4 les inrockuptibles théâtre en mai
Quand le plus simple ouvre au
plus complexe. Le choc visuel,
sonore et émotionnel produit
par BiT est de cet ordre. Le titre
résume parfaitement l’axe de
recherche sur le rythme engagé
par Maguy Marin et les six danseurs
de sa compagnie: le bit, élément d’une
chaîne binaire, peut s’entendre aussi
comme “beat”, pulsation, ou mesure
en musique. Au début des répétitions,
la chorégraphe disait s’inspirer de la
définition du linguiste Emile Benveniste:
“Le rythme, c’est la forme dans l’instant
qu’elle est assumée par ce qui est
mouvant, mobile, fluide, c’est la forme
improvisée, momentanée, modifiable.”
BiT en fournit l’éclatante
démonstration. Rien de commun entre
l’image d’ouverture –plongée dans
marche ou rêve
A la façon d’un songe éveillé, BiT de Maguy Marin
déroule pas à pas un mouvement perpétuel,
fascinant et hypnotique.
Il existe un apriori, ressenti comme une forme
d’impureté, à faire se côtoyer les corps dansants
avec les autres arts vivants ; une idée que la danse,
c’est forcément quelque chose qui doit bouger
suffisamment. Mais il suffit d’aller voir dans l’histoire
des arts populaires du monde pour s’apercevoir
que c’est très récent. Si la chorégraphie est une
écriture du mouvement des corps dans le temps
et dans l’espace, oui, je suis chorégraphe.
Le théâtre est-il présent dans ta façon de travailler
en répétition, en improvisation, en studio ?
Oui, le jeu théâtral fait partie intégrante de notre
démarche.Mais aussi la musique, le travail plastique.
Tout cela contribue à nos recherches.
BiT est une pièce demouvements, de gestes,
où chacun semble là pour l’autre. Comment est né
ce spectacle ?
Justement, BiT est né d’un travail rythmique,
musical, qui peu à peu a gagné les corps.
Dans une série de créations comme
Umwelt, Salvesou BiT, on retrouve un lien plus
ou moins visible. Est-ce dû à ta méthode de travail,
à une certaine urgence ou à des questionnements
sur lasociété actuelle ?
C’est l’un et c’est l’autre. D’un côté, il y a cette façon
particulière d’aborder très ouvertement et librement
les formes ; de l’autre, un questionnement partagé sur
l’époque dans laquelle on vit, nourri par des lectures,
des films, des réflexions communes. Peu à peu, se
dégage un fil que nous tirons et auquel nous essayons
de donner une forme particulière.
Qu’est-ce qui déclenche l’envie, l’idée d’une pièce ?
“Bon qu’à ça.” Une forme d’incontinence…
comme l’adit Samuel Beckett à propos de ses écrits.
“Bon” ? En tout cas, on l’espère…
Etre une référence –mais pas un maître à penser–
pour desgénérations de nouveaux interprètes ou
créateurs, ce doit être uneposition délicate pour toi…
Oh, c’est bien bizarre tout ça. Mais non, il n’y a pas
de pression. Je m’en soucie peu.
Tu dis: “Les artistes sont là pour donner
du courage à ceux qui veulent changer le monde.”
Mais qui donne du courage aux artistes ?
Les autres, artistes ou non, qui continuent
à rester vivants en inventant des solutions alternatives,
des solidarités, des bouleversements poétiques
qui empêchent de sombrer dans l’impuissance et
la dépression. propos recueillis par Philippe Noisette
“ le jeu théâtral
fait partie intégrante
de notre démarche,
comme la musique
et le travail plastique”
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