à la dignité
morale de la personne, rapport au respect de la souffrance…) et tient certainement { la
catégorie du lectorat (les titres évoqués ci-dessus sont destinés à un lectorat plus âgé,
plus conservateur ; alors que des magazines comme « Oops » ou « Closer » ont une base
de lecteurs plus jeunes, plus adeptes d’informations « trashs »).
Nous sommes donc face à une relation de deux acteurs lancés dans une entreprise de
séduction parallèle. En ce sens, la relation n’est pas réellement bilatérale (comme dans
un contrat synallagmatique en droit civil par exemple), mais dans une relation qui revêt
un dessin commun et qui touche { une troisième partie. Elle n’en sera pas pour autant
foncièrement concurrentielle. En ce sens, et pour rester dans le champ lexical juridique,
nous sommes plus sur une base d’un contrat de société que d’un contrat de droit civil. La
relation s’en voit bien sûr impactée et ne sera pas réellement semblable aux deux
relations étudiées jusque là. Mais elle jouera, malgré tout, un rôle dans l’essor de la
peopolisation et notamment la relation très pragmatique entre deux acteurs qui se
côtoient physiquement : le journaliste et l’homme politique.
3.2 La relation entre journalistes et hommes politiques, au cœur de la
peopolisation
La relation entre journalistes et hommes politiques influe sur le phénomène de
peopolisation. Elle n’influe pas tant sur son existence - même si de façon très
pragmatique, ce sont ces deux acteurs qui permettent cette existence (dans le cas où l’on
s’interroge sur le contexte et non réellement sur les faits, cette remarque qui semble
centrale perd de la pertinence) - mais plutôt sur son déroulement.
Martin Kohlrausch va mettre en évidence cet impact dans son étude sur l’essor des
médias de masse en Allemagne et l’impact sur la monarchie wilhelminienne99. Bien que
portant sur une période non contemporaine, on montrera que dans ce cas d’étude, le
schéma est transposable, en le comparant aux analyses, contemporaines, d’Eric Darras.
L’étude de l’universitaire allemand porte sur les impacts de la relation entre l’empereur
99
KOHLRAUSCH Martin. In, Le communicateur malheureux. L’essor des médias de masse en Allemagne
et la transformation de la monarchie wilhelmienne. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris.
Nouveau Monde éditions. P. 102.
53
de Prusse Guillaume II (1859-1941), qui régna de 1888 à son abdication en 1918, et les
médias allemands, en plein bouleversement. Il montre le dernier roi de Prusse, sensible
aux critiques médiatiques et soucieux de son image dans les médias. D’un autre côté, il
présente des médias en pleine évolution et des journalistes pleins de confiance et
d’assurance. En mettant ces caractéristiques en avant, l’auteur montre que c’est bien la
rencontre de la susceptibilité du monarque et l’assurance des journalistes qui va influer
sur la communication de l’empereur et sur les contenus des médias (sans aller jusqu’{
s’aventurer sur le chamboulement dans les institutions que pointe Martin Kohlrausch :
« de fait, les médias allemands ont transformé la monarchie100. ») Dans le cas traité, il
montre un homme d'État qui s’adapte aux nouveaux impératifs des médias, avec bien
sûr des objectifs en termes de communication, mais aussi pour préserver une bonne
relation avec des journalistes capricieux.
Sur ce sujet, ce qui était vrai il y a un siècle, peut le rester aujourd’hui. Tout du moins,
des schémas similaires se retrouvent aujourd’hui.
Eric Darras accorde une grande importance { cette relation au sein d’une longue analyse
qui est exposé dans la suite de ce propos. « L’essentiel ne réside toutefois pas dans le
marketing mais dans la socialisation des journalistes qui ont tant et si bien intériorisé
l’ordre politique, qu’ils considèrent selon la formule de Harvey Molotch et Marilyn Lester,
que tout ce que le Président dit ou fait est important. L’effacement des garde-fous éthiques
et juridiques aidant, le Président devient plus omniprésent que jamais. Mais il faut
souligner ce paradoxe par lequel on attribue une toute puissance politique aux
professionnels des médias alors qu’ils sont structurellement et intellectuellement
subordonnés { l’ordre politique : en faisant quotidiennement leur travail, les journalistes
reproduisent en toute objectivité ou bonne foi, l’ordre du jour présidentiel sans qu’il soit
nécessaire des ordres. Mais il y a plus. 101»
100
KOHLRAUSCH Martin. In, Le communicateur malheureux. L’essor des médias de masse en Allemagne
et la transformation de la monarchie wilhelmienne. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris.
Nouveau Monde éditions. P. 104.
101
DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard
politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 88.
54
Et le politologue de continuer : « Pour masquer l’intéressement face { des journalistes qui
ne sont pas assez naïfs pour croire dans l’abnégation de leurs sources politiques, mieux
vaut désormais jouer franc jeu, répondre toujours présent et efficacement aux sollicitations
des journalistes, faire un usage stratégique du off en jouant notamment sur la concurrence
entre journalistes (ne pas toujours livrer les informations au même journaliste), inclure
autant que possible dans le premier cercle, dont bien sûr les sphères privées (présenter les
enfants, [ …], partager un repas sur le pouce plutôt qu’un dîner officiel…), tous prétextes {
faire entrer le journaliste dans la confidence des grands hommes. 102»
3.3 La relation entre journalistes et hommes politique : la chimère d’un lien de
subordination
On en arrive alors { se poser la question de la chimère d’un lien de subordination entre
homme politique et journaliste. Car Eric Darras continue: « Le journaliste devient ainsi un
obligé.103 » Cette dernière remarque irait dans le sens d’une subordination du journaliste
au politique. Dans le même ordre d’idée, Guillaume Fradin affirme : « la logique du
champ politique prévaut sur celle du champ médiatique.104» Par les effets énoncés par
Eric Darras, auxquels on peut rajouter ceux du rythme de l’exercice du journalisme (voir
partie 2), le journaliste serait donc soumis { l’heure actuelle aux volontés du politique.
Cela a bien évidemment un impact sur la peopolisation, dans la fixation des sujets à
traiter, dans le manque d’autonomie dans la hiérarchisation des informations, dans la
capacité de refus du journaliste à suivre le politique dans sa stratégie de communication
sur l’intime.
Ce n’est cependant pas un trait général à imputer au phénomène de peopolisation. Le
phénomène peut très bien induire l’approche opposée. L’étude de Martin Kohlrausch
montre un homme d ‘état au contraire soumis aux impératifs fixés par les médias de
102
DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard
politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 97.
103
DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard
politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 98.
104
FRADIN Guillaume. In, Cinquante ans de dévoilement de soi : le recours des hommes politiques français
aux émissions de divertissement (1955-2005). Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau
Monde éditions. P 60.
55
masse émergents. Dans la même lignée, Brigitte Le Grignou et Erik Neveu présentent,
dans leurs études sur l’émission « Question à domicile », le média (en l’occurrence TF1)
comme soumettant le politique { son concept novateur d’émission, bousculant ainsi les
critères d’excellence de l’exercice politique, contraignant « les agents les plus étrangers
aux nouveaux circuits de socialisation à des investissements coûteux, auprès des conseillers
en communication. 105» Dans ce cadre, c’est bien l’homme politique qui est soumis aux
aléas des nouveaux formats médiatiques.
Plus qu’un lien de subordination, cette relation apparaît comme un rapport de force qui
selon l’époque et le poids de chaque acteur penche dans un camp ou dans l’autre. Ainsi,
un homme politique en position de force (Nicolas Sarkozy pendant son état de grâce
après les élections de 2002) arrivera { s’imposer aux médias. A l’inverse, lorsque le
média se verra dans la possibilité de faire respecter ses volontés, la subordination
changera de sens (les médias de masse allemands au 19e siècle ou l’explosion des
audiences TV dans les années 90 en France). Ainsi, Jamil Dakhlia dans son étude sur la
peopolisation des années 2000106 en distinguant les deux périodes (choisie et subie, voir
historique de l’introduction) montre d’abord des politiques en position de force
(Sarkozy en période post-électorale) aboutissant sur une médiatisation des aspects
positifs de la vie privée. Cinq ans plus tard, une autre logique apparaitrait, celle du
retour de bâton et d’une logique de peopolisation subie en partie par le personnel
politique, conséquence d’un trop fort recours aux médias dans leur stratégie de
communication : le rapport de force s’inverse, l’homme politique est désacralisé, les
médias se permettent de transgresser sur le dévoilement de l’intimité politique.
3.4 La relation entre journalistes et hommes politiques : des grands concepts aux
« petites cuisines »
105
LE GRIGNOU Brigitte et NEVEU Eric. In, Les dynamiques de la politique à la télévision. Revue française
de science politique. N°43. Paris. 1993. P. 966.
106
DAKHLIA Jamil. In, La représentation politique à l’épreuve du people : élus, médias et peopolisation en
France dans les années 2000. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P.
69.
56
Revenons alors { l’analyse d’Eric Darras : « Le plus souvent, la qualité de la relation n’est
pas fausse, ni anticipée, ni véritablement instrumentalisée. Les journalistes politiques sont
en fait ou en droit accrédités auprès des grands hommes qu’ils suivent sans en devenir pour
autant les porte-paroles. Dans les discussions informelles, les journalistes peuvent être euxmêmes sincèrement appréciés par les puissants entourés d’une Cour plus que de véritables
contradicteurs.107 »
Au-delà du parti-pris en fin de citation, Eric Darras met en lumière un point important.
Comme on le disait plus tôt, la peopolisation envisagée de manière très pragmatique est
l’œuvre de la rencontre physique (dans le schéma traditionnel) d’un journaliste et d’un
homme politique. Au-delà des schèmes conceptuels développés dans cette production,
cette rencontre fait naître une relation entre deux individus qui au-delà de leur fonction
sont des êtres humains dotés de sensibilités. On observe dès lors que selon le degré de
confiance qui va s’installer dans cette relation, le degré d’affinité… les confidences ne
seront pas les mêmes du côté politique (les confidences « sur l’oreiller » par exemple
sont un classique de l’univers politique) et la volonté de publier des informations
désobligeantes du côté de la presse peut aussi être impactée.
Pour aller plus loin, le réseau reste la meilleure arme du journaliste, le relationnel la plus
grande qualité du politique. Ces deux acteurs ont dans les faits tout intérêt à tisser une
relation étroite pour les unir, multiplier les rencontres et tisser un lien d’amitié au moins
en façade. Conséquence, dans la plupart des cas, sans même que les hommes politiques
ne s’expriment sur eux-mêmes, les journalistes connaissent une partie de l’intimité des
hommes d’état. La suite est de l’ordre de la négociation, « si je dévoile ça, je promets de ne
pas publier ça… » Au-delà des grands concepts sociétaux, les « petites cuisines » entre
personnels de la politique et des médias jouent aussi leur rôle.
Conclusion
107
DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard
politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 98.
57
Trois acteurs, trois interactions, un phénomène. Ces trois idées pourraient suffire à
résumer mon mémoire. A l’origine de la peopolisation, on retrouve bien ces trois
acteurs : la sphère politique, les médias et les individus (tour à tour publics ou
électeurs). Ce sont ensuite leurs interactions, sur fond d’intérêts bilatéraux ou parallèles,
qui vont catalyser l’exercice du phénomène. Les relations hommes politiques face à leurs
électeurs, médias face à leurs publics et journalistes en rapport avec les hommes
politiques vont générer un contexte qui sera plus ou moins favorable { l’apparition de la
peopolisation. Outre d’impacter le phénomène, le résultat de ces interactions va aussi
impacter les caractères de chaque acteur.
Cette étude a eu pour objectif de rendre compte le plus objectivement possible de cette
situation et a démontré que ces interactions ont bien créé dans l’histoire des contextes,
plus ou moins favorables selon la période, { l’existence de la peopolisation. Mais elle n’a
pas la prétention de se suffire à elle-même. En effet, l’étude empirique de différents
plans de communication à différentes périodes significatives dans les caractéristiques
des interactions décrites apporterait un autre éclairage au sujet. Ce prolongement aurait
mis en lumière de manière ciblée les aspects que j’ai pointés dans cette composition.
D’autre part, la neutralité du propos semblait primordiale face à ce sujet, tant les
polémiques fleurissent autour de telles pratiques. Certains auteurs, chercheurs dont les
travaux ont servi de base { cette réflexion, ne se sont d’ailleurs pas priver d’exposer un
jugement sur le phénomène. D’autre part, d’un point de vue plus « mainstream », la
peopolisation fait partie de ces phénomènes que tout le monde dénonce, sans pour
autant les rejeter.
Il me semblerait inopportun de venir maintenant porter un jugement personnel.
L’exposé de deux théories me semble plus judicieux pour offrir des éléments de réponse
à la question : « la peopolisation du politique est-elle nuisible ? » Un argument semble
couler de source : connaître la série préférée de Nicolas Sarkozy n’aura pas d’incidence
directe sur la compréhension de l’espace public, du jeu politique ou des institutions.
Dans cette vision utilitariste de la communication, la peopolisation ne portera au mieux
aucun intérêt, voire deviendra nuisible en ce qu’elle prend la place des informations de
politique fondamentale dans les créneaux médiatiques. Les plus pessimistes taxeront le
phénomène d’avilissant pour les publics (qui ne s’intéressent plus qu’{ l’intime et qui ne
58
fonctionnent plus qu’{ l’affect) et d’affligeant pour la démocratie qui perd tout son sens
lorsqu’on en arrive { voter pour une personnalité plus que pour un programme.
N’oublions pas les conséquences portant sur les médias et la politique décrites dans ce
développement, qui pourront être interprétées subjectivement.
Mais à cette vision très largement répandue, on peut opposer un autre aspect. L’idée que
le « noble » provient de ce qui est raisonné et le « vulgaire » de ce qui ne touche qu’aux
sentiments, aux ressentis, est un concept directement issu des Lumières. Il met l’être
humain devant ses propres contradictions : il est doué de raison mais peut être
prisonnier de ses ressentis. La logique est alors la suivante : pourquoi ne pas satisfaire
cette curiosité affective ? Pourquoi les envies pourtant les plus primitives seraient-elles
à rejeter alors même qu’elles sont sûrement les plus fortes pour l’individu ? Une analogie
est à faire avec le concept de fait-divers. Ce dernier touche directement aux peurs les
plus primitives de l’homme ainsi qu’{ ses pulsions les plus profondes : la mort. En cela, il
semble normal que ce registre nous touche directement. L’argument est donc le suivant :
pourquoi les sujets qui touchent le plus directement les individus devraient ils être
rejetés de fait ? Ne seraient-ils pas finalement les plus importants ? La question reste en
suspend mais une chose est sûr : ce mémoire n’a pas vocation { prendre parti pour l’une
ou l’autre thèse.
59
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