ÉTUDES
J. C. Rochet « Procyclicité des systèmes fi nanciers : est-il nécessaire de modifi er les règles comptables et la réglementation actuelles ? »
106 Banque de France • Revue de la stabilité fi nancière • N° 12 – Valorisation et stabilité fi nancière • Octobre 2008
LA PROCYCLICITÉ INTRINSÈQUE
DES SYSTÈMES FINANCIERS
La crise des prêts subprime illustre parfaitement la
« procyclicité » des systèmes fi nanciers. Des pertes
relativement modestes 1 sur les marchés du crédit
aux États-Unis, au début de l’été 2007, ont déclenché
une crise de confi ance majeure dans les secteurs
bancaires et fi nanciers de toute la planète, laquelle
a considérablement grevé la capacité de ces secteurs
à fi nancer les ménages et les entreprises, ce qui
est pourtant, et de loin, la principale fonction des
établissements fi nanciers. Ce phénomène n’est
nullement spécifi que à la crise actuelle. L’histoire de
la fi nance 2 regorge d’exemples de cycles fi nanciers
dans lesquels à l’expansion du crédit, alimenté par
un optimisme « exubérant » en phases de croissance,
succèdent des épisodes spectaculaires de contraction
du crédit (credit crunch) provoqués par un choc
négatif assez modéré mais qui, in fi ne, conduit à une
dégradation majeure de l’activité économique.
Dans un monde hypothétique où les marchés
fi nanciers seraient parfaits (c’est-à-dire complets
et exempts de frictions), une telle situation ne
surviendrait jamais. Au contraire, les instruments
fi nanciers devraient théoriquement procurer aux
ménages et aux entreprises une assurance contre
les chocs réels. Ainsi, tous les risques auxquels sont
confrontés les différents agents économiques (que
les économistes qualifi ent d’« idiosyncrasiques »)
devraient s’annuler grâce à la diversifi cation. De
même, une réallocation effi ciente des risques
entre les agents économiques et une meilleure
diversifi cation entre les pays et les générations
devraient permettre aux systèmes fi nanciers
d’atténuer les chocs économiques.
Toutefois, dans les faits, les marchés fi nanciers
sont inévitablement imparfaits 3. Tout d’abord, ils
ne peuvent pas être complets : nombre des risques
individuels auxquels sont confrontés ménages et
entreprises ne sont pas assurables, en raison de
problèmes informationnels susceptibles d’induire
un aléa moral ou une antisélection. De même, le
transfert intertemporel des risques est forcément
limité par l’illiquidité, voire l’indisponibilité, des
instruments fi nanciers à échéance lointaine.
Deuxièmement, on ne peut pas non plus
considérer que les marchés fi nanciers soient
exempts de frictions : les coûts de transaction
directs et indirects sont loin d’être négligeables, en
particulier sur les marchés primaires. Les obstacles
auxquels se heurte généralement une entreprise
en diffi culté souhaitant émettre de nouveaux
titres illustrent bien ces frictions. En fait, il arrive
souvent que les problèmes de liquidité auxquels
fait face une entreprise, même si elle est rentable et
solvable, dégénèrent en problèmes fondamentaux,
comme un rationnement du crédit ou parfois une
fermeture ineffi ciente.
Deux mécanismes peuvent atténuer ces
imperfections des marchés fi nanciers :
l’intermédiation fi nancière et l’action publique.
Le rôle moderne des intermédiaires fi nanciers 4,
tels que les banques ou les sociétés d’assurance,
consiste en fait à réduire les coûts de transaction
associés aux instruments fi nanciers complexes et
à procurer aux entreprises (essentiellement aux
petites et moyennes entreprises) et aux ménages
un accès indirect à ces instruments. Les grandes
entreprises, qui se fi nancent habituellement
directement, bénéfi cient également des prestations
des intermédiaires fi nanciers, puisque ceux-ci
contribuent à améliorer le fonctionnement des
marchés. En particulier, ils assurent des services
de certifi cation pour les marchés primaires et
renforcent la liquidité sur les marchés secondaires
en prenant des positions importantes qui participent
à l’élimination des opportunités d’arbitrage.
L’action publique joue, elle aussi, un rôle
considérable dans la réduction des fl uctuations
économiques et fi nancières. Étant donné la
capacité qui leur est propre à engager les
revenus des générations à venir (par le biais de la
fi scalité), les pouvoirs publics peuvent adopter des
politiques fi scales et budgétaires contracycliques
susceptibles
d’atténuer les fl uctuations économiques.
1 Cf. Brunnermeier (2008)
2 Cf. Kindleberger (2000)
3 Nous ne prenons ici en compte que les deux principales imperfections, à savoir l’incomplétude et l’existence de coûts de transaction. Nous ne traiterons donc pas
d’une autre forme d’imperfection des marchés fi nanciers, qui découle du fait que la valeur de marché d’un actif fi nancier peut parfois s’écarter nettement de sa
valeur « fondamentale » (même si cette valeur fondamentale est souvent très diffi cile à défi nir objectivement), ce qui crée des « bulles » (lorsque la valeur de marché
dépasse la valeur fondamentale) ou une sous-valorisation (dans la situation inverse). Ces écarts sont problématiques si l’on recourt à la comptabilisation en valeur
de marché pour les institutions fi nancières. Mishkin (2008) analyse les conséquences des bulles sur la politique monétaire.
4 Traditionnellement, les banques avaient pour fonction de transformer l’épargne des ménages (le plus souvent sous forme de dépôts à vue) en prêts immobiliers et
aux entreprises. L’évolution des marchés et techniques fi nanciers (notamment la titrisation) ont largement rendu ce modèle obsolète.