D O S S I E R Paralysie faciale idiopathique et réhabilitation de la face paralysée* Idiopathic facial palsy ● D. Bouccara** Résumé : Les travaux les plus récents permettent d’incriminer une cause virale aux paralysies faciales idiopathiques, en particulier par réactivation d’un virus herpès. Les tests électrophysiologiques ont une valeur pronostique. Leur intérêt respectif dépend du délai par rapport au début de la paralysie. Le traitement corticoïde précoce, éventuellement associé à des agents antiviraux, permet d’améliorer la récupération et de réduire le risque de séquelles, en particulier les contractures et syncinésies. Les indications de l’imagerie sont, d’une part, les formes atypiques et, d’autre part, les absences de récupération malgré un traitement bien conduit. La réhabilitation de la face paralysée peut utiliser différentes procédures : greffe nerveuse, anastomose hypoglosso-faciale, chirurgie plastique, etc. L’hémispasme facial et les séquelles peuvent bénéficier d’injections de toxine botulique. La rééducation est adaptée au cas par cas en fonction de l’évolutivité de la récupération. Mots-clés : Paralysies faciales idiopathiques - Tests électrophysiologiques - Corticoïdes - Imagerie - Réhabilitation - Toxine botulique. Summary: Most data suspect a viral etiology in case of idiopathic facial palsy (Bell’s palsy): reactivation of herpes virus or other viruses. Different electrodiagnostic tests are used to evaluate the extent of nerve damage and the prognosis. Early corticosteroid treatment improves recovery and reduce sequelae as contracture and synkinesis. Benefit of antiviral drugs appears to be possible. Imaging is required in case of atypical Bell’s palsy, or no recovery after treatment, in order to search other lesions as facial nerve schwannoma. Many surgical techniques can be used to reanimate the face: hypoglossal-facial nerve anastomosis: end to end or side by end anastomosis, but also cosmetic surgery with various procedures. Local injection of botulinum toxin can be release in case of hemifacial spasm or Bell’s palsy sequelae. Facial exercises are recommended. Keywords: Idiopathic facial palsy - Electrodiagnostic tests - Corticosteroids - Imaging - Reanimation - Botulinum toxin. objectif de cette réunion de FMC, organisée par Olivier Sterkers, était d’effectuer, d’une part, une mise au point sur les données physiopathologiques et thérapeutiques concernant la paralysie faciale idiopathique et, d’autre part, de préciser la stratégie thérapeutique lors des séquelles d’une paralysie faciale, quelle que soit sa cause. L’ PHYSIOPATHOLOGIE DES PARALYSIES FACIALES IDIOPATHIQUES En commençant cette présentation, Vincent Darrouzet a d’emblée précisé les caractéristiques spécifiques du nerf facial. Il est très particulier, car il est mixte, ayant plusieurs fonctions au niveau de la face : motricité, sensibilité cutanée, gustation, sensibilité tactile de la langue et fonction végétative sur les sécrétions lacrymales, nasales et salivaires. Anatomiquement, il est très à l’étroit dans le canal de Fallope, véritable goulot où le nerf est exposé à des phé* Compte-rendu de la réunion de FMC du 26 septembre 2003, faculté X.-Bichat, Paris. ** Service ORL, hôpital Beaujon (AP-HP), Clichy. 20 nomènes d’étranglement. Les PFI, ou paralysies faciales idiopathiques a frigore, sont définies par les éléments suivants : atteinte périphérique, strictement unilatérale, apparue brutalement, sans cause retrouvée et sans atteinte des autres paires crâniennes. Leur fréquence annuelle est évaluée à 15 à 20/100 000 habitants. Leur évolution naturelle est bien connue à partir d’études portant sur des patients non traités. Dans les trois quarts des cas, la récupération de la fonction faciale est totale. Dans le quart restant, des séquelles motrices persistent : spasmes et syncinésies. Au fil des années, les hypothèses physiopathologiques suivantes ont été évoquées pour expliquer les PFI : ischémie nerveuse, mécanisme allergique, réaction inflammatoire non spécifique ou autoimmune, et enfin, plus récemment, celle d’une ganglioneurite virale. Celle-ci prend en compte différents éléments : – la fragilité anatomique du nerf facial à l’étroit dans le canal de Fallope, à laquelle s’associe une fragilité vasculaire ; – la proximité du ganglion géniculé où sont localisés les agents viraux ; – la mise en évidence, expérimentalement, de la présence d’ADN viral dans le géniculé et au-delà de celui-ci ; La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 291 - mars-avril 2004 – les modèles animaux de PF induite par inoculation de virus HSV1 dans le géniculé, récupérant mais récidivant à distance pour un certain nombre d’animaux soumis à une situation de stress (Takahashi) ; – l’efficacité clinique des traitements antiviraux associés à la corticothérapie, par rapport à la corticothérapie seule (Adour). L’hypothèse retenue est donc que le virus en cause, de type Herpès HSV ou zona VZV, est latent dans le ganglion géniculé après une primo-infection plus ou moins ancienne. Il faut noter que l’incidence du virus du zona atteint 30 % dans certaines études. La combinaison de stimuli locaux et de facteurs généraux favorise la survenue d’une résurgence. La conséquence est l’apparition de lésions des fibres nerveuses, plus ou moins sévères : neuropraxie (atteinte partielle), axonotmésis ou au pire neurotmésis, qui expose à des séquelles. Ces différents niveaux lésionnels peuvent être associés. Ils touchent alors différents groupes de fibres. PARALYSIE FACIALE IDIOPATHIQUE : QUEL BILAN PARACLINIQUE ? En commençant cette présentation, Frédéric Tankéré a rappelé les buts du bilan paraclinique : confirmer le diagnostic étiologique de la paralysie faciale, préciser la topographie de l’atteinte et apprécier la sévérité de celle-ci. Diagnostic étiologique Dans les cas où la présentation clinique de la PFI est habituelle, on peut estimer que le bilan étiologique est inutile. Le diagnostic repose sur l’examen clinique ORL et neurologique. Si, en revanche, il s’agit d’une forme clinique atypique ou grave, avec présence de signes associés ou généraux, il paraît licite d’effectuer : – un bilan biologique sanguin : NFS recherchant une leucopénie, ionogramme sanguin à visée préthérapeutique (fonction rénale pour les antiviraux), bilan hépatique (cytolyse ?), calcémie ; – l’étude des sérologies HSV, VZV et EBV est globalement décevante, et les résultats nécessitent un délai de plusieurs semaines. On demandera plus volontiers, selon le contexte clinique, les sérologies suivantes : syphilis, VIH et maladie de Lyme ; – l’analyse du liquide céphalo-rachidien (LCR) est motivée par une orientation clinique particulière, notamment en présence d’autres signes neurologiques. Si tel est le cas, le bilan doit être exhaustif : biochimie, bactériologie, électrophorèse des protides, cytologie, dosage de l’enzyme de conversion et sérologies du LCR (HSV, VZV et Lyme) ; – un bilan cochléovestibulaire (au minimum audiométrie tonale, impédancemétrie avec étude du réflexe stapédien) doit être complété en cas de signe associé ou d’indication chirurgicale par des potentiels évoqués auditifs (PEA) et des épreuves caloriques vestibulaires ; – le bilan radiologique, quand il est demandé, comporte une IRM avec injection de gadolinium (fosse postérieure, rocher, parotide). Diagnostic topographique Les tests suivants sont faciles à réaliser, mais ils ont une valeur localisatrice qui reste globalement modérée : – le test de Schirmer apprécie la sécrétion lacrymale (noyau lacrymonasal). Son atteinte traduit une lésion en amont ou au niveau du ganglion géniculé ; – le réflexe stapédien est aboli en cas de lésion en amont de la troisième portion (nerf du muscle de l’étrier). Sa conservation est de bon pronostic ; – le test de Blatt apprécie la sécrétion salivaire (VII bis et noyau salivaire supérieur) et permet de localiser une lésion entre le ganglion géniculé et la corde du tympan ; – l’électrogustométrie recherche une agueusie des deux tiers antérieurs d’une hémilangue, traduisant une lésion en amont de la corde du tympan, avec un intérêt pronostique. Ces deux derniers tests sont peu réalisés en pratique courante, et les troubles du goût sont recherchés à l’interrogatoire. Estimation de la sévérité de l’atteinte ● Cliniquement, elle repose sur le testing musculaire de Freyss et l’échelle de House et Brackmann. ● Les techniques d’exploration électrophysiologiques “classiques” sont l’électroneurographie de Esslen, qui évalue la perte axonale, l’électromyographie de surface (Freyss), le test de stimulation nerveuse de Hilger (intéressant dans les cas où le patient n’est pas transportable, donc plutôt lors des PF traumatiques) et l’étude du réflexe de clignement. ● Si l’on souhaite une évaluation plus précise de la fonction faciale, il est préférable de réaliser une électromyographie (EMG) faciale intégrée comportant : – un électrodiagnostic de stimulation du facial extracrânien avec des électrodes de surface sur quatre muscles représentatifs de la face, évaluant la perte axonale ; – un électrodiagnostic de détection avec des électrodes aiguilles permettant l’enregistrement des quatre muscles au repos et lors de la contraction volontaire. Au repos, côté sain, il n’y a pas d’activité et, côté atteint, des fibrillations ou des potentiels lents de dénervation sont observés. L’analyse des unités motrices en contraction volontaire retrouve, du côté sain, un recrutement temporel et spatial, et, du côté atteint, des anomalies allant du silence électrique au tracé polyphasique ; – le réflexe de clignement : la réponse R1 du réflexe de clignement reflète le bloc de conduction intracrânien. La mesure porte sur le rapport de l’amplitude de R1 entre les deux côtés. Dans tous les cas, l’interprétation de l’EMG faciale doit être corrélée à l’examen clinique. Elle dépend de la date de réalisation par rapport à celle du début de l’atteinte. Ainsi, les lésions graves peuvent apparaître dans les 14 premiers jours, et la perte axonale mesurée sur un examen trop précoce ne reflète pas la sévérité de l’atteinte. En effet, les fibres périphériques restent excitables lors des premiers jours d’installation de la PF. Précocement, le bloc de conduction, évalué en particulier par le réflexe de clignement, traduit mieux la sévérité de l’atteinte. C’est entre le sixième et le quatorzième jour que la perte axonale reflète la gravité. Après le quatorzième jour, sa fiabilité diminue. L’interprétation doit donc tenir compte de toutes les données de l’EMG, et en particulier du bloc de conduction intracrânien (réflexe de clignement). Idéalement, il faut répéter l’examen : J6, J10 ou J14, puis régulièrement. En conclusion, une PFI nécessite un bilan en cas de présentation atypique ou de mauvaise récupération, et l’appréciation de la sévérité de l’atteinte doit être généralisée pour dépister précocement les formes graves. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 291 - mars-avril 2004 21 D O S S I E PARALYSIES FACIALES DE L’ENFANT Vincent Couloigner a précisé la spécificité des paralysies faciales néonatales. Leur prévalence varie de 0,05 à 7,5 % selon les études. Leur diagnostic est parfois difficile chez le nouveau-né du fait de la conservation d’un bon tonus musculaire de repos. Les paralysies bilatérales ne se traduisent que par un visage figé et inexpressif et peuvent rester longtemps méconnues. Les principales étiologies sont : – les paralysies faciales post-traumatiques par traumatisme obstétrical (forceps, compression faciale contre bassin maternel) ou position vicieuse intra-utérine avec compression de la région parotidienne par l’épaule. Les éléments évocateurs du diagnostic sont l’association de la PF à d’autres anomalies : torticolis, déformation céphalique, ecchymose mastoïdienne, otorragie, hémotympan, lésions traumatiques des téguments de la face, mais ces signes ne sont pas toujours présents. L’évolution est habituellement favorable en moins de 6 semaines. Au-delà, un scanner est effectué pour rechercher une fracture du rocher, un décalage ou un rétrécissement localisés de l’aqueduc de Fallope ; – les paralysies faciales associées à une paralysie oculomotrice ou à d’autres malformations. Il s’agit principalement du syndrome de Mœbius (paralysie bilatérale du nerf facial et du nerf moteur oculaire externe), d’aplasies majeures ou mineures de l’oreille. D’autres syndromes polymalformatifs peuvent s’accompagner d’une paralysie faciale : association CHARGE (C pour colobome irien ou rétinien ; H pour heart : malformation cardiaque ; A pour atrésie choanale ; G pour anomalie génito-urinaire ; E pour ear : malformation de l’oreille), anomalie de Poland (agénésie unilatérale des muscles pectoraux, malformation des membres supérieurs, paralysie faciale unilatérale inconstante), rubéole congénitale ; – les paralysies faciales d’origine infectieuse sont rares et compliquent une otite ou une parotidite néonatale ; – les PF inférieures se détectent aux sourires ou aux pleurs et ont deux étiologies possibles : traumatisme du rameau mentonnier (forceps) ou hypoplasie congénitale du muscle triangulaire des lèvres (asymétrie isolée de la lèvre). Ces paralysies ne relèvent d’aucun traitement particulier ; – les PF supérieures sont toujours malformatives. Le scanner retrouve une diminution de calibre de l’aqueduc de Fallope sur tout son trajet ou seulement sur sa troisième portion. Du fait de la proximité du noyau du nerf facial et des voies auditives centrales, il y a nécessité de dépistage d’une surdité associée par enregistrement des PEA ; – en cas de PF totale sans éléments en faveur d’un traumatisme, les explorations électriques pratiquées dès les 3 premiers jours de vie permettent éventuellement de différencier une PF traumatique, dans laquelle les réponses sont initialement normales puis se dégradent entre le troisième et le septième jour, d’une PF malformative, dans laquelle les réponses sont d’emblée anormales. Malheureusement, la date de la première consultation est souvent trop tardive pour rendre les tests électriques contributifs. Si la PF n’a pas régressé au bout de 6 semaines, un scanner des rochers est demandé, suivi de l’exploration chirurgicale du nerf facial en cas de suspicion d’étiologie traumatique ; – en cas de paralysie faciale progressive, il faut d’emblée suspecter une origine tumorale et faire réaliser une imagerie sur le trajet du nerf facial (scanner ou IRM). 22 R Pour ces paralysies faciales néonatales, l’exploration chirurgicale du nerf facial est inutile dans les malformations mais indispensable dans les PF traumatiques ne régressant pas au bout de 6 semaines, pour permettre de lever une éventuelle compression nerveuse ou de réparer une section du nerf. Une réinnervation faciale est proposée en cas de PF traumatiques, infectieuses ou tumorales, n’ayant pas régressé au bout de plusieurs mois (anastomose hypoglossofaciale). En cas de malformation, les procédés de réinnervation faciale, notamment par l’utilisation de branches du nerf facial controlatéral, sont des interventions lourdes et n’ayant pas fait la preuve de leur efficacité. En raison de fréquentes améliorations de la mimique faciale, spontanées ou favorisées par la rééducation, la chirurgie des séquelles de paralysie faciale est rarement réalisée avant l’âge de 7 ans. Dans la paralysie faciale bilatérale du syndrome de Mœbius, la correction précoce de l’hypotonie labiale est parfois rendue nécessaire par la sévérité des troubles de l’articulation de la parole. Après la période néonatale, les paralysies faciales de l’enfant se rapprochent de celles de l’adulte, avec cependant deux différences essentielles : – l’utilisation d’échelles d’évaluation de la sévérité de la paralysie (testing musculaire de Freyss, grading de House et Brackmann) n’est possible qu’à partir de l’âge de 4 ans ; – les PF a frigore ne représentent que 60 à 70 % des PF périphériques, contre 95 % chez l’adulte. IMAGERIE DU NERF FACIAL Françoise Cyna-Gorse a rappelé que, le diagnostic clinique de PF idiopathique étant fait devant une symptomatologie particulièrement évocatrice, il n’y a pas d’indication d’exploration radiologique de première intention. Le bilan radiologique est demandé quand le tableau est atypique : aucune régression des symptômes dans les délais habituels sous corticothérapie ou régression partielle alors que le traitement a été bien suivi, ou encore existence de signes associés (atteinte cochléovestibulaire, otite, masse parotidienne). Il comporte une IRM avec des séquences T1, sans et avec injection, en coupes fines axiales et coronales, allant du rocher à la parotide et T2 volumique sur les conduits avec T2 ou FLAIR-crâne. Le scanner est demandé en supplément devant des images pathologiques n’évoquant pas la PF idiopathique et afin d’étudier l’état de l’os. Lors des PF idiopathiques, on peut noter une prise de contraste linéaire caractéristique de la terminaison du facial intraméatique, de la première portion et du ganglion géniculé (figure 1). La prise de contraste de la terminaison intraméatique et du premier segment labyrinthique n’est pas spécifique des PF idiopathiques. Elle se retrouve de la même façon dans les PF d’origine traumatique, la neurosarcoïdose et les PF d’origine virale. Sa valeur pronostique a été étudiée dans les PF idiopathiques. Pour SartorettiSchefer, l’intensité de la prise de contraste n’a pas de valeur pronostique sur la sévérité, la durée ou l’évolution de la PF. La persistance d’une prise de contraste est possible 3 mois après la récupération totale. Une prise de contraste initiale du facial n’a pas de valeur péjorative sur le pronostic (Engstrom). Enfin, les études préliminaires (Yetiser et Kress) montreraient une corrélation entre l’intensité de la prise de contraste initiale et l’évolution de la PF. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 291 - mars-avril 2004 La non-diminution de la prise de contraste à 3 mois est corrélée à une mauvaise récupération à un mois (Belveze). Au total, cette valeur pronostique reste controversée. Une étude plus importante reste à réaliser pour essayer d’établir un parallélisme entre l’atteinte clinique et les images, et, surtout, entre l’évolution et les images. L’application clinique serait une éventuelle modification de l’attitude thérapeutique, en fonction de critères de gravité radiologiques. Les diagnostics différentiels de la PF idiopathique sont réalisés grâce à l’IRM, que complète le scanner en cas d’anomalie. Il s’agit de neurinomes, quelle que soit la portion du nerf facial (figure 2), hémangiomes, tumeurs intracrâniennes au contact du ganglion géniculé, tumeurs parotidiennes, tumeurs glomiques, métastases, lymphomes ou PF inflammatoire compliquant un cholestéatome, pour les causes les moins rares. En cas de PF traumatique, le scanner visualise la fracture et recherche des lésions associées : luxation ou fracture ossiculaire, hémotympan, fracture translabyrinthique, etc. En conclusion, la PF idiopathique présente un aspect IRM caractéristique mais non spécifique. La prise de contraste est un argument diagnostique dont l’intensité pourrait être corrélée au pronostic, mais des études complémentaires sont nécessaires. La clinique et l’étude de l’IRM, complétée en cas d’atypie par un scanner, doivent permettre d’éliminer les diagnostics différentiels. – le taux de guérison est lié à la sévérité de la perte axonale, évaluée par l’excitabilité, et au délai de prise en charge. Ainsi, en cas d’excitabilité inférieure à 10 %, le pronostic est moins bon. Si le traitement est instauré par voie orale avant J3 ou par voie veineuse avant J7, les taux de récupération sont meilleurs ; – enfin, l’effet est dose-dépendant. ● L’efficacité du traitement antiviral a été évaluée dans deux métaanalyses. Les conclusions sont que cette efficacité paraît “possible”, celle des corticoïdes étant “probable”. La dose à administrer est de 30 mg/kg/j d’aciclovir en i.v. ou de 1 g de valaciclovir trois fois par jour per os. La précocité du traitement s’accompagne là aussi d’un TRAITEMENT DES PARALYSIES FACIALES IDIOPATHIQUES Frédéric Tankéré a commencé son exposé en rappelant les propos de Adour : “The often heard dictum that all patients with Bell’s palsy recover almost completely without treatment is erroneous”. En effet, une revue de la littérature montre que l’évolution naturelle des PFI est marquée par un taux de 84 % de guérison (Adour), Koike rapportant 33 % de séquelles, et l’étude de Peitersen fait état de 70 % de récupérations complètes, 13 % de séquelles minimes et 17 % de séquelles modérées ou sévères. Dans une publication de 2000, Santos-Lasaosa mentionne 16 % de séquelles graves. La question posée est donc celle du choix du traitement optimal pour réduire cette proportion non négligeable de séquelles. Les différentes modalités, éventuellement associées entre elles, sont la corticothérapie, le traitement antiviral et la chirurgie de décompression. ● La protection cornéenne est systématique : larmes artificielles, pommade ophtalmique à la vitamine A et occlusion palpébrale nocturne. ● Le traitement corticoïde a pour buts de lever le bloc de conduction intracrânien, de réduire l’inflammation nerveuse et de lutter contre le processus immunologique induit par HSV. Les données concernant la corticothérapie permettent de retenir les points suivants : – l’efficacité de celle-ci est probable mais non significative dans certaines études ; – il n’y a pas d’étude randomisée portant sur la voie d’administration de la corticothérapie : per os versus i.v. La supériorité de la voie veineuse se dégage dans les études publiées, mais elle doit être nuancée compte tenu de l’hétérogénéité des patients (délai de traitement, sévérité de la PF) ; Figure 1. IRM en séquence T1 avec gadolinium. Coupe axiale objectivant une prise de contraste linéaire de la terminaison du facial intraméatique droit, de la première portion et du ganglion géniculé évocatrice de PF idiopathique. Figure 2. IRM en séquence T1 avec gadolinium. Coupe axiale objectivant une lésion prise du ganglion géniculé gauche évocatrice de neurinome du facial. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 291 - mars-avril 2004 23 D O S S I E meilleur pronostic. Les études de Darrouzet et Tankéré montrent l’intérêt de l’association corticothérapie et antiviraux. ● Le traitement chirurgical a pour but de lever la compression intracrânienne. Ses indications restent discutées dans les formes les plus sévères. ● Les traitements vasodilatateurs, osmotique, antioxydants, etc., n’ont pas d’efficacité démontrée. ● La rééducation de la face est précoce en cas de PF totale. En conclusion, Frédéric Tankéré propose un algorithme thérapeutique prenant en compte la sévérité de la paralysie faciale, sa date de prise en charge et le terrain (figure 3). LE SPASME HÉMIFACIAL IDIOPATHIQUE : HYPOTHÈSES PHYSIOPATHOLOGIQUES ET ASPECTS ÉLECTROPHYSIOLOGIQUES Au cours de cette présentation, Jean-Claude Willer a abordé les éléments en rapport avec la plasticité et la repousse nerveuse lors de l’hémispasme facial. Celui-ci peut être idiopathique ou postlésionnel. Anatomiquement, le nerf facial est fragile au niveau de la sortie du tronc, zone de transition entre myéline centrale et myéline périphérique. Deux types de mécanismes physiopathologiques sont évoqués lors de l’hémispasme. Le premier est de type périphérique (Nielsen) : présence de foyers d’excitation nerveuse ectopiques. Le second est fondé sur une réorganisation neuronale centrale (Möller). Ces deux mécanismes sont potentiellement associés. Cliniquement, l’hémispasme est caractérisé par des PF de grade II ou III RÉHABILITATION DE LA FACE PARALYSÉE : DIFFÉRENTES PROCÉDURES CHIRURGICALES Pour limiter les séquelles dues à une PF, différents moyens thérapeutiques sont possibles. La constatation en peropératoire (chirurgie parotidienne, otologique et de la base du crâne, fracture du rocher) d’une interruption du nerf facial fait proposer une réparation immédiate par greffe. Les lésions nerveuses importantes peuvent justifier l’interposition d’un greffon intermédiaire pour éviter toute traction. Celui-ci est prélevé au niveau du plexus cervical superficiel ou du nerf saphène. Alexis Bozorg-Grayeli en a exposé les PF de grade V ou VI Début du traitement < J3 Début du traitement > J3 Si facteurs de risque (diabète, âge, récidive...) Traitement ambulatoire en i.v. ? Réévaluation à 48 ou 72 heures Même traitement Total : 10 j contractions toniques, spasmes, myokinies (contraction spontanée du menton qui diffère d’une fasciculation), syncinésies, et une diffusion du réflexe de clignement. Le bilan électrophysiologique contribue à évaluer le nombre d’axones impliqués dans une réponse anormale. Le réflexe de clignement est altéré : du côté atteint, on enregistre la réponse ectopique et la réponse R1 croisée. Ces anomalies sont potentiellement réversibles. L’électrodiagnostic de détection enregistre parfois une activité tonique spontanée au repos. Lors de l’occlusion des yeux, on peut enregistrer des modifications traduisant la facilitation centrale. Au niveau périphérique, l’excitabilité des motoneurones du facial augmente avec des foyers anormaux et un réflexe de clignement ectopique. Ces données électrophysiologiques permettent de mettre en évidence l’association de mécanismes périphériques et une hyperexcitabilité centrale lors de l’hémispasme. PF de grade IV Traitement per os : prednisone 2 mg/kg/j valaciclovir 1 g x 3/j Amélioration R Aggravation Traitement par voie i.v. : méthylprednisolone 2 mg/kg/j aciclovir 30 mg/kg/J Amélioration Aggravation Excitabilité < 10 % Fin du traitement i.v. : 7 j puis relais per os sur 7 j Décompression chirurgicale ? Figure 3. Algorithme du traitement des PF idiopathiques proposé par Frédéric Tankéré. 24 La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 291 - mars-avril 2004 principes, avec l’utilisation de colle de fibrine qui apporte une force d’adhésion suffisante et durable. Les résultats obtenus chez 36 patients montrent que, le plus souvent, la reprise d’une activité cliniquement décelable se fait environ 7 mois après l’intervention. À plus long terme, avec un suivi moyen de 50 mois, environ 80 % des patients retrouvent une fonction faciale classée grade 3 selon la classification de House et Brackmann. La réalisation d’une anastomose hypoglosso-faciale est habituellement discutée au stade séquellaire, plusieurs mois ou années après l’installation de la PF, le nerf facial ne pouvant être réparé et les branches périphériques étant intactes. Deux techniques chirurgicales ont été discutées. Georges Lamas a présenté les modalités de l’anastomose termino-terminale sans reconstruction du XII, associée parfois à une tarsorraphie ou à une chirurgie palpébrale. Une rééducation spécifique et prolongée est nécessaire. Les résultats obtenus chez 20 patients montrent un début de récupération entre 4 mois et un an. Le résultat selon la classification de House et Brackmann était de grade 3 pour 11 patients et de grade 4 pour les 9 autres. L’évaluation par des questionnaires a par ailleurs permis de mesurer les bénéfices obtenus dans la vie quotidienne. La rééducation doit être précoce et prolongée, prenant en compte les troubles de l’articulation, de la déglutition et de la mastication. La technique présentée par Vincent Darrouzet respecte le XII en réalisant une anastomose latéro-terminale. Le nerf facial est sectionné au niveau de la troisième portion et son extrémité distale est anastomosée latéralement au XII. Les résultats obtenus chez 10 patients montrent un début de récupération vers le septième mois. Le résultat selon la classification de House et Brackmann était de grade 3 pour 7 patients et de grade 4 pour les 3 autres. L’avantage de cette technique est de conserver une mobilité linguale normale. Les modalités de la réhabilitation chirurgicale de la face paralysée ont été présentées par Bertrand Baujat. La prise en charge multidisciplinaire a pour objectif une protection oculaire immédiate. L’armature de la paupière inférieure par un greffon cartilagineux de conque améliore l’occlusion palpébrale dans les trois quarts des cas. Le côté sain est systématiquement pris en compte. Pour réhabiliter la symétrie faciale, il est possible de réaliser un mask-lift avec canthopexie latérale ou une transposition du chef postérieur du muscle temporal. Un allongement musculaire controlatéral est parfois proposé. Ces techniques permettent de restaurer un sourire spontané dans un cas sur deux, avec peu de séquelles sur l’articulation et la mastication. Le traitement associé comporte une kinésithérapie faciale bilatérale et, si nécessaire, des injections de toxine botulique. Patrick Klap a précisé les modalités d’action et les indications de la toxine botulique lors des PF. Par son action inhibitrice sur l’acétylcholine synaptique, cette neurotoxine entraîne une dénervation postsynaptique. Celle-ci est durable mais réversible. En France, deux types sont disponibles : type A (Dysport® et Botox®) et type B (Myobloc-T®). Les indications sont très nombreuses : blépharospasme et hémispasme facial, torticolis spasmodique, spasticité après accident vasculaire cérébral, fibromyalgies, rides faciales, etc. Les contre-indications sont la grossesse, l’allaitement, les pathologies musculaires, la myasthénie. La toxicité, c’est-à-dire le développement d’un botulisme généralisé, est rare et n’apparaît que pour des doses élevées. L’efficacité est prolongée durant 3 à 6 mois, et il faut respecter un intervalle minimum de 2 mois entre les injections. La toxine botulique est habituellement proposée de première intention pour le traitement de l’hémispasme facial essentiel. Le protocole comporte des injections au niveau des orbiculaires des paupières, en sous-cutané, et au niveau du tiers inférieur de la face, adaptées à la demande du patient. Le bénéfice sur le spasme apparaît vers le quinzième jour et est prolongé sur environ 6 mois. Les effets indésirables sont retrouvés dans 5 % à 25 % des cas, habituellement minimes à modérés : ptosis, sécheresse oculaire, chute de la commissure inférieure, diplopie, etc. À la phase aiguë d’une PF, une injection de toxine botulique dans le releveur de la paupière supérieure crée un ptosis thérapeutique durant 2 à 4 mois et permet d’éviter une tarsorraphie. Au cours des séquelles de PF, les indications de la toxine botulique sont de trois types : – hémispasme postparalytique : limitation des douleurs, des syncinésies et de la fermeture palpébrale ; – “symétrisation” de la face controlatérale par injections de faibles doses au niveau du muscle frontal, par exemple ; – syndrome des larmes de crocodile par injection de faibles doses au niveau de la glande lacrymale. La toxine botulique représente donc un traitement symptomatique d’utilisation simple en alternative ou en complémentaire de la chirurgie. L’ensemble des intervenants ayant insisté sur l’importance de la rééducation faciale, ses modalités ont été précisées par Frédéric Martin. L’évaluation clinique prend en compte la sévérité de la PF (House et Brackmann), le bilan de la force motrice, mais aussi sensoriel et sensitif, ainsi que les troubles fonctionnels (parole, mastication, déglutition, mimiques). Les supports sont l’électromyographie, les examens photo/vidéo, le biofeedback (spasmes) et les échelles de stress. La rééducation des paralysies flasques, hypotoniques, est fondée sur une information et une recherche d’harmonie faciale en limitant le forçage. Lors des hémispasmes, le biofeedback et les exercices avec support vidéo en miroir sont utiles. Au cours de la rééducation après anastomose hypoglossofaciale, il s’agit de déplacement de fonction mettant en jeu la plasticité cérébrale. Enfin, après myoplastie d’allongement du temporal, l’objectif est d’obtenir un sourire spontané, ce qui peut être long (un an). Dans une étude portant sur 207 patients présentant des PF de toutes causes, la durée de la rééducation s’échelonnait entre 3 et 8 mois. La prise en charge précoce a permis une information structurée, une évaluation initiale précise, ainsi que de décider l’intérêt d’une autorééducation et de travailler sur des supports photographiques. Le principal objectif de la rééducation est d’éviter ou de limiter le spasme, avec une vigilance accrue pour les PF zostériennes. L’autorééducation doit être bien encadrée par le rééducateur, qui vérifie aussi l’absence de travail excessif. L’électrothérapie n’est pas utilisée. Lors de la période flasque, il faut espacer les séances, qui seront rapprochées au moment de l’apparition des signes de récupération. Il est utile de développer les moyens d’autocontrôle : relaxation, miroir, biofeedback, vidéo en miroir. Enfin, les répercussions esthétiques, émotionnelles et psychologiques seront prises en compte. ■ La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no 291 - mars-avril 2004 25