Courrier des lecteurs Vol. 24 No. 3 2013 Réponse au courrier du lecteur de Thomas Baumann dans Paediatrica Vol. 23 No 3 Le dépistage précoce de l’amblyopie par photo-skiascopie simultanée des deux yeux, assistée par ordinateur, sans cycloplégie est-il possible? H. Kuck, C. Plangg, E. Hegedüs, Heerbrugg Traduction: Rudolf Schlaepfer, La Chaux-de-Fonds Dans son article «Dépistage précoce de l’amblyopie dans le cabinet pédiatrique» (Paediatrica Vol. 23 No 2) Thomas Baumann rapporte entre autre les excellentes expériences avec la photo-skiascopie binoculaire assistée par ordinateur sans cycloplégie et conseille cette technique aux pédiatres. Nos propres expériences nous ont fait douter de ces résultats et nous en avons fait part dans un courrier du lecteur dans Paediatrica Vol. 23 No 3. Dans sa réplique Thomas Baumann regrette que nous n’ayons pas recueilli nos données dans une étude systématique et nous invitait à effectuer une telle étude. Nous avons suivi sa suggestion et mesuré, pendant les mois de novembre et décembre 2012, consécutivement la réfraction objective de 130 yeux d’enfants (âge des patients entre 2 1/2 et 8 ans), en myosis avec l’appareil plusoptiX, ensuite en cycloplégie par réfractométrie automatique (Tonoref 2 de Nidek ou skiascopie classique). Pour tous les enfants examinés nous pouvions donc comparer directement les valeurs de réfraction objectives obtenues avec les deux méthodes. Résultats a)pour 104 yeux où l’appareil plusoptiX a détecté une hypermétropie, une hypermétropie a été mesurée aussi par l’examen en cycloplégie, l’examen au moyen du plusoptiX n’ayant pas permis de se prononcer, ni pour les hypermétropies faibles ou pour les plus étendues, sur la portée effective de l’hypermétropie constatée en cycloplégie. Pour 53 yeux avec une hypermétropie faible à l’examen par plusoptiX (entre 0 et +1.0 dpt), l’hypermétropie effective, mesurée en cycloplégie, atteignait des valeurs jusqu’à +5.0 dpt, pour 8/53 yeux > 3.0 dpt et pour 15/53 yeux > 2.0 dpt. b)26 yeux présentaient, selon les mesures par plusoptiX, une myopie. La différence avec l’examen en cycloplégie s’élève jusqu’à 2.5 dpt, ce qui a pour conséquence que de 26 yeux mesurés myopes, 12 étaient en réalité hypermétropes. c)Pour 44 yeux le degré d’astigmatisme mesuré par l’appareil plusoptiX a été, comparé à celui en cycloplégie, soit moins soit plus élevé, la différence allant jusqu’à 1.25 dpt par rapport au résultat obtenu en cyclopégie, d)Les mesures de l’axe de l’astigmatisme effectuées à l’aide du plusoptiX ont donné pour 101/130 yeux des valeurs, comparé à celles obtenues en cycloplégie, de ±20°. Les déviations de l’axe des 29 yeux restants étaient plus élevées. e)Pour le diagnostic de l’anisométropie les différences constatées entre les deux méthodes n’ont été que mineures. Tous les 7 yeux avec une anisométropie de > 2 dpt ont été reconnus par le plusoptiX et toutes les 14 anisométropies entre 0.75 et 1.75 avec plusoptiX correspondaient effectivement à < 2.0 dpt en cycloplégie, les valeurs étant généralement inférieures à celles obtenues par le plusoptiX. Discussion Nos résultats confirment le large éventail de l’amétropie la plus fréquente chez l’enfant, l’hypermétropie, présente chez 106 des 130 yeux examinés. La méthode d’examen non-cycloplégique par photo-skiascopie simultanée des deux yeux est grevée 40 par une proportion très élevée de résultats faussement-négatifs pour l’hypermétropie. Cela s’exprime tout particulièrement par le fait qu’à des hypermétropies minimes mesurées par plusoptiX pouvaient correspondre des hypermétropies jusqu’à +5.0 dpt. Les résultats de dépistage d’une myopie significative ne sont pas meilleurs: la grande faculté d’accommodation du patient pédiatrique fait qu’on obtient, par l’examen non-cycloplégique, un nombre considérable de résultats faussement-positifs; on mesure d’apparentes myopies, purement adaptatives, tout en étant en présence d’une hypermétropie. La définition d’un seuil à partir duquel un résultat est à considérer anormal et justifie un examen en cycloplégie par l’ophtalmologue ne nous aide pas non plus, car des hypermétropies insignifiantes à l’examen non-cycloplégique peuvent cacher des hypermétropies importantes et une myopie peut s’avérer être en réalité une hypermétropie. Comme pour la skiascopie ou réfractométrie manuelle en myosis, qui ne permettent pas de reconnaître avec certitude, chez le jeune patient qui accommode fortement, l’ampleur d’une hypermétropie ou d’une myopie, les résultats obtenus en myosis sont meilleurs concernant le degré et l’axe d’un astigmatisme et semblent donc utilisables pour le dépistage. On peut faire le même constat pour le dépistage de l’anisométropie, le plusoptiX ayant l’avantage d’examiner simultanément les deux yeux; le patient en mesure d’accommoder, accommode des deux côtés de manière identique, la différence de réfraction entre les deux yeux, l’anisométropie, reste ainsi à peu près la même et peut être reconnue, bien que la mesure de la réfraction (donc de l’hypermétropie ou de la myopie) sera clairement décalée vers une hypermétropie moins marquée respectivement une myopie accentuée. Se pose enfin la question pourquoi nos résultats apparaissent si différents de ceux obtenus par Thomas Baumann (et d’autres auteurs): la raison évidente est que seul les patients dont l’examen par plusoptiX s’est avéré anormal sont ultérieurement examinés en cycloplégie; ils présentent effectivement, surtout lorsqu’il s’agit d’une hypermétropie, une anomalie de la réfraction, identique ou plus importante que celle obtenue par le plusoptiX. Les patients dont Courrier des lecteurs Vol. 24 No. 3 2013 l’amétropie n’a pas été diagnostiquée par le plusoptiX, notamment les faux-négatifs de la mesure de l’hypermétropie, ne sont pas seulement écartés de l’analyse scientifique concernant la pertinence de cette méthode mais aussi – ce qui est nettement plus préoccupant – de la correction et des contrôles nécessaires de leur trouble de la réfraction. Conclusion Les techniques d’examen non-cycloplégiques ne peuvent pas remplacer la mesure objective de la réfraction en cycloplégie par des moyens ophtalmologiques appropriés et n’ont qu’une valeur limitée en tant qu’examen de dépistage. Nous sommes donc persuadés que tous les enfants dont les examens préventifs pédiatriques concernant l’acuité visuelle, la position des yeux et la vision stéréoscopique sont pathologiques ou douteux, doivent être adressés à l’ophtalmologue pour des examens approfondis, y compris la mesure de la réfraction en cycloplégie, l’examen des parties antérieures de l’œil et du fond d’œil ainsi qu’un examen orthoptique. Correspondance AugenTagesklinik Heerbrugg AG Auerstrasse 2 9435 Heerbrugg Réplique au courrier du lecteur de H. Kuck, C. Plangg et E. Hegedüs Le dépistage précoce de l’amblyopie par photo-skiascopie simultanée des deux yeux, assistée par ordinateur, sans cycloplégie est-il possible? Thomas Baumann, Soleure Traduction: Rudolf Schlaepfer, La Chaux-de-Fonds Je me réjouis que les auteurs aient suivi ma suggestion et recueilli des données. Les résultats de leur observation contrastent avec les données de la littérature et avec nos longues années d’expérience. Je ne peux pas juger pour quelle raison. Le visiotesteur n’est pas utilisé en pédiatrie pour mesurer avec précision les troubles de la réfraction, mais principalement pour pallier à l’absence d’une méthode de dépistage de l’amblyopie du petit enfant de 1–4 ans. Les méthodes cliniques décrites dans mon article ne satisfont malheureusement pas les attentes et comportent un taux d’erreur nettement plus élevé. L’exécution du test de Brückner p.ex. dépend d’une grande dextérité et faculté d’interprétation. Nous savons par ailleurs que chez seulement deux tiers des enfants en âge préscolaire la vue est effectivement examinée lors des examens préventifs. Au risque de me répéter: la précision de la mesure n’est pas le critère décisif, mais bien le dépistage le plus précoce possible d’une amblyopie afin d’orienter l’enfant vers un traitement ophtalmologique adéquat. Nos données corrèlent bien avec celles de la littérature (citées dans mon article). Les enfants suspects sont adressés à l’ophtalmologue qui va bien évidemment objectiver nos observations par un examen en cycloplégie entre autres. Ces données aussi confirment celles de la littérature1). En conclusion votre observation n’infirme pas le fait que le dépistage de l’amblyopie au moyen du visiotesteur complète bien les autres moyens d’examen de la vue du petit enfant. Vous exigez que «… tous les enfants dont les examens préventifs pédiatriques concernant l’acuité visuelle, la position des yeux et la vision stéréoscopique sont pathologiques ou douteux, doivent être adres- 41 sés à l’ophtalmologue pour des examens approfondis, y compris …». Or dans le cadre des examens préventifs du petit enfant il n’est précisément pas possible de mesurer l’acuité visuelle et l’appréciation de la vision stéréoscopique n’est pas très fiable. L’enfant avec une position anormale des yeux est de toute façon adressé à l’ophtalmologue et le strabisme n’est par ailleurs pas la cause, mais la conséquence de l’amblyopie. Ainsi les enfants ne sont finalement pas orientés moins mais bien au contraire de façon plus ciblée et précoce à l’ophtalmologue. La prise en charge sera d’autant plus précoce, ce qui est tout à fait dans l’intérêt de l’enfant et dans l’esprit d’un dépistage qui mérite ce nom. Référence 1) Moghaddam AA, Kargozar A, Zarei-Ghanavati M et al. Screening for Amblyopia Risk Factors in PreVerbal Children Using the Plusoptix Photoscreener Br J. Ophtalmol 2012; 96: 83–86. Correspondance [email protected]