HISTOIRE DES ARTS : L'AFFICHE ROUGE DE LÉO FERRÉ. Artistes : Léo Ferré / Louis Aragon. Léo Ferré (1916-1993) : auteur, compositeur et interprète français. Il se revendique du courant anarchique et donc opposé au capitalisme. Il a été proche toute sa vie des milieux communistes. Louis Aragon (1897-1982) : poète, romancier et journaliste français. Il soutient dès 1927 et jusqu'à la fin de sa vie le Parti communiste français. Il est un membre fondateur avec André Breton et Paul Eluard du surréalisme français. Il s'engage au service de la résistance pendant la Seconde guerre mondiale, notamment en publiant des recueils de poésie engagée. Strophes pour se souvenir est composée en 1955 par Aragon, en hommage aux 23 résistants communistes du groupe Manouchian des FTP-MOI, exécutés par les nazis en février 1944. Le poème est intégré au recueil le Roman inachevé. Il est composé notamment à l'occasion de l'inauguration de la rue du Groupe-Manouchian à Paris (onze ans après leur mort : « onze ans déjà... »). En 1959, Léo Ferré met en musique ce texte ainsi que d'autres poèmes d'Aragon extraits du recueil Le Roman inachevé. Il donne comme titre à la chanson l'Affiche Rouge, en référence à l'affiche placardée par les autorités allemandes et de Vichy au moment de l'arrestation et de l'exécution des membres du groupe Manouchian. Strophes pour se souvenir : Aragon utilise le titre pour annoncer son projet : utiliser la forme poétique pour ramener à la mémoire collective le sacrifice des résistants étrangers pour la libération de la France. Ce poème et le chant de Ferré s'apparentent donc au genre de l'oraison funèbre (il rappelle l'anniversaire de leur mort à la l. 3 : « Onze ans déjà, que cela passe vite onze ans »). En effet, Aragon dans son poème met en avant le sacrifice de Missak Manouchian, résistant d’origine arménienne, intégré au réseau communiste des Francs-Tireurs et Partisans, et chef de réseau dès 1943 (à la rupture du pacte de non-agression germano-soviétique, quand l’Allemagne nazie envahit l’URSS, de nombreux communistes entrent en résistance contre l’occupant allemand et contre le régime de Vichy qui collabore). Son groupe de résistants va organiser des actions nombreuses contre l’occupation et la collaboration (journaux clandestins, tracts, sabotages de voies ferrées et d’installations allemandes, exécutions d’officiers allemands, notamment des SS…). Ils assassinent le général SS responsable du STO en France. A partir de ce moment, ils sont traqués par la police française de Vichy et la Gestapo. Ils sont arrêtés en 1944, et une affiche est diffusée en France, sur fond rouge, qui montre leurs portraits et les présente comme des Juifs étrangers, terroristes et criminels (« La libération… par l’armée du crime ! »). C’est une affiche de propagande qui vise à décrédibiliser la résistance (elle n’est le fruit que d’étrangers, Juifs qui plus est, qui veulent détruire la vraie France) pour en décourager les Français et pour faire régner la terreur (ils vont être prochainement exécutés). Mais l’affiche ne suscite pas les sentiments de rejet massif que Vichy et les Allemands espéraient, et de nombreux Français, en cachette, déposent des fleurs au pied des affiches en hommage au courage des résistants. Le texte d’Aragon présente cette affiche : « Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes » ; « l’affiche qui semblait une tâche de sang ». Il évoque aussi les portraits effrayants des 23 résistants qui vont être exécutés (« Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants »). Il dénonce la propagande allemande contre les étrangers destinée à détourner les Français de la résistance (« Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles / Y cherchait un effet de peur sur les passants »). Aragon montre aussi l’échec de cette campagne de propagande et la réaction des Français qui rendent hommage aux résistants (« Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants / Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE »). Aragon utilise un champ lexical particulièrement triste et sombre, qui évoque le froid de l’hiver, dans toute la 1e partie du poème, quand il évoque l’exécution des résistants (« noirs », « nuit », « mornes matins », « couleur uniforme du givre »…). Puis Aragon reprend la dernière lettre écrite par Manouchian à son épouse au matin de sa mort, en la magnifiant. Cette partie du poème appartient au registre lyrique. A partir de ce moment, le champ lexical reflète l’espoir d’un monde nouveau, permis par le sacrifice des résistants. Manouchian affirme qu’il meurt « sans haine [en lui] pour le peuple allemand », cad pour ceux qui sont responsable de son martyr. Il dit adieu à son épouse et l’encourage à profiter de la vie et de la liberté qui finiront par triompher de la barbarie nazie. 3un grand soleil d’hiver » éclairera ce monde nouveau. Le dernier couplet rappelle Nuit et brouillard de Jean Ferrat, qui lui rend hommage aux déportés des camps de concentration et d’extermination (son père est mort en déportation) = œuvre de comparaison. Aragon souligne dans les deux derniers vers que ces résistants d’origine étrangère, condamnés et rejetés par la France de Vichy, ont sacrifié leur vie pour sauver la France et ses valeurs républicaines. Le chant de Léo Ferré : Léo Ferré chante a cappella, avec seulement un chœur (sans parole). Aucun instrument ne vient recouvrir le texte, ce qui le met en valeur. La mélodie est très simple, elle est reprise pour chaque couplet, ce qui permet de la retenir facilement. Certains mots sont parlés (« Morts pour la France », « Bonheur à tous »...), ce qui permet de les souligner et de les mettre en valeur par rapport au reste du texte. Ainsi, son chant s'apparente souvent à une déclamation. Le vibrato est utilisé sur certaines phrases pour renforcer l'émotion. Enfin, avant le dernier vers qui évoque l'exécution des résistants, un roulement de timbales se fait entendre, symbolisant la mise à mort et le sacrifice des résistants. = l'arrangement du poème par Léo Ferré a pour objectif de dramatiser le texte d'Aragon pour mettre en valeur sa portée mémorielle.