Amnésia, «hybris» e implosão institucional Amnésie, hubris et implosion institutionnelle Patrick Boumard (Université de Brest) Resumo Uma ilusão pedagógica dominou quase todo o século XX, resumida no lema de uma revista de pedagogia francesa: mudar a escola para mudar a sociedade, mudar a sociedade para mudar a escola. A educação, tal como foi vista pelos grandes pedagogos do século XX, traduz-se mais por valores do que por uma missão (cf., em França, os «Hussards noirs de la République»). Enquanto prática social, a educação é uma intervenção (daí o interesse, mais tarde, de muitos educadores e sobretudo de muitos teóricos da educação pela investigação-acção). Pode questionar-se a validade do conceito de deontologia na educação, na medida em que a docência vai para além de uma simples «profissão» (embora tenha pro-fiteo), e ainda mais porque a educação não é um ofício, ao contrário da insistência actual sobre a funcionalidade («ofício de aluno», com réplica da metáfora do «ofício de professor»). Em contrapartida, a ética está sempre presente, não só no sentido de referências sociais a que chamados valores. Embora não traga para este debate essas noções, nos termos flutuantes na história da filosofia da distinção entre ética e moral, a dimensão educativa obriga a introduzir na práxis do educador uma relação entre ética e política, nem que seja para as separar como o faz Espinosa, ao contrário de Platão, que as hierarquiza. Que especificidade ao nível do Ensino Superior? Amnésia: esquecemo-nos das Universidades da Idade Média, que dominavam de forma organizada todos os saberes, assim como revelavam a necessidade de adquirir conhecimentos e métodos específicos de cada universidade na Europa. «Hybris»: não tanto no sentido de excessos como de desmedida, ou seja, ausência de regulamentação. Na universidade actual, não há nenhum mediador. A pretexto da liberdade (cf. George Lapassade «Nós, professores universitários, somos pagos para ser livres»), a Universidade tem todos os poderes. Sobre os alunos: O professor define o programa, escolhe os assuntos, corrige os trabalhos. Também sobre os valores: Esta liberdade, sem mediação, deixa toda margem a Maquiavel contra Jean-Jacques Rousseau (o Contrato Social). Mas é Maquiavel em pequena escala que tomou o poder, numa deriva da democracia. A democracia grega era o poder do número e do discurso persuasivo (e era por isso que Platão a detestava, tal como ela era na visão pelos sofistas, onde tudo se apoiava aliás na grande maioria de excluídos da dita democracia). A democracia das Luzes, tal com a define Condorcet (incluída na forma extrema de Robespierre e Saint-Just), acrescenta-lhe a Virtude. 55 A implosão institucional: Assim temos, e muito mais na universidade do que nos outros sectores da instituição educativa, a prosperidade dos vícios. Paradoxo: há uma secundarização do funcionamento interno (o controlo administrativo infindável perturba a lógica universitária de um trabalho que só se baseia no controlo e na quantificação) Mas a falta de avaliação e de mediação permite, externamente, todos os abusos de uma democracia degenerada e pervertida. Ultrapassada a Idade Média, a universidade, que parecia ter, pela crítica ao poder absoluto dos «mandarins» tradicionais, perdeu o pé na transição para o Iluminismo e hoje funciona como um despotismo não iluminado, ao sabor de interesses pessoais, que podem gerar, ao longo de mudanças de atmosfera, inversões de alianças, de onde a ética é banida ou é mesmo um tabu. Résumé Une illusion pédagogique a dominé la quasi-totalité du XXe siècle, résumée dans la devise d’une revue pédagogique française : changer l’école pour changer la société, changer la société pour changer l’école. L’éducation, telle qu’on la voit chez les grands pédagogues du XX, c’est des valeurs plus une mission (cf en France, les « Hussards noirs de la République »). En tant que pratique sociale, l’éducation est une intervention (d’où l’intérêt, plus tard, de nombreux éducateurs et surtout théoriciens de l’éducation pour la Recherche-action). On peut s’interroger sur la validité de la notion de déontologie dans l’éducation, dans la mesure où le métier d’enseignant déborde de beaucoup une simple « profession » (même si on y met pro-fiteo), et encore plus où l’éducation n’est pas un métier, au contraire d’une insistance actuelle sur la fonctionnalité (« métier » d’élève, en métaphore de « métier d’enseignant »). En revanche, l’éthique est bien présente, et pas seulement au sens des références sociales qu’on appelle valeurs. Sans revenir ici sur le débat, aux termes fluctuants dans l’histoire de la philosophie, entre éthique et morale, la dimension éducative oblige à introduire dans la praxis de l’éducateur une articulation entre éthique et politique, fût-ce pour les séparer comme le fait Spinoza, au contraire de Platon qui les hiérarchise. Quelle spécificité au niveau du Supérieur ? L’amnésie : on a oublié les Universités du Moyen-âge, avec à la fois la maîtrise organisée de tous les savoirs (Aristote, mais aussi la Renaissance), ainsi que la nécessité d’acquérir les connaissances et démarches spécifiques de chaque université en Europe. L’hubris : non pas tant au sens d’excès que de dé-mesure, i.e. absence de régulation. Dans l’université actuelle, il n’y a aucun médiateur. Sous prétexte de liberté (cf. Georges Lapassade : « nous autres, professeurs d’université, sommes payés pour être libres »), l’universitaire a tous les pouvoirs. Sur les étudiants : L’enseignant fixe son programme, il choisit les sujets, il corrige les copies. 56 Sur les valeurs aussi : Cette liberté sans médiation laisse toute latitude à Machiavel contre Jean-Jacques Rousseau (le contrat social). Mais ce sont les Machiavel au petit pied qui ont pris le pouvoir, dans une dérive de la démocratie. La démocratie grecque, c’était le pouvoir du nombre et de la parole convaincante (et c’est pourquoi Platon la détestait sous l’espèce des sophistes ; le tout appuyé d’ailleurs sur une énorme majorité d’exclus de ladite démocratie). La démocratie des Lumières, au contraire, telle que la définit Condorcet (y compris sous sa forme extrême de Robespierre et Saint-Just), y ajoute la Vertu. L’implosion institutionnelle : Ainsi s’étalent aujourd’hui sous nos yeux, et beaucoup plus dans l’université que dans les autres secteurs de l’institution éducative, les prospérités du vice. Paradoxe : une secondarisation du fonctionnement à l’interne (les contrôles administratifs incessants perturbent la logique universitaire d’un travail qui ne repose pas que sur le contrôle et la quantification). Mais une absence d’évaluation et de médiation qui permettent, à l’externe, tous les abus d’une démocratie dégénérée et dévoyée. L’université, qui semblait avoir, par une critique du pouvoir absolu des « mandarins » traditionnels, dépassé le Moyen-âge, a raté le passage aux Lumières et fonctionne aujourd’hui comme un despotisme non éclairé, mais simplement mené par les intérêts personnels, qui peuvent générer au fil des changements d’atmosphère des renversements d’alliance d’où l’éthique est bannie, voire taboue. Une illusion pédagogique a dominé la quasi-totalité du XXème siècle, résumée dans la devise d’une revue pédagogique française (Les cahiers pédagogiques): « changer l’école pour changer la société, changer la société pour changer l’école ». L’éducation, telle qu’on peut la voir décrite chez les grands pédagogues du XXème siècle, consiste à articuler des valeurs avec une mission (en France, on pense aux instituteurs de la IIIème République, qu’on appelait les « Hussards noirs de la République »). Puis on s’est aperçu que, en tant que pratique sociale, l’éducation est une intervention, comme peut en décerner les prémices chez Freinet et ensuite, plus explicitement, dans la Pédagogie institutionnelle (d’où l’intérêt, plus tard, de nombreux éducateurs et surtout théoriciens de l’éducation pour la Recherche-action). On peut s’interroger sur la validité de la notion de déontologie dans l’éducation, dans la mesure où le métier d’enseignant déborde de beaucoup une simple « profession » (même si on y met pro-fiteo), et encore plus si on ne réduit pas l’éducation à un métier, au contraire d’une insistance actuelle sur la fonctionnalité (« métier » d’élève, en métaphore de « métier d’enseignant ». On parle même aujourd’hui de « métier de parent » !). En revanche, l’éthique est bien présente, et pas seulement au sens des références sociales qu’on appelle valeurs. Je ne m’attarderai pas longuement sur la distinction, aux termes fluctuants dans l’histoire de la philosophie, entre éthique et morale. Retenons seulement ici que l’éthique concernant l’être en tant qu’être, alors que la morale s’attache à des valeurs universelles, on ne s’étonnera pas que les éducateurs exhibent souvent une sorte de tropisme moralisateur, référé ou non à une transcendance. Un clivage plus fécond se fera jour si on compare le sens de la focalisation sur l’individu ou sur 57 l’institution. L’être en tant qu’être questionné par l’éthique n’envisagera pas, dans le champ de l’éducation, la dimension des valeurs universelles telles que la pose la morale. La dimension éducative oblige à introduire dans la praxis de l’éducateur une articulation entre éthique et politique, fût-ce pour les séparer comme le fait Spinoza, au contraire de Platon qui les hiérarchise. On pourrait objecter à bon droit que les présentes considérations, à supposer du moins qu’on les partage, s’appliquent à l’ensemble du système éducatif. Existe-t-il une spécificité de l’enseignement supérieur, et si oui, quelle est-elle ? C’est ainsi la validité de ce thème, dans la cadre du colloque, qui se trouve interrogée. Si légitimité il y a, celle-ci ne peut pas s’étayer sur une fallacieuse hiérarchie, laissant supposer que le niveau de l’enseignant est proportionnel à l’ancienneté des élèves. Même si cet implicite existe, de fait, sous toutes les latitudes, fondée sur une conception réductrice de l’éducation à la complexité des savoirs acquis (tout en se doublant, dans un grand paradoxe, d’un discours généralisé sur la prééminence des compétences sur les connaissances !). Par ailleurs, l’invasion récente de la professionnalisation dans l’appréciation sur la valeur des universités tend à faire disparaître tout spécificité de l’université, en tout cas en France, dans un fatras où sont mélangées universités, Grandes écoles de tous genres, classes prépas à n’importe quoi, voire BTS et DUT (diplômes sans doute d’autant plus recherchés sans doute que, stricto sensu, ils n’existent plus, puisque la normalisation européenne pose la licence à Bac + 3, alors qu’il s’agit là de diplômes à bac + 2 !). Tout ce grand mélange a au moins en commun de faire disparaître la spécificité de l’université, dans sa mission originelle, non réductible à un lycée prolongé de quelques années d’études en plus. C’est donc du côtés de l’histoire qu’il faut se retourner pour comprendre quelque chose et distinguer des éléments particuliers, constitutifs de l’université, et justifiant par la même occasion le présent thème de réflexion ! L’amnésie : La pratique actuelle des Universités (normalisation, concurrence, chiffrage des sorties professionnalisantes, jusqu’au ridicule classement de Shanghai) repose sur le fait qu’on a oublié la logique des Universités du Moyen-âge, avec à la fois la maîtrise organisée de tous les savoirs (Aristote, mais aussi la Renaissance), ainsi que la nécessité d’acquérir les connaissances et démarches spécifiques de chaque université en Europe. Dès la fin du XIème siècle (Université de Bologne, fondée en 1088), l’université se pose comme « Alma Mater studiorum ». Puis ce sont Paris, Oxford, Salamanque, Padoue, Coimbra etc. En 1158, l'empereur Frédéric Barberousse promulgue la Constitutio Habita par laquelle l'université devient un lieu où la recherche se développe indépendamment de tout autre pouvoir, qu’il soit politique ou religieux. Tout cela semble bien loin aujourd’hui, et il a fallu le succès médiatique du Nom de la rose pour faire revenir le questionnement sur la dimension universelle du savoir (thématique fructueuse des controverses, à partir de la théologie comme science racine), mais aussi sur l’aspect institutionnel que pose la prééminence de l’église catholique. Reste que l’imposition de la norme produit, on le sait, solidairement de la déviance. Et de la dialectique entre norme et déviance découlent l’apparition des nouvelles connaissances, même si ces ruptures 58 épistémologiques ont pu entraîner quelques ennuis pour des Galilée, Giordano Bruno, sans parler de Miguel Servet. La notion d’indépendance du savoir envers le pouvoir repose sur le postulat que l’épistémophilie est au cœur de l’humain. « L’homme a naturellement la passion de connaître », selon la formule qui débute la Métaphysique d’Aristote. Cette indépendance ne se justifie que par une confiance dans une sorte de vertu interne de la démarche de connaissance. Mais l’université médiévale intègre en premier lieu la valeur de l’institution. C’est parce qu’ils ont conscience de faire partie d’un même corps que les docteurs du Moyen-âge ont pu défendre à travers les siècles la légitimité de leur indépendance. On pourrait donc soutenir que l’université classique ne croise pas la sphère de l’éthique, en tant que celle-ci suppose la dimension individuelle, sans nul besoin d’une contrepartie collective, telle que la fournit l’institution. En revanche, la déontologie est au cœur de la pratique universitaire. Elle est une manière de garantie de la crédibilité de la transmission du savoir, tout autant que de sa production elle-même. La situation actuelle est très loin de ce tableau historique. L’hubris : Comment expliquer cette corruption (au sens chimique du terme) de l’université ? On peut faire plusieurs hypothèses. J’en distinguerai ici trois, d’ordre différent : La première explication est d’ordre économique. La fonction actuelle de l’université, telle que prônée par les pouvoirs, mais aussi recherchée par ses utilisateurs, devenus aujourd’hui des consommateurs de savoirs directement utilitaires (i.e. injectables dans un emploi) est précisément des mettre les étudiants sur le marché du travail. Utilitarisme et rentabilité sont désormais les deux mamelles de l’université. Il s’agit là d’un gauchissement considérable et très dangereux. Car la fonction de l’université n’est pas, historiquement, d’assurer un emploi aux étudiants, mais bien de produire et de transmettre les savoirs les plus avancés et les plus vastes. D’où le nom « Universitas studiorum », qui demeure aujourd’hui en italien : « Università degli studi ». La seconde explication est d’ordre social. On assiste à une perte du sens de l’institution. Certes l’évocation d’un esprit de corps vous a un faux air de nostalgie médiévale, mais on peut aussi l’envisager comme construction d’une identité collective qui permet à tout membre de la communauté universitaire de savoir sur quoi reposent les confluences nécessaires, qui permettent ensuite d’assurer aux débats et aux controverses un terreau culturel commun. L’élément de base de la déontologie universitaire est le respect de l’autre, à quoi renvoie le propre respect que je puis avoir de moi-même. Et la perte du sentiment d’appartenance est propice à toutes les dérives. Faute d’une dialectique permanente entre individu et institution, le retour à la loi du plus fort n’est jamais définitivement conjuré. Et la troisième explication est d’ordre politique. 59 L’université moderne est gangrenée par la dégénérescence de la démocratie. Sous couleur de déboulonner les mandarins et d’en finir avec leur pouvoir quasi sans limite, c’est la dictature du nombre qui s’est instaurée, autorisant les pires alliances et favorisant les opportunistes de tout acabit. Le beau mot de « démocratie » a ainsi pu être défiguré jusqu’à produire les pires injustices. Car le nombre n’est pas porteur de valeur en soi. La référence à la démocratie antique, qui amène aujourd’hui à ce qu’il suffise d’être majoritaire pour avoir raison, repose sur une double imposture. D’une part ce n’étaient pas tous les habitants d’Athènes qui participaient à l’exercice de la démocratie, mais seulement les citoyens, à l’exclusion des femmes, des esclaves et des étrangers. Soit environ 10% de la population, rassemblés par un puissant sentiment d’identité commune. Deuxièmement, et surtout, cette conception antique de la démocratie a été balayée par la critique des Lumières. La démocratie grecque, c’était le pouvoir du nombre et de la parole convaincante ; et c’est pourquoi Platon la détestait sous l’espèce des sophistes. C’est Condorcet qui a été le plus clair sur le sujet, expliquant que la démocratie suppose certes l’ensemble des citoyens, mais animés par la vertu ! La conception moderne de la démocratie, telle que nous l’a léguée la Révolution français (y compris sous sa forme extrême de Robespierre et Saint-Just), est donc suspendue à sa dimension morale. La démocratie est toujours une expérience cruciale, et donc elle est fragile, comme l’a souligné maintes fois Claude Lefort (cf. L’invention démocratique, 1981). Faute de cette exigence démocratique, on assiste nécessairement à la dérive de la démocratie, dans laquelle Commissions de recrutement, Conseils d’Administration, voire Conseils scientifiques en tout genre sont à la merci permanente d’un collapsus démocratique dont l’université contaminée peine à se relever. C’est bien ici qu’on peut évoquer la notion grecque d’ hubris. Non pas tant au sens d’excès que de démesure, i.e. absence de régulation. Dans l’université telle qu’elle fonctionne actuellement, il n’y a aucun médiateur. Sans même parler de la récente réforme de l’enseignement supérieur qui transforme les universités en entreprises privées et les présidents en patrons tout-puissants, on constate que le fonctionnement dégénéré de la démocratie formelle signale une absolue défaite de l’Alma Mater, dans ce qui cimentait l’université, à savoir la dimension universelle de l’univer-sité. Le fantasme de toute-puissance règne en maître, en l’absence d’éléments institutionnels de médiation. Certes l’absolue liberté du professeur d’université sur le contenu et les modalités s de ses recherches et de son enseignement demeure la garantie nécessaire concernant la qualité&é même de ses travaux. Encore faut-il savoir de quoi on parle. Georges Lapassade avait dit, dans une heureuse formelle, au début de l’’université de Vincennes (vers 1970), « nous autres, Professeurs d’université, sommes payés pour être libres ». Mais en bon institutionnaliste, il savait que cette liberté, faute précisément de sombrer dans l’ hubris, suppose l’existence d’un tiers, comme l’avait remarqué auparavant à la fois la Pédagogie institutionnelle et la psychanalyse. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et, sous prétexte de liberté, l’universitaire a tous les pouvoirs. La référence répétitive à « la Science », ânonnée sur un mode incantatoire au prorata de l’absence de questionnement épistémologique sur la scientificité, sert de cache-sexe dérisoire à l’obscénité actuelle d’une université qui a abandonné l’exigence déontologique. Tous les pouvoirs en effet : 60 Sur les étudiants : L’universitaire fixe son programme, il choisit les sujets, il corrige les copies. Certes il faut passer par un système d’habilitation des diplômes, extrêmement contraignant dans sa dimension bureaucratique d’imposition des normes, mais une fois accompli ce petit jeu du chat et de la souris, la fête peut commencer. Et gare aux déviants : l’exigence déontologique ne pèse rien face à la « science » instituée de la Cité savante. D’où un certain cynisme, confortée par les routines et l’absence d’instance médiatrices. Bien que les copies doivent subir une double correction et sous couvert d’anonymat, je n’ai pour ma part jamais réussi à les faire imposer. Sur les valeurs aussi, tous les pouvoirs : le politiquement correct, apanage des lâches de toutes obédiences, fait ici office de religion. Une fois piétinée l’idée même de contrat social, les Machiavel au petit pied peuvent s’en donner à cœur joie : Rousseau n’est plus à la mode ! L’implosion institutionnelle : Ainsi s’étalent aujourd’hui sous nos yeux, et beaucoup plus dans l’université que dans les autres secteurs de l’institution éducative, les prospérités du vice. Et principalement pour cette raison, que l’université a perdu ses repères universitaires. On a affaire à un curieux paradoxe. D’un coté une secondarisation massive du fonctionnement à l’interne (les contrôles administratifs incessants, les cursus normalisés, l’inflation de notes sous prétexte d’évaluation, etc. perturbent la logique universitaire d’un travail qui ne reposait pas sur le contrôle et la quantification, mais qui à l’inverse voulait favoriser l’originalité de la pensée, les démarches inventives, et plus globalement ce qui méritait d’être appelé recherche) Mais en même temps on constate, au nom d’une autonomie gestionnaire qui n’a rien à voir avec la liberté du chercheur, l’absence d’évaluation et de médiation. Absurdités qui permettent, à l’externe, tous les abus d’une démocratie dégénérée et dévoyée. L’université, qui semblait avoir, par une critique du pouvoir absolu des « mandarins » traditionnels, dépassé le Moyen-âge, a raté le passage aux Lumières et fonctionne aujourd’hui comme un despotisme non éclairé, mais simplement mené par les intérêts personnels, qui peuvent générer au fil des changements d’atmosphère des renversements d’alliance d’où l’éthique est bannie, voire taboue. La déontologie professionnelle n’a pas de place dans un contexte où est privilégiée la concurrence, malgré quelques îlots de résistance qui doivent être salués (on pense à un chercheur du CNRS qui a récemment refusé une prime « d’excellence » dont la fonction était de signifier qu’il était « meilleur que les autres » !) Quant à la morale qui soudait la dimension universelle de l’institution universitaire, elle est tout simplement passée aux oubliettes de la course aux brevets. La conséquence fort prévisible est que l’instituions universitaire, qui n’a ni su ni voulu, il y a une vingtaine d’années, penser le passage de l’université d’élite a l’université de masse, a perdu toute crédibilité, se réduisant de plus en plus à une machine normative à créer des diplômes qui puissent satisfaire le système industriel mondial. Reste à savoir maintenant si, et comment, des courants de résistance peuvent se faire jour dans le cadre de l’université actuelle. La tâche est énorme parce qu’il faut penser à la fois tous les éléments qui définissent la recherche scientifique dans sa multiplicité. D’une part faire de nouveau émerger la 61 reconnaissance d’une recherche « inutile », i.e. qui ne soit pas préoccupée principalement par la commercialisation des découvertes et inventions. D’autre part revendiquer la dimension praxéologique d’une recherche qui produit, particulièrement dans le champ éducatif, du changement social. Enfin, remettre le questionnement épistémologique au premier plan du travail universitaire, ce qui entraînerait nécessairement, dans ce contexte implosé, une réflexion sur le chercheur comme sujet impliqué, et donc, comme par une contrainte interne de l’objet de connaissance, sur la dimension éthique. Ce qui pourrait remettre au premier plan une certaine utopie telle que portée par plusieurs personnalités du XXème siècle (on pense en particulier à Freinet, Korczak ou Paulo Freire), pour qui cette dimension éthique était consubstantielle à la démarche éducative, à travers la notion d’éducateur total. 62