Introduction générale
Plusieurs fonctions sont assignées à la comptabilité. Une de ces fonctions est la
production d’information utile pour permettre aux investisseurs d’évaluer les titres et
prendre des décisions d’investissement rationnelles. Parmi les informations
comptables, les bénéfices sont probablement ceux qui font l’objet d’un examen
minutieux par les investisseurs.
Comme il l’a été mentionné par Beaver (1989) « aucun autre chiffre, dans les états
financiers, ne reçoit plus d’attention par la communauté d’investisseurs que les
bénéfices par action… »
Malgré leur importance, les bénéfices reflètent dans certains cas les informations ou
plus exactement les nouvelles de façon instantanée ou opportune (les mauvaises
nouvelles), alors que dans d’autres cas, les nouvelles sont reportées jusqu‘à leurs
réalisations effectives (les bonnes nouvelles). Ce phénomène (ou cette propriété des
bénéfices) est appelé « conservatisme de la comptabilité » (Ball et al, 2000). Ce
dernier peut être interprété comme étant la tendance des comptables à exiger plusieurs
arguments et à effectuer une grande vérification pour reconnaître (enregistrer) les
bonnes nouvelles dans les états financiers, alors qu’on ne fait pas la même chose avec
les mauvaises nouvelles (Basu, 1997).
On emploie le terme « bonne nouvelle » pour désigner les gains probables et le terme
« mauvaise nouvelle » pour désigner les pertes probables (latentes). Ces dernières
sont enregistrées en comptabilité avant les gains probables. Ceci mène à une
asymétrie dans la prise en compte des nouvelles dans les bénéfices. L’exemple le
plus célèbre qui illustre ce principe est celui de l’évaluation des stocks au coût le plus
faible entre le coût historique et la valeur de réalisation nette. Selon le paragraphe 10
1
de la norme comptable relative aux stocks (norme 4) « les stocks doivent être évalués
au coût historique ou à la valeur de réalisation nette si elle est inférieure ». Cette règle
mène à la prise en compte des pertes sur les stocks plus rapidement que les gains.
Un autre exemple est celui d’une entreprise qui reçoit des informations qui changent
ses estimations sur la durée de vie effective d’un actif immobilisé. Si la nouvelle
durée de vie est plus longue, la firme sera économiquement meilleure. Toutefois, sous
la convention du coût historique comptable, aucun gain ne peut être enregistré
actuellement. Par contre, si la nouvelle durée de vie est inférieure à celle actuelle,
c’est à dire que les cash-flows futurs vont diminuer, le montant amortissable va être
réparti sur la nouvelle durée de vie. Dans la pratique, les comptables font ce qu’on
appelle un impairement(1) d’actif tel que définie par la SFAS 121, la norme comptable
américaine et tel que prévu par la norme comptable tunisienne n°5 sur les
immobilisations corporelles. Le paragraphe 40 de cette norme stipule que:
« Postérieurement à sa constatation initiale à l’actif, une immobilisation corporelle
doit être comptabilisée à son coût diminué de l’amortissement, à moins que des
circonstances ou des événements particuliers donnent à penser que la valeur
comptable nette ne pourra pas être récupérée par les résultats futurs provenant de son
utilisation, auquel cas il y a lieu de ramener la valeur de l’actif à sa valeur
récupérable ». Cet impairement engendre la réduction du bénéfice actuel sans pour
autant avoir un effet sur le résultat futur.
Compte tenu de ce qui a précédé, le conservatisme affecte asymétriquement le
bénéfice de façon qu’il prenne en compte les mauvaises nouvelles rapidement et
retarde la comptabilisation des bonnes nouvelles.
Dans l’exemple que nous avons cité, les mauvaises nouvelles sur la durée de vie
effective attendue de l’actif immobilisé n’ont pas d’effet sur les cash-flows actuels.
2
(1) L’impairement est une notion anglo-saxonne qui implique la réduction de la valeur de l’actif à sa valeur
récupérable lorsqu’elle est inférieure à la valeur comptable nette de l’actif.
Cependant, elles sont reflétées dans les bénéfices actuels. Ainsi, les cash-flows sont
faiblement associés aux rendements actuels.
Etant donné que le bénéfice est la somme des cash-flows et des accruals, ce sont ces
derniers qui reconnaissent les mauvaises nouvelles et les incorporent dans les
bénéfices actuels (Ball et al, 2000). En fait, les accruals fournissent des règles sur le
moment de prise en compte des cash-flows dans les bénéfices, ce qui rend les
bénéfices plus associés aux rendements (la performance de l’entreprise) que les cash-
flows (Dechow, 1994).
Ainsi, on se propose dans cette étude de valider empiriquement l’effet asymétrique du
conservatisme sur le bénéfice, de façon qu’il reflète les mauvaises nouvelles
rapidement et retarde la prise en compte des bonnes nouvelles.
Ensuite, vérifier empiriquement que les bénéfices reflètent les mauvaises nouvelles
publiquement disponibles plus rapidement que les cash-flows d’exploitation.
Dans cette étude on choisira les rendements comme indicateur des nouvelles(2). En
effet, les rendements positifs représentent les bonnes nouvelles et les rendements
négatifs représentent les mauvaises nouvelles.
On suppose, tout d’abord, que l’association entre le bénéfice et les rendements
négatifs (qui représentent les mauvaises nouvelles) est plus grande que celle entre les
bénéfices et les rendements positifs ( qui représentent les bonnes nouvelles).
On suppose, ensuite, que l’association entre les bénéfices et les rendements est plus
grande que celle entre les cash-flows et les rendements, surtout pour les mauvaises
nouvelles publiquement disponibles.
Pour vérifier ces prédictions on utilisera la régression linéaire ‘’inverse’’ (Beaver &
3
(2) Le choix des rendements comme indicateur des nouvelles a été fait pour la première fois par Basu (1997), depuis, ce choix a pris
un grand succès et a fait l’objet de plusieurs études surtout par Pope & Walker (1999).
al, 1980 ; Cready & al, 2001). Cette méthodologie a été utilisée pour la première fois
par Basu (1997), depuis elle est devenue une méthodologie standard employée dans
toutes les recherches qui ont succédé à celle de Basu(3).
Le conservatisme apparent de la comptabilité est un phénomène qui a commencé à
attirer l’attention des chercheurs en comptabilité (Holthausen & Watts, 2001). L’étude
de ce phénomène dans le contexte tunisien s’avère intéressante dans la mesure où la
Tunisie épouse deux modèles comptables : le modèle anglo-saxon et le modèle
franco-allemand (ou ce qu’on appelle aussi le modèle européen continental)(4).Ce
croisement fait de la Tunisie un modèle indépendant qu’on peut qualifier d’hybride.
Les résultats de cette étude ont des implications pour les utilisateurs des états
financiers (surtout les investisseurs), pour les normalisateurs de la comptabilité et
pour le marché financier de façon générale.
Dans une première partie on va présenter les théories sous-jacentes au conservatisme,
les différentes définitions de ce phénomène, ainsi que la littérature relative à ce
phénomène.
Dans la deuxième partie de cette étude, on présentera les hypothèses de la recherche
et la méthodologie utilisée, ainsi que les résultats obtenus.
4
(3) Selon Ball & al (2000), la régression inverse a plusieurs avantages. En fait, cette spécification permet d’éviter l’effet de la
microstructure, la liquidité et les problèmes de cotation des rendements lorsqu’ils sont utilisés comme variable indépendante.
(4) On s’est basé sur la classification de Nobes & Parker (1995).
Chapitre le conservatisme de la comptabilité :
Préliminaire essai de définition
Introduction
Le conservatisme de la comptabilité est une convention inhérente à tout système
comptable, malgré quelques différences au niveau de son degré. Il ne s’agit pas d’un
préjugé, mais plutôt d’une évidence. En fait, dans la relation entre actionnaire et
dirigeant, il y a une asymétrie d’information entre les deux parties. Il s’agit de
l’information qu’a le gestionnaire sur ses compétences ou sur les activités de la firme
(Tremblay, Cormier & Magnan, 1994).
Cette situation pousse les dirigeants à utiliser les procédures comptables en leur
faveur, surtout lorsque leur rémunération est indexée sur le bénéfice.
Pour faire face à ce problème il y a lieu d’appliquer le principe du conservatisme qui
permet d’éliminer toute surévaluation des actifs ou sous évaluation des passifs, et par
conséquent, éviter le gonflement des bénéfices.
Selon Basu (1997)(5) , il y a deux types du conservatisme :
Le « pervasive conservatism » ou le conservatisme envahissant : Il s’agit du
conservatisme ex ante, celui non relié aux nouvelles. Ce type existe indépendamment
des nouvelles. Il est inhérent à tout système comptable.
Les « news driven asymmetric recognition » ou le conservatisme relié aux
nouvelles : c’est le conservatisme ex post, il s’agit de la prise en compte asymétrique
des nouvelles en comptabilité.
Il y a lieu de noter que c’est à la deuxième forme du conservatisme qu’on va
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(5) Basu (1997) indique que : « l’utilisation de la valeur la plus faible entre le coût historique et la valeur de marché
pour les stocks est l’un des exemples du conservatisme ».
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