révolutionnaire commune aux révolutions de 1789, 1830 et 1848. La révolution devient,
comme pour Bonald et Maistre, une manifestation autonome de ses acteurs, qui n’a plus
d’autres finalités en dehors d’elle-même.
L’avenir du conservatisme
Tout en soulignant les divergences radicales entre libéraux et réactionnaires sur des
questions aussi essentielles que le consentement aux institutions, la protection des libertés
publiques ou l’attitude à adopter face à l’autorité politique, il nous semble que François
Huguenin pose les jalons d’un dialogue possible entre deux familles politiques, ce qui
pourrait, à terme, aboutir à la formulation d’un conservatisme français intelligent. Après tout,
c’est à la lecture de Burke, Bonald, Tocqueville et Calhoun que d’anciens libertariens
américains se lanceront dans l’aventure de ce qui deviendra plus tard l’American
Conservative Movement. Les libéraux ont tout intérêt à porter leur regard d’une école contre-
révolutionnaire lestée de ses pathologies antilibérale, revancharde et antisémite dans sa portée
critique. Elle peut les prévenir contre leur penchant « déontique », leur propension à réduire la
politique à de la morale, à un idéalisme centré sur l’autonomie de l’individu abstrait de la
communauté politique dans laquelle il vit. Les questions de l’autorité, de la souveraineté, de la
puissance de l’Etat sont paradoxalement des questions modernes assez bien cernées par les
réactionnaires, assez bien pour que des libéraux comme Raymond Aron ou Julien Freund s’y
intéressent. Contrairement à ce qu’écrit Huguenin, suivant en cela Maritain, qui semble faire
de l’élimination du problème politique de la souveraineté la condition d’un dialogue
fructueux, nous aurions plutôt tendance à en faire le point d’achoppement des deux courants.
Dans un ouvrage qui n’a pas eu toute la publicité qu’il méritait de ce côté-ci de
l’Atlantique, Harvey C. Mansfield Jr brossait le portrait du constitutionnalisme libéral
moderne comme celui de la montée en puissance et de l’intégration dans la science politique
de la question de l’effectuation du droit
. Le déplacement de la problématique de la
délibération vers l’exécution du droit s’est traduite par la découverte du pouvoir exécutif
comme nécessaire au maintien d’une république libre, ce qui n’allait pas de soi, tant l’idée
paraissait attachée à la monarchie. Il a fallu toute l’obstination des pères fondateurs de la
constitution américaine, particulièrement de Madison et Hamilton, pour convaincre les
républicains que le pouvoir politique pouvait aussi servir pour garantir les libertés, et pas
seulement pour les asservir. C’est aussi pour cette raison que nous restons libéraux, malgré les
efforts déployés par Huguenin pour nous rendre acceptables, voire aimables certaines figures
de la Contre Révolution. L’école libérale nous paraît plus capable d’intégration d’éléments
exogènes que ne le fut l’école contre-révolutionnaire, Action Française comprise, qui
d’ailleurs ne survit plus guère que dans les livres d’histoire. Il est plus facile pour un libéral de
reconnaître l’autonomie du Politique que pour le réactionnaire l’exigence morale de liberté.
Le dernier intellectuel réactionnaire, dont Huguenin fait à raison grand cas, fut Pierre
Boutang. Disciple de Maurras, mais ami proche de George Steiner, professeur de
métaphysique à la Sorbonne, mais militant royaliste enragé, fin lecteur de Platon et d’Aristote,
mais figure léonine du quartier latin réputé pour ses colères homériques, il nous paraît
difficile, au même titre que Maritain, Aron et Jouvenel, d’en faire un point de rencontre entre
tradition réactionnaire et libérale. En effet, son illibéralisme viscéral ne l’a-t-il pas conduit à
rédiger un pamphlet contre Giscard, et à appeler à voter Mitterrand contre celui qu’il
surnommait Foutriquet ? Comme nous le voyons, l’entreprise de François Huguenin,
Mansfield (Harvey C., Jr), Taming the Prince, The Ambivalence of Modern Executive Power, Baltimore, Johns
Hopkins Univ., 1989 traduit par P-E Dauzat Le Prince apprivoisé. De l’ambivalence du pouvoir, Paris, Fayard,
1994.