8 THÉÂTRE OCTOBRE 2016 / N°247
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errasse
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errasse OCTOBRE 2016 / N°247 THÉÂTRE 9
La Terrasse, premier média arTs vivanTs en France
© Jean-Louis Fernandez
Cécile Garcia Fogel,
Vincent Dissez et
Pierre-François Garel
dans Iphigénie en Tauride.
« Des moments d’une beauté stupéfiante,
où s’enlacent la vidéo, la musique
et l’exaltation crucifiée des corps.
Rares sont les metteurs en scène qui savent
donner chair à une pensée sur une œuvre. »
Le Monde
www.theatre-chaillot.fr
01 53 65 30 00
Photo : Tal Bitton
M. Proust
K. Warlikowski
Les Français
D’après À la recherche du temps perdu
18 au 25 novembre 2016
théâtre
CRITIQUE
RÉGION ET TOURNÉE / théâtre du nord, théâtre du GYMnase, doMaine d’o puis tournée
teXte de GOETHE / Mes JEAN-PIERRE VINCENT
IPHIGÉNIE EN TAURIDE
Jean-Pierre Vincent cisèle une mise en scène brillante du texte de
Goethe. Incarné par des comédiens subtils et puissants, ce spectacle
offre un viatique humaniste salutaire aux égarements de notre époque.
La pure hospitalité, comme le formule Jacques
Derrida, est un accueil sans condition, qui va
jusqu’à accepter que
« l’autre fasse loi chez
moi »
. Accueillir l’autre au risque qu’il me
change : tel est le pari que fait le roi Thoas,
le Scythe chez lequel Diane a mis Iphigénie à
l’abri des malheurs de sa famille. Longtemps
anonyme, la princesse s’est cachée sous le
costume de la prêtresse. Elle a changé la loi
de Tauride, en obtenant de Thoas que l’on
cesse de tuer les étrangers qui entrent sur ses
terres. La Grecque a adouci les mœurs de son
refuge ; la femme a changé le cœur du roi, qui
continue de l’aimer, même quand il apprend
qu’elle est la descendante des Tantalides mau-
dits, et même quand il accepte de la laisser
repartir vers Mycènes. Quant à la femme, seule
au milieu des hommes qui la menacent, la
manœuvrent ou cherchent à la manipuler, elle
résiste avec la force de sa vertu et son souci
constant de la vérité. Cécile Garcia Fogel, qui
sait allier douceur et gravité dans la musique
de sa voix et de sa diction, raffinement de la
retenue et exaltation dans son jeu, campe une
Iphigénie vibrante et bouleversante.
REMARQUABLE ALLIANCE
DE LA FORME ET DU FOND
Cet équilibre guide la mise en scène de Jean-
Pierre Vincent, qui n’a pas besoin des afféte-
ries de l’actualisation pour montrer le carac-
tère atemporel – et cruellement contemporain
– du débat qui agite les protagonistes de la
tragédie autour de la considération accordée
aux étrangers. Tout sonne comme un appel
au réveil des consciences humanistes, sans
que le besoin de localisation culturelle ne se
fasse sentir. Le décor de Jean-Paul Chambas
contribue à cette atemporalité : l’Antiquité
suggérée emprunte aux ruines chères à l’es-
thétique du temps de Goethe qui en redécou-
vrait les beautés. On est en Tauride autant que
dans l’Europe tolérante des Humboldt et de
Goethe, au siècle des Lumières autant que
dans le noir aujourd’hui. Toujours se pose
la question du dieu caché sous le visage de
l’autre, celle de l’intelligence politique des
femmes, et celle de la fraternité capable de
rebâtir les familles et les cités ruinées. Jean-
Pierre Vincent réussit brillamment à guider ce
voyage
« qui fait entendre des idées et nous
entraîne dans le meilleur de la pensée »
. Les
comédiens disent le texte, faisant entendre
sa démonstration tout en l’incarnant en un
kaléidoscope de passions complémentaires.
Les duos sont aussi réussis que les scènes
chorales et le chatoiement interprétatif est
à la hauteur de la jubilation bienveillante du
propos. Les passions positives et l’excellence
du cœur et de l’esprit apparaissent comme le
baume qui soigne les plaies de la tragédie. Les
Erinyes abandonnent Oreste, Thoas renonce
à son caprice : telle est la victoire d’Iphigénie,
enfin rendue aux siens ; telle est toujours la
victoire de l’intelligence, quand la fraternité la
guide. Goethe (remarquablement traduit par
Bernard Chartreux et Eberhard Spreng), Jean-
Pierre Vincent, et les comédiens qu’il réunit,
en font l’impeccable démonstration : rarement
le fond est à ce point servi par la forme.
Catherine Robert
Théâtre du Nord, 4 place du Général-de-Gaulle,
59000 Lille. Du 5 au 9 octobre 2016. Mercredi et
vendredi à 20h, jeudi et samedi à 19h, dimanche
à 16h. Tél. 03 20 14 24 24. Théâtre du Gymnase,
4 rue du Théâtre-Français, 13001 Marseille. Du
11 au 15 octobre à 20h30. Tél. 08 20 13 20 13.
Domaine d’O, 178 rue de la Carriérasse, 34090
Montpellier. Les 17 et 18 octobre à 20h.
Tél. 08 00 20 01 65. Tournée : Le Granit de Belfort,
les 3 et 4 novembre ; Théâtre de Caen, du 9 au
11 novembre ; Comédie de Genève, du 15 au 19
novembre ; Théâtre des Abbesses à Paris, du 23
novembre au 10 décembre. Texte publié à L’Arche
Éditeur. Durée : 1h50. Spectacle vu au TNS.
Réagissez sur www.journal-laterrasse.fr
© Anne Agyan
GROS PLAN
Val d’oise, YVelines et paris
FESTIVALS
ORPHÉE & VIVA LA VIDA
Ces deux festivals autour du handicap proposent une édition commune
qui essaime dans le Val d’Oise et les Yvelines et renforce la visibilité
des œuvres et des personnes.
L’union fait la force ! Implantés pour l’un dans
les Yvelines, pour l’autre dans le Val d’Oise,
oeuvrant tous deux à éclairer l’actualité et la
qualité d’un théâtre réalisé par ou avec des
personnes en situation de handicap, le Festival
Orphée, fondé en 2004 avec le soutien du Crédit
Coopératif, et le Festival Viva la Vida, fondé en
2012 avec celui du Conseil départemental du
Val d’Oise et de Jean Joël Le Chapelain, direc-
teur de L’apostrophe, ont mis en place une
édition commune, forte d’une soixantaine de
représentations dans quarante lieux de diffu-
sion, dont une extension parisienne à la Maison
des Métallos. Une mutualisation qui renforce
la visibilité des œuvres et des personnes, et
s’accompagne d’actions de terrain favorisant
l’accessibilité à la culture ainsi que la pratique
culturelle par les personnes en situation de
handicap. Preuve que les différences n’em-
pêchent ni l’intégration ni la créativité lorsqu’on
les rend possibles. Cette édition invite le plus
large public possible à venir découvrir une pro-
grammation qui mêle musique, théâtre, danse,
cinéma, et rencontres, dont un colloque intitulé
« Art et handicap, nouvelles représentations,
nouvelles mythologies »
.
MUTUALISATION ET COOPÉRATION
La coopération entre les deux festivals est
aussi artistique puisque les deux direc-
Les Missions d’un mendiant,
dans la mise en scène de
Olivier Couder et Richard Leteurtre.
teurs, Olivier Couder (Viva la Vida) et Richard
Leteurtre (Orphée) mettent en scène conjoin-
tement
Les Missions d’un mendiant
, quatre
pièces courtes de Daniel Keene, une pièce
saluée lors de sa création l’an dernier. Au
programme, une grande diversité d’œuvres.
Olivier Couder et le Théâtre du Cristal réin-
ventent une convivialité joyeuse et farfelue
dans
Cabaret des frissons garantis
. Avec
la compagnie International Visual Theatre
(IVT), Jean-Yves Augros apprivoise la relation
entre sourds et entendants dans
Parle plus
fort
.
Disabled Theater
de Jérôme Bel s’est
construit avec les comédiens de la troupe
Theater Hora, en situation de handicap men-
tal.
La Clarté
de Jean-Michel Ribes, avec les
comédiens en situation de handicap mental
de la compagnie L’Envol, déploie diverses
intrigues délirantes. En danse place à la com-
pagnie sévillane Danza Mobile, et aux comé-
diens-danseurs de la célèbre Compagnie de
l’Oiseau-Mouche dans
C.O.R.P.uS
. Et de nom-
breux films sont aussi à découvrir.
Agnès Santi
Dans le Val d’Oise, les Yvelines et Paris.
Du 27 septembre au 21 octobre.
Tél. 01 30 37 87 47. www.orpheevivalavida.fr
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© Pascal Victor / ArtcomArt
GROS PLAN
LA SCÈNE THÉLÈME
Olivier Martinaud et Laurent Sauvage inaugurent un nouvel espace parisien
consacré au théâtre et à la gastronomie. Ils présentent Mes Prix littéraires,
de Thomas Bernhard, au sein de ce lieu baptisé La Scène Thélème.
Le principe, ici, n’est pas d’assister à une
lecture ou une représentation tout en étant
à table, mais de faire se succéder, dans un
même lieu, sans se chevaucher, émotions
théâtrales et culinaires. Grand passionné
de spectacle vivant comme de gastronomie,
Jean-Marie Gurné (après une carrière de
cadre dirigeant dans une multinationale de
l’alimentaire) a voulu créer un espace mixte
où puissent se vivre, selon les envies de
chacun, l’une et/ou l’autre de ces deux expé-
riences. La Scène Thélème est donc née. Le
20 septembre dernier. Avec, en cuisine, Pierre
Rigothier (ancien chef du restaurant étoilé Le
Baudelaire) qui propose deux cartes : l’une
gastronomique, l’autre de bistrot dans une
annexe (La Loge Thélème) située à quelques
numéros de l’adresse principale.
UNE SCÈNE, DEUX RESTAURANTS
Ouvert ce même 20 septembre, l’espace
scénique a été inauguré par Laurent Sau-
vage et Olivier Martinaud, qui interprètent
jusqu’au 14 octobre, dans une mise en scène
du second comédien,
Mes Prix littéraires
. Ce
texte de Thomas Bernhard met à mal, à tra-
vers toute la férocité de l’auteur autrichien,
l’industrie littéraire et ses distinctions hono-
rifiques. Valérie Dréville (co-marraine du lieu
avec Hortense Archambault – nouvelle direc-
trice de la MC93) a été, quant à elle, la pre-
mière invitée des rendez-vous de lectures qui,
chaque trimestre, parallèlement aux proposi-
tions théâtrales, permettront d’écouter un(e)
comédien(ne) reconnu(e). Ces cartes blanches
seront également l’occasion de découvrir de
plus jeunes interprètes, parrainé(e)s par leurs
célèbres ainé(e)s.
Manuel Piolat Soleymat
La Scène Thélème, 18 rue Troyon, 75007 Paris.
Mes Prix littéraires : du 20 septembre au
14 octobre 2016. Du mardi au vendredi à 19h.
Tél. 01 77 37 60 99. www.lascenetheleme.fr
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Olivier Martinaud et Laurent Sauvage interprètent
Mes Prix littéraires à La Scène Thélème.