BECKETT avait écrit cette pièce, dit-il, pour se détendre en 1950 au lendemain de la
guerre. C'est sa compagne Suzanne qui présenta la pièce à Roger BLIN qui eut le
coup de foudre et entreprit de la mettre en scène. Aucun théâtre ne voulait de la
pièce, les démarches durèrent 3 ans .C'est au théâtre de Babylone, au bord de la
faillite, dirigé par Jean-Marie SERREAU qu'eut lieu la première mondiale d' En
attendant Godot.
Au delà de l'histoire, de la chronologie des événements, c'est l'atmosphère, les états
d'esprit des différents protagonistes, que veut exprimer cette »Naissance d'un chef
d’œuvre » de façon très fluide. L'histoire d'En attendant Godot, ce texte qui aurait pu
finir dans un tiroir, c'est celle aussi de la rencontre entre deux hommes, très
différents, Roger Blin et Samuel Beckett.
Leur collaboration ne fut pas fusionnelle. Samuel Beckett paradoxalement n'allait
jamais au théâtre. Il a dû être passionnant pour lui comme pour nous spectateurs
d'éprouver que la mise en scène d'une pièce est une création à part entière.
Tel le premier homme qui pose son pied sur la lune, Roger Blin a posé la première
pierre de cette pièce, traduite depuis lors en 50 langues et jouée à travers le monde.
La mise en scène de Stéphanie CHEVARA, exemplaire par sa fluidité est de facture
intimiste, impressionniste. De fait, nous ne quittons jamais la sensation d'être dans
les coulisses d'un théâtre. Pour Roger Blin, théâtre et vie se confondent. Pour
Samuel Beckett, l'espérance de vie d'une œuvre semble plus secrète. Roger Blin,
quant à lui, à la fois acteur et metteur en scène, éprouve la pièce physiquement,
corps et âme.
La scénographie opère une sorte de jeu de balancier avec une lampe qui descend
par magie pour découvrir dans l'ombre des scènes tableaux qui semblent flotter dans
le souvenir, la récréation du passé, dans un espace temps improbable un peu inouï .
C'est assez curieux, ce temps fortuit d'une pensée, de toutes ces turbulences
temporelles blotties dans le rêve comme dans un cocon, oublieuses d'un temps
conjugué, aléatoires et revenantes.
C'est étrange, lorsqu'on se souvient que le thème d'En attendant Godot pour Samuel
BECKETT parle du temps qui passe et d'un certain Godot qui n'arrive jamais.
La distribution des comédiens est excellente. Barthélémy GOUTET qui interprète
Samuel Beckett plus vrai que nature, et Laurent COLLARD qui joue Roger Blin, très
vif.
Du théâtre à taille humaine. Eh oui, comme une encoche sur les peaux mortes du
théâtre de l'époque. La pièce a fait scandale parce que les personnages disaient
« merde » et s'injuriaient. C'est à n'y rien comprendre mais ces allers et retours entre
rêve et réalité auxquels nous convient ces vrais personnages BLIN et BECKETT,
donnent le vertige. Oui, les deux hommes qui contemplent la lune, c'est eux. Merci à
la Compagnie MACK ET LES GARS pour cette bouleversante projection !
Paris, le 1er Novembre 2015 Evelyne Trân