théâtre en mai
du 20 au 29 mai 2016 / Théâtre Dijon Bourgogne – CDN
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2 les inrockuptibles théâtre en mai
Figure majeure de la danse contemporaine
en France dès ses débuts salués à l’orée
des années1980, Maguy Marin reste plus
que jamais une force vive de propositions
scéniques. Après ses premiers “pas” du côté
de la danse classique, puis un compagnonnage
avec l’école Mudra et le Ballet du XXesiècle
–tout deux créés à Bruxelles par Maurice Béjart–,
elle signe des opus remarqués comme May B,
Lesapplaudissements ne se mangent pas ou Cendrillon,
sa relecture du célèbre conte. Engagée, Maguy Marin
a une vision bien à elle de lacréation. “Lart ne cesse
de travailler à la perception d’une réalité bouleversante
que la vie quotidienne nous dissimule et nous fait
oublier.” Son spectacle BiT, invité de Théâtre en mai,
est une nouvelle preuve de son acuité en tant que
femme et en tant qu’artiste.
Le festival met en avant des formes théâtrales
et leurrenouvellement, dans un dialogue avec
d’autres disciplines. Toi-même, tu regardes du côté
du théâtre, de la création musicale. Te qualifies-tu
encore de chorégraphe ou est-ce trop restrictif ?
Maguy Marin – Ça me semble assez restrictif
aujourd’hui, mais ce n’est pas tant le mot que l’idée
que l’on se fait aujourd’hui de la chorégraphie.
Maguy
en mai
Une chorégraphe qui parraine
un festival de théâtre ? Rien d’étonnant
quand il s’agit de Maguy Marin,
artiste engagée, attentive au monde
qui l’entoure et curieuse de toutes
les disciplines. Entretien.
édito
Papesse française
de la danse-théâtre à la
renommée internationale,
la chorégraphe Maguy
Marin devient cette année
la première femme
à parrainer Théâtre en mai.
BiT, sa dernière création,
présentée au festival, donne
avec brio le ton de cette
27eédition où les spectacles
se positionnent en regard
des questions qui agitent
la société. En offrant cette
mission à une chorégraphe,
le festival réaffirme
la valeur première de
la présence des corps sur
scène, et l’importance
de leur mise en mouvement
dans l’espace de la
représentation. Tremplin
offert à une nouvelle
génération de créateurs,
le festival – qui n’a
que faire de la triste
mathématique des quotas
et de la parité – affiche une
programmation largement
féminine. L’important étant
que cette mixité se réclame,
à l’unisson, de faire du
théâtre un média privilégié
et réactif pour s’interroger
sur notre monde actuel,
sans se priver de convoquer
l’inventivité de la fiction,
et de se revendiquer
d’une poésie si nécessaire
pour repenser l’avenir.
Les Inrockuptibles
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théâtre en mai les inrockuptibles 3
Renaud Monfourny
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4 les inrockuptibles théâtre en mai
Quand le plus simple ouvre au
plus complexe. Le choc visuel,
sonore et émotionnel produit
par BiT est de cet ordre. Le titre
résume parfaitement l’axe de
recherche sur le rythme engagé
par Maguy Marin et les six danseurs
de sa compagnie: le bit, élément d’une
chaîne binaire, peut s’entendre aussi
comme “beat”, pulsation, ou mesure
en musique. Au début des répétitions,
la chorégraphe disait s’inspirer de la
définition du linguiste Emile Benveniste:
“Le rythme, c’est la forme dans l’instant
qu’elle est assumée par ce qui est
mouvant, mobile, fluide, c’est la forme
improvisée, momentanée, modifiable.”
BiT en fournit l’éclatante
démonstration. Rien de commun entre
l’image d’ouverture –plongée dans
marche ou rêve
A la façon d’un songe éveillé, BiT de Maguy Marin
déroule pas à pas un mouvement perpétuel,
fascinant et hypnotique.
Il existe un apriori, ressenti comme une forme
d’impureté, à faire se côtoyer les corps dansants
avec les autres arts vivants ; une idée que la danse,
c’est forcément quelque chose qui doit bouger
suffisamment. Mais il suffit d’aller voir dans l’histoire
des arts populaires du monde pour s’apercevoir
que c’est très récent. Si la chorégraphie est une
écriture du mouvement des corps dans le temps
et dans l’espace, oui, je suis chorégraphe.
Le théâtre est-il présent dans ta façon de travailler
en répétition, en improvisation, en studio ?
Oui, le jeu théâtral fait partie intégrante de notre
démarche.Mais aussi la musique, le travail plastique.
Tout cela contribue à nos recherches.
BiT est une pièce demouvements, de gestes,
où chacun semble là pour l’autre. Comment est né
ce spectacle ?
Justement, BiT est né d’un travail rythmique,
musical, qui peu à peu a gagné les corps.
Dans une série de créations comme
Umwelt, Salvesou BiT, on retrouve un lien plus
ou moins visible. Est-ce dû à ta méthode de travail,
à une certaine urgence ou à des questionnements
sur lasociété actuelle ?
C’est l’un et c’est l’autre. D’un côté, il y a cette façon
particulière d’aborder très ouvertement et librement
les formes ; de l’autre, un questionnement partagé sur
l’époque dans laquelle on vit, nourri par des lectures,
des films, des réflexions communes. Peu à peu, se
dégage un fil que nous tirons et auquel nous essayons
de donner une forme particulière.
Qu’est-ce qui déclenche l’envie, l’idée d’une pièce ?
“Bon qu’à ça.” Une forme d’incontinence…
comme l’adit Samuel Beckett à propos de ses écrits.
“Bon” ? En tout cas, on l’espère…
Etre une référence –mais pas un maître à penser–
pour desgénérations de nouveaux interprètes ou
créateurs, ce doit être uneposition délicate pour toi…
Oh, c’est bien bizarre tout ça. Mais non, il n’y a pas
de pression. Je m’en soucie peu.
Tu dis: “Les artistes sont là pour donner
du courage à ceux qui veulent changer le monde.
Mais qui donne du courage aux artistes ?
Les autres, artistes ou non, qui continuent
à rester vivants en inventant des solutions alternatives,
des solidarités, des bouleversements poétiques
qui empêchent de sombrer dans l’impuissance et
la dépression. propos recueillis par Philippe Noisette
le jeu théâtral
fait partie intégrante
de notre démarche,
comme la musique
et le travail plastique
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théâtre en mai les inrockuptibles 5
la pénombre du plateau encombré
de sixplans inclinés, entre lesquels
surgissent des silhouettes solidaires,
mues par des mouvements identiques–,
et les sauts dans le vide qui mettent
un terme à cette longue hallucination.
Brassant les époques, la pièce s’alanguit
dans des tableaux vivants inouïs de
beauté et opère des ruptures de lignes,
de mouvements ou de situations, sans
qu’un seul instant la forme et l’énergie
initiale se dissipent.
Tel un ruban de Möbius soumis à
d’incessantes fluctuations qui n’altèrent
pas sa trajectoire, BiT se construit dans
la continuité: “C’est comme une seule
chose qui se tord mais ne s’interrompt
jamais”, précise Maguy Marin, partie de
l’observation des gens marchant dans
la rue, et du paysage chorégraphique
produit par la formation de masses,
ou de solitudes, et leurs flux incessants,
concordants ou discordants.
Bras levés, pieds tendus, genoux
pliés, alternant des pas glissés
ou croisés, les danseurs forment
une procession qui circule entre les
éléments du décor, en même temps
que la matière sonore –composée
par Charlie Aubry–, d’abord sourde et
indistincte, se fait pulsation, stridence,
et déferle par nappes qui accompagnent
les changements de rythme et
de vitesse de la marche de départ.
Farandole, sarabande, chaîne
anglaise, les mains se lâchent,
la ligne se fait courbe, cercle, quitte
l’horizontalité du plateau pour épouser
la pente des plans de bois inclinés.
Frappe des mains, coïts simultanés,
glissades au ralenti, cascade de pièces
d’or, apparat des toilettes de femmes
ou disparition des corps sous des
soutanes à capuches brunes, le visage
poudré de blanc devenu masque:
la succession des images créées à partir
du simple mouvement de la marche
d’un groupe est de l’ordre du rêve.
Imparable et fantasque. Féérique et
effrayant. Prodigieux et grotesque.
Une fois de plus, Maguy Marin nous bluffe
et nous enchante. Fabienne Arvers
BiT (Cie Maguy Marin) le 20mai à20 h,
le21 à19 h et le22 à18 h, Parvis Saint-Jean
Didier Grappe
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