Florian Kunckler Directrice : Stéphanie Dechezelles (IEP Aix en Provence) Mémoire de fin d’étude La peopolisation du politique Master Information et Communication Spécialité Communication et Contenus numériques Option Nouveau Journalisme SOMMAIRE Introduction 1. La peopolisation dans l’histoire P.3 2. La peopolisation en définitions P.5 3. La peopolisation en substance P.8 4. La peopolisation dans ses ambitions politiciennes P.12 5. La peopolisation et ses acteurs P.15 Partie 1 : Le politiques face aux électeurs 1.1 L’incontournable suffrage universel P.19 1.2 Le pouvoir personnifié P.21 1.3 Les enjeux du bipartisme P.22 1.4 Les mutations dans les critères de l’excellence politique P.23 1.5 La crise de la démocratie P.28 Partie 2 : Les médias face aux publics 2.1 Quand la société impose ses dogmes P.33 2.1.1 De la culture de masse P.33 2.1.2 De la sécularisation de la société P.35 2.1.3 De la postmodernité P.35 2.2 Quand les médias anticipent les attentes des publics P.37 2.2.1 Le mélange des genres au service de la peopolisation P.37 2.2.2 Les formats au service de la peopolisation P.40 2.3 La crise économique du monde des médias en catalyseur P.42 2.4 Des bouleversements dans l’activité de journaliste et dans les contenus médiatiques Partie 3 : La relation entre le journaliste et l’homme politique 3.1 Nature du lien entre les deux acteurs P.45 3.2 Une relation au cœur de la peopolisation P.47 3.3 La chimère d’un lien de subordination P.48 3.4 Des grands concepts aux « petites cuisines » P.50 Conclusion 2 Propos introductif Il serait tentant de dire que la curiosité des gouvernés envers l’élite qui les gouverne a toujours existé et que le phénomène est donc ancestral. Il serait même attirant d’affirmer que la tentation d’observer ce qui se passe dans l’intimité de son voisin explique le phénomène de la peopolisation des hommes politiques. Sans réfuter totalement cette facilité intellectuelle, la réalité est bien plus complexe. Il suffit pour cela de s’arrêter sur un autre phénomène médiatique : la téléréalité. Elle est apparue au début des années 2000 aussi brusquement que son existence tend aujourd’hui petit { petit { se raréfier sur nos écrans. Mais ce n’est pas l’émotion par l’intime qui disparaît, bien au contraire. C’est bien le format de téléréalité au sens strict qui ne fait plus recette. La sollicitation de l’affect, elle, fait définitivement partie du paysage médiatique. Mais comprendre pourquoi ce constat est plus valable aujourd’hui qu’hier - dans le cadre de cette étude on appliquera ce constat au champ politique - réside l’intérêt de cette composition. Un retour en arrière s’impose. 1. La peopolisation dans l’histoire : Comme je le disais plus haut, la curiosité envers nos gouvernants a toujours existé sans pour autant donné lieu à un phénomène de peopolisation qui serait { l’initiative des gouvernants ni du fait des médias. Ainsi, alors que les médias au sens où on les connait aujourd’hui n’existaient pas encore, on retrouve des traces de mise en avant de l’intimité de Marie Antoinette, reine de France de 1774 à 1792 et épouse de Louis XVI. Elle a vu une partie de son intimité sulfureuse dévoilée dans des ouvrages misant sur le sensationnel pour attirer le lecteur1. C’est un exemple parmi d’autres de ce qu’a pu être la peopolisation avant qu’un véritable contexte propre { son développement intervienne. Pour faire l’historique de la peopolisation, il faut, selon l’historien Christian Delporte, revenir jusqu’{ la IIIe République, « pas avant, précise-t-il, car la peopolisation se satisfait 1 DUPRAT Annie. In Marie-Antoinette, côté bling-bling et côté trash. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P 13. 3 mal des régimes démocratiques ». Bien évidemment, { cette époque le vocable n’existe pas encore (il faudra attendre le début des années 2000 et la bataille pour la présidentielle de 2002). Cependant, à cette période, le phénomène ne prend pas racine pour deux raisons. Question d’idéologie politique tout d’abord, selon la conception de la souveraineté nationale de la période 1870-1940, celle-ci est indivisible et ne peut appartenir à un seul individu. Or, on le verra dans la première partie, la personnification du pouvoir est une des bases du phénomène. La seconde tient plus à une logique carriériste propre aux hommes politiques de l’époque : lorsque c’est le Parlement qui gouverne, l’homme politique doit s’attacher { ne pas heurter ses confrères par un comportement retenant trop l’attention sur sa personne, au risque de se faire évincer du jeu politique. Mais cette période pose tout de même certains prémices dans la relation qui commence à naître entre la presse et la sphère politique. Les deux acteurs commencent { cette époque { se rendre compte qu’ils ont un intérêt commun { s’étaler sur le terrain de l’intimité : séduire des électeurs et rameuter des lecteurs. Le phénomène reste cependant marginal et concerne surtout une presse spécialisée. Très vite, l’interview devient un format éditorial, l’image commence { faire son apparition et petit { petit l’émotion fait son nid dans l’information. En parallèle la starisation émerge dans les années 30. Un tournant s’opère dans les médias, une presse people se construit. La parenthèse autoritaire de la seconde guerre mondiale flirte avec la communication sur la vie privée. Hitler par exemple invite des journalistes dans son quotidien. Après la guerre, la presse people s’implante dans les kiosques. Puis, sous la IVe République, parler de la vie privée des hommes politiques n’est plus un tabou. Les hommes politiques commencent { voir l’intérêt de communiquer sur ces sujets. Ils s’expriment sur le thème « je suis un homme ordinaire » pour installer une sorte d’illusion de proximité avec l’électeur. L’arrivée de De Gaulle en sauveur de la République va freiner cette évolution. Sa stature de premier Président de la Ve République, sa légitimité historique et son charisme d’homme d’Etat, lui évite les affres de la peopolisation. Mais c’était { double tranchant car habiter l’Elysée en 1965 après le Général va pousser les futurs prétendants à la Présidence à tenter de tisser un lien affectif avec les électeurs. La machine est lancée. L’arrivée de la télévision accélère le processus et Georges Pompidou est le premier à se servir de ce nouveau média à travers le spectre de la peopolisation, s’inspirant de la maîtrise de Kennedy en termes de communication, notamment la mise en avant de la famille. Car un des premiers signes de peopolisation 4 reste sans aucun doute l’implication de la femme du prétendant aux affaires dans la campagne électorale. Giscard s’attache lui aussi { créer un lien affectif avec les Français, voulant se débarrasser d’une image d’austérité qui lui colle { la peau. Mitterrand refuse de son côté de communiquer sur son intimité et la seconde rupture a lieu au début des années 2000. On développera le contexte qui a amené cette seconde rupture tout au long de ce mémoire, nous distinguerons dans cette partie que les deux périodes que l’on peut isoler pour en arriver une décennie plus tard à ce constat : la grande majorité des hommes politiques, tous bords confondus, usent de techniques de peopolisation dans leur stratégie de communication. Jamil Dakhlia distingue dans son travail2 sur le sujet deux périodes : la peopolisation promotionnelle de 2000 à 2005 et la peopolisation offensive de 2005 { aujourd’hui. Dans la première partie de la décennie, hommes politiques et journalistes trouvent un intérêt commun { la manœuvre. Les journalistes font le jeu des politiques et n’entrent dans l’intimité de ces derniers que lorsqu’ils le veulent bien. Mais le procédé évoluant, la situation change et aujourd’hui la peopolisation des puissants intervient même sans leur accord. Des photos de Segolène Royal en bikini (Closer et VSD) { l’été 2006, { la médiatisation des premières vacances de François Hollande avec sa nouvelle femme en août 2007, en passant par des révélations sur la rupture de Nicolas Sarkozy et de Cécilia, le fameux « mur de la vie privée » institué en France par l’article 9 du code civil, subit, selon le politologue, « l’effet boomerang de la surexposition volontaire des hommes politiques français au début des années 2000». Et de poursuivre : «mais la peopolisation volontaire ne s’arrête pas pour autant ». 2. La peopolisation en définitions : Pour savoir ce qu’est réellement la peopolisation, commençons par rapporter quelques définitions. Un certain nombre de références dans le domaine s’y sont essayés, en voici un échantillon. 2 DAKHLIA Jamil. In, La représentation politique à l’épreuve du people : élus, médias et peopolisation en France dans les années 2000. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P 66. 5 Guillaume Fradin, doctorant en science politique, propose la définition suivante: « Le processus médiatique par lequel le politique lève le voile sur sa vie privée, met l’accent sur les traits de caractère sympathiques ou spectaculaires, et met en avant une manière d’être sans lien direct avec les fonctions qu’il occupe. 3» De son côté, Jamil Dakhlia définit ainsi la notion : « La peopolisation exprime une réappropriation plus ou moins habile des codes des magazines people par une partie des élus et par la presse généraliste. […] Dans le domaine politique, le terme peopolisation a deux acceptations : il indique soit l’exposition de liens entre candidats et des célébrités – chanteurs, comédiens, sportifs notamment – soit une présentation du personnel et du débat politique sur le même modèle que le traitement du show-business par les magazines people4 ». Et de reformuler un an plus tard : « La peopolisation recouvre trois phénomènes : l’association entre responsables politiques et gens célèbres, soit que les premiers imitent les seconds, soit que en sens inverse, des stars s’impliquent en politique, aux côtés de tel ou tel candidat, ou pour leur propre compte ; mais aussi l’exposition, volontaire ou non, des personnalités politiques dans la presse échotière ; la conformation, enfin, des autres aux canons de cette même presse échotière, par un traitement de l’actualité fondé sur la vedettisation et le dévoilement de l’intimité. 5» Mettant l’accent sur l’élément intentionnel, l’historien Christian Delporte définit en ces termes le phénomène : « A minima, il repose sur la vedettisation de l’homme politique et l’exposition médiatique de la vie privée. Les médias font alors découvrir au public la face cachée, humaine, sensible, de celui qui gouverne ou aspire à gouverner. Mais la 3 FRADIN Guillaume. In, Cinquante ans de dévoilement de soi : le recours des hommes politiques français aux émissions de divertissement (1955-2005). Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P 53. 4 DAKHLIA Jamil. In, People et politique : un mariage contre nature ? Critères et enjeux de la peopolisation. Questions de communication. n° 12, décembre 2007. 5 DAKHLIA Jamil. In, La représentation politique à l’épreuve du people : élus, médias et peopolisation en France dans les années 2000. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P 66. 6 peopolisation prend tout son sens lorsque l’homme politique utilise la médiatisation de sa vie privée ou de son histoire personnelle à des fins de communication.6 » Wikipédia vulgarise, non sans intérêt, la notion en se focalisant sur le rôle du média : « La peopolisation est la propension des médias { accorder de l’importance aux personnalités du monde du spectacle, de la politique et du sport en étalant au grand jour leur vie privée. 7» En cela, elle omet les rôles de deux autres acteurs du process, le public et le politique lui-même. Pour Eva-Marie Goepfert, auteur d’un mémoire de recherche sur la question de la médiatisation de la vie privée8, le phénomène tient principalement à « la privatisation de l’espace public et publicisation de l’espace privée en politique ». Au-delà de ces définitions qui viennent se placer en préambule de cette étude, on peut mettre en balance un certain nombre de questions quant { l’existence du phénomène. Des réflexions qui nous amènent à des questionnements : Quand peut-on parler de peopolisation ? Depuis toujours, la société a été curieux des puissants, des traces du phénomène existent de manière marginale depuis la nuit des temps ? Quand les médias ont commencé à parler de la vie privée des hommes politiques ? Quand les hommes politiques en ont usé dans leur stratégie de communication ? Quand la presse dite « sérieuse » si est mise aussi ? Quand la peopolisation a aussi desservi l’homme politique ? Quand le vocable est apparu ? En réfléchissant à cette genèse après documentation, un constat s’impose: la peopolisation n’est pas l’affaire d’une partie mais de trois : le politique, les médias et le public. Cependant, avant de s’intéresser au contexte, il convient de s’interroger sur la substantifique moelle du concept. 6 DELPORTE Christian. In, Quand la peopolisation des hommes politiques a-t-elle commencé ? Le cas français. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P 28. 7 WIKIPEDIA. Article Peopolisation. http://fr.wikipedia.org/wiki/Peoplisation. 8 GOEPFERT Eve-Marie. In, La médiatisation de la vie privée des hommes politiques. Une analyse de cas. La réconciliation de Cécilia et Nicolas Sarkozy dans la presse écrite française. Université Jean Moulin. Juin 2006. Lyon. 7 3. La peopolisation en substance : « Il est probable qu’en moyenne la connaissance des Américains sur les vies, amours, névroses des demi-dieux et déesses qui vivent sur les hauteurs olympiennes de Beverly Hills dépasse de loin leurs connaissances des affaires civiques. 9 » B. Rosenberg et D. Manning White La peopolisation dans sa substance comprend plus particulièrement deux piliers principaux utilisés comme leviers par les hommes politiques - ou sur lesquels les journalistes vont les entraîner- la proximité et le glamour. Quand le premier va jouer sur le lien affectif et l’affirmation « je suis comme vous », le second va s’attacher { créer un mythe, { se starifier, { devenir inatteignable. C’est l’association des deux concepts, pouvant paraître paradoxale tant les deux idées sont opposées, qui fait l’efficience du process : « les héros se rapprochent de l’humanité quotidienne », propose sur cette question Edgar Morin10. Jamil Dhaklia présente dans son étude11 sur la peopolisation, « se prêter au jeu de la peopolisation revient en effet à se couler dans un discours de séduction, proposant des modèles et des symboles censés provoquer sinon la fascination, du moins l’admiration […] Dans la discours people, l’admiration n’exclut pas la proximité et ainsi fait écho au paradoxe de l’Olympien : la star des temps modernes est une semi-divinité qui, bien qu’exceptionnelle et inaccessible, offre { tout un chacun la possibilité de s’identifier { elle ; décliné sur le mode de la proximité, le people est { notre image. […]La représentation people joue sur deux présomptions : accéder { la vérité d’un homme ou d’une femme publique par le biais de sa vie familiale voire de son intimité et dans le même temps, de la faire ressembler à tout le monde. » 9 Citation reprise in, L’esprit du temps. Edgar Morin, p 143. 10 MORIN Edgar. In, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P 118 11 DAKHLIA Jamil. In, People et politique : un mariage contre nature ? Critères et enjeux de la peopolisation. Questions de communication. n° 12, décembre 2007. 8 Confirmant ce point de vue Guillaume Fradin12 propose : « Le phénomène de peoplisation s’inscrit dans une vaste dynamique : celle d’une tendance { l’élargissement des « olympiens » à toute personne médiatisée à moyen ou court terme. Ce processus de médiatisation susciterait chez les téléspectateurs le désir d’obtenir des éléments d’information relatifs { la vie privée des personnalités qui en font l’objet. » Car on ne peut passer { côté du mythe de l’Olympien, théorisé par Edgar Morin, lorsque l’on s’intéresse à la substance de la peopolisation. « A la rencontre de la poussée de l’imaginaire, du réel vers l’imaginaire, se situent les vedettes de la grande presse, les olympiens modernes. 13» Voici l’introduction du chapitre X de l’Esprit du temps qu’Edgar Morin consacre aux Olympiens. Ces derniers sont issus de la culture de masse et comprennent les stars de cinéma, bien sûr (premiers { s’être prêter à ce concept), mais pas seulement : les champions, les princes, les rois… en font aussi partie. L’olympisme tirerait ses origines de différents aspects de l’activité des olympiens, de l’imaginaire pour les stars { l’écran, de leur accomplissements héroïques pour les champions, de l’érotisme pour les play boys et « de leurs fonctions sacrées » pour les rois, les présidents. Ainsi, la peopolisation du côté de son attrait pour les publics tirerait son origine de la sacralité de l’exercice de certaines fonctions politiques. Paradoxe, car, comme on le verra plus tard, la peopolisation a contribué à désacraliser la fonction politique. Paradoxe d’autant plus troublant lorsqu’on se rend compte que les hommes politiques, pour parer à la désacralisation de la politique, ont recours encore aujourd’hui { des techniques de communication assimilables { la peopolisation. Quant au phénomène lui-même, Edgar Morin propose : « L’information transforme ces olympiens en vedettes de l’actualité. Elle porte { la dignité d’évènements historiques des évènements dépourvus de toute signification politique. […] Ce nouvel Olympe est effectivement le produit le plus original du cours nouveau de la culture de masse. Les stars avaient déjà été antérieurement promues à la divinité. Le cours nouveau les a humanisées14 .» Car la divinisation de figures emblématiques de la société n’est pas un 12 FRADIN Guillaume. In, Cinquante ans de dévoilement de soi : le recours des hommes politiques français aux émissions de divertissement (1955-2005). Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P 63. 13 MORIN Edgar. In, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P 115. 14 MORIN Edgar. In, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P 117. 9 phénomène nouveau. Les religions en ont fait leur marque de fabrique. La particularité première de ces nouveaux Olympiens est bien de tenter, en parallèle de cette divinisation, de les rapprocher des individus. « Il (ce nouvel Olympe) a multiplié les relations humaines avec le public. Il a starifié par la suite les cours royales, les play-boys, et même certains hommes politiques. Depuis que les stars inaccessibles et sublimes du cinéma sont descendues sur la terre, depuis que les cours royales se sont transformées en Trianons de la culture de masse […], la vie des olympiens participe { la vie quotidienne des motels […]. 15» Dans ce schéma, ces héros nourrissent une ambivalence entre l’imaginaire et le réel, « à la fois idéaux inimitables et modèles imitables », ces figures deviennent alors, « surhumains dans le rôle qu’ils incarnent, humains dans l’existence privée qu’ils vivent. » Et Morin de poursuivre : « La presse de masse, en même temps qu’elle investit les olympiens d’un rôle mythologique, plonge dans leur vie privée pour en extraire la substance humaine qui permet l’identification. 16» L’analyse du sociologue devient d’autant plus pertinente et se pose en modèle théorique de référence concernant la peopolisation du politique. Il applique ce processus aux hommes d’Etat : « Familiers et inaccessibles, eux aussi peuvent accéder à la double nature des olympiens, humaine et surhumaine. Eux aussi sont poursuivis par les photographes, les interviews, les potineurs, qui s’efforcent de pomper les sucs de leur intimité. En conjuguant la vie quotidienne et la vie olympienne, les olympiens deviennent des modèles de culture au sens ethnographique du terme, c'est-à-dire de modèle de vie. Ce sont des héros modèles. Ils incarnent les mythes d’autoréalisation de la vie privée. 17» Les différents universitaires qui se sont intéressés à la question ont souvent cité la théorie de Morin. Jamil Dakhlia part alors du constat de ces deux piliers pour effectuer une comparaison entre deux magazines people qui mettent régulièrement en avant la vie privée d’hommes politiques, Gala et Voici. Selon elle, « un chef politique est généralement mieux mis en valeur dans ses espaces privés dans Gala où il prend la pose que dans Voici, où les photographies sont éventuellement volées. Si les deux titres attirent 15 16 17 MORIN Edgar. In, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P 117. MORIN Edgar. In, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P 117. MORIN Edgar. In, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P 118. 10 plusieurs millions de lecteurs non exclusivement populaires mais massivement désintéressés par la politique, ils se distinguent selon des contrats de lecture radicalement distincts. Comme le résume brutalement le directeur des études de Prisma Presse qui publie ces deux titres, Voici abaisse la personnalité au rang de la lectrice tandis que Gala hisse la lectrice au rang de la star.18 » Si l’on peut donc privilégier un levier de la peopolisation { l’autre, les deux font souvent la paire. Ainsi de façon plus pragmatique, le jeu va être, entre autres, de désacraliser la fonction pour jouer sur la proximité et en parallèle de starifier l’homme, « en adhérant à des codes et { des modes relationnels qui constituent autant d’indices d’appartenance { la communauté de la Jet-set et des beautiful people. » Cette dernière citation d’Eric Seizelet est mis en évidence dans son essai19 sur Koizumi Jun’ichirô, chef du gouvernement japonais de 2001 à 2006. Et de poursuivre : « La popularité du Premier ministre Koizumi tient non seulement à un style politique décalé par rapport à ses prédécesseurs, mais aussi à une personnalité « proche » à laquelle les japonais pouvaient plus facilement s’identifier. 20» Il expose ses déboires familiaux, ses choix de vie conjugaux (pourquoi il préfère le célibat), se prête aux bains de foule (plutôt rare dans le jeu politicien japonais), il utilise les nouvelles technologies, vend des produits dérivés { l’image de son parti… Il « contourne les modes, les structures de communication entre les élites et le peuple par l’instauration d’un dialogue direct et intime entre le gouvernement et la population. 21» Le politologue conclura ce propos en précisant qu’il contribuait { désacraliser la fonction qu’il occupait afin que l’identification par l’homme de la rue soit possible. Mais le politicien japonais n’en utilisait pas moins des moyens de starification, pour « être à la fois inaccessible par sa position de star qui fait rêver mais en même temps très 18 DAKHLIA Jamil. In, La représentation politique à l’épreuve du people : élus, médias et peopolisation en France dans les années 2000. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P 74. 19 SEIZELET Eric. In, Koizumi Jun’ichiro, superstar de la vie politique japonaise. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 122. 20 SEIZELET Eric. In, Koizumi Jun’ichiro, superstar de la vie politique japonaise. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 122. 21 SEIZELET Eric. In, Koizumi Jun’ichiro, superstar de la vie politique japonaise. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 124. 11 proche par une gestion de l’image et des objets divers qui lui sont associés, qui lui permettent { la fois d’ancrer la star dans l’horizon quotidien de ses admirateurs… 22» On notera enfin une dernière ficelle sur laquelle les politiques tirent régulièrement pour jouer la carte de la proximité : se rapprocher des célébrités de la culture commune, comme Pierre Musso le fait remarquer au sujet de Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi, qui n’hésitent pas { s’entourer et { se faire soutenir par divers leaders d’opinion. Mais ces techniques n’en sont pas pour autant sans risque et l’abus de communication sur la vie privée peut avoir un effet boomerang sur la personnalité qui l’amorce. Eric Darras illustre cette perspective { travers l’exemple des tribunaux qui accueillent régulièrement en leur sein des hommes politiques se prétendant victimes d’atteintes { la vie privée. Les magistrats vont régulièrement les débouter dans leur action civile dès lors que ceux-ci ont déjà eu recours volontairement à ce type de techniques (nous détaillerons cette question plus loin). Mais ce n’est pas le seul risque car la décrédibilisation de la personnalité politique peut être le pendant d’une stratégie de communication trop « dévergondée ». 4. La peopolisation dans ses ambitions politiciennes "The mass do not now take their opinions from dignitaries in Church or State, from ostensible leaders, or from books. Their thinking is done for them by men much like themselves, addressing or speaking in their name, on the spur of the moment….23 “ John Stuart Mill Statuer sur l’impact de la peopolisation du politique dans ses objectifs politiciens reste un exercice périlleux. La question est digne d’intérêt car elle représente l’aboutissement 22 SEIZELET Eric. In, Koizumi Jun’ichiro, superstar de la vie politique japonaise. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 126. 23 MILL John Stuart. In, On Liberty, 1869. 12 d’un phénomène communément supposé politique (nous verrons plus loin que c’est bien plus complexe). Peu mesurable car touchant à la perception du récepteur, il est difficile de statuer sur le réel impact de la peopolisation sur les électeurs : « Les indicateurs de la réussite du marketing politique restent flous24 », affirme sur le sujet Eric Darras. S’il est compliqué de théoriser cette question, un mythe sociétal se positionnant sur un conditionnement médiatique des électeurs existe bien. Une croyance domine les débats sur la question : l’opinion qu’un citoyen se fait d’un homme politique serait aujourd’hui fondée sur sa personne et non sur son programme politique. Cette croyance semble un des fondements du phénomène dans son utilisation par le politique. Elle est aussi largement partagée dans la société actuelle et renverrait à une toute puissance médiatique : les développements éditoriaux de ces derniers conditionneraient directement les citoyens. Mais pour la plupart des politologues, cette présomption reste avant tout un mythe, qui ne serait que très peu fondé. Pour développer la question, étudier l’impact de la communication médiatique au sens large sur le citoyen semble pertinent { deux égards. Tout d’abord, si la médiatisation de la vie privée du politique est un aspect singulier de la communication médiatique, celleci en fait bien partie. Cela revient donc { s’interroger sur un phénomène plus global pour avoir des réponses concernant un process plus particulier, mais compris dans son champ. Cela ne permet pas, bien sûr, de tirer des vérités absolues, mais bien d’avoir quelques indications sur la mesure du phénomène. Ensuite le phénomène de peopolisation semble aujourd’hui un passage quasi-obligé, en tout cas dans la communication de l’homme politique prétendant { des fonctions { l’échelle nationale (il existe des contre-exemples, Martine Aubry par exemple). Ce n’est donc pas un phénomène marginal lorsqu’on considère l’ensemble de la communication politique médiatique. Une fois ces justifications exposées, quid de l’impact des médias sur le comportement électoral ? « Le rôle causal de la communication politique face au comportement électoral reste limité. […] La socialisation politique continue de jouer un rôle décisif dans 24 DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 83. 13 l’explication du vote 25», présente alors Eric Darras. Selon cette théorie largement partagée en science politique, le vrai déterminant dans le comportement électoral tient avant tout { l’éducation politique de l’électeur ainsi que par la suite { son environnement socioprofessionnel. Le premier va inculquer un comportement face à la chose politique, un intérêt plus ou moins grand, des habitudes de vote plus ou moins assidues. Dans le cas d’un environnement tourné vers la chose politique, le sujet aura tendance { développer sa pensée dans la lignée ou contre ce socle d’idées, mais ce cheminement se fera en rapport direct avec son éducation politique. Dans le cas contraire, il montrera statistiquement moins d’intérêt au sujet en question. Toujours côté statistique, et pour illustrer ce propos, des enfants d’enseignants ou de travailleurs sociaux, qui auraient une pratique de l’exercice électoral plus régulière, seraient plus porter sur des valeurs de gauche, alors que des enfants de dirigeants, élevés dans des milieux plus aisés, auraient tendance à partager les idées de droite de leurs parents. A l’inverse, les citoyens les moins politisés restent les sujets provenant de milieux plus modestes. Un deuxième déterminant majeur réside dans la catégorie et donc l’environnement socioprofessionnel du votant. Des grandes tendances se dégagent quant aux habitudes de votes et au bord politique des ouvriers comparés aux patrons ou encore aux enseignants. C’est cet univers professionnel ainsi que l’environnement social direct du citoyen qui seraient les premiers déterminants des choix électoraux. Dans ce schéma, les médias n’auraient qu’un rôle secondaire, en tout cas pas un rôle direct. L’impact vertical du média est donc rejeté. Ce ne serait dans l’utilisation qu’en font les politiques en tant qu’outils de communication, « qu’un réducteur d’incertitudes électorales », voire même, « un moyen de se rassurer eux-mêmes dans le bon déroulé de leur campagne et dans leurs chances d’accéder aux affaires 26», pour Eric Darras. Pour d’autres, les médias joueraient tout de même un rôle, mais celui-ci serait marginal et plutôt que de façonner une opinion politique, ils viendraient en valider la substance 25 DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 85. 26 DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 84. 14 lorsque celle-ci est déj{ construite. Le process d’évolution de la pensée politique après une exposition médiatique peut tout de même exister mais serait un phénomène très marginal. N’oublions pas que les récepteurs d’aujourd’hui ont été soumis { plus d’un demi-siècle de « mass media » et qu’ils filtrent très largement les messages. Ce sont en substance les résultats de l’enquête de l’équipe de Lazersfeld (Université de Columbia, USA), développée dans « The People’s Choice »27 et induisant la notion de « Two steps flow ». Cette théorie réfute un impact direct, vertical, des médias sur les individus, présentant les spectateurs comme peu perméables aux messages de la presse. Elle met par contre en avant un lien indirect entre le message médiatique et le comportement électoral par le rôle de l’entourage. En effet, c’est ce dernier qui aurait le plus d’influence sur l’électeur et en particulier le leader d’opinion présent dans l’environnement du citoyen. Or celui-ci aurait, selon Lazarsfeld, la particularité d’être { l’écoute des médias et de s’en imprégner pour se déterminer politiquement. L’impact du message médiatique se ferait donc en deux temps (two steps) : premièrement agir sur les leaders d’opinion, ensuite se répandre sur l’ensemble des individus. Une des grandes problématiques de la communication consistera { s’adresser { ces leaders d’opinion. Le phénomène des blogs et de l’intérêt des marques pour ces quidams influents en est sans aucun doute l’illustration. Pour revenir au sujet qui nous habite, aujourd’hui, devant la complexification de la communication, les sociologues ont mis en avant un nouveau concept : celui de la « Multiple steps flow ». « À l’origine, Katz et Lazarfeld avaient formulé un modèle de communication en deux temps (« two step flow ») dans lequel le leader interprète d’abord l’information fournie par l’émetteur avant de la transmettre { son entourage ; aujourd’hui, les recherches suggèrent plutôt des interactions multiples entre les suiveurs et les leaders28 », proposent dans leur étude marketing sur les leaders d’opinion Eric Vernette et Laurent Flores. En effet, les leaders d’opinion se multiplient, se spécialisent vers leurs centres d’intérêts. Les messages médiatiques sont eux plus nombreux et plus complexes. Conséquence, les interactions se complexifient mais le schéma reste globalement le même. 27 LAZARSFELD P.F, BERELSON B et GAUDET H. The People’s Choice: How the Voter Makes up His Mind in a Presidential Campaign. New York. Columbia University Press. 1944. 28 VERNETTE Eric et FLORES Laurent. In, Communiquer avec les leaders d’opinion en marketing. Décisions Marketing. No 35. Juillet-Septembre 2004. P 9. 15 5. La peopolisation et ses acteurs « Deux Français sur trois jugent que les hommes politiques sont éloignés de leurs préoccupations. En guise de réponse, ces derniers leur envoient des signes de proximité. C'est la mise en avant, par exemple, de leur vie privée qui vient combler un vide idéologique. Aujourd'hui, les ministres se battent pour aller sur les canapés du petit écran et n'hésitent plus à fréquenter les plateaux d'animateurs issus de la génération de la dérision, du nihilisme et de l'obscénité érigés en mode de pensée, au risque de s'y faire étriller, avec les encouragements appuyés de dirigeants de chaîne convaincus de tenir là le remède absolu à la baisse de l'audience. »29 Renaud Revel La peopolisation est un phénomène impliquant trois acteurs : les hommes politiques, les médias et les publics : « Trois types d’acteurs peuvent être impliqués dans le développement de la peopolisation : la sphère politique au sens large […], les médias […] et l’opinion publique, formée par des usagers des médias qui sont en même temps des électeurs potentiels », décrit Jamil Dakhlia30. Concernant les deux premiers, Christian Delporte, résume avec justesse leur participation : « Une telle situation (cf : peopolisation) implique une complicité au moins objective entre le leader (lire : politique) et les médias, le premier pour toucher, conquérir, fidéliser l’opinion ; les seconds pour gagner en audience. » En troisième lieu, le public y trouve bien évidemment son compte. Les leviers de la peopolisation s’adressent au niveau du récepteur (les publics) en particulier { l’affect, alors qu’un message politique au sens strict en appelle { sa raison. Sans rentrer dans le détail d’un postulat qui fera l’objet d’un développement plus conséquent, la starisation comme l’étalement de la vie privée du politique, stimulent le récepteur via deux processus distincts d’idéalisation et d’identification. Il serait aisé de reporter la cause du phénomène de peoplisation sur l’une ou l’autre partie en cause dans son exercice. Certains d’ailleurs ne s’en privent pas. Que ce soit le 29 REVEL Renaud. In, le triomphe de la médiocratie. L’Express. 18 avril 2002 : http://www.lexpress.fr/culture/le-triomphe-de-la-mediocratie_458119.html 30 DAKHLIA Jamil. In, People et politique : un mariage contre nature ? Critères et enjeux de la peopolisation. Questions de communication. n° 12, décembre 2007. 16 public, accusant les médias de tous les maux quant aux programmations télévisuelles ou aux contenus éditoriaux de la presse échotière, le plus fervent lecteur de magazines people, n’est pas le dernier { s’insurger. Le public semble d’ailleurs préférer en imputer la faute aux médias qu’aux politiques. La connivence de l’élu, ou de l’homme public en passe de le devenir, dans la mise en lumière de sa vie privée ne nous semble pas encore connue de tous. Aucune étude au sens strict ne peut étayer ce postulat mais un rapide sondage sur un panel d’une trentaine d’individus (pour la plupart issus de longs cursus universitaires) imputent, { près de 70 %, la faute aux médias. Ces individus, qu’ils soient électeurs ou publics jouent leur rôle. Ainsi, et on le verra lorsque l’on parlera de la culture de masse, le public est en quête quasi-constante de divertissement depuis qu’il a affranchi son esprit des turpitudes de sa survie (Partie 2). Dans le cadre de l’émission « Questions à domicile », les deux universitaires Brigitte Le Grignou et Erik Neveu écrivait en ce sens : « la genèse de l’émission permet de saisir en quoi le renouvellement du genre qu’elle matérialise ne peut se réduire { une machiavélique stratégie de l’audimat par TF1, mais doit être pensé comme point de coordination, résultat émergeant d’interdépendances entre des catégories d’agents sociaux qui vont bien au-delà du binôme journaliste homme-politique. 31» Les individus par leur soif d’intimité, leur curiosité du voisin et encore plus du leader d’opinion, les mœurs dans leur évolution libérale, la sécularisation de la société et l’émergence de la postmodernité ont joué un rôle dans le phénomène de peopolisation. De leur côté, les hommes politiques, hésitant à reporter la faute sur un électorat friand d’actualité people, ne se privent pas d’accuser les médias de s’immiscer dans leur vie privée et de ne faire écho qu’{ la partie la plus intime de leur actualité. On retrouve régulièrement d’ailleurs ces accusations devant les tribunaux. Les litiges sur l’utilisation de la vie privée dans les médias sont légion dans les prétoires et la plupart des magazines people ont un budget dédié aux réparations financières auxquelles ils sont fréquemment condamnés. Les médias ne sont pas en reste et sacrifient régulièrement à la facilité de reporter la faute sur des politiques se prêtant presque systématiquement volontairement au jeu de 31 LE GRIGNOU Brigitte et NEVEU Eric. In, Les dynamiques de la politique à la télévision. Revue française de science politique. N°43. Paris. 1993. P. 945. 17 la vedettisation. Comme pour les leaders politiques, il n’est pas très aisé d’accuser le public car si les médias n’y sacrifieraient bien sûr pas des voix, ils y perdraient certainement des lecteurs/spectateurs. Il convient cependant ici de mentionner qu’{ défaut de toujours chercher à endiguer le phénomène, souvent mal assumé dans l’ « inteligencia médiatique », une posture réflective par rapport leur activité est apparue. Autrement dit, à défaut de repentance sur leurs propres actions qu’ils dénoncent eux-mêmes (car ce n’est pas ici un jugement de ma part mais bien un constat : les médias continuent encore et toujours à jouer le jeu de la peopolisation alors qu’ils dénoncent eux-mêmes ce phénomène), le débat est ouvert dans le cercle journalistique et donne régulièrement lieu à des productions médiatiques portant sur l’exercice même des médias. Mais nous y reviendrons plus tard, car l’évolution du concept de peopolisation a, selon certains auteurs, accentué cette posture réflective des médias. Mais la coexistence seule de ces trois parties ne suffit pas { l’existence du phénomène, en tout cas sous sa forme actuelle. C’est une condition nécessaire, mais non suffisante. Certaines caractéristiques propres aux relations entre médias et son audience, hommes politiques et leurs électeurs et journalistes et hommes politiques, tendent à expliquer le phénomène. Des caractéristiques même de l’exercice politique et médiatique vont ensuite être impactées par de nouveaux impératifs, conséquence directe de la peopolisation dans les médias. En tout cas, c’est la question { laquelle ce mémoire va essayer de répondre : la peopolisation est-elle assujettie à des caractéristiques de facto imputables aux interactions entre les professionnels du politique, les médias et les individus, électeurs dans un cas, récepteurs d’information dans l’autre ? Mais un dernier aspect contribue à influer sur le phénomène : le droit applicable en la matière. En droit français, c’est la loi du 17 juillet 1970 qui a débouché sur l’article 9 du code civil et qui offre une protection globale à la vie privée des individus. En théorie, c’est donc { la personne et { elle seule de divulguer sa vie privée : « chacun à droit au respect de sa vie privée 32». Cette protection comprend bien évidemment le droit à l’image : « L’image est une forme d’extériorisation de l’individu. Dès lors, toute personne peut s’opposer { ce que des tiers non autorisés la photographient, puis publient son 32 Article 9 du code civil. 18 portrait, quel que soit le support utilisé : journaux, télévision, cinéma et même réseau internet. 33» Quand aux sanctions, les juges civils se voient conférer un large pouvoir pour faire cesser l’atteinte, car selon l’article 9 : « Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation des dommages subis, prescrire toute mesure telle que séquestre, saisie et autres, propres { empêcher ou faire cesser une atteinte { l’intimité de la vie privée ; ces mesures peuvent s’il y a urgence être ordonnées en référé. » Cette protection solide à longtemps fait de la France une exception dans le monde, et a découragé les médias dans la publication de l’intimité des hommes politiques contre leur gré. Selon Jamil Dakhlia, le début de la peopolisation au sens où on la connaît aujourd’hui a débuté dans les années 2000. Dès lors de s’interroger : « la peopolisation sonne-t-elle comme on le dit souvent, la fin de « l’exception française » de protection de la vie privée des personnages publics ? 34 » Quoi qu’il en soit ce carcan protecteur devient plus relatif quand on considère les personnes publiques. «Il est certain que, pour les personnes publiques (hommes politiques, journalistes ou artistes), il existe une forte pression pour écarter ce droit { l’image au nom d’autres droits comme celui de l’information des citoyens… Le juge détermine alors au cas par cas si l’atteinte { la vie privée est ou non constituée », expose Bertrand Pauvert35, spécialiste de libertés fondamentales { la faculté de droit de l’Université de Haute Alsace. En pratique donc, une tolérance existe en termes de médiatisation de la vie privée des hommes politiques. Elle sera toujours appréciée au cas par cas (de facto) par le juge et sera fonction de l’utilisation passée des techniques de communication sur la vie privée dans la stratégie de campagne de l’homme politique. Autrement dit, un homme politique qui a expose régulièrement et volontairement sa vie privée dans les médias pourra moins aisément agir en justice contre ce qu’il estimerait une atteinte { sa vie privée. La 33 CORPART Isabelle. In, Arrêt sur image - le sort des photographies prises à l’occasion des spectacles. In La Sécurité des spectacles, B.Pauvert dir. L’Harmattan. 2005. P. 113. 34 DAKHLIA Jamil. In, La représentation politique à l’épreuve du people : élus, médias et peopolisation en France dans les années 2000. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P 76. 35 e PAUVERT Bertrand. In, Libertés publiques et droits fondamentaux. 2 édition. Studyrama. Paris. 2011. P. 53. 19 rupture de 2005 (traitée par Jamil Dakhlia36) dans le traitement de l’intimité des hommes politiques par les médias peut très certainement s’expliquer en partie par ce dernier point. De dernier point éclaircit, concentrons nous maintenant sur la problématique. Il convient alors d’étudier ces interactions entre les hommes politiques et les électeurs d’une part, les médias et les consommateurs d’information d’autre part et les journalistes et les hommes politiques pour une troisième part. On verra dans chacune de ces parties que naturellement le développement du phénomène nourrit à son tour des mutations dans les comportements politiques et médiatiques. Partie 1 : Le politique face aux électeurs Il n’est pas évident de déterminer quel aspect de la relation homme politique/électeur est venu poser les bases de la peopolisation puis quel autre s’est employé { catalyser le processus. Cette partie ne vise pas à statuer définitivement sur les raisons politiques qui ont rendu quasi-indispensables cette pratique par les hommes politiques aspirant aux plus hauts mandats. Elle s’essaye humblement { dégager quelques caractéristiques de l’échiquier politique contemporain qui auraient facilité cette transition dans l’exploitation de l’image politique. Comme je le présentais plus haut, étudier l’impact du politique stricto sensu (comme l’impact médiatique), détaché de toute interaction, ne me semble pas pertinent. Le rôle de la figure politique dans le processus de peopolisation prend tout son sens lorsqu’il est confronté { l’électeur. L’idée sera ensuite tout au long de cette partie de s’interroger sur les conséquences imputables { chaque caractéristique qui vont à leur tour peser sur le déroulement du phénomène. C’est ainsi que je commencerai donc cette partie. L’étude de l’émergence du phénomène a imposé un constat. L’utilisation de techniques de communication par l’homme politique vient de la dépendance de l’homme politique { ce que l’on nomme vulgairement une opinion publique. Ce terme est intervenu dans l’univers politique { l’apparition des sondages d’opinion, censés servir « d’instance d’évaluation des messages 36 DAKHLIA Jamil. In, La représentation politique à l’épreuve du people : élus, médias et peopolisation en France dans les années 2000. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P 67. 20 politiques »37. Terme largement remis en cause par les sciences politiques dans son utilisation pour caractériser un système de pensée unique qui serait issu de la somme des opinions individuelles d’une société (la somme d’un ensemble disparate d’opinions n’a jamais fait un seul et même ensemble d’idées identifiable), nous l’employons ici par simplicité lexicale pour désigner l’avis des gouvernés face { leurs gouvernants. C’est ainsi que l’on retrouve déj{ des traces de peopolisation sous l’Ancien Régime, l’absolutisme royal ne pouvant se détacher complètement du soutien et de l’approbation des sujets (même si dans ce cadre, c’est plus le rapport ouvrages { sensations/lecteurs qui donnera des explications sur le phénomène). Si cette notion reste marginale dans ce type de système politique, des traces étaient déjà bien identifiables (voir sur cette question l’analyse d’Annie Duprat38). 1.1 Une condition incontournable : le suffrage universel Mais c’est { l’apparition du marché politique, que le véritable intérêt de l’homme politique en campagne est intervenu dans le jeu. On est ici aux fondements de l’interaction entre les gouvernés et les gouvernants puisqu’on bascule alors dans un schéma électeurs/représentants. Que l’on s’entende l’apparition du suffrage en 1848 n’a pas été le signal de départ tout azimut du concept qui nous occupe. L’instabilité des régimes, des habitudes de vote qui peinent à se mettre en place (apprentissage de l’exercice de la démocratie laborieux…), entre autres difficultés, vont ralentir le processus. Mais avec la généralisation et l’installation du suffrage dans la désignation du politique, c’est un siècle plus tard un marché politique au sens marketing du terme qui émerge. Un marché avec des producteurs (les hommes politiques) et des acheteurs (les électeurs). Les premiers « vendent » des promesses, en échange des voix des électeurs. Dès lors, c’est une « dialectique Etat-entreprise », qui va se mettre en place, selon les termes de 37 DECHEZELLES Stéphanie, cours de sciences politiques, les formes de la démocratie, EJCM, 2010-11. 38 DUPRAT Annie. In Marie-Antoinette, côté bling-bling et côté trash. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P 13. 21 Pierre Musso39, quand il évoque le « sarkoberlusconisme » : l’homme politique devient un produit qu’il convient de vendre sous un jour favorable. Au centre de ce jeu, le suffrage universel. Un lien nouveau se crée entre gouvernants et gouvernés. Les hommes politiques doivent convaincre. Christian Delporte se positionne ainsi sur l’émergence du phénomène : « Les racines de la peopolisation, en France, sont en effet fort anciennes et, pour le comprendre, il convient de remonter à la IIIe République. Pas avant cependant, car, selon nous, la peopolisation est un jeu à trois acteurs –hommes politiques, médias, opinion publique – qui se satisfait mal de régimes non démocratiques. » Et de continuer : « La peopolisation prend tout son sens lorsque l’homme politique utilise la médiatisation de sa vie privée ou de son histoire personnelle { des fins de communication, […], l’horizon de l’homme politique, soucieux de sa popularité, restant avant tout électoral. » On l’a donc compris pour qu’il y ait peopolisation, il faut un intérêt de l’homme politique, qui se matérialise essentiellement dans l’histoire du jeu politique par l’apparition du suffrage universel : « La nouvelle mécanique (lire la peopolisation) ne se met vraiment en place qu’au moment où le chef de l’Etat, pivot des institutions, est élu au suffrage universel, mais aussi lorsque se pose l’éventuelle succession du Général (De Gaulle), c'est-à-dire en 1965 40 » avance Christian Delporte. On l’a donc vu, le suffrage universel est bien une condition sine qua non de la peopolisation. Depuis quelques années, ce processus a été amplifié par l’accentuation du processus de sélection en amont, { l’intérieur même des partis politiques, par des sortes de primaires { l’américaine, plus ou moins formelles, plus ou moins instituées. « Pour gagner des élections, il convient surtout d’être désigné comme le candidat de l’un des deux partis dominants. », présente Eric Darras, « bien avant de bénéficier de l’honneur de conquérir les suffrages, il faut soi-même croire puis faire croire { d’autres grands hommes du parti au bien-fondé d’une telle prétention. Une fois installé au sommet de l’appareil partisan, ces chefs mobilisent également des sondages et toutes les techniques de communication politique pour remporter cette étape décisive en interne. 41» L’homme 39 MUSSO Pierre. In, Existe-t-il un sarkoberlusconisme ? Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 140. 40 DELPORTE Christian. In, Quand la peopolisation des hommes politiques a-t-elle commencé ? Le cas français. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P .35-37. 41 DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 88. 22 politique utilise alors la communication non seulement pour récolter des voix durant les élections mais aussi pour être institué prétendant aux affaires par son parti. Pour cela il doit convaincre les cadres du parti bien sûr, « les candidats à la candidature présidentielle rivalisent et surtout surenchérissent auprès de ces chefs traditionnels qu’il faut également toujours convaincre » et le plus souvent les adhérents qui votent son investiture, voir l’ensemble des citoyens comme c’est le cas pour les primaires qu’organisera le PS pour désigner son candidat { l’élection présidentielle de 2012. La croyance dans la toute puissance de la communication dans le jeu politique est très prégnante dans les partis politiques. Pour convaincre les cadres du parti de ses chances de victoire, il faudra montrer une cote de popularité exemplaire dans les mesures d’opinion. Quelque soit finalement le mode de désignation, la manière de communiquer de l’homme politique entre en jeu. D’autant plus lorsque les électeurs sont appelés aux urnes dès l’investiture. Mais outre d’accentuer encore l’obligation pour le politique de convaincre par tous les moyens en rajoutant une étape { l’arrivée aux affaires, Eric Darras isole une autre conséquence : « La mise en scène des qualités (et défauts) personnels des candidats peut contribuer à renforcer une polarisation à laquelle un nombre croissant d’électeurs ne croit plus après un quart de siècle d’alternance au pouvoir des partis dominants à droite et à gauche. Dès lors, les militants se voient convaincre à grand renfort de sondages qu’il faut miser, nolens volens, sur celui ou celle qui bénéficie des plus grandes chances de victoire contre l’adversaire de l’autre camp. 42 » Ce dernier argument va dans le sens de la partie suivante. 1.2 Un pouvoir personnifié Mais cela ne fait pas tout, et une analyse sur l’exercice du pouvoir sous la IIIe République mettra en lumière une deuxième condition. Car si { partir de 1871, l’exercice du pouvoir est soumis au scrutin, un autre aspect empêche l’ascension de la peopolisation. « Sous la IIIe République, la personnalisation du pouvoir est parfaitement contradictoire avec la conception parlementaire des institutions républicaines, avec la République elle-même sur laquelle plane le souvenir de Napoléon III et du général Boulanger, bref du césarisme. » Et Christian Delporte d’aller plus loin dans son analyse politique : « Dans un système où 42 DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 89. 23 l’accès au pouvoir s’effectue exclusivement par voie parlementaire, l’homme qui aspire { exercer des fonctions institutionnelles doit se forger une image qui ne heurte pas les autres élus, rivaux ou associés d’aujourd’hui ou de demain. 43» Dès lors, le terrain n’était pas vraiment fertile { cultiver une image vedettisée. En effet, l’information axée sur le people met avant tout en lumière des individus. « L’information people est consubstantielle { la personnalisation de la vie publique et révélatrice de la personnification du pouvoir. », continue Christian Delporte. Dans un système qui « refuse les leaders et encore plus les chefs 44» se vedettiser est un mauvais calcul (sans même parler des barrières morales quant au dévoilement de l’intime sous la IIIe République, la culture de masse n’a pas encore percée la petite lucarne des foyers français). Intéressons nous maintenant à « la réciproque ». La Ve République est caractéristique des régimes semi-présidentiels, autrement dit d’un régime parlementaire avec un pouvoir présidentiel fort. Selon l’exercice qu’en fait le président, et bien sûr la configuration { la tête de l’Etat (en temps de cohabitation la marge de manœuvre présidentielle est fortement diminuée par exemple), le pouvoir est alors plus ou moins concentré, au moins symboliquement, entre les mains d’un homme. Il est personnifié, identifiable et sa combinaison avec le suffrage universel tend à tisser un lien de confiance entre l’électeur et le présidentiable. Dès lors, le mécanisme de peopolisation est exacerbé : « Avec l’avènement de la Ve République et l’arrivée de De Gaulle au pouvoir, une autre logique du pouvoir s’affirme, celle de la peopolisation des enjeux politiques. […] La Ve République, en effet, célèbre des destins individuels dans le rapport personnel établi entre le Président élu et les citoyens : dans la vie politique, désormais, seuls comptent les présidentiables. L’élection présidentielle est d’abord la rencontre entre un homme et un peuple, sanctionnée par la confiance que le second accorde au premier. […] La présidence n’efface pas les clivages politiques, mais elle contribue { désidéologiser le choix, à affaiblir la rationalité partisane au profit de l’élan affectif et { faire jouer { plein les ressorts de l’imaginaire individuel et collectif. Certes, le programme n’est pas négligeable, mais pèse d’abord sur la manière dont on perçoit et se représente l’homme auquel on donne sa confiance. C’est bien pourquoi l’image du responsable public, grandement nourrie de 43 DELPORTE Christian. In, Quand la peopolisation des hommes politiques a-t-elle commencé ? Le cas français. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 28-30. 44 DELPORTE Christian. In, Quand la peopolisation des hommes politiques a-t-elle commencé ? Le cas français. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 31. 24 valeurs morales, devient centrale sous la Ve République45.» On est donc bien face à une condition, la personnification du pouvoir, contribuant à la mise en perspective du phénomène. 1.3 Les enjeux du bipartisme Si le pouvoir est personnifié sous la Ve République, l’ascension au pouvoir est aussi l’affaire d’une personne et réservée dans les faits { deux personnalités identifiables. « L'ascension de Nicolas Sarkozy a remis en évidence la tendance à l'« américanisation » de la vie politique française. Mais le nouveau président de l’UMP n'est pas le seul { aller dans cette direction. La tentation existe aussi à gauche. Au-delà du primat de la communication, cette tendance a un fort contenu politique qui repose sur l’idée que l'économie libérale s'impose désormais { tous, qu’elle ne peut plus être un axe de différenciation. D’où le rêve récurrent d'une bipolarisation { l’anglo-saxonne46», publie l'hebdomadaire Politis en 2004 en traitant de la volonté de certains responsables politiques français de bipolariser le débat public autour de deux grands partis, à l'image du Parti démocrate et du Parti Républicain aux États-Unis d'Amérique. Plus analytique, Eric Darras se positionne ainsi : « La partisanation de la vie politique ou la monopolisation des ressources financières, symboliques et intellectuelles, au profit du duopole PS-UMP, s’accélère indépendamment de l’éclatement des suffrages. L’ingénierie électorale et surtout le financement public des partis, depuis la fin des années 80, aboutit à concentrer les ressources matérielles au profit des deux formations politiques dominantes qui bénéficient ainsi d’un effet de dumping : le coût d’entrée dans la compétition politique s’élève relativement { l’augmentation considérable de l’argent, du personnel permanent, du soutien professionnel, de l’influence dont disposent le duopole, bon gré mal gré autour du PS et de l’UMP.47 » On l’a compris, au del{ de l’éclatement des voix, on a bien une seule et unique opposition dans le combat pour arriver au pouvoir : PS/UMP. Même si des partis tirent régulièrement leur épingle du jeu (on pense notamment au Front national qui est déjà arrivé au second tour de 45 DELPORTE Christian. In, Quand la peopolisation des hommes politiques a-t-elle commencé ? Le cas français. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 35. 46 Politis, édition du 9 décembre 2004, De l’UMP au PS : la tentation américaine 47 DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 96. 25 l’élection présidentielle de 2002 et { qui l’on impute aujourd’hui 23% d’intention de votes au premier tour en 201248), il ne semble pas envisageable qu’un candidat non issu du PS ou de l’UMP ait l’avantage au deuxième tour. Dès lors, pour la course à la présidentielle, chaque camp désignera son « champion » qui sera non seulement le mieux positionné pour gagner l'Élysée mais surtout pour battre le prétendant du camp adverse. L’accession au pouvoir est donc personnifiée entre deux candidats mis en opposition, qui se battront non pas seulement contre un socle d’idées opposées ou tout du moins divergentes, mais contre une personnalité. Cette confrontation bipolaire pousse à la mise en avant de qualités personnelles qui sortent du champ des idées politiques. La logique bipartisane de la Ve République nourrit sans aucun doute le phénomène de peopolisation et cette logique se voit ensuite nourrie à son tour par les effets de la peopolisation (obligation aujourd’hui d’un charisme rare { la tête d’un parti, sans quoi la formation n’a absolument aucune chance de peser dans la course { l’Elysée, sacralisation de la fonction de chef d’Etat et récurrence du questionnement : a-t-il la stature pour épouser ces fonctions ?). Ce postulat semble, concrètement, illustré par la crise de représentation que traverse encore le PS. En mal d’un leader qui unirait son camp, le PS se déchire dans une bataille des chefs, convaincu, à tord ou à raison, que l’impératif premier est bien de trouver un « champion ». L’idée que le bipartisme { la Française catalyse le phénomène de peopolisation reste encore une fois indissociable de la personnification et du suffrage universel. Il se nourrit par ailleurs de l’ouverture du suffrage { l’intérieur même du parti. Par ailleurs, si le bipartisme n’est pas directement issu de la relation avec les électeurs, il est aujourd’hui directement lié { cette interaction. C’est bien la relation avec ces derniers qui pèsent dans l’impératif de désignation « du champion » de chaque parti. C’est cette dernière aussi qui pousse les électeurs { ne choisir qu’un champion susceptible de prendre la tête de l’Etat et de ne pas éparpiller les voix. C’est cette dernière enfin qui rend le phénomène du bipartisme impactant sur le phénomène de peopolisation. 1.4 Une mutation dans les critères de l’excellence politique 48 Sondage Harris Interactive pour le Parisien, du 5 mars 2011. 26 Un constat découle de ces dernières analyses : les critères de l’excellence politique ont changé, évoluant au fil des nouveaux impératifs qu’impose la mise en avant de qualités humaines sortant du champ politique. Plus axé sur l’exercice politique, cet aspect des choses n’en est pas moins issu de la relation avec l’électeur. Car c’est avant tout pour se soumettre à de nouvelles attentes des électeurs en termes d’image que renvoie le politique (ou du moins c’est ici l’analyse des professionnels du politique) que ces critères d’excellence mutent. Quant au déroulement de cette mutation, Eric Darras propose : « La réussite de l’importation du marketing politique et des sondages a été progressive parce qu’elle a été l’œuvre d’une nouvelle génération de prétendants politiques inscrits dans les structures partisanes, bien que longtemps dominée { l’intérieur de ces structures décisionnaires, tant en raison de leur jeunesse que de leur incapacité à faire valoir les ressources idoines (parrainages, héroïsme, fief, réussite électorale, exemplaire, titres scolaires élitistes, reconnaissance internationale…). Ils ont su et pu subvenir { transformer les critères de l’excellence politique (en prônant par exemple, l’importance de la cote de popularité, de la mise en scène des espaces privés ou de la capacité à réaliser une bonne performance télévisuelle…) que parce qu’ils ont su concilier l’ancien et le nouveau, parce qu’ils ont investi les structures traditionnelles (les partis dominants), tout en y injectant les ferments du changement. 49» Aux moyens énoncés par le politologue, on peut ajouter une des conclusions des travaux de Brigitte Le Grignou et Erik Neveu. « S’il dévalorise des modalités anciennes de l’excellence politique, le triomphe télévisuel d’incarnations « modernes » de l’homme politique tend { produire une nouvelle standardisation des professionnels. Les formes nouvelles d’excellence engendrent des effets d’indistinction : les partis rivaux présentent des champions aux attributs interchangeables. 50» Ils ont travaillé sur l’émission « Question à domicile51 » et ont mis un certain nombre de changements en avant : « L’apparition de Questions { domicile implique une double redéfinition : celui du genre des émissions politiques et celui des 49 DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 97. 50 LE GRIGNOU Brigitte et NEVEU Eric. In, Les dynamiques de la politique à la télévision. Revue française de science politique. N°43. Paris. 1993. P. 965. 51 Questions à domicile est une émission de télévision politique mensuelle diffusée sur TF1 du 26 mars 1985 au 18 mai 1989 et présentée par Anne Sinclair et Pierre-Luc Séguillon, précurseur en terme de médiatisation de l’intime politique. 27 performances du genre et des savoir-faire exigés du personnel politique.52» C’est pour ce paragraphe le dernier registre qui nous intéresse. Sans rentrer dans les détails, l’émission Questions { domicile est significative d’un processus de peopolisation qui a commencé à prendre une vraie ampleur après 1965 et la première élection au suffrage universel direct, même si l’émission n’arrive que vingt ans plus tard. Innovante lors de sa première diffusion en 1985, elle propose une interview d’un homme politique { son domicile. S’adaptant { ce nouveau cadre pour une entrevue politique, le format se veut plus intimiste, et dans les faits, l’échange prend souvent une tournure très personnelle. Car si l’émission porte en premier lieu sur des questions éminemment politiques, l’homme politique propose ensuite une visite de sa demeure, laissant place { un échange plus intimiste. C’est en ce sens un sujet d’étude pertinent, qui met en lumière, entre autres, cette mutation dans les critères de l’excellence politique. Dès lors les conclusions des deux politologues sont formelles. Un nouveau savoir-faire politique est en œuvre, « qui exige du personnel politique un autocontrôle identitaire, un travail de représentation d’une sophistication accrue. 53 » Une partie de ces capacités sont cependant induite par le métier : « La logique du métier (politique) veut que le sens pédagogique, l’intuition des affects { solliciter, la capacité { cibler des messages que retraduiront des médiateurs, soient au cœur des ressources qui fondent les carrières politiques. 54» Certes, mais ce nouveau registre d’expression a bien fait bouger les critères du « bon » homme politique. On lui demande plus d’agilité intellectuelle, ce qui va être ensuite valorisé par le traitement médiatique. Les questions s’accélèrent, la forme { tendance { primer sur le fond : « l’homme politique doit privilégier un savoir-être à un savoir-faire55 », constate Le Grignou et Neveu. Cette notion est appelé outre-Atlantique le « spin control » et constitue un concept ayant fait ses lettres de noblesses dans le jeu politicien des années 60 (on pense notamment à Kennedy et la mise en avant de sa famille, par exemple.) On privilégie alors une image, un « être là ». 52 Op. Cit. P. 941 53 Op. Cit. P. 941 54 Op. Cit. P. 949 55 Op. cit. P. 965. 28 Par ailleurs, le fond du discours subit lui aussi des mutations. La prise de parole politique est désacralisée, le ton plus décontracté. On privilégie de nouvelles valeurs à mettre en avant, l’amitié, l’humour, la sympathie. La solidarité est mise { l’honneur, dans un monde marqué par la compétition. En cela la démarche peut être comparable à celle d’une célébrité au sens large qui s’engagera dans une cause admise comme « juste » par le sens commun dans un soucis de travail sur son image. La capacité du politique à entretenir une communication où s’entremêlent l’affectif et le politique est utile dans la prestation de ce type d’émissions. Les performances trop inspirées de la logique d’expression du meeting ne sont pas encouragées. On favorisera la recherche de la petite phrase saillante plutôt que le long discours éloquent. On peut ensuite tenter de décrypter ces nouveaux messages politiques et leurs moyens de mise en œuvre. Un gros travail de mise en scène de soi est nécessaire. Cette mise en scène passe par le rattachement d’un élu { un terroir. Un grand nombre d’hommes politiques revendiquent leur appartenance à un fief local et conjuguent ainsi un mandat national et un mandat local. Les candidats qui n’ont pas d’engagement au niveau local, partent, en ce sens, en quête d’une mairie. En illustration, Brice Hortefeux qui annonçait viser la mairie de Vichy aux prochaines municipales. Ces racines seront aussi issues d’une généalogie politique, se revendiquer Gaulliste ou Chiraquien par exemple. Dans un cas comme dans l’autre, l’objectif est de bénéficier de racines symboliques qui rassureront l’électeur. Pour le premier aspect, l’élu n’est pas qu’un technocrate de plus, il est authentique. Pour le second, il fait partie d’une vraie famille politique, chaleureuse et ancestrale. Autres cordes de la mise en scène, l’exhibition d’indices culturels valorisants (interview devant sa bibliothèque pour Michel Rocard dans « Questions à domicile » (20 mars 1988), confession en off à des journalistes par le Président Nicolas Sarkozy sur ses goûts culturels immédiatement relayés dans la presse, janvier 2011…). La stylisation de la vie domestique entre elle aussi dans ce champ : mettre en avant sa famille, son domicile… On pense { Hervé Morin qui présente ses vœux 2011 aux Français sur internet, dans sa cuisine ou des premières vacances en couple de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni en Égypte publiées par Gala. La mise en scène de soi ira jusqu’{ exposer ses souffrances, son parcours difficile dans certaines émissions. Ainsi dans « Face aux Français » par exemple (émission du 5 octobre 2010, France 2), Jean-Luc Mélenchon, candidat pressenti { l’élection présidentielle de 2012 pour le Parti de Gauche, a été amené à évoquer son enfance, ses difficultés familiales... jouant de l’affect et exposant 29 son intimité alors même qu’il s’évertue { dénoncer les travers des traitements médiatiques, en en faisant même un thème de campagne. Autant de manières de communiquer qui demandent de nouvelles qualités, des qualités quasi-théâtrales, comparées par Neveu et Le Grignou à celles de « comédiens ». Par ailleurs, elles effacent de facto un certain nombre de prédispositions jusqu’alors requises : « L’émission révèle le changement dans la nature et la structure des capitaux les plus rentables dans le champ politique. Le capital de relations sociales, la logique clientéliste des services rendus, qui caractérisait le notable d’antan ont perdu une grande part de leur rendement56», expliquent les deux politologues. Ces critères d’excellence vont s’imposer chez une génération d’hommes politiques, cinquantenaire en 2010, née avec la télévision et avec la généralisation de la culture de masse (voir II). En mettant cet argument en avant, Eric Darras est quant à lui plus nuancer et préfère proposer que cette nouvelle génération en politique, « font valoir mais autrement les mêmes ressources que leurs prédécesseurs (issus de l’ENA), mais aussi de nouveaux expédients (dont la popularité par les sondages). » Et de poursuivre : « Ce n’est pas tant la télévision et les sondages qui font les rois mais bien la croyance médiatique (dans la toute puissance de la télévision et la qualité des sondages) qui s’avère ainsi opératoire dans le réel.57 » Il illustre ensuite son propos par l’investiture { la course { l’Elysée de Ségolène Royal par la PS en 2002, qui « ne s’explique pas exclusivement par le fait qu’elle disposait de nombreux soutiens en interne. 58» Ce propos tinté d’ironie est un bon exemple d’une croyance imprégnant cette nouvelle génération d’hommes politiques qui imputerait aux médias un rôle qui dans les faits ne s’avèrerait pas exact. Un postulat qui pousse cependant { des mutations dans les critères de l’excellence politique et qui a accéléré en parallèle la professionnalisation des acteurs de la vie politique. Car ces nouveaux critères d’excellence impliquent de nouvelles aptitudes qui ne sont pas toujours innées dans la sphère politique. Le travail de l’image et de représentation de soi, ne sont pas toujours l’apanage du politique qui a dû se former à ces nouveaux pré- 56 Op. Cit. P. 967 57 DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 94. 58 Op. Cit. P. 94. 30 requis. Le Grignou et Neveu ont fait remarquer à juste titre que « les capacités dans ce domaine sont inégales entre les hommes politiques. 59» Ce postulat prend tout son sens si l’on compare par exemple Martine Aubry, et Nicolas Sarkozy. Ces nouveaux critères ne vont pas forcément, jusque là, favoriser les profils très technocratiques (hautes études administratives par exemple) mais vont avoir tendance à encourager les formations en marketing, les écoles de commerce. Cela va donc contraindre, selon Brigitte Le Grignou et Erik Neveu, « à des investissements coûteux en conseillers en communication.60 » Ségolène Royal a fait polémique { ce sujet et l’emploi de conseillers tels qu’Arianne Mnouchkine, Didier Bezace ou Dominique Besnehard, professionnels du théâtre, est un juste exemple de cette professionnalisation de la politique. Si cette dernière est un phénomène bien plus large que ce qui nous intéresse dans ce sujet, et fait intervenir des process issus de bien d’autres champs, elle a toujours encouragé la peopolisation et s’en est nourrie. Une cause, puisqu’en se professionnalisant l’homme politique s’est mis { s’interroger sur des aspects plus éloignés de son action principale et est allé plus loin dans les leviers à actionner pour prétendre à des fonctions représentatives. Une conséquence, puisque les nouveaux critères d’excellence induis demandent un travail de plus en plus conséquent pour l’homme politique. Autre conséquence pointée du doigt dans l’essai d’Erik Neveu et de Brigitte Le Grignou, le métier de journaliste s’en est vu complexifié : « les émissions qui revendiquent un objectif de déstabilisation font face à de plus en plus d’obstacles : le savoir-faire des politiques, les intérêts communs des associés rivaux (journaliste/politique) { la réussite d’un spectacle qui ne doit pas être une mise { mort… 61» 1.5 La crise de la démocratie Un dernier aspect viendra compléter cette première partie de mon étude. Un aspect en lien avec son temps : la crise de la démocratie. Sorte de chimère alambiquée pour les uns, indissociable d’une réalité observable pour les autres, on conviendra d’une chose, 59 LE GRIGNOU Brigitte et NEVEU Eric. In, Les dynamiques de la politique à la télévision. Revue française de science politique. N°43. Paris. 1993. P. 961. 60 Op. Cit. P. 966. 61 Op. Cit. P. 951 31 les démocraties occidentales ne vivent pas leurs jours les plus enthousiastes. « Le fait que la démocratie n’a plus d’ennemis déclarés ne l’empêche pas d’être travaillée par une adversité intime, qui s’ignore pour telle, mais qui n’en est pas moins tout aussi redoutable dans ses effets. » La mise en garde de Marcel Gauchet62 ne nous éclaire pas sur les raisons mais a le mérite d’attirer les regards. On ne s’étalera pas sur les aspects de cette crise, ce n’est pas le sujet, mais on notera simplement qu’elle a plusieurs visages. Perte de légitimité des hommes politiques dans la réalisation de leurs promesses électorales ainsi que dans leur honnêteté (« tous des pourris »), abstentionnisme record, entre autres. Divers aspects de la peopolisation sont liés à cette crise avec un objectif convergent : lutter contre le désamour des gouvernés pour les gouvernants. « L’image d’elle-même que fournit la classe politique à travers la convergence des prestations (lire : évoquer le cadre privée alors que l’on parle de politique dans le cadre de « Questions à domicile ») participe à un processus de réhabilitation symbolique63 », précisent dans ce sens Brigitte Le Grignou et Erik Neveu. La communication focalisée sur la vie privée peut alors tout d’abord être un recours de l’homme politique visant { détourner le regard sur le fond d’affaires politiques peu flatteuses, sans même parler de scandales. C’est la stratégie de l’évitement. On privilégiera alors les émissions de divertissement dans lesquels le discours politique tient une place plus que négligeable. Le corollaire est donc bien évidemment que la vie politique devient de plus en plus opaque, puisque tout simplement elle prend de moins en moins de place dans les programmes regardés par le plus grand nombre. Dans la même lignée et aux même fins, l’homme politique peut choisir d’inonder d’informations sur son emploi du temps, abreuvant les médias d’informations. Ces derniers vont avoir tendance { reprendre ces informations, de peur que d’autres médias fassent de l’audience sur le sujet sans avoir repris l’information. Cette technique a aussi l’intérêt de limiter le temps à disposition du journaliste pour parfaire sa hiérarchisation de l’information, dans sa réflexion autour de son media planning. Cet aspect peut sembler sortir du champ de la peopolisation, mais il se rapproche au contraire de techniques de communication utilisées par les peoples : parler de soi à outrance, quelque soit le sujet, pourvu que l’on sature les grilles de programmes. On en arrive donc { une médiatisation 62 GAUCHET Marcel. In, La Démocratie d’une crise à l’autre. Ed. Cécile Defaut. 2007. 63 LE GRIGNOU Brigitte et NEVEU Eric. In, Les dynamiques de la politique à la télévision. Revue française de science politique. N°43. Paris. 1993. P. 954. 32 du seul fait de la notoriété et seule une poignée de personnalités peut se permettre ce procédé. On pense, côté politique, notamment à Nicolas Sarkozy au début de son mandat présidentiel (2007) qui tenait par le biais du chargé de communication de l’Elysée (David Martinon), une conférence de presse par jour. Côté journalistique, le rythme imposé est alors très soutenu. Les journalistes n’ont plus le temps de rentrer dans le fond des dossiers, ils reprennent quasi-instantanément les informations faisant régulièrement de l’actualité avec un non-évènement. Autre tendance, touchant directement au sujet qui nous habite, la communication sur la vie privée va parfois être légitimée côté politique par un impératif de transparence. Devant le climat de suspicion entourant les acteurs du politique, la croyance dans l’adage «tous les mêmes, tous des pourris », les scandales à répétition dans les médias depuis une cinquantaine d’années, les hommes politiques ont trouvé dans la médiatisation de la vie privée une parade. En mettant en avant leur intimité, ils se targuent ainsi de plus de transparence sur leur action. En effet, les scandales ne distinguent par vraiment la sphère privée de la sphère publique. Ainsi, un écart se plaçant sur le terrain des mœurs (adultère, écarts de conduite…) fera le haut de l’affiche et sera perçu par le public de manière égale à un abus de bien sociaux, à de la corruption… Alors même que le premier touche { la vie privée de la personnalité et n’a que peu d’implication sur son exercice du pouvoir et que le second est illégal et porte sur les affaires publiques. Dans ce cadre, l’argument politique est le suivant : je parle de ma vie privée, car je n’ai rien { cacher. L’objectif est alors double : une part d’évitement bien sûr, mais surtout retrouver la confiance des électeurs dans un climat de suspicion exacerbé en montrant patte blanche sur ses habitudes de vie. On va donner une impression de transparence alors même qu’on est entrain d’obscurcir la vie publique. Et pour cause, les sujets sur la vie privée ou sur la forme des prestations politiques prennent la place des sujets de politique fondamentale dans les grilles de programme (voir partie II). Mais attention, lorsque l’homme politique en joue, on est bien dans un phénomène de peopolisation. Il est des cas, où le jeu médias/opinion publique contraindra le politique { en révéler plus qu’il ne le souhaite. A ce sujet, Jean-Claude Sergeant64 précise : « La peopolisation relève d’une démarche ambigüe, consistant { 64 SERGEANT Jean-Claude. In, Entre transgression et consentement, le traitement des personnalités politiques par les médias : le cas britannique. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 190. 33 mettre sur la place publique des éléments de personnalité qui, sans être dissimulés, ne nécessitent pas d’être portés à la connaissance de tous, mais concourent à la construction d’une image a priori positive de l’intéressé. Il est des cas plus problématiques dans lesquels la personnalité au centre de l’attention des médias est sommée de révéler plus qu’elle ne souhaite sa vie privée au nom de la transparence exigée de ceux qui déterminent une parcelle du pouvoir. » Attention { l’amalgame donc, porter au devant de la scène une partie de sa vie privée pour faire croire { une partie de l’électorat { sa bonne foie, à la transparence de son existence peut être une stratégie de communication. Mais être obligé par un contexte, un scandale, de mettre à nue une partie de son intimité peut sortir de ce champ-l{ et devenir une contrainte plus qu’une stratégie. Dans un cas comme dans l’autre cependant, cette dimension de la peopolisation me semble une des plus révélatrices de son temps. Pas tant par son appropriation par le politique mais par son acceptation par le public. On admet ouvertement qu’un homme politique doive tout révéler sur son intimité. Le pouvoir atteint une apogée de personnification : l’homme aux affaires représente l’ensemble des Français et doit être irréprochable dans ses habitudes de vie : plus qu’un impératif, c’est une des principales vertus du prétendant aux affaires. Dans ce schème, on s’éloigne considérablement de la fonction représentative. Dans cette conception le choix du représentant ne se ferait qu’en fonction d’intérêts communs, une vision commune de ce que doit être la société (ce que la raison devrait dicter). On est plus aujourd’hui { choisir /On préfère aujourd’hui choisir une personnalité titulaire d’une stature que l’on estime adéquate { la fonction, que nos perceptions estiment faites pour embrasser ce rôle. Le choix porte plus sur des qualités humaines que sur des qualités « professionnelles » au sens politique du terme. Brigitte Le Grignou et Erik Neveu statuaient à ce propos : « Il est cependant permis de se demander si les cotations des leaders politiques -lorsqu’elles sont bâties comme à Question à domicile sur des critères explicitement psychologiques (est-il sympathique, proche des gens… ?) – ne sont pas au nombre des usages les moins incohérents du sondage en politique. A côté de ceux qui se prononcent sur les hommes politiques en fonction de leurs prises de position strictement politiques, une masse considérable d’agents peu politisés apprécie les compétiteurs sur des critères où la bonne tête ou l’apparence « pas fière » pèse plus que les discours. […] Ils sollicitent en effet explicitement des critères d’évaluations qui, pour être inopérant en matière de compréhension de l’espace politique 34 sont cependant ceux mis en œuvre par nombre d’agents sociaux dans les situations de choix électoral.65 » Autre arme, corollaire de la transparence, celle du parler vrai, souvent choisie par les extrêmes comme rempart à une autre accusation du public : la langue de bois. A l’image d’un Georges Marchais (PC) en son temps, d’un Jean-Marie Le Pen (FN) ou aujourd’hui d’un Jean-Luc Mélenchon (Parti de gauche), le parler vrai est un atout communicationnel qui s’écarte quelque peu de la peopolisation, quoi que lorsqu’il porte sur la sphère intime, peut devenir redoutable (revendiquer haut et fort un style de vie par exemple). Une autre obsession, sensée se poser { l’encontre de la crise de la représentation, est celle de toucher par son discours le plus grand nombre. On est ainsi dans l’ère de l’hyper-communication politique qui consiste à inonder les médias les plus « mainstream » de sa présence. Nicolas Sarkozy ne disait-il pas ironiquement en off après l’incident de la cité des 4000 { la Courneuve, où il promettait de nettoyer la cité au Karcher au lendemain du meurtre d’un enfant de 11 ans, en répondant { des journalistes qui l’interrogeait sur la droitisation de son discours : « de qui parle-t-on aujourd’hui dans toute la presse ? » Mettant en parallèle Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi, Pierre Musso décrit : « Ils ont su construire une figure publique devenue objet d’amour et de haine, pour faire clivage. Pour les uns, ils portent tous les signent du pouvoir de façon négative, avec arrogance, comme des parvenus, en menaçant le pluralisme de l’information, voire la démocratie. Pour d’autres, notamment pour la majorité qui les porte au pouvoir, ils symbolisent la réussite, l’efficacité, l’effort, l’habileté. Comme toute figure symbolique, l’image du sarkoberlusconisme est ambivalente et ne doit pas laisser indifférent. Les deux personnages s’emploient { susciter les oppositions autour de leur personne, pour provoquer des réactions émotionnelles d’adhésion ou de rejet, car l’important est de demeurer le référant du débat public. 66» Dans un monde, où la stature fait l’élection, il faut maintenir sa légitimité coûte que coûte dans les affaires publiques. Agir partout, tout le temps pour qu’émotionnellement politique rime avec son nom. C’est ici l’aspect le plus marketing de la vie politique, imposer son nom comme une marque, sa 65 LE GRIGNOU Brigitte et NEVEU Eric. In, Les dynamiques de la politique à la télévision. Revue française de science politique. N°43. Paris. 1993. P.955. 66 MUSSO Pierre. In, Existe-t-il un sarkoberlusconisme ? Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P.135. 35 personne comme un produit. Mais dans un secteur d’activité en décrépitude, il faut à nouveau séduire. Dans cet univers l{, toucher le plus d’électeurs possible par son discours participe à cette entreprise de réhabilitation : « Cette familiarisation latente de l’univers politique peut fournir aux téléspectateurs les plus étrangers { la politique un code accessible pour lire le jeu des partis en dispute, conflits de génération, réconciliations.67» Autrement dit, la peopolisation dans ses conséquences sur le discours politique va avoir pour objectif de réconcilier les citoyens avec ses potentiels gouvernants. Ces différents points poussent au constat suivant : la relation homme politique/électeurs est une des bases du phénomène de peopolisation. Le marché politique, certaines caractéristiques institutionnelles, entre autres, ont contribué à faire émerger une tendance au traitement de leur vie privée dans les médias. Mais toutes ces caractéristiques sont tributaires des interactions avec les électeurs et n’existeraient pas sans cela. 67 DAKHLIA Jamil. In, People et politique : un mariage contre nature ? Critères et enjeux de la peopolisation. Questions de communication. n° 12, décembre 2007. 36 Partie 2 : Les médias face aux publics 2.1 Quand la société impose ses dogmes Nous allons ici isoler trois concepts sociologiques. 2.1.1 De La culture de masse La culture de masse s’est développée au début des années 30. Cette thématique correspond au développement de la société américaine d’abord, des sociétés occidentales ensuite. On accède à des nouveaux standards de vie. Selon Edgar Morin, le problème de la réalisation d’une vie personnelle se pose de façon insistante dès lors que la subsistance n’est plus l’unique problème. Avec l’augmentation des salaires et en corollaire du niveau de vie, ce ne sont plus seulement les classes bourgeoises mais une couche sociale plus large qui tend { s’approprier ce questionnement. Cela se matérialise par le développement des loisirs, « qui tendent à diminuer l’intensité affective des préoccupations liées à la vie de travail. La sève de la vie trouve de nouvelles irrigations 37 hors travail, les contenus vécus vont se réfugier dans le loisir et accentuer le mouvement général vers la vie privée. 68» Conséquence, l’existence humaine s’individualise et l’imaginaire s’investit de mythes d’auto réalisation, on s’associe { des modèles de vie jusque dans sa sphère privée. «Si l’on considère que, désormais ; l’homme des sociétés occidentales axe de plus en plus ses préoccupations sur le bien-être et le standing d’une part, l’amour et le bonheur d’autre part, la culture de masse fournit les mythes conducteurs des aspirations privées de la collectivité. » Cette culture de masse est donc bien dispensée par des mass media. Selon Leo Bogart69 : « les mass media ont répandu la conscience populaire de ce qui constitue « une bonne vie ». En rendant cette bonne vie familière, elles l’ont fait paraître possible autant que désirables pour les grandes masses. » Cela se retrouve dans les objets de la culture de masse, comme le cinéma : « En même temps que les héros (de cinéma) se rapprochent de l’humanité quotidienne, qu’ils y sont émergés, qui s’imposent leurs problèmes psychologiques, ils sont de moins en moins officiants d’un mystère sacré pour devenir les alter egos du spectateur70 », présente Edgar Morin. En témoin de cette évolution, le sociologue propose une étude sur la métamorphose de la star de cinéma { l’apparition de la culture de masse dans son œuvre les Stars. En témoin de cette évolution, un autre ouvrage d’Edgar Morin prend tout son sens. Dans Les Stars71, il décrit avec justesse la métamorphose de la symbolique et de l’exercice de la star, tout au long du XXe siècle. Il montre l’importance du lien public/vedette, les attentes des individus façonnant { travers le siècle d’une part la symbolique sans cesse renouvelée de la vedette, mais aussi son quotidien, son apparence… La star n’existerait finalement que pour répondre à des attentes quasi-mythologiques des « grandes masses ». 68 MORIN Edgar. In, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P. 105. 69 Citation reprise in, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P. 103. 70 Cit. Op. 106 71 MORIN Edgar. In, Les Stars. Paris. Point. 38 Mais alors que le cinéma s’investit de nouvelles problématiques influant sur l’imaginaire des spectateurs et répondant par la même occasion à de nouveaux besoins de l’imagination, un autre acteur entre dans le jeu de la culture de masse : la presse. Dès lors le sociologue isole la théorie des vases communicants72: « Il y a dans tout spectacle de cinéma, { côté du romanesque, un part d’actualités […] On retrouve la même dualité dans la presse. » Les producteurs de contenus vont très vite se rendre compte qu’en ne rapportant pas froidement leurs informations mais en faisant, marginalement d’abord, appelle { l’affect des publics, l’audience ou les tirages s’en ressentaient. Des romansfeuilletons du 19e siècle, au règne de l’infotainement dans les années 2000, on note une apparition rapide puis un développement continue du divertissement dans l’information. Jalonnée d’étapes identifiables, cette ascension est liée { la complicité des médias dans le phénomène de peopolisation. On est ici face au même mécanisme de sollicitation de l’affect, de l’émotion dans la transmission par les médias d’un message d’information. L’apparition du divertissement dans les médias semble donc un sujet digne d’intérêt dans l’étude qui nous occupe. Nous ne nous étalerons pas non plus sur cette longue évolution, mais l’apparition de certaines techniques nouvelles, de certains nouveaux formats médiatiques sont incontournables pour en comprendre la substance. Selon Edgar Morin, « dès le XXIe siècle, le roman-feuilleton et le conte s’étaient introduits dans le journal. 73» Les moyens techniques se perfectionnant, les mass-media apparaissent. L’émotion n’a pas attendu bien longtemps pour solliciter le consommateur d’information. Et le sociologue de poursuivre : « Mais c’est au début du XXe siècle que l’imaginaire déferle sur les mass-media. Une presse périodique, uniquement romanesque (sentimentale, aventureuse, ou policière) se constitue. Le cinématographe se métamorphose en spectacle et se voue principalement aux films et aux fictions. Puis la radio devient le grand véhicule des chansons et des jeux, suivie de la télévision. 74» Les médias adoptent donc très vite une grille de programmes alternant l’information et le divertissement, « l’informatif et l’imaginaire », selon Morin. Le sociologue rappelle d’ailleurs { juste titre que les médias « semblaient voués uniquement { l’information 72 MORIN Edgar. In, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P. 130. 73 Op. Cit. P.110 74 Op. Cit. P.110 39 (presse), à la représentation du réel (cinématographe), à la transmission de communications (radio).75 » 2.1.2 De la sécularisation de la société Au-delà, de la culture de masse d’autres phénomènes plus ou moins contemporains du phénomène précité entrent dans le champ des mutations sociales qui nous animent. Ainsi la sécularisation de la société, amorcée par la révolution intellectuelle des Lumières, a considérablement impacté l’individualisation de la société. Comme le présente Morin, un grand nombre d’évolutions sociétales sont le corollaire « d’un nouveau degré d’individualisation de l’existence humaine. » La sécularisation de la société posant les bases de cette individualisation, elle en devient un des fondements ancestraux et indirects du phénomène de peopolisation Sans rentrer dans les détails d’un process complexe, la sécularisation met fin { l’omnipotence cléricale dans la vie quotidienne et place la raison comme base de fonctionnement de la pensée individuelle, la substituant à la spiritualité. Plus de fatalité, on se préoccupe de son destin individuel en ayant conscience que l’on peut influer sur le déroulement de son existence ici-bas. Ces nouvelles aspirations individuelles vont jouer leur rôle dans la quête au divertissement et dans le désintérêt pour la chose publique. 2.1.3 De la postmodernité Autre courant d’idées, plus contemporain et pouvant être englobé dans les nouveaux visages de la sécularisation, la postmodernité, apparue fin du XXe siècle, joue elle aussi un rôle dans le phénomène. « Culte du présent, bonne gestion et recherche du bien-être remplacent la volonté de transmission, propre aux prémodernes, comme celle de transformation de la société, caractéristique des modernes 76», présente le sociologue Peter Sloterdijk, pour qualifier la postmodernité. Vulgairement, elle est la résultante de la chute des dogmes religieux ayant conduit à la modernité, puis à la fin des utopies de ces mêmes modernes. Elle tend à combattre le « désenchantement du monde ». Elle a plusieurs visages : on parle d’un nouveau rapport au temps, d’une fragmentation de la 75 Op. Cit. P 111 76 WIKIPEDIA, article sur la postmodernité. http://fr.wikipedia.org/wiki/Postmodernit%C3%A9. 40 société et des individus et d’un nouveau mode de régulation de l’espace social. 77 Chacun de ces aspects entretient une proximité avec le phénomène de peopolisation. Le phénomène consacre la vie quotidienne, la routine de la personne médiatisée. Il présente des individualités identifiées dans leur propre fragmentation (homme politique et bon père de famille, homme politique et homme de culture…). Quant au dernier aspect, la peopolisation est en soi un nouveau mode de régulation de l’espace politique et médiatique. Les critères d’excellence ont changé, les formats médiatiques aussi dans une logique s’apparentant plus { celle du marché qu’{ des schémas traditionnels. Brigitte Le Grignou et Erik Neveu vont dans ce sens en évoquant « Questions à domicile » : « Elle (l’émission) souscrit { sa façon aux thématique de la postmodernité. 78» Ces idées ne sont pas très éloignées des diktats de la culture de masse. On retrouve dans la sécularisation qui l’a précédé, des fondements et dans la postmodernité, qui en est son incarnation sociologique actuelle, une certaines continuité. Ces différentes caractéristiques font définitivement de la peopolisation une pratique dans « l’air du temps ». Si ces considérations sont d’ailleurs plus sociologiques que médiatiques, les médias se sont alignés sur ces nouveaux modèles sociétaux quant à leurs contenus (tout comme les politiques ont adaptés leurs discours à ces mêmes attentes). Prenons un exemple. Selon Morin, « la culture de masse tend à constituer idéalement un gigantesque club d’amis, une grande famille non hiérarchisée 79 ». Caractéristique sociologique, s’il en est. Prenons maintenant l’étude de Brigitte Le Grignou et d’Erik Neveu sur l’émission « Question à domicile ». Dans cette émission : « L’attention portée { la révélation de la personnalité, le ton d’une conversation décontractée, préféré { un registre conflictuel cadre aussi la fin des « grands récits », l’épuisement des adhésions idéologiques.80 » Voilà pour l’aspect médiatique. Puis, dans la même étude, mais quelques pages plus loin. En parlant 77 Citation reprise in, Wikipédia, article sur la postmodernité. http://fr.wikipedia.org/wiki/Postmodernit%C3%A9. 78 LE GRIGNOU Brigitte et NEVEU Eric. In, Les dynamiques de la politique à la télévision. Revue française de science politique. N°43. Paris. 1993. P. 944. 79 MORIN Edgar. In, L’esprit du temps. Paris. Armand Colin. 2008. P. 112. 80 LE GRIGNOU Brigitte et NEVEU Eric. In, Les dynamiques de la politique à la télévision. Revue française de science politique. N°43. Paris. 1993. P. 944. 41 de différentes prestations d’hommes politiques dans « Question à domicile », les deux universitaires précisent : « Autant d’occasions de souligner la qualité des relations humaines, la présence de valeurs d’amitié et de solidarité dans un univers pourtant marqué par la compétition. » La caractéristique sociologique présentée par Morin (mise en avant de valeurs d’amitié dans la société), se voit donc confirmée par un format télévisuel (le ton décontracté, amicale de « Questions à domicile») et par une caractéristique du discours politique (évocations de valeurs tels que l’amitié dans le discours politique). Enfin, sans s’attarder sur ce point très polémique, la société actuelle reste une société de consommation. Selon ce concept, d’individus nous nous serions mutés en consommateurs. Dans ce cadre, les publics reçoivent des informations comme ils consomment d’autres produits : cela doit être rapide, sans peine et vite digéré pour passer à autre chose. Il est, dans ce registre là, bien plus facile de digérer un sujet sur le divorce de François Hollande que sur le bouclier fiscal. Les techniques de l’écriture journalistique pour le web en sont un bon exemple : il faut faire concis, percutant et imagé. Mais nous y reviendrons. Ces différents points nous amènent au moins à un constat : les productions médiatiques, au même titre que le discours politique, sont directement influencées par ce qu’on appelle « l’air du temps ». L’intérêt de replacer cette étude dans un tel contexte prend donc tout son sens. 2.2 Quand les médias anticipent les attentes des publics Si la peopolisation du côté politique met en œuvre la publicisation de la vie privée et la privatisation de l‘espace publique, côté médias on est plus dans un mélange des genres entre divertissement et information. 2.2.1. Le mélange des genres au service de la peopolisation « Une émission de variété est construite autour de prestations successives : le temps de parole accordé à chacun des invités y est extrêmement restreint ; la production d’un discours politique argumenté n’y est pas possible.» Guillaume Fradin a étudié ces 42 émissions sous l’angle de leur utilisation par le politique81. Il exclut de ce type de formats les magazines d’information et les émissions culturelles et désigne « l’ensemble hétérogène des programmes télévisés qui proposent à leurs publics une forme de distraction et de détente. 82» Car l’enjeu médiatique de la peopolisation est bien l{ : divertir au mieux son audience pour satisfaire des publics qui ne demandent plus que ça. Le propos est assez extrême mais n’est pas si éloigné de la réalité. « Les téléspectateurs se désintéressent des magazines spécialisés dans lesquels les politiques débattent en termes techniques d’enjeux complexes. 83» Sans retracer la genèse de la confrontation du politique et du divertissement, les premières prestations politiques dans des émissions dites alors de variété84, datent du milieu des années 50. Si ce genre semble être né aux USA (ou en tout cas a connu ses lettre de noblesses), il est bien présent sur les écrans français à des doses et des variations différentes depuis un demi-siècle. Dans ces contenus, un tournant c’est opéré fin des années 80 basculant ces formats de la stricte variété { la formule du talk show et de l’infotainment au sens strict. En substance de la rencontre de deux genres, dont la vocation première était de rester bien distincts, est né un concept : l’infotainment où la réunion en un même espace médiatique de l’information et du divertissement. Cette mutation dans le fond des contenus médiatiques peut être considérée comme une sorte de bascule définitive de la balance divertissement/information dans les contenus médiatiques, penchant du côté du divertissement. Sans renter dans l’analyse d’un format médiatique, ces programmes ont su évoluer au fil du temps et des attentes, et se sont diversifiés. Ils peuvent par exemple mélanger actualité et humour. Ainsi, la figure du genre reste sans aucun doute les Guignols de l’info qui présentent un fin mélange d’humour et d’actualité depuis le début des années 90. On pense aussi aux Grosses Têtes de Philippe Bouvard. 81 FRADIN Guillaume. In, Cinquante ans de dévoilement de soi : le recours des hommes politiques français aux émissions de divertissement (1955-2005). Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P 59. 82 Op. Cit. P.59 83 DAKHLIA Jamil. In, People et politique : un mariage contre nature ? Critères et enjeux de la peopolisation. Questions de communication. n° 12, décembre 2007. 84 WIKIPEDIA. Article émission de variété : Une émission de variétés est une émission de télévision de divertissement. 43 Aujourd’hui, le Petit Journal de Yann Barthès sur Canal+ ou le Fou du Roi de France Inter sont des classiques du genre. Autre genre bien connu, celui du talk show politique, apparu dans les années 90. « Dans les années 90, […], le public oppose aux prestations politiques dans les émissions de divertissement, une posture de différenciation de plus en plus marquée 85», affirme Guillaume Fradin. Il a fallu alors inventer un nouveau moyen de rendre les publics réceptifs à la chose politique. Ce type de programmes a la particularité de présenter un animateur face { un personnage qui fait l’actualité (régulièrement un homme politique) pour un entretien moins « froid » qu’une interview de journal télévisé par exemple (même si régulièrement la peopolisation s’immisce dans la « grand messe » quotidienne du JT, footing de Sarkozy en visite diplomatique à New York, entre autres). Les questions portent { la fois sur le fond politique de l’invité, et sur le commentaire de l’actualité politique en général ou encore sur la vie privée de l’homme politique bien sûr. En émissions françaises, on pense notamment à « Tout le monde en parle », émission diffusée le samedi en deuxième partie de soirée de 1998 à 2006 et animée par Thierry Ardisson (aujourd’hui animateur de « Salut les terriens » sur Canal +), remplacée depuis cette date par « On n’est pas couché » avec Laurent Ruquier aux manettes. Ces dernières émissions sont d’autant plus significatives de la vedettisation du politique. L’homme politique est présenté sans différenciation avec des célébrités du monde de la culture ou du sport, son interview est entourée d’entretiens avec d’autres stars et les questions portent aussi bien sur la vie intime que sur la vie politique. On est bien l{ au cœur de la vedettisation de l’homme politique, aujourd’hui généralisé { un grand nombre de programmes médiatiques (du 5/7 Boulevard de France Inter, aux portraits d’hommes politiques de Libération…). On peut prolonger cet état de fait, en observant qu’au fil du temps, ce type d’émission a considérablement pris le pas sur les contenus traitant de politique stricto sensu. Dans sa forme la plus extrême, ce mélange se matérialise par le photoreportage de Ségolène Royal en bikini à la plage (déjà évoqué). Ce thème peut aussi être illustré avec la mutation des personnels chargés de présenter l’actualité télévisuelle. De plus en plus d’animateurs non journalistes s’étalent sur des thématiques tenant { la chose politique (on l’a vu plus haut avec les Ardisson et autres 85 FRADIN Guillaume. In, Cinquante ans de dévoilement de soi : le recours des hommes politiques français aux émissions de divertissement (1955-2005). Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P 61. 44 Ruquier), quelque soit la manière de traitement médiatique. Ces nouveaux acteurs de la chose politique ont un rapport décomplexé { l’argent et portent un regard condescendant sur l’information en tant que service public. Ils n’ont pas la même vision de la frontière vie privée/vie publique qu’il y a une décennie à peine. Un autre mélange des genres opèrent : celui entre journalistes et animateurs. Mais au-delà du constat, on est bien là dans ce mélange des genres, ses vases communicants, présenté par Edgar Morin dans son essai sur la culture de masse et basé sur des réalités sociales conceptualisées. Un mélange des genres qui tire donc son essence de la rencontre entre les médias et leurs publics et qui, appliqué à la chose politique a contribué à développer la peopolisation. Car nous allons le voir maintenant, ces nouveaux outils médiatiques se placent au service de la stratégie communication sur l’intimité de l’homme politique. 2.2.2 Les formats au service de la peopolisation « Le discours de meeting existe encore, mais la télévisions exige un autre ton. On arrive dans le salon des gens, le soir après le dîner, avec un ton de conversation de soir après dîner. » Anne Sinclair86 Les prestations des hommes politiques dans les médias relevant de l’infotainment au sens large (j’utilise ici ce terme pour définir un genre qui va bien au-delà des Guignols de l’info mais qui englobe toutes les émissions regroupant divertissement et politique, de la variété des années 70-80 aux talk show des années 90), demandent d’autres savoirsfaire pour l’homme politique (voir partie politique). Bien sûr, ces nouvelles formes de représentations du politique s’accordent avec les impératifs d’un genre médiatique. Les politiques sont par ailleurs dans la majorité des cas consentant { la manœuvre. « En 86 SINCLAIR Anne. In, Le médium et le message. Après demain. avril-mai 1987. 45 choisissant pour cadre d’analyse les programmes de divertissement, il est possible de mettre { jour […] une peopolisation qui, si elle est le résultat de la rencontre de plusieurs logiques, n’est jamais subie par les élus. 87» Voilà pour la cadre qui nous importe dans ce paragraphe. Reste { s’interroger sur ce que sont ces nouveaux impératifs dictés par les médias et suivis par les hommes politiques pour répondre à la demande du public. Nous en avons déjà décrit la substance dans la partie politique mais concentrons nous cette fois-ci sur ce que cela change en termes de formats médiatiques. La narration s’en voit bouleversée : on note le développement vertigineux du « storytelling ». Dans ce cas, les formats médiatiques et le discours politique s’accordent : difficile de savoir qui a lancé le processus (quoi qu’il en soit, ce n’est ici pas l’objet). Selon le narratologue Christian Salmon88, le sujet d’étude le plus impactant quand on traite de peopolisation n’est pas le déplacement du curseur privé/public, mais bien les mutations du récit. Et de préciser : « C’est l’hégémonie désormais avérée d’un usage instrumental du récit, le storytelling, qui explique notamment l’emballement médiatique sur la vie privée du Président. » Elle consiste { l’utilisation de procédés narratifs empruntés aux styles du conte et autres œuvres fictionnelles pour l’appliquer dans la communication. Dans le cadre qui nous intéresse, le phénomène du storytelling est omniprésent. Que ce soit le journaliste dans ses sujets ou le politique dans ses discours, les deux orateurs vont construire leurs effets autour d’une « histoire ». Côté journaliste, la couverture d’un évènement quel qu’il soit va prendre la tournure d’un film à suspense en plusieurs épisodes. On va servir des informations au compte-gouttes au spectateur, saupoudrer l’actualité d’affect via les témoignages, réactions { chaud et autres micros-trottoirs… C’est une constante dans les rédactions : on entend à tout va que le public aime les histoires. Un parallèle est d’ailleurs aisé avec le fait divers (parallèle décrit par Annik Dubied, sociologue { l’Université de Genève), dans le rythme de narration, parlant dans les deux cas d’une catalyse du retentissement des affaires lorsque l’actualité traite de ces sujets. Selon Annik Dubied, « la peopolisation du politique 87 FRADIN Guillaume. In, Cinquante ans de dévoilement de soi : le recours des hommes politiques français aux émissions de divertissement (1955-2005). Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P 60. 88 Christian Salmon s’exprime sur le sujet à l’occasion de la sortie de son ouvrage : Storytelling , la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits. Paris. La Découverte, 2007. 46 fait parti d’un mouvement plus large de peopolisation et de fait-diversification de l’information médiatique.89 » Et dans les deux cas selon elle, « la feuilletonisation répétitive semble prendre le pas sur la possibilité de compréhension. Nos récits ne tentent plus guère de donner du sens au temps, mais c’est leur nature ; ils se contentent de le faire durer. 90» En fouillant un peu plus loin dans l’analyse, on notera que ces moyens sont issus du « dream management », constituant des techniques de management en vogue consistant à associer rêve et marketing dans sa stratégie. Pierre Musso décrit en évoquant le « sarkoberlusconisme » : « Ces deux protagonistes présentent le récit et le roman de leur vie de « self made men » qui incarnent les valeurs de travail et de réussite : le fils d’immigré hongrois et le vendeur qui chantait dans les cabarets… La conquête du pouvoir serait un long chemin de croix, voire une souffrance. Le pouvoir n’est pas un accomplissement mais un « sacrifice », un don de soi.91 » Et de poursuivre : « Comme dans la série télévisuelle ou le feuilleton qui impose ses thèmes, ses rythmes, et ses personnages, le sarkoberlusconisme invite l’électeur-téléspectateur { d’identifier au héros qui lui raconte son histoire. 92» Le professeur propose alors un exemple en illustration, l’envoi par Silvio Berlusconi en mai 2001 à tous les ménages italiens, « d’un album photo de 125 pages illustré d’une centaine de photos personnelles en couleur, et intitulé « Una Storia Italiana » (une histoire italienne) qui était en fait le récit de son histoire personnelle identifiée { celle de l’Italie dont il devenait l’incarnation. 93» Autre caractéristique des nouveaux formats, la prééminence de l’image. Brigitte Le Grignou et Erik Neveu s’interrogent d’ailleurs en ces termes : « L’exercice du pouvoir estil une esthétique ?94 ». Nous sommes ici face à un écueil largement relayé par les médias, 89 DUBIED Annik. In, Catalyse et parenthèse enchantée. Quand le fait divers rencontre la politique people. Le Temps des Médias. n°10. Paris. Printemps 2008. Nouveau monde édition, p 142. 90 DUBIED Annik. In, Catalyse et parenthèse enchantée. Quand le fait divers rencontre la politique people. Le Temps des Médias. n°10. Paris. Printemps 2008. Nouveau monde édition, p 142. 91 MUSSO Pierre. In, Existe-t-il un sarkoberlusconisme ? Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P.135. 92 Op. Cit. P.135 93 Op. Cit. P.135 94 LE GRIGNOU Brigitte et NEVEU Eric. In, Les dynamiques de la politique à la télévision. Revue française de science politique. N°43. Paris. 1993. P. 938. 47 le « tout image » actuel pousse les hommes politiques à multiplier les efforts concernant leur apparence. Les exemples sont multiples. Alors que Jean-Louis Borloo est pressenti comme successeur de François Fillon à Matignon, les médias ne se sont pas privés de mettre en lumière sont changement d’apparence, certes très remarquable. Du côté du PS, Ségolène Royal a elle aussi subie les flammes de ses camarades socialistes. A l’automne 2008, les «éléphants» du parti ont critiqué sans détour son nouveau look : « La présidentielle n’est pas un concours de beauté.» Côté médias, l’image est depuis longtemps devenue le nerf de la guerre. Fait significatif, le très sobre quotidien du soir, Le Monde, qui se refusait à illustrer ses papiers, a lui aussi fini par se sacrifier { la force de l’image. Aujourd’hui, une actualité sans image n’est généralement même plus traitée dans les rédactions. Ces deux aspects des formats médiatiques ont bien sur un lien avec la peopolisation. Ils contribuent au phénomène et lui permettent de prendre toute sa dimension. D’autre part, ces deux nouveaux impératifs de format son bien issus de la relation avec l’audience : ils tendent à répondre à une demande tout du moins une demande supposée des publics. Loin de statuer sur l’effectivité de cette demande, l’étude en début de partie des courants sociologiques qui seraient les nôtres { l’heure actuelle, coïncident avec l’offre médiatique actuelle. 2.3 La crise économique du monde des médias Au-delà des questions de contenus, un autre état de fait, celui-ci entièrement sociétale, propre { la relation entre les médias et les consommateurs d’information joue un rôle : la crise économique que traverse la presse depuis le début des années 90. Une multitude de raisons, certaines concurrentielles, d’autres tenants { la perception de l’information par les publics, expliquent cet état, qui est lui aussi un sujet d’étude en soi. A la longue listes des raisons de ces difficultés, on a en première ligne la multiplication des supports. La quantité astronomique des titres papiers de la presse française, la libéralisation des ondes radio, l’arrivée de la télévision puis l’ouverture du marché télévisuel pour en arriver jusqu’{ la TNT et enfin l’émergence d’Internet, ont rendu le marché des médias 48 français ultra-concurrentiel. Ces deux dernières apparitions ont eu un autre effet corollaire, celui d’implanter une idée destructrice pour les médias dans l’esprit des consommateurs : l’information est gratuite. Si on paye l’information télévisuelle, ce prix n’est que difficilement perceptible pour le consommateur. Quant { l’Internet, il est l’univers du tout gratuit. La presse s’y est mise { son tour (quotidiens gratuits) avec un résultat en bout de course : les individus refusent de payer aujourd’hui pour de l’information (la bataille actuelle pour les acteurs concernés est de sortir cette idée de l’imaginaire collectif). Si on ajoute à cela les difficultés économiques internes propres au fonctionnement de la presse en France (distribution, impression…), on arrive au constat suivant : les médias ne sont dans l’ensemble plus rentables. Finie alors cette conception de l’information en tant que service publique, place { la logique d’entreprise : le spectateur est une cible marketing avant tout. Difficile dans ce cas de respecter cette éthique du journalisme, qui distingue clairement l’éditorial de la rentabilité du titre. Les journalistes doivent de facto se préoccuper de la survie de leur employeur. Leur exercice s’en voit directement impacté et il faut aujourd’hui coaguler les audiences à tout prix. Dès lors, on anticipe sur les envies des individus, et on retrouve ce schéma précité : à des questions politiques de fond tenant du raisonnement, on préfère stimuler l’affect et dévoiler l’intimité. Pour illustrer cette anticipation des envies, le politologue Roland Cayrol rapporte dans La nouvelle communication politique des propos qu’un animateur de télévision adresse (en off) { un politologue, invité pour commenter des sondages : « N’oublie pas que tu parles { des gens qui ne sont même pas { la maternelle, { des gens qui ont deux ans d’âge moyen. 95» 2.4 Des bouleversements dans l’activité du journaliste et dans l’exercice des médias Le développement du phénomène a comme dans l’exercice du politique impacté l’activité journalistique. A l’image du premier, la peopolisation a contribué { faire évoluer les critères de l’excellence journalistique. Car jouer sur le terrain de l’affect, fabriquer de l’émotion { travers l’intimité du personnel politique ne fait pas partie des ambitions première du journaliste, bien au contraire. En effet, ne définissons-nous pas 95 CAYROL R. In, La nouvelle communication politique. Paris. Larousse. 1986. P. 150. 49 un bon travail journalistique par son objectivité, sa neutralité quant au traitement, sa concentration sur le factuel ? Ses différentes qualités ne sont pas exhaustives (on peut aussi parler de capacité d’analyse, de synthèse, de choix d’angle pertinent, de hiérarchisation de l’information, de plume…), mais elles font bien partie des qualités ancestrales du bon journaliste. L’essor de la peopolisation a changé en partie au moins ces critères l{. La recherche de l’émotion { tout prix jusque dans le traitement de la chose politique a fait supplanter à ces anciens critères, ceux de la trouvaille de la belle histoire, de l’angle émotionnel ou compassionnel de l’actualité politique, du fait amusant ou révoltant. Elle a élevé au rang d’excellence les plumes les plus enlevées, les images les plus sensationnelles, les témoignages les plus marquants. Elle a contribué { choisir le traitement rapide d’une bonne anecdote politique face { l’analyse poussée d’un sujet de fond. Elle a fait prévaloir le titre accrocheur { l’intitulé informatif, le reportage scénarisé au simple rapport des faits, le portrait chinois { l’interview politique. Les termes « accroches pêchues », « sujets bandants » ont remplacé dans certaines rédactions l’esprit d’analyse. Le rythme de l’activité journalistique a lui aussi été impacté. Dès lors que l’on estime que la vie privée des personnes publiques est une actualité, tout devient prétexte à parution et certains hommes politiques en sont arrivés à proposer plusieurs points presse par jour. Conséquence, le temps de traitement et de digestion de l’information est considérablement réduit côté journalistique ; l’approfondissement des sujets s’en ressent et la hiérarchisation de l’information peut en devenir entièrement bouleversée. La peopolisation a engendré l’apparition d’une posture réflective du journaliste sur son activité afin de débattre de l’éthique de sa pratique. Comparable au phénomène de mis en abyme, on retrouve dans des productions médiatiques une réflexion sur les contenus mêmes des productions médiatiques : des journalistes débattent ensemble dans le cadre de leur travail du contenu même de celui-ci. Témoin d’une certaine remise en question de la profession, cette pratique n’en est pas moins relativement inédite et notable. Elle a accentué le besoin de justification des professionnels des médias quant à leur exercice. La plus commune, outre d’assumer de faire partie d’une entreprise et donc de se préoccuper de la santé financière de son employeur, est celle de la transparence. Sujet majeur actuellement, il l’est pour les justifications politiques, mais intervient aussi en rempart de l’activité du journaliste : on dévoile l’intimité des puissants dans un souci de vérité transparente avec le public (le débat a fait rage lorsqu’il a touché la connaissance 50 de l’état de santé des Présidents par le public). Ces ambitions du tout transparent prennent tout leur sens dans un phénomène journalistique comme Wikileaks, aujourd’hui admis et traité par la majorité des médias. Partie 3 : La relation entre le journaliste et l’homme politique Etudier les interférences existant dans un jeu à trois acteurs nécessite de fait trois études. Mais ne nous y trompons pas, étudier la relation entre la politique et les médias dans son rôle face { la peopolisation n’est pas uniquement un impératif de circonstance. Car on serait tenté de se limiter, après un inventaire sur l’état de l’art du phénomène de vedettisation, { l’étude des deux interactions mentionnées jusque l{. En effet, peu de théorie ont mis en lumière le rôle de la relation journaliste/homme politique quant à l’essor du phénomène. Le nombre ne faisant pas toujours la pertinence, les quelques politologues et autres spécialistes des médias qui s’y sont intéressés, ont su apporter un éclairage nouveau sur cette relation, qui à travers le spectre de la peopolisation joue bel et bien un rôle : « Une telle situation (peopolisation) implique une complicité au moins objective entre le leader et les médias, le premier pour toucher, conquérir, fidéliser l’opinion, les seconds pour gagner en audience », écrit Christian Delporte96 en parlant du lien qui les unit. « L'apparition du phénomène de peopolisation est liée aux nouveaux rapports établis entre médias et responsables politiques dans les années 2000. Ceux-ci se dessinent dans un contexte de méfiance, défiance, voire rejet de la classe dirigeante par une partie de l'opinion publique française et dans une période où les médias cherchent à élaborer de nouveaux concepts mêlant actualité et divertissement .97», explique Renaud Revel pour L’Express. 96 DELPORTE Christian. In, Quand la peopolisation des hommes politiques a-t-elle commencé ? Le cas français. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 28. 97 REVEL Renaud. In, Le triomphe de la médiocratie. L’Express. 18 avril 2002. 51 3.1 Nature du lien entre médias et sphère politique Une première question en préambule semble s’imposer d’elle-même. Si pour les deux interférences étudiées jusque là, le lien entre les acteurs semble limpide (le marché politique pour l’un et le marché de l’information pour l’autre), qu’est ce qui relie finalement les médias et le monde politique dans le jeu du dévoilement de l’intime de l’individu politique ? Jamil Dakhlia dans son étude sur la forme actuelle de la peopolisation apporte un élément de réponse : « Les démarches des hommes politiques et de la presse généraliste, en particulier, sont remarquablement parallèles : dans un contexte d’hyper-concurrence médiatique, les journaux d’actualité s’efforcent de remédier { l’érosion de leur lectorat en pastichant une formule qui fait ses preuves. Les politiques quant à eux, cherchent à conquérir les électeurs les plus rétifs au jeu politique. 98» Le lien qui unit les deux protagonistes { l’étude n’est finalement pas si obscur : ils ont des intérêts similaires { l’existence du phénomène. Un intérêt de séduction des électeurs d’une part, des consommateurs d’informations de l’autre. Mais ils partagent aussi des risques communs : celui de décrédibilisation. Côté politique, on l’a vu, le jeu est { double tranchant, et trop argumenter sur sa vie privée peut faire définitivement perdre de sa stature à la figure politique et par la même occasion sa crédibilité politique. Côté médias, trop étaler la vie privée du politique et évincer complètement les sujets de fond politique participent à une entreprise de désinformation. Le média subira l’opprobre des confrères en premier lieu (et au vu de la posture réflective du métier de journaliste, cette opprobre est souvent publique) puis d’une partie au moins des publics. C’est bien sûr un risque qu’encourt essentiellement la presse généraliste qui veut garder une certaine légitimité journalistique et écarte de fait une partie des médias qui assument de ne transmettre que de l’information people. Mais même dans ce dernier cas, selon les titres du marché de la presse échotière, ils gardent tout de même un impératif de dignité de l’information et certains sujets peuvent leur faire perdre de la légitimité. Des magazines comme Paris-Match ou VSD gardent des limites dans l’intime qu’ils dévoilent. Ces limites sont dans la plupart des cas en lien avec 98 DAKHLIA Jamil. In, La représentation politique à l’épreuve du people : élus, médias et peopolisation en France dans les années 2000. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 72. 52 le respect des bonnes mœurs (rapport au dévoilement du corps, rapport à la dignité morale de la personne, rapport au respect de la souffrance…) et tient certainement { la catégorie du lectorat (les titres évoqués ci-dessus sont destinés à un lectorat plus âgé, plus conservateur ; alors que des magazines comme « Oops » ou « Closer » ont une base de lecteurs plus jeunes, plus adeptes d’informations « trashs »). Nous sommes donc face à une relation de deux acteurs lancés dans une entreprise de séduction parallèle. En ce sens, la relation n’est pas réellement bilatérale (comme dans un contrat synallagmatique en droit civil par exemple), mais dans une relation qui revêt un dessin commun et qui touche { une troisième partie. Elle n’en sera pas pour autant foncièrement concurrentielle. En ce sens, et pour rester dans le champ lexical juridique, nous sommes plus sur une base d’un contrat de société que d’un contrat de droit civil. La relation s’en voit bien sûr impactée et ne sera pas réellement semblable aux deux relations étudiées jusque là. Mais elle jouera, malgré tout, un rôle dans l’essor de la peopolisation et notamment la relation très pragmatique entre deux acteurs qui se côtoient physiquement : le journaliste et l’homme politique. 3.2 La relation entre journalistes et hommes politiques, au cœur de la peopolisation La relation entre journalistes et hommes politiques influe sur le phénomène de peopolisation. Elle n’influe pas tant sur son existence - même si de façon très pragmatique, ce sont ces deux acteurs qui permettent cette existence (dans le cas où l’on s’interroge sur le contexte et non réellement sur les faits, cette remarque qui semble centrale perd de la pertinence) - mais plutôt sur son déroulement. Martin Kohlrausch va mettre en évidence cet impact dans son étude sur l’essor des médias de masse en Allemagne et l’impact sur la monarchie wilhelminienne99. Bien que portant sur une période non contemporaine, on montrera que dans ce cas d’étude, le schéma est transposable, en le comparant aux analyses, contemporaines, d’Eric Darras. L’étude de l’universitaire allemand porte sur les impacts de la relation entre l’empereur 99 KOHLRAUSCH Martin. In, Le communicateur malheureux. L’essor des médias de masse en Allemagne et la transformation de la monarchie wilhelmienne. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 102. 53 de Prusse Guillaume II (1859-1941), qui régna de 1888 à son abdication en 1918, et les médias allemands, en plein bouleversement. Il montre le dernier roi de Prusse, sensible aux critiques médiatiques et soucieux de son image dans les médias. D’un autre côté, il présente des médias en pleine évolution et des journalistes pleins de confiance et d’assurance. En mettant ces caractéristiques en avant, l’auteur montre que c’est bien la rencontre de la susceptibilité du monarque et l’assurance des journalistes qui va influer sur la communication de l’empereur et sur les contenus des médias (sans aller jusqu’{ s’aventurer sur le chamboulement dans les institutions que pointe Martin Kohlrausch : « de fait, les médias allemands ont transformé la monarchie100. ») Dans le cas traité, il montre un homme d'État qui s’adapte aux nouveaux impératifs des médias, avec bien sûr des objectifs en termes de communication, mais aussi pour préserver une bonne relation avec des journalistes capricieux. Sur ce sujet, ce qui était vrai il y a un siècle, peut le rester aujourd’hui. Tout du moins, des schémas similaires se retrouvent aujourd’hui. Eric Darras accorde une grande importance { cette relation au sein d’une longue analyse qui est exposé dans la suite de ce propos. « L’essentiel ne réside toutefois pas dans le marketing mais dans la socialisation des journalistes qui ont tant et si bien intériorisé l’ordre politique, qu’ils considèrent selon la formule de Harvey Molotch et Marilyn Lester, que tout ce que le Président dit ou fait est important. L’effacement des garde-fous éthiques et juridiques aidant, le Président devient plus omniprésent que jamais. Mais il faut souligner ce paradoxe par lequel on attribue une toute puissance politique aux professionnels des médias alors qu’ils sont structurellement et intellectuellement subordonnés { l’ordre politique : en faisant quotidiennement leur travail, les journalistes reproduisent en toute objectivité ou bonne foi, l’ordre du jour présidentiel sans qu’il soit nécessaire des ordres. Mais il y a plus. 101» 100 KOHLRAUSCH Martin. In, Le communicateur malheureux. L’essor des médias de masse en Allemagne et la transformation de la monarchie wilhelmienne. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 104. 101 DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 88. 54 Et le politologue de continuer : « Pour masquer l’intéressement face { des journalistes qui ne sont pas assez naïfs pour croire dans l’abnégation de leurs sources politiques, mieux vaut désormais jouer franc jeu, répondre toujours présent et efficacement aux sollicitations des journalistes, faire un usage stratégique du off en jouant notamment sur la concurrence entre journalistes (ne pas toujours livrer les informations au même journaliste), inclure autant que possible dans le premier cercle, dont bien sûr les sphères privées (présenter les enfants, [ …], partager un repas sur le pouce plutôt qu’un dîner officiel…), tous prétextes { faire entrer le journaliste dans la confidence des grands hommes. 102» 3.3 La relation entre journalistes et hommes politique : la chimère d’un lien de subordination On en arrive alors { se poser la question de la chimère d’un lien de subordination entre homme politique et journaliste. Car Eric Darras continue: « Le journaliste devient ainsi un obligé.103 » Cette dernière remarque irait dans le sens d’une subordination du journaliste au politique. Dans le même ordre d’idée, Guillaume Fradin affirme : « la logique du champ politique prévaut sur celle du champ médiatique.104» Par les effets énoncés par Eric Darras, auxquels on peut rajouter ceux du rythme de l’exercice du journalisme (voir partie 2), le journaliste serait donc soumis { l’heure actuelle aux volontés du politique. Cela a bien évidemment un impact sur la peopolisation, dans la fixation des sujets à traiter, dans le manque d’autonomie dans la hiérarchisation des informations, dans la capacité de refus du journaliste à suivre le politique dans sa stratégie de communication sur l’intime. Ce n’est cependant pas un trait général à imputer au phénomène de peopolisation. Le phénomène peut très bien induire l’approche opposée. L’étude de Martin Kohlrausch montre un homme d ‘état au contraire soumis aux impératifs fixés par les médias de 102 DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 97. 103 DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 98. 104 FRADIN Guillaume. In, Cinquante ans de dévoilement de soi : le recours des hommes politiques français aux émissions de divertissement (1955-2005). Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P 60. 55 masse émergents. Dans la même lignée, Brigitte Le Grignou et Erik Neveu présentent, dans leurs études sur l’émission « Question à domicile », le média (en l’occurrence TF1) comme soumettant le politique { son concept novateur d’émission, bousculant ainsi les critères d’excellence de l’exercice politique, contraignant « les agents les plus étrangers aux nouveaux circuits de socialisation à des investissements coûteux, auprès des conseillers en communication. 105» Dans ce cadre, c’est bien l’homme politique qui est soumis aux aléas des nouveaux formats médiatiques. Plus qu’un lien de subordination, cette relation apparaît comme un rapport de force qui selon l’époque et le poids de chaque acteur penche dans un camp ou dans l’autre. Ainsi, un homme politique en position de force (Nicolas Sarkozy pendant son état de grâce après les élections de 2002) arrivera { s’imposer aux médias. A l’inverse, lorsque le média se verra dans la possibilité de faire respecter ses volontés, la subordination changera de sens (les médias de masse allemands au 19e siècle ou l’explosion des audiences TV dans les années 90 en France). Ainsi, Jamil Dakhlia dans son étude sur la peopolisation des années 2000106 en distinguant les deux périodes (choisie et subie, voir historique de l’introduction) montre d’abord des politiques en position de force (Sarkozy en période post-électorale) aboutissant sur une médiatisation des aspects positifs de la vie privée. Cinq ans plus tard, une autre logique apparaitrait, celle du retour de bâton et d’une logique de peopolisation subie en partie par le personnel politique, conséquence d’un trop fort recours aux médias dans leur stratégie de communication : le rapport de force s’inverse, l’homme politique est désacralisé, les médias se permettent de transgresser sur le dévoilement de l’intimité politique. 3.4 La relation entre journalistes et hommes politiques : des grands concepts aux « petites cuisines » 105 LE GRIGNOU Brigitte et NEVEU Eric. In, Les dynamiques de la politique à la télévision. Revue française de science politique. N°43. Paris. 1993. P. 966. 106 DAKHLIA Jamil. In, La représentation politique à l’épreuve du people : élus, médias et peopolisation en France dans les années 2000. Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 69. 56 Revenons alors { l’analyse d’Eric Darras : « Le plus souvent, la qualité de la relation n’est pas fausse, ni anticipée, ni véritablement instrumentalisée. Les journalistes politiques sont en fait ou en droit accrédités auprès des grands hommes qu’ils suivent sans en devenir pour autant les porte-paroles. Dans les discussions informelles, les journalistes peuvent être euxmêmes sincèrement appréciés par les puissants entourés d’une Cour plus que de véritables contradicteurs.107 » Au-delà du parti-pris en fin de citation, Eric Darras met en lumière un point important. Comme on le disait plus tôt, la peopolisation envisagée de manière très pragmatique est l’œuvre de la rencontre physique (dans le schéma traditionnel) d’un journaliste et d’un homme politique. Au-delà des schèmes conceptuels développés dans cette production, cette rencontre fait naître une relation entre deux individus qui au-delà de leur fonction sont des êtres humains dotés de sensibilités. On observe dès lors que selon le degré de confiance qui va s’installer dans cette relation, le degré d’affinité… les confidences ne seront pas les mêmes du côté politique (les confidences « sur l’oreiller » par exemple sont un classique de l’univers politique) et la volonté de publier des informations désobligeantes du côté de la presse peut aussi être impactée. Pour aller plus loin, le réseau reste la meilleure arme du journaliste, le relationnel la plus grande qualité du politique. Ces deux acteurs ont dans les faits tout intérêt à tisser une relation étroite pour les unir, multiplier les rencontres et tisser un lien d’amitié au moins en façade. Conséquence, dans la plupart des cas, sans même que les hommes politiques ne s’expriment sur eux-mêmes, les journalistes connaissent une partie de l’intimité des hommes d’état. La suite est de l’ordre de la négociation, « si je dévoile ça, je promets de ne pas publier ça… » Au-delà des grands concepts sociétaux, les « petites cuisines » entre personnels de la politique et des médias jouent aussi leur rôle. Conclusion 107 DARRAS Eric. In, La coproduction des grands hommes. Remarques sur les métamorphoses du regard politique Le Temps des Médias. N°10 printemps 2008. Paris. Nouveau Monde éditions. P. 98. 57 Trois acteurs, trois interactions, un phénomène. Ces trois idées pourraient suffire à résumer mon mémoire. A l’origine de la peopolisation, on retrouve bien ces trois acteurs : la sphère politique, les médias et les individus (tour à tour publics ou électeurs). Ce sont ensuite leurs interactions, sur fond d’intérêts bilatéraux ou parallèles, qui vont catalyser l’exercice du phénomène. Les relations hommes politiques face à leurs électeurs, médias face à leurs publics et journalistes en rapport avec les hommes politiques vont générer un contexte qui sera plus ou moins favorable { l’apparition de la peopolisation. Outre d’impacter le phénomène, le résultat de ces interactions va aussi impacter les caractères de chaque acteur. Cette étude a eu pour objectif de rendre compte le plus objectivement possible de cette situation et a démontré que ces interactions ont bien créé dans l’histoire des contextes, plus ou moins favorables selon la période, { l’existence de la peopolisation. Mais elle n’a pas la prétention de se suffire à elle-même. En effet, l’étude empirique de différents plans de communication à différentes périodes significatives dans les caractéristiques des interactions décrites apporterait un autre éclairage au sujet. Ce prolongement aurait mis en lumière de manière ciblée les aspects que j’ai pointés dans cette composition. D’autre part, la neutralité du propos semblait primordiale face à ce sujet, tant les polémiques fleurissent autour de telles pratiques. Certains auteurs, chercheurs dont les travaux ont servi de base { cette réflexion, ne se sont d’ailleurs pas priver d’exposer un jugement sur le phénomène. D’autre part, d’un point de vue plus « mainstream », la peopolisation fait partie de ces phénomènes que tout le monde dénonce, sans pour autant les rejeter. Il me semblerait inopportun de venir maintenant porter un jugement personnel. L’exposé de deux théories me semble plus judicieux pour offrir des éléments de réponse à la question : « la peopolisation du politique est-elle nuisible ? » Un argument semble couler de source : connaître la série préférée de Nicolas Sarkozy n’aura pas d’incidence directe sur la compréhension de l’espace public, du jeu politique ou des institutions. Dans cette vision utilitariste de la communication, la peopolisation ne portera au mieux aucun intérêt, voire deviendra nuisible en ce qu’elle prend la place des informations de politique fondamentale dans les créneaux médiatiques. Les plus pessimistes taxeront le phénomène d’avilissant pour les publics (qui ne s’intéressent plus qu’{ l’intime et qui ne 58 fonctionnent plus qu’{ l’affect) et d’affligeant pour la démocratie qui perd tout son sens lorsqu’on en arrive { voter pour une personnalité plus que pour un programme. N’oublions pas les conséquences portant sur les médias et la politique décrites dans ce développement, qui pourront être interprétées subjectivement. Mais à cette vision très largement répandue, on peut opposer un autre aspect. L’idée que le « noble » provient de ce qui est raisonné et le « vulgaire » de ce qui ne touche qu’aux sentiments, aux ressentis, est un concept directement issu des Lumières. Il met l’être humain devant ses propres contradictions : il est doué de raison mais peut être prisonnier de ses ressentis. La logique est alors la suivante : pourquoi ne pas satisfaire cette curiosité affective ? Pourquoi les envies pourtant les plus primitives seraient-elles à rejeter alors même qu’elles sont sûrement les plus fortes pour l’individu ? Une analogie est à faire avec le concept de fait-divers. Ce dernier touche directement aux peurs les plus primitives de l’homme ainsi qu’{ ses pulsions les plus profondes : la mort. En cela, il semble normal que ce registre nous touche directement. L’argument est donc le suivant : pourquoi les sujets qui touchent le plus directement les individus devraient ils être rejetés de fait ? Ne seraient-ils pas finalement les plus importants ? La question reste en suspend mais une chose est sûr : ce mémoire n’a pas vocation { prendre parti pour l’une ou l’autre thèse. 59 Bibliographie CAYROL R. In, La nouvelle communication politique. Paris. 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